Découvert en première partie de 6:33 ou de Ihsahn, Acyl et son metal original empreint de cette patte orientale qui évite toutefois la case « vulgaire folklore », revient en tête d’affiche à la Boule Noire. Leurs atours étranges faits de drôles d’instruments, de pas de danse et de grosses guitares nous avaient séduits. Intrigués par un parti pris d’ouverture dans une époque qui se referme, il nous fallait creuser, comprendre, vous apporter la lumière sur cette étrange formation dont les racines plongent dans les terres méditerranéennes du Maghreb et plus précisément de l’Algérie. Nous avons donc passé la journée avec eux pour en savoir plus.
Rendez-vous est pris en début d’après-midi. Les préparatifs en sont à leur tout début. Michaël installe sa batterie, seul pour l’instant. Amine, Reda et Abder arrivent vers 14H et nous faisons les présentations dans les loges, assez spacieuses, avec une salle commune au plafond décoré d’affiche de concerts, deux pièces plus petites avec des canapés dont une nous servira pour l’interview. Une mezzanine offre deux douches et un frigidaire complète l’installation.
Artistes : Acyl – Malemort – Nemost
Date : 5 octobre 2018
Salle : La Boule Noire
Ville : Paris [75]
Les hommes d’Acyl ont du pain sur la planche et se mettent immédiatement à l’installation du plateau. Il faut dire que ce soir, ils jouent en tête d’affiche. Pour autant Abder confie ne pas ressentir de pression supplémentaire. Evidemment, comme tout un chacun, il a un certain trac mais ce qui domine, c’est l’énergie à prendre, à échanger. Et en tête d’affiche, à la maison, comme la plus grande partie des gens est là pour toi, cet échange est encore plus fort. Ce sont ces sensations que le groupe recherche. Et le guitariste de conclure qu’il ressent plus de bonheur, de sensations positives que de pression. Sans pour autant négliger un certain niveau d’exigence ! Effectivement, Amine précise qu’il y a du travail pour proposer une prestation conséquente, complète. Il fait le parallèle avec un examen : mieux tu t’y prépares, meilleur tu seras sur le moment.
Et le groupe ne se facilite clairement pas la tâche en intégrant la vidéo pendant son spectacle. Il faut installer un écran blanc en fond de scène – ce à quoi Amine, Reda et Cyril leur ingénieur du son s’attellent -, ou régler le vidéoprojecteur. Abder s’en occupe. Et surtout, il faut les concevoir et les réaliser, ces vidéos ! Acyl les conçoit et les réalise lui-même ! Abder indique qu’en effet le groupe vise une approche globale, s’occupant des vidéos mais aussi de leurs pochettes. Il y a là un plaisir artistique évident mais aussi un avantage à ne pas dépendre de ressources extérieures, d’être autosuffisant. Toutefois, le groupe pense actuellement à déléguer un peu plus, à travailler avec un collectif d’amis, troupe de théâtre, ce qui pourrait amener un regard extérieur pertinent et apporter de nouvelles choses. A suivre donc.
Samy, le bassiste, arrive vers 14H30. La ruche est désormais en pleine action, calme, concentrée, Abder à la recherche du bon réglage pour le vidéoprojecteur. Assis dans la salle, Amine installe les cordes de son gambri, instrument traditionnel qui peut s’apparenter à une basse. Les cordes de ce soir sont en plastique, elles pourraient aussi être en boyau de chèvre. Le chanteur gratte quelques notes. Le Maghreb n’est pas loin. Sur scène, les tam-tams et les qrareb (assimilables à des castagnettes metalliques) posent définitivement l’ADN d’Acyl : la tradition. Et pour Acyl, qui signifie authentique, celle-ci est essentielle. Le groupe met un point d’honneur à ne pas considérer les instruments traditionnels comme de simples arrangements. Il les intègre au contraire dès la composition pour être authentique, une revendication forte de leur part. D’ailleurs, au départ de leurs compositions, il y a le choix d’une région et de son style de musique. La composition commence alors par l’instrument traditionnel qui sera ensuite habillé de guitare et de basse.
Et Amine d’expliquer cette idée de région : l’Algérie en tant que pays méditerranéen a subi tout au long de son histoire différentes civilisations, phéniciens, romains, turcs, français, byzantins, etc. Toutes ces influences ont créé un héritage culturel vraiment éclectique que l’on retrouve à travers différentes ethnies. Le chanteur estime approximativement le nombre de ces ethnies à huit ou neuf, chacune avec leurs traditions et donc leur musique. Point de militantisme dans la démarche, seulement l’envie de tisser des liens avec le reste du monde, de partager une culture. Amine remarque d’ailleurs que tout le monde devrait faire cela, se focaliser sur les bonnes choses et communiquer, partager. Le propos du groupe est de dire « Voilà notre culture, venez avec nous, nous vous la présentons, elle est positive, elle est gaie, avenante, bienveillante ». Et évidemment, Acyl est prêt à partir à la découverte d’autres cultures. Et quand le chanteur parle de bienveillance, celle-ci se constate dans les prestations du groupe. Amine répond à ce sujet qu’Acyl essaie d’être honnête dans la démarche artistique, le plus naturel possible.
