Quel périple ce nouvel album d’Adagio, Life, qui voit le jour pas moins de huit ans après Archangels In Black ! Huit années pendant lesquelles le groupe a vu ses rangs évoluer pour accueillir un nouveau chanteur, un nouveau batteur et une violoniste. Huit années pour travailler sur une première version de l’album, puis totalement l’avorter, en raison d’une orientation musicale dans laquelle Stéphan Forté, le guitariste et tête pensante du combo, ne se reconnaissait pas, au point de s’en dégoûter et partir faire son aventure en solo pour se libérer l’esprit. Et de liberté il a bien été question lorsqu’il a fondé son propre label Zeta Nemesis Records et voulu repenser tout son rapport à l’industrie musicale.
Mais le moment est venu d’accueillir l’album d’Adagio numéro six (et non cinq, lisez l’interview et vous comprendrez). Un album très personnel et marqué par l’introspection de son auteur principal qui a cherché à faire le point sur sa vie. Un album également sans compromis, peaufiné jusque dans les moindres détails, et donc complexe, qui nécessitait bien près d’une heure trente passée à échanger avec Stéphan pour analyser en profondeur ses origines et son contenu.
« Le management avec lequel nous étions a voulu nous orienter vers un truc plus mainstream. […] Tout ça au final pour ne garder rien parce que je n’en avais pas envie. J’en étais arrivé même à un point où je ne voulais même plus entendre le mot Adagio, ça me saoulait ! Parce que ça m’en avait dégoûté. »
Radio Metal : En novembre 2011, tu nous disais qu’il te restait trois titres à composer avant le 20 décembre et que vous rentreriez en studio le 10 janvier 2012 ; en janvier 2013 tu dévoilais deux démos : « Torn » et « Carry The Cross ». Finalement, l’album sort cinq ans plus tard ! Alors, je sais qu’en 2014 tu nous disais que déjà l’album avait été fait deux ou trois fois, qu’au départ, sous une proposition du management, vous avez essayé d’orienter Adagio vers une musique plus mainstream mais ça vous a plus frustré qu’autre chose, etc. Mais tout de même ça fait long ! Est-ce que tu peux nous parler de toute cette période, qu’est-ce qui a nécessité autant de temps, notamment depuis 2014 ?
Stéphan Forté (guitare) : Déjà il y a eu deux albums solo instrumentaux, ça m’a pris beaucoup de temps. Le premier était chez Listenable et l’autre sur ma structure a moi, donc le temps de monter une structure, son propre label, de tout diriger, faire le pressage, faire la promo en interne, c’est un peu compliqué et long. Et puis, accessoirement, il faut composer l’album [rires]. Donc il y a eu ces deux albums entre Archangels In Black et maintenant. Et, effectivement, le management avec lequel nous étions a voulu nous orienter, comme tu disais, vers un truc plus mainstream. Il a fallu faire des titres pour cela, et vraiment beaucoup de titres. C’est-à-dire qu’à la fin nous avons dû arriver à une quarantaine de titres. Le travail de composition là-dessus a dû prendre trois ans et demi. Tout ça au final pour ne garder rien parce que je n’en avais pas envie, en fait. J’en étais arrivé même à un point où je ne voulais même plus entendre le mot Adagio, ça me saoulait ! Parce que ça m’en avait dégoûté. Donc je me suis plus orienté sur les deux albums solos, parce que j’avais envie de revenir à quelque chose de vraiment musical et pas devoir faire des compromis et faire une musique qui ne me plaît pas. Du coup je me suis dit « eh merde, fuck Adagio, je vais faire ma musique comme je l’entends, sans compromis. Je vais faire de l’instru, si j’ai envie de faire des morceaux de quinze minutes, je ferais des morceaux de quinze minutes. Si ça doit être complexe, ça sera complexe. » Et en fait, toute la motivation que m’avait fait perdre ce travail de trois ans et demi sur les autres morceaux, je l’ai regagné avec l’instru. Et malgré les années, il y a toujours Adagio qui revient dans les discussions. Quand je parle avec des fans, c’est toujours : « Et Adagio ? » encore et encore. Quasiment tous les jours sur Facebook, je recevais : « Et Adagio ? Et Underworld ? » Je pense que le déclic s’est vraiment fait quand j’étais au NAMM à Los Angeles et j’ai vu les japonais de chez Ibanez qui me disent aussi à leur tour : « Et Adagio ? » Et là je me suis dit : « Merde, si même eux m’en parlent après tout ce temps, il faudrait peut-être que j’y réfléchisse ! » Et là, nous avons eu une bonne discussion avec Franck [Hermanny], le bassiste, qui lui, pareil, voulait vraiment depuis super longtemps que nous reprenions. Donc j’y ai réfléchis et je me suis dit : « Ok, on peut essayer, mais pour moi, la seule condition est que je le fasse avec le même état d’esprit que quand je fais mes albums solos. » C’est à dire pas de compromis et vraiment le même état d’esprit que quand j’ai fait Underworld : je fonce et je fais ce que je sens, comme je le sens, et si les morceaux doivent faire dix minutes, ils feront dix minutes, si ça doit être complètement barré, ça sera complètement barré, si c’est complexe, c’est complexe. Et donc je m’y suis remis et effectivement, en reprenant avec cette démarche-là, ça m’a redonné gout au truc et je suis re-rentré dedans. Et là j’y prends énormément de plaisir et cet album, Life, c’est surement le plus fini et le plus perso que j’ai jamais fait. C’est vrai que ça peut paraitre long mais ce n’est pas comme si nous avions pris six ou sept ans de vacances. Non, j’ai vraiment bossé !
Donc ce que tu dis, c’est que tes deux albums solos sont nés d’une frustration par rapport à Adagio…
Ouais. En fait, moi je viens de la gratte instrumentale, j’ai toujours grandi avec ça et ça a toujours été mon truc. J’ai toujours travaillé ma guitare par rapport à ça parce que j’ai grandi avec Jason Becker, Martin Friedman, la virtuosité, le shred et tout ça. J’ai toujours eu envie de le faire, mais pour moi, Adagio était quand même prioritaire parce qu’il y avait de la voix et c’était quand même peut-être plus abordable, et tout le monde te décourage en te disant que l’instru ça ne marche pas. Et ce qui au final, aujourd’hui, est assez hallucinant, c’est que tu as des groupes instrumentaux comme Animal As Leaders qui cartonnent. Donc je pense que l’idée, c’est vraiment de faire ce que tu as envie de faire et point barre. Et si ça marche tant mieux, sinon tu as au moins la satisfaction de ne pas avoir écouté le business autour qui te dis « fait pas ci, fait pas ça » parce qu’au final ce n’est pas spécialement valable. D’où aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de rompre certains de mes contrats avec les labels et tout ça et prendre le risque de tout prendre en main et faire une nouvelle expérience pour faire les choses seul maintenant. Mais, le fait de lancer le truc instru, le premier album, c’est effectivement né d’une frustration.
Par rapport à cette première phase de l’album où vous avez essayé de faire quelque chose de plus mainstream, ça peut rappeler ce vers quoi Kévin Codfert a orienté Myrath. Du coup, on peut se poser la question si ça ne venait pas aussi un peu de lui dans Adagio ?
