Olve Eikemo est un artiste qui, au fil des années, au sein de la scène black metal, a su rendre culte son personnage scénique. Car lorsqu’on entend le nom d’Abbath, on ne l’associe pas uniquement à la mélodie froide et épique d’Immortal : on visualise son visage et son corpse paint, ses postures scéniques décalées, son second degré en interview, ses clips… Au point même qu’envisager l’avenir d’Immortal sans Abbath était devenu impensable, tant il l’incarnait. Et pourtant. Brouillé avec ses anciens collègues pour de nébuleuses affaires personnelles et les différends juridiques qui en découlent, il n’est pas homme à se laisser abattre (sans mauvais jeux de mots). Abbath, le groupe, ne doit finalement son existence que pour poursuivre la route qu’il ne peut plus poursuivre au sein d’Immortal.
Naturellement, en façade, c’est bien son personnage qui est mis en avant, avec un groupe qui porte son nom de scène, un album éponyme et une pochette sobrement illustrée d’un regard possédé et un visage si familier qu’il n’a pas besoin d’être nommé (à l’instar, dans un tout autre registre, des lunettes d’un Polnareff). Or, si on peut d’emblée s’attendre (ou craindre) une redite d’Immortal et une sur-présence de l’artiste, il n’en est rien. Abbath le disait lui-même : « Même si mon nouveau groupe s’appelle Abbath, ça me donne surtout l’impression d’être dans un vrai groupe, de faire partie d’un groupe de musiciens qui ont un vrai dialogue et partagent une passion pour la musique. Ce qui n’était plus présent dans Immortal depuis un long moment. »
Si Abbath n’abandonne pas ses thèmes de prédilections, l’alliance entre le mortifère et la nature est ici abordée sous des teintes revigorées. Le groupe expose une agressivité accrocheuse et conquérante (le hit « Count The Dead » en est l’exemple parfait), dessinant un climat montagnard foudroyant qui alpague l’auditeur. Les riffs percutants évoquent une certaine rage, en synergie avec les sujets qui oscillent autour de la guerre et la souffrance, se métaphorisant dans la nature par un hiver qui paraîtrait éternel. Cependant, ce n’est pas un climat qui s’inscrit dans la longueur et la répétition. Le trio n’hésite pas à expérimenter des tempos plus lents, comme dans « Ocean Of Wounds », plus lourd mais qui par sa musicalité apporte une touche un peu moins grisonnante, quoi qu’un brin mélancolique. Dans le même registre, « Roots Of The Mountain », par son développement tout en progression, semble accompagner une longue marche en montagne, alternant entre la brutalité du blizzard et une sensation glaciale qui engourdie. Notons quelques éléments, ici et là, qui ne manqueront pas de tiquer l’oreille : un registre vocal mélodique presque clair à la fin de « Winterbane » – un morceau de bravoure puissant et épique – ou des arrangements synthétiques de cuivres façon péplum sur « Ashes Of The Damned ».
Le travail en trio est perceptible. Là où, dans ce registre musical, la basse apparaît parfois écrasée sous le reste des instruments, ici assurée par King Ov Hell (Ov Hell, I, ex-Gorgoroth), elle bénéficie d’une jolie présence (les lignes mélodiques de « Roots Of The Mountain »), sans pour autant alourdir la musique. La batterie – de Creature alias Kevin Foley que l’on regrette déjà, autant pour son jeu bien senti (ces roulements à faire écrouler la baraque) que son apport à l’imagerie globale du groupe – se détache du jeu black metal stéréotypé, par moment plus rock (le rythme binaire sauvagement appuyé de « Winterbane »), flattée par une production parfaitement organique et épousant la dimension rock’n’roll chère à Abbath, en particulier sur la première partie d’album. Abbath, quant à lui, ne renie en rien son passé, loin s’en faut. Il conserve autant ce chant sombrement atypique qui a fait sa renommée que les ingrédients phares de la recette Immortal, faisant la passerelle entre sa discographie passée et ce nouveau chapitre.
Certes, Abbath ne surprend pas ou peu en explorant des thématiques déjà bien connues. Pourtant, là où il aurait pu céder à la facilité et se cantonner à sa martingale, il délivre un projet pas totalement personnifié. Avec King Ov Hell et Creature, Abbath propose un album bien écrit et interprété par trois musiciens complémentaires, nuançant son univers, sa formule, à la fois familier et rafraîchissant. Une bonne façon de marquer un nouveau départ.
Ecouter les morceaux : « Ashes Of The Damned », « Count The Dead » et « Winterbane » :
Album Abbath, sortie le 22 janvier 2016 via Season Of Mist.
« Winterbane » est une chanson exceptionnelle.
Bravo, les gars.
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Belle chro et putain d’album.
La patte du maitre des lieux est bien là. (certaine mélodies d’Immortal rejaillissent, comme l’arpège du break de « All Shall Fall » réarrangé en riff saturé sur « Ashes of the Damned ». C’est surement assumé de sa part) Les autres musiciens apportent bien leur touche perso à l’ensemble, et c’est très rafraîchissant.
Ca cartonne et c’est très bien exprimé dans ces quelques lignes résumant l’esprit d’Abbath.
La B.O. parfaite d’une ballade dans les Fjord du coté de Bergen.
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