Vers 15H20, les balances démarrent avec Michaël à la batterie, puis Samy le rejoint rapidement avec sa basse, suivis de près des guitares de Reda et d’Abder. Vers 15H30, les gars de Malemort arrivent ; les deux groupes se saluent, se disent contents de la soirée qui s’annonce. On sent une sincérité certaine. Nemost, la première première partie, étaient pour leur part déjà dans la place. Amine intègre les balances après un premier instrumental. Il teste sa voix. A capela. Claire, elle est agréable et chaude. Il n’oublie évidemment pas les growls. Les autres membres du groupe joignent leur voix à leur tour pour un ensemble vocal qui sonne très bien même sans guitare ! Sur le réglage du gambri, Cyril note une différence de son. Amine confirme un changement de cordes par rapport à d’habitude. Et oui, être ingénieur du son demande une oreille affûtée ! Le groupe se teste sur « Evil Depth » puis hésite entre « Battle Of Constantine » ou « Mercurial ». Cyril souhaite un morceau où les quatre voix interviennent. Pas simple de choisir un titre qui satisfasse tout le monde.
Tout comme il n’est pas simple de caler les retours de chacun. Michaël demande la grosse caisse, les deux guitares et la voix d’Amine tandis que Samy opte pour la grosse caisse, la caisse claire, la basse entre autres, Cyril ayant expliqué qu’un peu de tout n’était pas possible. Ingénieur du son et patron à la fois ! Evidemment, dans une complète complicité. Acyl intègre même dans les balances sa chorégraphie dansée avec les tambourins. Quand on les voit se rapprocher tous les quatre au centre de la scène, difficile de ne voir que les quatre membres d’un groupe. On sent une relation qui va au-delà. Peut-être parce que, comme l’explique Amine, Acyl met l’humain au premier plan. Les membres du groupe se connaissent depuis longtemps, ils sont amis, leurs familles se connaissent. Ils sont vigilants à ce que la vie privée de chacun soit préservée ; en cas de difficulté de l’un d’eux, le groupe s’adaptera, se mettra à la disposition de l’autre, plus en tant qu’amis, de frères d’une même famille qu’en tant que simples musiciens. Ce lien humain fort leur permet de tenir et de maintenir la motivation intacte après toutes ces années.
Revenons aux balances qui se terminent sur ces pas de danse dont on pourrait penser qu’ils cassent les codes de notre cher metal tant il est peu usuel de danser à un concert de metal. Le public suit-il ? Amine voit les choses différemment. Le groupe présente une culture et dès lors que tu présentes une culture, il y a la musique évidemment mais aussi la danse. Le « headbanging » par exemple est la danse associée à la culture metal et, pour Acyl, cela va de soi d’accompagner sa musique avec les instruments traditionnels et les danses. Il y a là un ensemble cohérent à proposer au public et lorsque tu es cohérent, sincère, il n’y a plus aucun doute : le public va suivre et danser avec toi. Ils ont même fait danser des Vikings, c’est dire ! Abder précise que c’était lors d’un festival cet été à Oslo qui rassemble des gens qui font de la musique en intégrant leurs traditions. Le guitariste ajoute que depuis qu’il est dans Acyl, cet aspect de leur personnalité a toujours été accueilli positivement. Les balances d’Acyl terminées, c’est au tour des membres de Malemort d’investir la scène pour caler leur son. Pendant ce temps les gars d’Acyl sortent faire un tour et manger un morceau avant le concert. 19H30, devant un parterre clairsemé, Nemost lance la soirée. Et tire son épingle du jeu. Musicalement, des titres comme « Pressure Nation » ou « NTM » et ses relents quasi black sont très intéressants.
Arnold, au chant, assure son rôle de meneur de troupe et établit le contact avec le public. Leur chorégraphie de concert, à quatre qui headbanguent, est plutôt bienvenue. Reste à gommer les multiples poses individuelles, guitare dans un sens puis dans l’autre. Ce côté « guitarhero » a quelque chose de légèrement éculé. Globalement, les Parisiens auront montré une bonne intention pendant leurs quarante minutes de jeu, bien suivies sur le côté de la scène par Amine, chanteur d’Acyl. Malemort est plus rodé à la scène et cela se voit. Malgré un son moyen, plusieurs titres font mouche. L’excellent « Ball Trap » qui ouvre le concert, « Insoumission » dopé de stroboscopes ou encore « Madame ». On ressent des relents à la Starshooter sur « Atomique Diplomatie ». La Boule Noire est motivée, accompagne « Décadence » de ses « hey ! hey ! », lance des pogos sur « Foutue » à l’invitation de Xavier, le chanteur. L’homme déploie une grosse énergie, un pied sur les barrières de sécurité, descendant dans la fosse, au plus près des fans. Il mène la barque avec brio. Même si musicalement le groupe ne révolutionne pas tout, leur prestation transpire la sincérité, la décontraction et l’envie de passer et de faire passer un bon moment. Et, clairement, les spectateurs ont passé un bon moment.