Du tout. En fait, dans Adagio ce qu’il se passe c’est que je suis obligé de tout faire de A à Z parce que quand je compose, c’est en fait une sorte de thérapie pour moi. J’ai besoin d’exprimer mes idées et d’évacuer beaucoup de choses. Je ne peux pas le faire avec des mots, alors je le fais avec ma musique. Si quelqu’un m’amène un élément, qu’il soit musical ou quoi que ce soit qui ne va pas dans la même direction que moi, si ce n’est pas moi qui amène tout, j’ai l’impression que mon truc n’est pas fini. C’est pour ça qu’avec Adagio, je fais tout de A à Z. La moindre ligne de piano ou de chant, tout est écrit. Après, je leur donne et ils l’interprètent avec leur sensibilité de musiciens. Et donc c’est pareil pour la direction de business dans laquelle je vais. Donc non, Kévin n’a pas eu d’impact là-dessus, c’était vraiment le management et comme c’était un gros management, je me suis dit « on va écouter, on va y aller, on va aller à fond dans ce qu’ils nous proposent. » Seulement, non, ce n’est pas ce que je vouais.
Par rapport à l’album de Myrath, Kévin nous disait qu’« à un moment donné, si on veut toucher un peu plus d’audience, il faudra peut-être mettre le côté prog un peu de côté » et que « quand tu fais le constat, tu te dis que les groupes qui ont un peu plus réussi que les autres ont fait ce choix de mettre un peu l’aspect prog de côté. » Du coup, j’imagine que tu n’es pas trop d’accord avec sa vision des choses…
En fait, nous avons deux démarches complètement différentes avec Kévin. Lui sa démarche avec Myrath est de toucher le plus de gens possible et d’en faire le truc le plus commercialement successful possible. Ma démarche n’est pas du tout vers ça. Et d’ailleurs sa démarche est complètement louable. C’est juste que nous n’avons pas du tout la même vision. Ma vision est complètement artistique. Je pars du principe, comme dans Life, par exemple, ou comme mes albums intrus, par exemple dans Enigma Opera Black, mon deuxième album instru, il y a carrément des éléments dub-step qui, certes… En même temps que je le dis je réalise que ça aurait pu être un élément commercial mais pas du tout en fait, pas dans une musique progressive, avec des mesures impaires et des choses comme ça. Donc la démarche de Kévin est effectivement commerciale, la mienne est purement artistique. D’où la raison pour laquelle il drive Myrath et moi Adagio. Donc je comprends sa démarche, mais nous n’avons pas la même.
« L’idée, c’est vraiment de faire ce que tu as envie de faire et point barre. Et si ça marche tant mieux, sinon tu as au moins la satisfaction de ne pas avoir écouté le business autour qui te dis ‘fait pas ci, fait pas ça’ parce qu’au final ce n’est pas spécialement valable. »
Tu avais dévoilé un teaser déjà pour l’album en avril 2016 et un premier titre, « Subrahmanya » en version non mixé en décembre 2016. Donc ça fait déjà six mois, du coup, sur ces six mois, que s’est-il passé ?
Justement, si le titre est sorti mais pas mixé, ça voulait dire que nous n’avions pas fini le mix et qu’il fallait que nous bossions dessus. Seulement ça a pris tellement de temps et repoussé tellement d’échéances, parce que tout n’était pas terminé, qu’il fallait tout de même donner quelque chose aux gens. Donc nous avons sorti un des titres, qui était plus avancé en termes de pré-mix et qui était au moins fini d’être enregistré, solos y compris. Mais ce qu’il s’est passé durant ces six mois, c’était encore le travail de mix, encore des parties à enregistrer, encore des parties à arranger. Et en cours de route, nous avons dû réenregistrer toutes les parties de batterie – en juillet ou en août – avec un autre batteur, ce qui nous a aussi beaucoup retardé. Tous ces décalages sont faits de choses auxquelles nous ne nous attendions pas du tout, que nous n’avons pas pu éviter, et que nous aurions préféré éviter bien évidemment, parce que tout ce retard et le fait de réenregistrer la batterie nous a couté beaucoup d’argent. Je pense que la plus grosse erreur a été de donner des deadlines, des dates. Nous avons été beaucoup trop optimistes quant à la deadline et le travail qu’il y avait à faire sur cet album. Si ça avait été un album rock’n roll, avec juste guitare, basse, batterie et chant, et hop on envoie, oui. Mais là ça fourmille d’arrangements, il y a des parties qui sont super complexes. Et justement, comme je te le dis, quand je compose un truc, j’ai besoin d’aller au bout de mes idées, et certaines de mes idées demandent pas mal de temps et j’aime bien aller chercher les notes le plus loin possible dans ce que j’entends. Par exemple, quand j’écris un solo, il me faut vraiment du temps, et pareil pour des arrangements, des progressions… Tant que je ne suis pas content à quatre-vingt-dix-neuf pour cent des notes que je veux mettre, des progressions d’accords, de l’intensité ou de l’interprétation, je n’arrive pas à le finir. Malheureusement, je suis un peu perfectionniste, certains voient ça comme une qualité chez des gens, moi je vois vraiment ça comme un handicap. J’aimerais bien pouvoir me dire : « Bon aller hop, ça c’est cool, on lâche les détails et on avance. » Mais non, je ne peux pas, je ne marche pas comme ça. Donc oui, ça prend plus de temps de prévu.
Qu’est-ce qu’il s’est passé au niveau du changement de batteur et pourquoi avoir réenregistré les batteries ?
Il nous a annoncé une fois que les batteries étaient faites qu’il ne savait pas s’il pouvait s’investir autant que ce dont nous avions besoin pour Adagio, parce que il avait un projet perso qu’il voulait vraiment mener à bien et se focaliser dessus. Et là, je me suis dit « non, si on n’est pas sûr de l’avoir quand on a besoin de lui, ce n’est pas possible. » Comme il venait juste de rentrer dans le truc, nous ne l’avons pas gardé et nous avons vite cherché quelqu’un d’autre qui pourrait s’engager à cent pour cent sur le groupe.
Mais du coup, pourquoi ne pas avoir quand même gardé les parties de batterie de Guillaume Bergiron ?
Parce que le nouveau batteur avait des idées qui correspondaient vachement mieux à l’esprit du groupe, et quitte à prendre quelqu’un de nouveau sur un album, autant que ce soit lui qui amène ses idées et qui joue. Ça aurait été vraiment dommage d’avoir dès le départ un album enregistré par quelqu’un de nouveau et en plus, l’album sort et c’est encore un autre batteur. Ça aurait été un peu n’importe quoi. Et comme Jelly [Cardarelli] a une technique monstrueuse et des idées super riches qui correspondaient parfaitement à Life, nous nous sommes dits tant pis, les fans comprendront et tant pis pour l’argent, nous rattraperons ça. Et au final, bien sûr, nous en sommes super heureux.
Kelly Sundown Carpenter est théoriquement devenu le nouveau chanteur d’Adagio en septembre 2011. Sauf qu’en 2014, tu avais l’air mitigé voire dégouté par rapport aux chanteurs, tu parlais encore de problèmes de chanteurs, et tu disais : « Les chanteurs, c’est toujours un sujet super sensible » et que tu ne savais même pas si tu avais envie d’avoir un chanteur attitré…
D’ailleurs tu parles de ça, c’était au moment où je faisais de l’instru, effectivement. Justement, c’est l’un des gros avantages de l’instrumental, tu n’as plus les problèmes de chanteur et avec Adagio, nous en avons eu énormément. Mais là, ça ne concernait absolument pas Kelly, c’est juste que c’est super dur à gérer et ce qui s’est passé avec Kelly, c’est la même chose que ce qui s’est passé pour moi avec Adagio. C’est-à-dire qu’il adore les mêmes choses que moi au niveau des influences musicales, du côté et prog, et en fait, il était là au moment où nous avons eu cette tentative de changement de direction vers quelque chose de plus mainstream, et lui aussi ça l’en a dégouté. Lui non plus n’adhérait pas du tout. Nous étions vraiment sur la même longueur d’onde pour ça. Et comme je suis parti vers l’instru, du coup nous avons un peu lâché le truc. Et dès que je suis revenu avec l’idée de Life, que j’ai expliqué le projet, que j’ai fait écouter des trucs, nous nous sommes vus avant, nous en avons parlé et là, il était à nouveau à fond, comme moi, dans le projet, parce que ça correspondait vraiment à ce que nous aimons tous les deux chez Adagio, c’est-à-dire de faire de la vraie musique.
