Mille Petrozza serait-il nostalgique des années Endorama / Outcast ? Deux albums qui ont créé la polémique à leur sortie pour leur contenu ouvertement gothique pour un groupe qui a joué un rôle déterminant dans les fondations du thrash à l’allemande. Trop gothique. Que voulez-vous ? Il y a des choses qui ne se font pas. Endorama, malgré ses qualités évidentes que beaucoup n’ont su ou voulu voir, fait partie de ces choses. N’en déplaise à Petrozza, à son amour certain pour les Fields Of The Nephilim ou autres Bauhaus, il y a des genres plus fermés que d’autres, parce que le public en a décidé ainsi. D’ailleurs Kreator s’est bien vite remis dans les rangs avec un Violent Revolution qui a fait chaud au cœur, ne serait-ce que par son hymne éponyme imparable. Il s’est même laissé aller à des offrandes plus brutales avec Enemy Of God et Hordes Of Chaos. Parce qu’il y a une idée reçue moderne comme quoi le thrash se doit, avant tout, d’être brutal. Allez savoir pourquoi ? Alors que pour nombre des plus grands classiques du genre, c’est dans la nuance que leur puissance et leurs atmosphères brillent. Bref, tout ça pour dire que depuis Endorama, Kreator a tiré un trait sur les expérimentations péri-thrash metalliques en dépit de l’évident intérêt de son leader pour d’autres genres musicaux.
Mais alors pourquoi remettre aujourd’hui sur la table ce constat éculé ? Parce que dans quelques semaines sort Phantom Antichrist et qu’à son écoute il est évident que Petrozza n’a pas perdu ses envies d’ouverture. Laissons de côté cette belle introduction atmosphérique « Mars Mantra » qui est là davantage pour instaurer un calme avant la tempête ; la tempête étant le morceau-titre qui lui succède et lamine les oreilles. Le procédé est d’ailleurs, en quelque sorte, réitéré avec l’introduction acoustique de « United In Hate » façon « Battery » / « Fight Fire With Fire » (Metallica). Non, les écarts qui mettent l’auditeur aux aguets, c’est, par exemple, ce passage doux au beau milieu de « From Blood Into Fire » qui surgit sans prévenir où le frontman chante de manière doucereuse avant de laisser la main à un solo de guitare empli d’émotion. Il y a aussi cette courte, et toujours inattendue, section avant le final de « The Few, The Proud, The Broken » où Petrozza susurre ses mots sur fond d’arpèges comme il avait pu le faire plus largement sur certains titres d’Endorama. Une section faisant d’ailleurs écho au premier tiers – plus développé – du titre suivant, « Your Heaven My Hell ». Citons finalement, pour cette petite démonstration par les faits, la simili-balade thrash « Until Our Paths Cross Again » qui clôture le disque sur une note à la fois amère (pour les passages les plus nerveux) et romantique (pour les arpèges et les mélodies).
Ces exemples montrent avec force que l’amour pour les sensibilités gothiques n’a jamais vraiment quitté Petrozza. Qu’il ne doit pas être évident d’être artiste compositeur lorsqu’on est mis en boîte dans un genre trop petit pour nous. Partir dans une carrière solo ? Se consacrer corps et âmes à une formation est déjà tellement consommateur d’énergie, de temps et d’argent… « Si j’avais le temps, je l’envisagerais. Mais je n’ai pas le temps, parce que je suis également, le principal compositeur de Kreator » nous assurait Petrozza avant d’avouer son admiration pour l’hyper-productivité d’un Tobias Sammet : « Mon ami Tobi, de Edguy, participe à deux groupes Edguy et Avantasia. Je me demande parfois comment il fait. Il fait tellement de choses en même temps… Moi, je n’y arrive pas. J’essaie, mais… Je ne suis pas paresseux, mais je donne tout ce que j’ai à Kreator. » Car Kreator, au final, c’est lui. Alors pourquoi ne pourrait-il pas y exprimer toutes les facettes de sa personnalité ?
