Les musiciens de 1349 – fameuse année historique de pandémie de peste noire – sont des gens bien plus raffinés et perfectionnistes qu’on pourrait l’entendre à l’écoute de leur black metal souvent brutal et sans concession voire bourrin. Mais ça c’était surtout vrai au début de leur carrière, alors qu’ils ont démontré ces dernières années un certain intérêt pour l’expérimentation. Et même si Massive Cauldron Of Chaos, le dernier opus sorti cette année, revient à une musique parfaitement agressive plus directe et concise, il n’en conserve pas moins quelques surprises mélodiques qui offrent un éclat à cette pièce de black metal. Un opus visiblement travaillé et pensé de fond en comble pour atteindre une « qualité maximale », comme aime le répéter le guitariste Archaon dans l’entretien qui suit.
Mais le raffinement de 1349 passe aussi, plus récemment, par sa passion pour la bière, de celle qui se déguste par plaisir, comme un bon vin, et non par pochetronnerie. Et c’est ainsi que le guitariste nous parle de cette passion et de leur projet de bière estampillée 1349, confectionnée, en partie, par le groupe lui même.
« Il y a beaucoup de chaos dans 1349 [petits rires], la manière dont nous fonctionnons est contrôlée mais la vie en tant que telle est chaotique. «
Radio Metal : Tu as récemment affirmé que vous avez pris tout ce que vous avez précédemment réalisé pour le peaufiner dans votre nouvel album. Comment avez-vous concrètement fait ceci ?
Idar « Archaon » Burheim (guitare) : En gros, quatre années sont passées depuis Demonoir et nous avions besoin de déterminer comment nous nous sentions et aller en profondeur dans notre musique pour créer correctement le nouvel album. Etant donné tous les ingrédients différents que nous avons eu jusqu’à ce jour dans 1349 – parce que nous avons utilisé de nombreux angles différents pour concevoir notre art -, nous avons eu le sentiment que ce nouvel album devait peut-être être un peu plus direct et concentré. Nous pensons avoir clairement réussi ceci sur ce nouvel album. Les chansons sont donc un peu plus courtes, elles sont en plus grand nombre que l’album précédent, la structure de l’album est plus conventionnelle, avec une formation plus classique avec guitare, basse, batterie et chant, et une approche un peu plus rock classique au niveau de l’enregistrement mais avec en arrière-plan un concept très obscur à la 1349.
Etait-ce important pour le groupe de repenser sa manière d’écrire les chansons pour ne pas se répéter ?
Jusqu’ à un certain point. Mais c’est toujours important de s’évaluer soi-même, parce que nous pensons être les mieux placés pour évaluer notre propre art. Nous savons ce que nous voulons accomplir. Demonoir avait des traces d’éléments plus expérimentaux et je dois dire que cet album avait bénéficié de l’approche la plus technique que nous ayons eu. Nous avions donc le sentiment d’avoir fait ça avec une approche conceptuelle un peu différente. Aujourd’hui, le nouvel album a encore un peu de ça mais il a aussi une bonne part d’un style d’écriture plus traditionnel, avec des chansons plus directes. Je trouve que c’est très 1349. C’est un 1349 plus contemporain. Donc, en termes de composition, c’était clairement quelque chose à laquelle nous réfléchissions pendant le processus. Ça nous a pris du temps de faire en sorte que tout soit bon mais nous voulions atteindre une qualité maximale avant de pouvoir le sortir, si tu vois ce que je veux dire.
Est-ce la raison pour laquelle cela a pris quatre ans pour faire cet album ?
C’est avant tout la raison principale, bien sûr, mais je dirais aussi que c’est quelque chose de naturel pour un groupe qui se produit autant en concert. Depuis que nous avons sorti Demonoir, nous avons fait une tournée US avec Cannibal Corpse, une autre avec Triptykon, puis encore une autre longue tournée US avec Marduk, nous avons joué tous les festivals européens, et aussi, entre temps, nous avions d’autres projets à mener. Et tout ceci se rajoute aux vies personnelles de chacun de nous quatre. Donc oui, naturellement ça prend beaucoup de temps ; c’est du travail qui consomme beaucoup de temps. Entre deux, nous avons composé, répété et défini le nouvel album. Et nous avons en projet de créer notre propre bière ! [Rires]
Dirais-tu que quatre ans c’est un bon laps de temps pour avoir du recul sur vos travaux passés ?