Mais du coup, maintenant, tout ce passe bien avec lui, c’est stable ?
Oui ! Nous nous entendons super bien. L’enregistrement s’est passé à merveille. C’était la première fois que nous enregistrions vraiment ensemble pour un album. Nous avions fait pas mal de maquettes mais là c’était vraiment la première fois que nous passions autant de temps tous les deux en studio. Et ce qui m’a surpris par rapport avec tous les chanteurs avec qui j’ai bossé, c’est qu’il ne lâche rien. Lui non plus, tant qu’il n’est pas satisfait à cent pour cent de sa prise, peu importe s’il est crevé, peu importe s’il a peu dormi parce que nous avons fini tard la veille, il va aller chercher des notes super dures à atteindre et il va les faire quinze fois d’affilée s’il le faut. Quand tu es instrumentiste, c’est une chose, tu peux repousser les limites de ta fatigue, mais quand tu es chanteur, c’est ta voix l’instrument, donc si t’es crevé… Mais lui, non, il a vraiment une détermination à le faire bien. C’était le premier point qui m’a vraiment surpris et voir son investissement là-dedans était super cool. D’autre part, quand je disais que j’écrivais tout dans Adagio, eh bien là, par contre, au niveau des textes, j’ai voulu qu’il écrive aussi, ne serait-ce que pour l’investir davantage, pour qu’il se sente vraiment investi dans le groupe, donc il a écrit pas mal de textes. Et l’autre point, qui pour moi est le plus important, c’est que nous avons passé pas mal de temps, dans des conditions difficiles, dans le sens où il fallait que nous finissions vite cet album, avec tout le travail qu’il y avait, les deadlines qui étaient imposées et qui nous obligeaient à travailler très, très tard et être crevés, et humainement, je me suis rendu compte que nous avions déjà beaucoup de points en commun et la même sensibilité sur pas mal de choses. Ça nous a vachement rapprochés en tant que potes. Et dans le groupe c’est un aspect super important pour moi, que dans le rapport avec les gens avec qui je travaille ça colle, et Kelly et moi ça a super bien collé.
« Malheureusement, je suis un peu perfectionniste, certains voient ça comme une qualité chez des gens, moi je vois vraiment ça comme un handicap. J’aimerais bien pouvoir me dire : ‘Bon aller hop, ça c’est cool, on lâche les détails et on avance.’ Mais non, je ne peux pas, je ne marche pas comme ça. »
En parallèle d’Adagio, il a aussi récemment rejoint Civil War, sans compter tous ses projets ponctuels comme Zierler. Tu n’as pas peur d’être confronté à des problèmes de planning, surtout avec Civil War qui tourne pas mal ?
Non. Parce qu’en fait, je veux procéder par étape. Si je grille des étapes, j’ai peur de me re-dégouter du truc. Pour l’instant, ce qui a fait que j’ai voulu faire cet album, c’est la musique d’abord. Donc pour l’instant, je me suis concentré là-dessus. Les dates, les tournées, c’est un truc que je veux voir après parce que j’ai une bonne idée de comment nous voulons le faire, et ça va demander pas mal de temps et de préparation, aussi bien logistique que musicale parce que les morceaux, il faut que nous les jouions comme sur l’album, à mettre en place avec toutes les orchestrations, les samples, plus tous les éléments visuels que nous voulons rajouter. Je n’ai pas envie de me bousculer et précipiter les choses. Alors pour l’instant, ça ne pose absolument aucun problème. Et quand nous aurons décidé de faire les choses, lancer les dates, les tournées, etc…. Evidemment, nous en avons parlé avec Kelly, et nous nous donnons les dates assez à l’avance pour pouvoir anticiper et faire les choses bien. Et le fait qu’il rejoigne Civil War, nous en avons parlé, il m’a demandé avant si ça ne me posait pas de problème, etc., ce que j’ai trouvé tout à fait cool. Donc bien sûr que non, ça ne pose pas de problème.
Tu dis que tu as une bonne idée de comment vous voulez faire avec la tournée. C’est quoi justement ton idée ?
Pour ne pas faire la même erreur qu’avec les dates, je préfère ne pas en parler tant que ça n’est pas fait. Pour l’instant, nous bossons sur le truc, nous l’affinons, et dès que ça sera bon, là nous pourrons en parler. Mais pour l’instant je ne veux pas, exactement pour les mêmes raisons que je t’ai données par rapport aux dates : tu annonces un truc, si tu n’arrives pas à tenir les deadlines ou à faire exactement comme tu veux, ça craint. Donc pour l’instant, nous faisons notre truc.
La chanson « Carry The Cross » qu’on avait découverte en démo en 2013 n’est finalement pas sur l’album… Tu avais dit en 2014 que les chansons allaient être réécrites mais les premières versions allaient servir de base pour l’album, du coup, qu’est-ce qui a été conservé ? Comment ça a évolué au cours des années ?
Ce qui a été conservé c’est juste « Torn » et « Carry The Cross ». « Carry The Cross » finalement est sur l’album mais uniquement en bonus pour l’édition japonaise. Donc elles, nous les avons conservées comme ça – nous les avons réenregistrées mais elles sont restées telles quelles -, mais du reste, je n’ai rien conservé, en fait. Quand j’avais commencé à bosser sur « l’autre » album – enfin celui qui aurait dû être celui-là -, c’était logiquement dans un dossier qui s’appelait « Adagio 5 », puisque c’était le cinquième album, et quand j’ai décidé de reprendre pour Life, je n’ai carrément pas repris le dossier cinq, j’ai carrément fait un dossier six. Pour moi, c’est le sixième album. L’autre, il y a les trente ou quarante chansons dedans et voilà, c’est un autre truc qui ne sortira pas, enfin, je ne pense pas, en tout cas pas pour l’instant, et je suis reparti complètement de zéro. Mais j’ai gardé « Torn » parce que c’est un titre qui a une certaine mélancolie, un truc qui correspondait pas mal à l’état d’esprit de Life, et puis en plus, il est assez direct et c’était bien d’avoir un morceau plus court et rentre-dedans, plutôt que super prog et complexe, donc nous l’avons gardé.
Tu disais que tu es perfectionniste, et justement, à quel moment tu t’es dit « c’est le bon album » ?
Je ne me suis pas dit « c’est le bon album ». Je me suis dit « ça y est, putain, les titres au moins sont finis, ils ont tous une fin, les solos sont là, tout est là, c’est bon, on va arrêter de décaler, on envoie ». Et en terme de dates, je ne sais plus du tout mais il y a juste un moment où il fallait que je lâche l’affaire, que je lâche les détails et que nous avancions. Mais là, comme il est, je pense que j’ai assez peaufiné tous les petits trucs pour être content du résultat quand il était fini.
C’est ça en fait, le danger du perfectionnisme, c’est de ne jamais s’arrêter, ne jamais finir…
Oui, c’est exactement ça le problème. Mais après, si tu ne le sais pas, tu ne fais rien parce que toute ta vie, tu vas la passer sur un album ou un morceau même, si tu pars comme ça. Et ce n’est pas gérable parce que sinon tu ne gagnes pas de thunes, tu ne fais pas de carrière, tu ne fais rien. Pour moi, en fait, quand je le réécoute à froid, il faut que j’en sois satisfait à quatre-vingt-quinze pour cent, on va dire. Si ça en est là, c’est bon, on peut le sortir et enchaîner sur autre chose. Et là c’est le cas.