Une chose est sûre, avec Phantom Antichrist, Kreator la joue finement – certains surenchérirons en rétorquant « timidement ». Car cet album n’est pas décomplexé dans ses revendications musicales comme pouvait l’être Endorama ou Outcast. Bien caché sont d’ailleurs ces dernières : les deux premiers titres donnent largement l’illusion d’un album de thrash mélodique tout ce qu’il y a de plus classique et les éléments « perturbateurs » sont soigneusement dilués à travers l’album. Nul ne sera décontenancé par la tournure de celui-ci. Les thrasheurs headbangeurs compulsifs auront bien leur dose de guitares véloces et acérées. Ceux plus portés sur l’expression vocale primaire auront leurs hymnes à chanter à tue-tête, histoire de justifier leur gorgée de houblon. En revanche, alors que, avec les deux premiers titres, c’est sous un presque étouffant sentiment de « déjà vu, déjà entendu » que l’album démarre, c’est finalement une nette impression de fraîcheur qui prend le dessus à la fin de l’écoute. « Attendez-vous à de l’inattendu en lançant le CD » nous disait Mille Petrozza. Merci à ces courtes sections aux accents gothiques citées plus hauts mais également à quelques arrangements qui enrichissent le discours et font de ce Phantom Antichris autre chose qu’un simple album de thrash allemand. En ligne de mire ces percussions tribales sur « Civilization Collapse », l’hymne par excellence de l’album, dans la lignée d’un « Violent Revolution » ou les lumineux arrangements de guitare sur le refrain de « The Few, The Proud, The Broken » qui lui confèrent une ampleur presque grandiose. De manière générale, c’est assurément son sens mélodique particulièrement développé et travaillé – renforcé par la chaleureuse production – qui surélève cet album et lui confère une tournure épique. Sans doute le résultat d’une plus grande encore mise à profit du talent de mélodiste de Sami Yli-Sirniö, le guitariste soliste de la formation depuis le départ de Tommy Vetterli en 2001.
Alors, ce Phantom Antichrist, le début d’un futur nouveau dévergondage ? Pas si sûr que Petrozza soit prêt à replonger dans les expériences à plus large spectre. Surtout que la popularité de Kreator est au beau fixe avec chacun de ses albums encensé par la critique et les fans depuis Violent Revolution. Il ne s’agirait pas de casser cette dynamique. Voyons plutôt la diversité salvatrice de cet album comme la mise à profit d’un savoir-faire acquis des expériences passées. Expériences que Petrozza ne renie pas, quelles qu’elles soient : « Nous avons des albums comme Endorama et des albums comme Extreme Agression ou Violent Revolution pour nous inspirer. Chaque fois que j’écris de la musique, j’écoute ce que nous avons fait avant. » D’où la grande cohérence dont fait preuve Kreator sur ce Phantom Antichrist aventureux, mais pas trop. Symbole – un peu à l’instar du dernier album de Machine Head – d’une époque où les artistes se doivent de faire des écarts pour attirer l’attention mais de manière mesurée pour ne pas déboussoler. C’est sur cette fine ligne que se situe, sans doute, une partie du succès et où se place aujourd’hui Kreator.
Phantom Antichrist : sortie le 1er juin 2012 via Nuclear Blast.
C’est pas from blood into fire mais from flood into fire je crois
en gros, ça va être une bombe ! de toute façon Kreator ne m’a jamais déçu, ce n’est pas demain la veille que ça changera !
Bel article.
« Parce qu’il y a une idée reçue moderne comme quoi le thrash se doit, avant tout, d’être brutal. Allez savoir pourquoi ? Alors que pour nombre des plus grands classiques du genre, c’est dans la nuance que leur puissance et leurs atmosphères brillent »: oui, tout à fait, et c’est pourquoi j’ai du mal à piffrer cette tendance « revival thrash », alors que les albums de Vektor par exemple embrassent aussi bien le côté conventionnel du thrash que le côté avant-gardiste avec les passages atmosphériques et/ou techniques.
Et d’après l’article, je n’ai aucune raison d’être déçu par ce nouveau cru de Kreator!