Acyl démarre son concert à 21H30 et l’accueil que lui réserve la Boule Noire est sans équivoque. Ils sont bienvenus. Une introduction au gambri et aux castagnettes plante le décor. Les tam-tams suivent puis un growl rappelle qu’Acyl donne quand même dans l’extrême. Guitare et basse interviennent et alourdissent agréablement le propos. « The Evil’s Depth » ouvre le bal. « Mercurial » du dernier opus « Aftermath » suit et voit Reda et Amine esquisser les premiers pas de danse. Les guitaristes changent de côté, sur scène dès le départ, il se passe des choses. La fosse n’est pas en reste ; les pogos sont là, assez violents même au grand dam de quelques personnes collées à la barrière et surprises de recevoir les pogoteurs dans le dos ! Amine explique que le prochain titre, « Finga », vient du terroir. D’où qu’il vienne, il claque. Tout comme « Battle Of Constantine » qui maintient les pogos bien vivants.
Il y a une vraie intensité dans la salle, tant côté scène que côté public. Et malgré une Boule Noire pas totalement remplie, l’ambiance est vraiment là, avec des fans motivés. Après « Kiama », Amine, maître de la communication avec le public, annonce que le groupe va attaquer la deuxième partie du concert, que cela va être plus rythmé et que tout ce qui peut bouger doit bouger. « On compte sur vous ! ». « Obduracy » ouvre donc cette seconde partie, avec pas de danse et tambourins. Les projections vidéos sont aussi là qui accompagnent la prestation. Vu la taille de la scène, pas sûr que les spectateurs en profitent pleinement. Sur « Gibraltar », le groupe invite les fans à esquisser quelques pas chassés. La première tentative est à refaire. La seconde sera la bonne. Le titre et sa voix hurlée rencontre un beau succès. Amine annonce le medley « Head On Crash / Ungratefulness » et précise qu’il compte sur la Boule Noire pour mettre le bordel. Il n’en fallait pas plus pour relancer les pogos. « Une autre ! Une autre ! » scande le public avant le dernier titre pour ce soir, « Autonomy ». Avant de lancer le morceau, Amine demande aux fans de faire du bruit pour Nemost, Malemort et pour les fans eux-mêmes.
Les lumières se rallument vers 22H30 et sans aucun doute possible, nous avons assisté à un concert de metal, musique qu’Amine et Abder confient avoir intégré naturellement, sans vraiment analyser les causes de cette appétence. Il ne sert parfois à rien de trop analyser. Concert de metal donc, donné par des membres dont les influences sont multiples et surprenantes. En effet à la question « Quel morceau de musique auriez-vous aimé avoir écrit ? », Amine répond « Fragile » de Sting et Abder ‘Master Of Puppets’ de Metallica. Sur une île déserte, le chanteur emmènerait Love DeLuxe de Sade tandis que le guitariste reste fidèle aux Américains avec « Master Of Puppets ». Amine se dit par ailleurs proche de l’univers musical de tous ces hommes perdus dans leur montagne qui jouent de leur instrument traditionnel. Le vocaliste, sensible à cette authenticité, apprécie aussi les mélodies mélancoliques, ce qui techniquement se joue en mineur, en mineur mélodique. Sa dernière découverte musicale est toujours à trouver du côté de l’Afrique, au nord, avec Tinariwen, groupe malien d’assouf qui mélange électricité, blues, rock et musique traditionnelle touareg.
Rassurez-vous, il se dit aussi proche de Meshuggah en termes de structure et de Tool en termes de profondeur. Grand écart de réponse donc, grand écart d’influence…richesse inestimable ? A vous d’apprécier. Mais les meilleures choses ont une fin, nous quittons la Boule Noire heureux, des airs traditionnels plein la tête, laissant le groupe à la partie la plus ennuyeuse selon Abder : le rangement du matériel. Amine lui devra s’accommoder de ce bourdonnement d’oreille qu’il ressent après chaque concert. Dur la vie d’artiste ! Dans tous les cas, merci pour ce message bienveillant, de paix finalement, qui passe à travers une sacrée puissance et des compositions qui vous transportent ailleurs ! Le mot de la fin sera laissé à Amine qui remercie les passionnés qui ne travaillent pas toujours avec des moyens à hauteur de leurs attentes et les internautes de Radio Metal d’être là. Pour ceux qui veulent croiser le groupe : Dijon, le 29/11. Lyon, le 30/11. Bordeaux, le 14/12.
Report et photos : Loïc « Lost » Stephan.