Cet album numéro cinq qui n’est pas sorti, ça pourrait être intéressant de le sortir un jour, dans un coffret ou autre, pour voir l’évolution du projet…
Honnêtement, je n’ai pas du tout envie [rires]. Les titres, je pense, sont pas mal, en tout cas le management en était vachement content, mais ce n’est tellement pas Adagio pour moi. C’est structuré un peu comme un morceau pop, dans le sens où il n’y a pas de parties instrus [complexes], les solos sont très courts, très simples, très mélodiques. C’est vraiment formaté pour passer en radio. En tout cas, ça ne correspond pas à ce que je ferais avec Adagio, et pas non plus avec mes projets instrus. Après, ça n’empêche pas que je puisse avoir envie de faire un autre projet qui soit plus orienté commercial, effectivement, mais si je fais ça, je ne pense pas que ce sera de toute façon dans ce style-là. Donc non, pour l’instant, je n’ai pas du tout l’intention de le sortir. Après, on verra. Peut-être plus tard, quand je n’aurais plus la haine envers toute cette période, que ce sera derrière, je réécouterais et je dirais « ah, ouais ça peut être fun », et là nous le ressortirons, mais là pour l’instant, non.
Ce que tu me disais aussi en 2014, c’est que tu as même plusieurs versions des chansons avec plusieurs chanteurs…
Oui ! Il y en a avec Kelly, il y en a avec Mats Levén, il y en a avec un autre… Ca, d’ailleurs, de mon point de vue, ce qui est intéressant, c’est d’entendre les mêmes chansons avec deux ou trois chanteurs différents.
« J’ai eu besoin de le faire pour faire un point avec moi-même, voir où j’en étais sur plein de choses, faire un point sur ma vie, sur l’évolution des choses, ce qui me rendait heureux, ce qui me rendait vraiment down, aller les chercher, trouver des explications, trouver des réponses, me poser les bonnes questions. »
Tu as dit plus tôt que c’est surement l’album le plus personnel que tu as jamais fait. Du coup, qu’est-ce qui te donne cette impression ?
Le plus personnel avant ça, c’était Underworld, où j’avais été cherché des tas de choses qui étaient au fond de moi que j’avais besoin d’exprimer parce que c’était une période où je n’étais pas bien du tout. Et au moment où j’ai fait Life, j’étais un peu dans le même truc mais douze ou treize ans plus tard. J’ai eu besoin de le faire, pareil, pour faire un point avec moi-même, voir où j’en étais sur plein de choses, faire un point sur ma vie, sur l’évolution des choses, ce qui me rendait heureux, ce qui me rendait vraiment down, aller les chercher, trouver des explications, trouver des réponses, me poser les bonnes questions. Et en fait, comme je t’ai dit, je ne suis pas super à l’aise avec les mots. Je n’aime pas trop m’exprimer sur moi et ces choses-là, et mon moyen est de le faire en musique. Et là j’en avais besoin. D’où le nom de l’album, Life. C’est vraiment une réflexion sur les différentes étapes de ma vie, depuis la petite enfance et les moments heureux que tu peux avoir dans ces moments innocents où tu ne réfléchis pas aux conséquences des choses, où tu vis juste et tu es content, où tu es pris en charge par ta famille, tu es insouciant, et après, tu avances dans le temps, tu ne vois plus les choses avec cette simplicité et innocence, et tu dois faire face à la perte des gens que t’aimes. Je parle de choses négatives mais il y aussi les rencontres avec de nouvelles personnes qui ont une importance énorme dans ta vie ou dans ton cœur. Quand tu fais un point sur tout ça, tu réalises plein de choses. C’est peut-être pour ça que dans cet album, dans les morceaux, il y a pleins de couches, de superpositions de choses, de petits détails. Je pense qu’inconsciemment ça doit représenter la complexité de tout ce qui se passe dans ma tête, enfin, je n’en sais rien, ou la complexité de la vie en général. Mais voilà, j’en avais besoin. Donc en ce sens-là, j’ai réussi ce que je voulais faire avec cet album, parce que j’ai pu exprimer tout ce que je voulais et de la façon la plus précise possible. Après, est-ce que d’un point de vue personnel ça me rend plus heureux ? Non. D’ailleurs, ce n’est même pas évident pour moi de réécouter les titres, certains en tout cas, parce que ça me replonge dedans et quand je les ai écrits, je faisais vraiment face aux trucs auxquels je ne voulais pas faire face, qui me faisaient mal. Mais c’était le seul moyen de faire quelque chose de vrai. Donc là, l’album, je ne le réécoute pas spécialement mais ça m’a fait du bien, dans le sens où j’ai pu l’exprimer.
Pourquoi ce besoin d’introspection à ce moment-là de ta vie ?
Je n’en sais rien. Tu ne t’es jamais posé ce genre de question ? Tu n’as pas des moments où tu te dis : « Et là où j’en suis ? Et là, en fait, est-ce que cette chose m’affecte ? Est-ce cette rencontre… » De faire un point, en fait. Quelque part, on inverse les rôles, c’est moi qui te pose la question, dans le sens où le fait de te la poser va peut-être t’apporter la réponse à la question que tu m’as posé. En fait, tous à un certain moment, on a ces questions. Mais si je l’ai fait en musique, justement, c’est pour ne pas en parler. Donc je n’ai pas spécialement envie d’en parler avec des mots, là. Mais oui, forcément, il y a des circonstances qui amènent ça.
Tu disais qu’il y avait des titres pas évidents à réécouter pour toi, lesquels ?
Principalement « Secluded Within Myself », « Life »… Après, c’est l’ensemble de l’album parce qu’il représente toute une période où je me suis un peu renfermé sur ça. Mais oui, on va dire que les deux titres les plus durs sont ces deux-là, surtout « Secluded ».
Cette difficulté que tu as aujourd’hui à écouter l’album, tu ne la retrouves pas pour le jouer ?
Là par contre, non. Parce qu’en fait, quand je le joue, du coup, oui, je l’écoute mais pour le travailler, et ce n’est pas du tout pareil. C’est à dire que quand je l’écoute en travaillant, je vais écouter certains passages pour les bosser et me les mettre dans les doigts. Mais là, du coup, je détache complètement les émotions du truc. Les émotions, par contre, vont y être dans certains solos qui sont beaucoup plus mélodiques. C’est-à-dire que le solo de « Subrahmanya », par exemple, c’est probablement l’un des plus techniques et complexes que j’ai écrit et qui est une horreur à jouer [petits rires], et ces solos-là, toutes les parties techniques, non. Mais dès qu’il y a des choses plus expressives, comme le solo de « I’ll Possess You », celui de « Trippin‘ Away » ou celui de « Secluded Within Myself », là oui, ce n’est pas plus dur mais c’est beaucoup plus intime. Et donc pour répondre à ta question, oui, quand je vais jouer par exemple le solo de « Secluded », je ne suis pas du tout touché de la même manière que quand je joue celui de « Subrahmanya ». « Subrahmanya », je vais être concentré de la première note jusqu’à la dernière pour ne pas en mettre une à côté, parce que si je me vautre sur une note, vu le nombre de notes, je me vautre sur tout le solo. Sur « Secluded », il y a peu de notes et là où ça va être dur, c’est que je vais aller chercher au fond de moi la meilleure façon que je vais pouvoir l’interpréter, pour y mettre un maximum d’émotion. Ce sont donc deux choses complètement différentes. En les jouant, tous les morceaux ne sont pas égaux au niveau de l’impact qu’ils ont sur moi émotionnellement.