C’est juste que nous ne voulons pas faire de compromis sur le temps. Nous ne voulons pas nous presser pour sortir quelque chose. Je sais que l’industrie s’attend désormais à ce qu’un groupe sorte un album tous les ans ou tous les deux ans, mais ça ne veut pas dire que c’est ce que nous devrions faire, parce que lorsque nous sortons quelque chose, il faut que ce soit de qualité maximale. Donc ça, dans 1349, ça passe avant tout. Et cette fois-ci, il s’est passé tellement de choses que ça a fini par faire quatre ans. Mais, si ça peut répondre à la question, je ne crois pas que nous prendrons encore quatre ans pour le prochain. Nous avons une très bonne dynamique en ce moment, donc je crois que ça ira plus vite pour le suivant.
Le nouvel album s’intitule Massive Cauldron Of Chaos. Est-ce une métaphore pour définir ce que vous vouliez faire musicalement : y mettre toute la folie et l’énergie dont le groupe est capable dans un chaudron de manière à produire ce melting pot musical démentiel ?
Ouais, tu as visé juste. C’est clairement une manière de le voir. Ça parait être une très bonne description du processus au cours duquel Massive Cauldron Of Chaos a été conçu. Et aussi ça résume le groupe dans son ensemble. Il y a beaucoup de chaos dans 1349 [petits rires], la manière dont nous fonctionnons est contrôlée mais la vie en tant que telle est chaotique. Nous avons donc pensé que le titre et la description collent très bien au groupe, à nous en tant qu’individus et particulièrement au processus qui a mené à cet album. Et aussi, l’album en tant que tel possède tous les différents éléments, tout de A à Z, résumé sur un seul album. C’est donc une bonne description pour ça et qui peut indiquer aux gens à quoi s’attendre quand ils feront l’expérience de cet album.
On peut entendre dans votre musique que vous vous inspirez d’autres genres de metal que le black metal, comme le thrash dans une chanson comme « Slaves ». Peux-tu nous en dire plus sur votre relation à ces genres ?
Ce n’est pas la première fois ; nous avons toujours eu des bouts d’éléments de thrash metal, de death metal et de heavy metal. Tout ceci sont différents sous-genres que nous avons écouté avec le temps, mais nous restons toujours ancrés dans le black metal. Je suppose qu’avec cet album tu peux clairement entendre plus de traces de ces genres, particulièrement le thrash metal parce que nous voulions faire quelque chose de plus porté sur une approche metal classique, un album un peu plus heavy metal, avec une arrière couche un peu années 70, autant dans la production que la composition. Il faut bien que tout s’intègre dans un package commun et c’est ainsi que nous nous sommes senti d’aborder l’album cette fois-ci. Nous nous inspirons tous de beaucoup de groupes de thrash. Par exemple nous avons auparavant fait une reprise d’Exodus (NDLR : « Strike Of The Beast »). Nous avons aussi fait une reprise de Celtic Frost (NDLR : « The Usurper »). Nous avons des affinités avec des groupes de death metal comme Morbid Angel ou Possessed et aussi les grands groupes de thrash : tous ces groupes ont inspiré beaucoup d’albums de black metal. A titre personnel, j’ai été très porté sur les premiers Metallica, Anthrax, Slayer, tous les vieux groupes de la bay area – la plupart dans le groupe l’ont été. Nous trouvons que c’est de là que proviennent parmi les meilleures musiques thrash. Il y a le même type d’agression, de brutalité et d’obscurité que l’on retrouve dans notre musique. Le thrash allemand aussi, comme Kreator : je sais que Frost adore Flag Of Hate, les vieux trucs, et j’aime beaucoup tout ce qu’ils ont fait jusqu’à Coma Of Souls. Kreator, Sodom, Pestilence des vieux jours… Il est intéressant d’essayer de mélanger ceci avec un penchant black metal thrashy plus actuel. Et je pense que la structure de notre album correspondait bien à la bonne chose à faire. En dehors de ça, les retours que nous avons obtenus sont très, très, bons. Les gens apprécient vraiment.
Tu as déclaré que cet album portait vraiment la marque de la conviction. Quel était donc votre état d’esprit pour en arriver là ?
C’est avant tout l’état d’esprit du groupe au complet. Nous savons comment nos albums sont censés être. Parfois il peut y avoir des sonorités plus épiques et ouvertes mais cette fois-ci nous pensions que nous devions garder les structures dans un certain cadre que nous avions défini nous-même, évidemment, pour obtenir quelque chose de plus percutant et direct. Nous avons fait pas mal d’expériences avec nos travaux antérieurs, mais avec celui-ci nous voulions résumer le tout, l’empaqueter et avoir une approche droit au but.