Tu parlais de la petite enfance et pour ton dernier album solo, tu nous disais que tu voulais retrouver les sensations d’enfance. Est-ce que tu établis un lien avec ça ?
Je pense qu’effectivement, je dois avoir une certaine nostalgie de cette période-là. Et c’est comme dans la musique, je repère qu’il y a souvent des motifs, et notamment une certaine phrase qui revient souvent quand j’écris, musicalement, et je pense que c’est parce que je ne suis pas allé au bout, je n’ai pas réussi à l’exprimer exactement comme je voulais. Du coup, elle revient sous plein de formes différentes mais je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt dessus. Et je pense que là, c’est un peu pareil mais avec une idée. C’est-à-dire que je sais qu’il me manque quelque chose par rapport à des choses que j’ai vécues durant mon enfance, des choses que j’aimerais revivre ou autre, mais je n’arrive pas exactement à mettre le doigt dessus pour l’instant. Donc je pense que oui, c’est un sujet qui risque de revenir souvent, et puis comme le temps passe, tu repenses à ton enfance. Ce n’est pas pareil pour tout le monde mais tout le monde a eu au moins un ou deux moments heureux dans son enfance, je pense, j’espère. En fait, je ne sais pas comment dire, on voyait les choses de façon beaucoup plus magique aussi. Un exemple qui va peut-être parler aux gens qui liront cette interview : Noël, je ne sais pas si tu te rappelles mais quand tu voyais un sapin de Noël quand tu avais trois ou quatre ans, ça n’avait pas du tout le même impact que quand tu le vois maintenant, et tout était beaucoup plus magique, les choses avaient des proportions beaucoup plus grandes. Et ça, malheureusement, quand tu deviens adulte, tu gardes quand même un peu de magie, heureusement, mais ça n’a plus du tout la même force. Enigma, c’était plus ce côté-là, le côté un peu magique des choses. Life, c’est plus le côté manque de la simplicité avec laquelle on aborde les choses. Donc sur Enigma, c’est peut-être d’un point de vue un peu plus light, sur Life, c’est un peu plus complet.
Ce n’est pas contradictoire justement que Life symbolise le manque de simplicité, alors que c’est un album très complexe ?
Ça pourrait [petits rires], mais quand tu y réfléchis, c’est complexe, essayer de comprendre pourquoi cette simplicité te manque. Quand tu essayes de réfléchir à pourquoi les choses sont compliquées aujourd’hui, du coup c’est plus sur l’aspect complexe que tu médites que sur la simplicité pure qui te manque.
« On n’est pas forcément dans le mauvais camp quand on part en guerre, et par contre, certaines guerres sont inévitables et – et je parle de façon métaphorique – pour moi la vie est une guerre aussi. Ce que je veux dire est qu’il y a une adversité permanente et je préfère la voir en tant que guerrier plutôt qu’en tant que victime. »
Parce que si la simplicité te manque, on pourrait croire que justement, tu essaierais de la retrouver dans ta musique…
Non parce que ce manque est complet. Et justement, si je suis nostalgique de cette simplicité, c’est parce qu’aujourd’hui les choses sont complexes et donc ma musique s’exprime de manière complexe aussi.
Une question un peu bac de philo [petits rires] : quel est le sens de la vie pour toi ?
Oh putain, ouais, là tu y vas fort [rires]. C’est impossible d’en parler pour tout le monde, donc je ne peux en parler que pour moi. Moi, pour l’instant, là où j’en suis, j’ose imaginer que le but de ma vie est d’arriver, au moment de ma mort, à me dire : « je suis en paix avec moi-même, je suis serein, je suis heureux. Je ne suis pas arrivé à la perfection, je n’ai pas pu aller au bout de toutes les choses, par contre je suis allé au maximum de tout ce que je pouvais donner dans tout. Je me suis battu le plus possible, j’ai tout donné. » Et donc de pouvoir partir en me disant : « J’ai réussi mon objectif qui était de profiter de ce temps imparti pour être la meilleure version de moi-même, avec moi et avec les autres. » Je pense que ça se résumerait à ça. Pour condenser, je dirais, tout simplement, faire mon dernier soupir en ayant un sourire, en me disant « je suis heureux ». Mais ça, comme je t’ai dit, ce n’est que pour moi. Mais après, je serais incapable de philosopher sur le concept de la vie d’un point de vue plus général, parce que, égoïstement, ce qui m’intéresse le plus pour l’instant, c’est ma vie et celle des gens que j’aime.
C’est un album très intime pour toi. Du coup, comment as-tu travaillé par rapport aux paroles, notamment dans la mesure où, comme tu l’as dit, Kelly y avait participé ? Comment as-tu travaillé avec lui sur ça ?
Justement, comme je te disais, avec Kelly, quand nous avons passé du temps ensemble, je me suis rendu compte qu’il voyait plein de choses de la même façon que moi. Pareil pour son enfance, pareil pour son rapport avec ses parents, pareil pour toutes ces choses-là qui étaient vachement fortes. Du coup, sur certains titres, je me suis dit que ça serait cool que ce soit lui qui l’exprime et que je puisse voir son point de vue par rapport à ça, et en fait ça correspond. Et notamment « Life », c’est lui qui a écrit les paroles, et du coup, il les a en plus écrites bien mieux que moi parce que c’est sa langue, donc il a pu mettre des mots qui étaient encore plus précis sur certaines choses. Donc au niveau des textes, nous avons travaillé ensemble, carrément en studio au moment où nous enregistrions. C’est-à-dire que j’avais les lignes de chant et nous travaillions sur les paroles en même temps. La veille, nous nous posions et nous travaillions sur les paroles pour le lendemain.
On dirait que l’hindouisme et les musiques traditionnelles indiennes sont très présents chez toi ces derniers temps. On retrouve cette influence dans l’album, on retrouve sur l’artwork cette femme indienne, il y a la chanson « Subrahmanya » qui fait référence au dieu hindou de la guerre, ou la référence à Bhairava sur ton deuxième album solo. Est-ce que tu peux nous en parler ? Est-ce que la culture indienne a eu un impact sur ta façon de voir la vie et la spiritualité ?
Oui, alors, je n’ai pas la prétention de connaitre la culture indienne très bien, mais je sais qu’au niveau spirituel c’est quelque chose qui effectivement me plait et que j’ai envie d’approfondir. Il y a une certaine sagesse et force dans l’indouisme qui me plaisent énormément. Et de plus en plus, il y a plein de choses nouvelles que j’ai fait pour moi, pour avancer. Par exemple, la méditation et une certaine recherche spirituelle sur les choses, ce sont des choses que j’essaye de pratiquer, ou en tout cas que je travaille. Mais il y a aussi des choses comme ça dans le bouddhisme. En fait, tout comme pour la musique, je n’ai pas d’influence que je vais chercher dans un style. Au niveau des choses qui peuvent m’aider à vivre et avancer, je vais le chercher un peu partout, dans les différentes philosophies, peut-être dans quelques religions prendre certaines idées ou des choses comme ça, et je fais mon mélange, exactement comme pour la musique. Pour la partie hindoue, c’est aussi en grande partie le côté musical qui m’inspire et les couleurs asiatiques, hindoues, japonaises, les musiques traditionnelles asiatiques ou de l’Europe de l’est, etc. sont venues se renforcer un peu plus dans cet album. Et musicalement j’aime ce côté fort, planant, serein, puissant. Si je devais résumer en quatre mots, ça donnerait à peu près ça, mais je suis un peu pris de court par ta question. C’est vrai que ça demanderait beaucoup plus de temps et de réflexion pour en parler. Et puis, en plus, le sitar est un instrument que j’aime beaucoup. Paradoxalement, il n’y en a pas énormément dans cet album. Dans « Lord Bhairava », tu en parlais tout à l’heure, il y en beaucoup. Ça fait partie des choses que j’aime ou, en tout cas, qui me touchent musicalement. Et effectivement, ce côté ethnique est de plus en plus présent dans ma musique parce que je trouve qu’en plus, ça fait voyager.
« Subrahmanya » est le dieu de la guerre, « Bhairava » est une forme terrifiante de Shiva… On dirait que tu puises des choses plutôt sombres dans cette religion…
Oui parce que j’essaye de tirer une force de chaque chose. J’aime les symboles forts, qui inspirent la force. Et je ne le vois pas comme quelque chose de négatif. On n’est pas forcément dans le mauvais camp quand on part en guerre, et par contre, certaines guerres sont inévitables et – et je parle de façon métaphorique – pour moi la vie est une guerre aussi. Ce que je veux dire est qu’il y a une adversité permanente et je préfère la voir en tant que guerrier plutôt qu’en tant que victime. Et quitte à le voir en tant que guerrier, je préfère le voir de façon à annihiler mon ennemi plutôt que de le faire gentiment. Et c’est cette puissance que j’aime chez ces représentations hindoues.
L’artwork montre une femme tenant un œuf, symbole de la vie, mais assise dans un rocher sombre surmonté d’une tête de mort et entouré de branchages morts. Un contraste qu’on retrouve aussi entre la roche noire et le ciel rose, peut-être de l’aurore ou bien du crépuscule. Qu’est-ce que cette image et ses contrastes représentent ?
Cette représentation est une des représentations que je voulais faire de Subrahmanya, donc il y a ce côté hyper calme, apaisé et serein sur un trône qui représente quelque chose de complètement guerrier, avec le crâne qui symbolise le crâne de l’ennemi, pour moi en tout cas – c’est ce que j’avais demandé à l’illustrateur. C’est cette sorte de sérénité absolue et, en même temps, avec cette violence sous-jacente qui peut s’abattre n’importe quand sur l’ennemi dès qu’il s’approche. J’aime justement ce côté guerrier et serein, dévastateur et calme. J’aime ces opposés. La représentation de la pochette, c’est ça pour moi. Car elle est complètement paisible sur la pochette, elle ne sourit pas spécialement mais elle est calme. Elle porte la vie, mais si on touche à la vie de ceux qu’elle aime ou autre, elle devient la pire des choses [petits rires].
« Meshuggah c’est juste la puissance, la noirceur et la violence absolue, et un son énorme. Meshuggah ça reste l’emblème, mais pour moi, ce n’est pas du djent et je pense que pour eux non plus. C’est du metal dans sa forme la plus… meshuggesque ! On ne peut même pas définir. »
Ce titre, « Subrahmanya », a une importance particulière pour toi ? Car c’est le premier que tu as sorti et la pochette de l’album le représente…
Il a une importance dans le sens où je trouve que c’est peut-être l’un des plus directes, où le riff rentre bien dedans d’entrée et où il a ce côté ethnique très prononcé. Donc je trouve qu’il résume bien les couleurs de l’ensemble de l’album. Après, ce n’est que mon avis et les autres gens peut-être ne verront pas les choses comme ça, puisqu’il y a plein de gens qui l’ont trouvé trop djent ou décriaient qu’il ne ressemble pas assez à Adagio. En tout cas, pour moi, il regroupe l’ensemble des couleurs de l’album. Moins que « Life », mais je ne pouvais pas mettre un titre qui faisait dix minutes d’entrée, et pour moi « Life » est le titre le plus important de l’album, donc je ne voulais pas le dévoiler comme ça. Donc « Subrahmanya » semblait le plus approprié.
On a parlé des influences indiennes, mais le communiqué de presse parle aussi d’influences de Dead Can Dance ou encore des musiques traditionnelles Transylvaniennes. Comment les as-tu exploitées ?
Le folklore transylvanien, hongrois, etc. c’est quelque chose qui se ressent peut-être plus dans mon jeu de guitare, car c’est quelque chose que j’ai découvert avec [Béla] Bartók, les pièces pour violons principalement. Et ceci a énormément influencé mon jeu de guitare. Et du coup, dans certains choix de notes, il y a des intervalles qui, même si c’est dans mon jeu de guitare, reviennent aussi assez régulièrement dans les progressions d’accords des titres. Et le fait que Mayline, la violoniste d’Adagio, ait ce côté aussi très ethnique dans son jeu de violon, déjà c’est la raison pour laquelle je lui ai proposé de rejoindre le groupe, il y avait vraiment cette couleur que je recherchais, et donc avoir ce violon et ces consonances, rajoute de ces influences. Là où c’est peut-être le plus flagrant, c’est peut-être sur « Subrahmanya ». Ne serait-ce par le travail de guitare, il y a quand même ces couleurs-là qui reviennent où moi, mon but, à la guitare, est d’essayer de me rapprocher le plus possible du violon tzigane, ce genre de couleur. Donc l’influence se matérialise principalement comme ça. Après, aussi dans l’emploi de certains instruments d’Europe de l’est.
En fait, déjà en 2014, tu nous disais admirer les capacités musicales du violon, et notamment le violon tzigane. Tu disais que même si ce sont deux instruments très différents, tu aimerais pouvoir te rapprocher du son du violon à la guitare. Du coup, ce n’est pas un peu pour ça aussi que tu t’es résolu à intégrer une violoniste, car tu n’arrivais pas totalement à reproduire ça à la guitare ?
Tu sais quoi ? Je n’y ai même pas pensé mais maintenant que tu le dis, je pense que oui, il doit y avoir beaucoup de ça. C’est-à-dire qu’elle arrive à amener le son que je n’arrive pas à amener, le côté organique du violon, le touché, le glissé, les inflexions de certaines notes que je ne peux pas faire avec ma guitare. Du coup, elle les amène. Donc oui, c’est carrément ça, en fait, je pense. Elle amène une certaine couleur que je rêve d’avoir dans ma musique.
Tu t’inspires d’elle à la guitare justement ?
Des fois elle vient chez moi, nous mettons une progression et nous cherchons des idées ensemble, et c’est fou parce que, je ne peux pas parler pour elle, mais quand nous jammons ensemble sur des choses, nos phrases influencent l’un et l’autre. C’est-à-dire que j’ai une idée qui vient sur une impro, ça va lui déclencher une idée, sa nouvelle idée va déclencher une idée chez moi, etc.
On a parlé de l’influence des musiques traditionnelles. Je sais par ailleurs que tu es un grand fan de Marty Friedman. Est-ce que c’est justement cet aspect, le fait que lui soit très influencé par la musique japonaise, qui t’a attiré chez lui ?