« Tu n’as pas à te saouler à la bière. […] La bière, c’est tellement plus que ces bières légères et sans subtilité que l’on voit généralement. »
On dirait que l’esclavagisme est un des thèmes forts de l’album avec des chansons comme « Chained » et « Slaves ». Peux-tu nous en dire plus ?
Nous sommes loin d’être un groupe politique ou religieux mais d’un point de vue anti-religieux, oui, pour ce qui de notre art, nous parlons clairement de l’esclavagisme que représente la religion, mais sous une approche plutôt poétique. Il y a beaucoup de poésie noire dans nos paroles, c’est donc plus un point de vue artistique, comme un film d’horreur profond et sombre. Nous abordons ces sujets d’une manière qui nous paraît convenir. Ça parle de l’esclavagisme que l’on voit dans toutes ces religions fermées d’esprit qui dirigent votre vie à votre place, et ce n’est clairement pas ainsi que nous menons nous-mêmes nos vies et notre existence.
Tu utilises toujours le terme « art » plutôt que « musique » lorsque tu parles du groupe. Penses-tu que le groupe soit plus que juste de la musique et peut-on s’attendre à vous voir expérimenter avec d’autres formes d’art ?
Comme nous le disons généralement : attendez-vous à l’inattendu. Nous ne nous imposons aucune limite. Une forme d’art mène à une autre mais au bout du compte, nous faisons de la musique, 1349 est un groupe de musique. Mais comme nous nous intéressons à l’art et rencontrons beaucoup d’artistes, c’est quelque chose qui également nous inspire beaucoup. Tu peux rencontrer de bon peintres, de bon sculpteurs ou n’importe quel artiste intéressant possédant un état d’esprit différent du tiens, c’est toujours intéressant de voir comment tu peux coopérer et comment vous pouvez-vous rencontrer artistiquement. Donc s’imposer un cadre ne fait que nous limiter à faire ce qui est attendu de nous. Des peintres que l’on apprécie ont réalisé des illustrations pour nous et nous nous considérons en quelque sorte chanceux de pouvoir travailler et coopérer avec – à nos yeux – de grands artistes. Ce ne sont pas nécessairement des artistes célèbres mais ils sont bons dans ce qu’ils font. Tant que le niveau de qualité requis est là, nous ne voyons aucune raison pour ne pas soutenir ceci.
La production de l’album sonne très naturelle, presque crue. Est-ce qu’avoir un son très authentique était l’intention ?
C’est très vrai. Cette fois-ci nous voulions obtenir ce type de son. Nous sommes arrivés en sachant ce que nous voulions. Frost voulait vraiment essayer les vieux sons de guitare, comme voir comment on pourrait obtenir le son que Bathory avait, avec un côté tranchant et extrême dans les guitares, pour mêler ça à un son de batterie très organique, avec un côté année 70 global. Il avait beaucoup de références des années 70 en tête, comme Black Sabbath et tous ces bons vieux groupes. Je suis moi-même très porté là-dessus : Thin Lizzy, Deep Purple, etc. Nous avons utilisé de vieux albums provenant des années 70 en tant que références pour obtenir ce type de son organique, mais en le faisant avec notre musique d’aujourd’hui. Et nous ne voulions pas limiter notre son au format MP3 ; nous l’avons fait pour ceux qui s’intéressent à un bon son hi-fi. Il est intéressant de voir que l’on peut essayer d’obtenir le meilleur des deux mondes. Voici donc ce que nous avons essayé d’obtenir : la qualité maximum avec l’album en tant que tout, l’écriture, les arrangements, le son… Nous l’avons répété pour que tout soit parfait et ensuite nous sommes entrés en studio et fait en sorte que tout soit au top. Et nous avons essayé quelque chose de différent cette fois-ci : nous avons fait venir en avion Jarrett Prichard – qui a été notre ingénieur du son live depuis 2008 – depuis les Etats-Unis pour produire l’album avec nous. Il a fait un boulot remarquable. Je veux dire qu’il connaît si bien le groupe, d’un point de vue personnel autant que musical, qu’il sait comment faire ressortir le meilleur résultat de nous. Je crois que nous avons parfaitement réussi sur ce plan.