C’est clairement ça qui m’a fait découvrir, je pense, oui. C’est par Friedman que j’ai découvert certaines choses et qui m’ont donné envie d’approfondir, d’aller voir du côté plus traditionnel des choses. Le fait d’entendre certaines gammes, par exemple quand il utilise beaucoup la gamme hirajoshi, c’est une forme pentatonique qui est très utilisée dans la musique japonaise, ça m’a donné envie de me renseigner. Et puis j’ai vu que c’était joué par certains instruments traditionnels, comme le koto, le shamisen, etc. Et de fil en aiguille, j’ai découvert des artistes qui faisaient ça et ça m’a inspiré ; le son de ces instruments m’a inspiré. Et c’est pareil pour plein d’autres choses. Le côté indien ou la musique pakistanaise ont été amenés par Shawn Lane, qui est un de mes guitaristes préférés et qui à une période est beaucoup allé vers ça, et donc j’ai voulu écouter. On peut même prendre carrément le côté classique, à la base, quand j’étais beaucoup plus jeune et que j’étais ultra fan d’Yngwie Malmsteen, il parlait beaucoup de baroque et de Bach, et donc j’ai commencé par ça, en fait. J’ai voulu aller écouter mais je n’étais pas spécialement familier. Bien sûr j’en avais entendu chez moi mais je ne viens pas d’une famille classique. Et de là, j’ai commencé à écouter ce dont il parlait, les grands classiques du baroque, Vivaldi, etc. Après, j’ai un peu plus approfondi et j’ai découvert les autres formes de musique classique, Beethoven, Mozart, etc. et après, la musique plus contemporaine, puis la musique moderne, puis la musique concrète, la musique sérielle, etc. J’ai été vers des choses beaucoup plus modernes et plus complexes. Et puis finalement, maintenant, au niveau du classique, je suis revenu en arrière et je pense que ce qui me touche le plus profondément en ce moment, c’est la période romantique, et notamment Chopin et Rachmaninov, de par la sensibilité qu’il y a et la force des émotions qui sont communiquées par leurs œuvres. Mais voilà, à la base, ça part toujours effectivement d’une découverte peut-être plus rock qui m’a fait découvrir d’autres trucs. Et c’est pour ça que c’est quelque chose que je dis énormément à mes élèves ou aux gens qui me demandent des fois certains conseils en musique, c’est de ne surtout pas s’enfermer dans un style et d’essayer de comprendre ce qui nous plait chez un artiste quand on l’aime, d’aller essayer de voir ce qui a fait son style, ce qui a créé son univers. Et à partir de là, on découvre plein de choses et je pense que c’est ça, après, qui créé la personnalité musicale, c’est-à-dire prendre toutes les influences et c’est la combinaison de toutes ces choses-là qui donne finalement un truc assez unique chez un guitariste.
« J’absorbe énormément d’informations tout le temps, et ça c’est un but. J’essaie de découvrir le plus de choses possibles et de m’inspirer de plus de choses possibles, tout le temps. »
En parlant d’influences, une chose qui frappe d’emblée sur la chanson éponyme qui ouvre l’album, ce sont les influences de groupes comme Meshuggah ou Periphery, et c’est quelque chose qu’on avait un peu retrouvé sur ton second album solo. A quel moment t’es tu penché sur ce style et qu’est-ce qui t’as intéressé là-dedans ?
Pour moi, en fait, c’est juste du metal prog modernisé, dans le sens où les instruments sont accordés plus bas, il y a plus de cordes et où les mises en place sont un peu différentes. Mais pour moi, c’est juste la version 2016/2017 du metal prog qu’il y avait avant. A une période c’était Dream Theater, maintenant ça va être ces groupes-là. Il y a des grosses différences musicalement, notamment un groupe comme Meshuggah, la musique est hyper complexe mais ça reste du quatre-quatre tout le temps, ce sont juste des décalages et tout ça, alors que dans le prog, ce sont des mesures asymétriques et d’autres mises en place. Je ne peux pas dire que j’aime le djent, parce qu’il y a des éléments qui me font carrément chier, mais comme je disais, dans chaque style, je vais puiser ce qui me plaît. Et là, effectivement, j’aime le côté super tight des mises en place de la musique, ce travail guitare-basse-batterie, etc. Donc ça se rapproche du metal prog peut-être comme on l’a connu plutôt avec Dream Theater et Symphony X mais encore plus poussé et plus extrême au niveau de la mise en place et la précision. C’est ce côté-là que j’aime.
Parce que c’est très marqué rythmiquement, le côté djent…
Oui et d’ailleurs, c’est aussi le problème du djent, c’est-à-dire que beaucoup de groupes se ressemblent énormément. Mais c’est parce qu’il y a beaucoup de cordes à vide qui sont utilisées, avec des sauts d’octaves, etc., c’est un peu toujours la même technique de rythmique. C’est vraiment propre au style, donc effectivement, dès que tu fais ce genre de choses, ça sonne djent.
Tu disais que des éléments te faisaient chier dans le djent. Quoi par exemple ?
C’est bizarre, je savais que tu allais me poser cette question au moment où je l’ai dit ! [Rires] Le chant émocore, tout ça, ça me gonfle vraiment. Le côté un peu pleureuse… Tant pis si je ne me fais pas de copains, j’assume. Après, effectivement, le fait qu’il ait beaucoup de groupes qui restent sur le côté corde à vide, faire du zéro et muter, et donc tous les riffs sonnent pareils, et qu’au final, les groupes qui pour moi sont vraiment intéressants, il n’y en a pas dix-mille. Mon préféré, c’est Tesseract parce que là, il y a vraiment quelque chose qui se passe, il y a vraiment des ambiances énormes. Haken, qui n’est pas vraiment du djent, qui est plus du prog, mais qui a quand même quelques éléments. Pareil, c’est une musique super riche, que j’aime beaucoup. Periphery, je n’aime pas tout mais pareil, je retrouve certaines ambiances qui sont absolument géniales et des riffs absolument énormes, sans parler de la production qui déchire tout. Et Meshuggah parce que c’est tout simplement, déjà, la base, et que c’est juste la puissance, la noirceur et la violence absolue, et un son énorme. Meshuggah ça reste l’emblème, mais pour moi, ce n’est pas du djent et je pense que pour eux non plus. C’est du metal dans sa forme la plus… meshuggesque ! On ne peut même pas définir.
Sur Archangels In Black on pouvait retrouver une grosse influence de Pantera sur un morceau comme « Fear Circus », là c’est l’influence de Meshuggah qu’on retrouve. N’y a-t-il pas un côté « éponge musicale » chez toi ou bien c’est surtout de la curiosité de t’essayer à différents styles ?
« Eponge », dans le sens où quand j’aime un truc, effectivement, je pense que j’absorbe, et j’absorbe énormément d’informations tout le temps, et ça c’est un but. J’essaie de découvrir le plus de choses possibles et de m’inspirer de plus de choses possibles, tout le temps.
On entend de grosses voix death qui servent de chœurs sur « Darkness Machine ». Qui les fait ?
C’est un pote qui est à L.A. qui s’appelle Carl Bensley et qui a une voix qui déchire vraiment. J’avais besoin de growl dessus et je me suis dit « pourquoi je ne demanderais pas à Carl ? » Je lui ai demandé et il m’a dit « ouais, ça serait super cool ! Ça me ferait plaisir d’être sur l’album d’Adagio. » C’est juste pour amener un peu plus de puissance pour souligner certaines phrases.
Ce n’est pas avec ce chanteur que tu comptais faire un projet extrême ?
Si ! C’est toujours vaguement en tête mais là si je reprends Adagio, je vais essayer de… Parce qu’après une si longue absence, ça demande énormément de travail de repartir et bien refaire les choses, donc je n’ai pas envie de lancer cet album et remettre en stand-by pour faire encore un autre projet. Donc pour l’instant je me concentre là-dessus, mais oui, c’est toujours en tête.
Je me souviens que tu nous avais raconté l’anecdote par rapport au solo de basse qu’il y avait sur « Entering Sigma Scorpii » sur ton second album solo, comme quoi il avait été mixé super fort parce qu’à chaque fois Franck le trouvait trop bas…
Oui [rires], avec Kévin, nous nous sommes dit : « Putain, il nous casse les couilles avec le volume qui n’est jamais assez fort ! » Il me dit : « Tu sais quoi ? Attend, on va exagérer le truc ! » Et nous avons poussé le truc, mais c’est plus fort que tout, c’est plus fort que la batterie, c’est plus fort que la caisse claire ! Et quand il a écouté, il a dit : « Ouais, c’est pas mal, c’est cool. » [Rires] Il n’y a même pas eu : « Putain mais les gars, vous avez exagéré ! » Et donc ouais, c’est une anecdote rigolote, nous nous sommes beaucoup marrés avec ça.