J’ai vu que vous aviez prévu de sortir l’album sur cassette…
Eh bien, ouais, Season Of Mist fait ça, mais je ne pense pas qu’Indie Recordings le fera. Si ça intéresse des gens, pourquoi pas ? Nous sommes très portés sur le vinyle, c’est le format que nous avons toujours préféré parce que je crois que c’est ainsi que tu obtiens le meilleur son. Mais ça a aussi à voir avec la façon dont les gens prennent le temps d’écouter la musique. Pour une raison ou une autre, nous avons aussi été contactés par un autre label aux Etats-Unis , dénommé Witch Sermon, et ils ont fait une cassette pour Demonoir, et désormais c’est Season Of Mist qui veut le faire pour notre nouvel album, donc c’est super. Nous préférons quand les labels ont tous les anciens formats, tu sais.
Tu l’as mentionné un peu plus tôt : vous avez commencé à produire votre propre bière avec le groupe. Comment vous est venue cette idée ? Avez-vous une relation particulière avec la bière ? Avez-vous une passion pour cette boisson ?
Oh ouais, nous sommes très portés là-dessus. Nous tous dans 1349 sommes fanas de bière. Frost a eu cette idée lorsqu’il nous a montré un endroit pour boire de la bière en Norvège. Nous avons pu goûter à énormément de très bonnes choses. Toujours en 2010, nous avons aussi rencontré la Surly Brewing Company aux US. Frost et moi étions à Minneapolis et nous avons rencontré le dirigeant de Surly, il était à notre concert ! [Rires] Il est venu nous voir pour nous féliciter pour le concert à Saint Paul, Minneapolis. Il a dit : « Mon nom est Todd Haug » et il nous a donné sa carte, qui était en fait, en gros, un dessous de verre. Nous avons donc immédiatement commencé à parler bière et nous nous sommes découvert un intérêt mutuel dans ce projet de confection de bonne bière en collaboration avec une brasserie aux Etats-Unis. Nous avons aussi trouvé un partenaire en Norvège ; nous avons deux des meilleures brasseries. C’est donc une collaboration entre Surly, Lerbig et 1349 dans l’optique de concevoir une recette de bière. Nous avons directement confectionné une bière avec eux, ce n’est pas juste un nom sur une bouteille, tu sais. Nous étions directement impliqués dans les ingrédients et la manière dont la bière était assemblée.
Et de quel type de bière s’agit-il ?
Nous allons faire deux bières. Pour commencer, il y aura une 1349 Black Ale. Elle sera très puissante, quelque chose comme une très sombre IPA avec des notes de stout impériale, une bière noire très puissante mais avec une touche sympa qui représente 1349. Ce sera une bière extrême, exactement comme notre musique [rires]. Et nous aurons aussi une pale ale qui s’appellera la Pale Horse. Ce sera une bière plutôt blonde mais plus comme une pale ale, à la limite d’être une IPA. Elle aura aussi une sorte de touche à la 1349, avec un côté tranchant, exactement comme notre musique également.
Et quelle est ta bière préférée, en dehors de ces deux-là bien sûr ?
J’aime beaucoup de sortes de bières mais j’aime vraiment la Darkness de Surly, leur Pentagram également est très bonne. En Belgique tu as la Duchesse de Bourgogne, une très bonnes bière… tout dépend du pays où nous nous trouvons, parce qu’il y a tellement de bonnes brasseries de nos jours. La qualité de la bière est vraiment montée ces dernières années.
La bière a longtemps eu une image de boisson sympa à boire pour se saouler mais désormais on dirait que ça revient à une boisson que l’on déguste et apprécie pour ce qu’elle est…
Ouais, exactement, je suis totalement d’accord avec toi. Ça rentre dans le cadre d’une expérience complète, lorsque tu manges ou lorsque tu te détends. Tu n’as pas à te saouler à la bière. On s’intéresse davantage au goût de la bière. La bière, c’est tellement plus que ces bières légères et sans subtilité que l’on voit généralement. Je veux dire qu’il y a de bonnes bières légères mais la plupart proviennent juste de ces grandes brasseries génériques que l’on retrouve partout, et il se trouve que ça n’a aucun intérêt. C’est donc une bonne évolution pour la bière.
Interview réalisée par téléphone le 24 août 2014 par Metal’O Phil.
Retranscription, traduction et introduction : Spaceman.
Photos promo : Jorn Veberg.
Site internet officiel de 1349 : www.legion1349.com.
ah ben ils sont beaux ceux là ^^ gnark
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