Du coup, est-ce que tu dois toujours te battre avec lui sur ça ? Parce que pour le coup, on l’entend très bien sur l’album.
Oui mais là, c’était une volonté commune. Pour une fois, il y avait vraiment un super son de basse, bien présent. C’est plus que nous nous charrions, en fait, mais il n’y a jamais vraiment de conflit. Bon, avec Franck, nous nous engueulons hyper souvent mais dans la minute c’est oublié parce que nous nous connaissons depuis tellement longtemps et nous sommes tellement amis et tellement proches ! Nous sommes un peu les frères ennemis. Donc là-dessus, non, nous ne nous prenons pas la tête. Et puis là, nous voulions la même chose. Lui, tout ce qu’il veut, c’est qu’on entende ce qu’il joue quand même et d’avoir un bon son, ce qui est assez logique. D’ailleurs, la basse, c’est le seul instrument pour lequel j’écris la base, j’écris vraiment les notes pour qu’il ait l’harmonie du truc et après, il écrit toute sa partie. Parce qu’il est super inventif par rapport à toutes ces idées-là et la basse, c’est un instrument peut-être un peu moins mélodique à la base et qui est plus là en soutient harmonique, donc ça a moins d’incidence sur le travail mélodique que j’ai en tête. Mais lui, justement, a un côté super mélodique et technique, et il amène ce truc avec sa couleur à lui.
« Il y a toujours cette image : ‘Si t’es pas en bac, t’es pas crédible.’ Et en fait, c’est complètement obsolète aujourd’hui de penser comme ça. […] Mettre [l’album] en magasin, sachant ce que ça occasionne… Pour moi, c’est complètement n’importe quoi de faire comme ça, en tout cas dans ce style de musique et à cette échelle-là. »
Au sujet de l’album, tu as déclaré : « Selon moi il faut l’écouter comme on regarde un film, mais en fermant les yeux et en essayant de s’y immerger, complètement coupé du monde extérieur. » Tout d’abord, est-ce que ça veut dire que tu l’as vraiment conçu comme un film audio ?
Ouais. Dès le départ j’ai voulu créer quelque chose dans lequel on plonge. Donc c’est pour ça que j’ai énormément travaillé sur les atmosphères et les ambiances pour que, peut-être inconsciemment, ce soit assimilé à une musique de film, que ça nous plonge dans certains trucs et qu’on voit des choses en écoutant. Et j’ai tout le temps des images en tête lorsque je compose. Pour moi, l’audio et le visuel sont indissociables. L’un entraine l’autre. Les images m’inspirent de la musique et la musique m’inspire des images. Pour moi, les deux sont vraiment liés.
T’es-tu laissé influencer par des compositeurs de musiques de films et si oui, lesquels ?
Oui. J’aime beaucoup [Jerry] Goldsmith, [Steve] Jablonsky, John Williams forcément, [Alexandre] Desplat, [John] Carpenter qui est un réalisateur mais a fait toute la musique des films d’horreur qu’il a fait… Il y en a tellement, c’est un peu compliqué comme choix. [Elliot] Goldenthal aussi. Pareil, il y a des moments ou des passages qui vont m’inspirer et qui vont venir se graver dans ma boite à influences dans ma tête, je pense, et qui vont ressortir à un moment ou un autre, sous une forme ou une autre. Des fois, par exemple, une certaine ambiance dans un certain truc va me plaire et je vais essayer de la reproduire et la combiner avec autre chose. Généralement, c’est comme ça que ça marche.
Ensuite, tu disais qu’on ne peut pas écouter l’album en faisant autre chose, qu’il fallait s’y immerger…
Si, on peut mais c’est juste que ça risque d’être plus du bordel qu’autre chose, du coup, parce qu’il y a tellement d’infos. Ce n’est pas une musique super simple, enfin, je pense. Il y a des choses super directes et qui vont être fun à entendre pendant que tu fais autre chose, mais là ça n’a pas été pensé pour ça.
Ne penses-tu pas qu’on a un peu perdu cette pratique de l’écoute ?
Si. C’est pour ça que je le précise, justement. Parce que maintenant l’écoute est consommée de manière routinière, on écoute sans vraiment écouter. Là, ce n’est pas du tout conçu comme ça. Un morceau de Steel Panther, par exemple, tu ne vas pas l’écouter pareil qu’une pièce de [Pierre] Boulez ou [Olivier] Messiaen. Tu peux apprécier les deux, ça n’a aucun rapport. Par exemple, quand je suis chez moi et que j’ai envie d’écouter quelque chose sans vraiment réfléchir, je mets Aerosmith, parce que j’adore et que je ne réfléchis pas à ce qu’il se passe dans la musique. Mais si j’ai envie de plonger dans quelque chose et vraiment méditer, si je vais écouter du metal, je vais plutôt écouter Promised Land de Queensrÿche. Ça n’a pas la même profondeur. Ce que je veux dire, c’est que Steel Panther se veut léger, fun et festif, alors que Queensrÿche, surtout cet album, c’est quelque chose de beaucoup plus profond et qui demande plus de réflexion. Je parle de cet album parce qu’il est vachement fort pour moi mais ça peut être valable pour plein d’autres albums. Et donc, Life est effectivement plus pensé comme ça dès le départ que quelque chose pour faire la fête.
Du coup, à une époque du vite consommé où les gens ne prennent plus le temps de se poser pour écouter de la musique, n’est-ce pas prendre un risque que de proposer un album aussi exigeant avec l’auditeur ?
Comme je te disais, je m’en fous, en fait. Car à la base, je ne l’ai vraiment pas fait pour que ça plaise. La démarche est purement personnelle là-dessus. C’est-à-dire que je fais l’album pour moi, parce que j’en ai besoin. J’espère évidement que des gens vont l’aimer, vont suivre, vont adhérer et vont se retrouver aussi dedans. Mais ce n’est pas le but du tout, donc non, je n’ai pas peur d’avoir pris des risque par rapport à ça. Je n’ai pas pris de risque, en fait.
Est-ce qu’il n’y a pas aussi derrière une volonté de rééduquer à l’écoute ?
Non. Les gens font ce qu’ils veulent. Au contraire, l’important est que tout le monde soit épanoui, donc peu importe comment chacun trouve son épanouissement.
L’album sort sur Zeta Nemesis Records, tout comme ton second album solo. Pour le moment qu’est-ce que tu retires de cette expérience en indépendant ? Tu parlais en 2014 d’un pari qui risquait de te couter cher, notamment en termes d’accessibilité de l’album car tu avais tout misé sur Amazon, ta plateforme personnelle et la distribution en concert…
Avec un peu de recul et l’expérience des préventes de cet album, je me dis que, putain, c’est le meilleur choix que je pouvais faire ! C’est ultra compliqué à gérer, il faut gérer beaucoup plus de choses du coup, mais je suis super heureux d’avoir fait ce choix. Parce que j’ai les mains libres pour faire plein de choses, au niveau financier ça rapporte beaucoup plus, j’ai du contrôle sur les gens avec qui je veux travailler pour la promo, pour les visuels, pour les décisions de plein de choses. Quand t’es dans un label, il y a plein d’artistes, donc il ne pourra pas dédier autant de temps et d’énergie sur ton projet que toi tu peux le faire. Après, le problème, pour pouvoir le faire, il faut avoir l’expérience, avoir les contacts, savoir comment ça marche, avoir les fonds, avoir les idées… Donc ce n’est pas forcément évident mais, clairement, je suis super heureux d’avoir fait ce choix. Par contre, je suis content d’avoir commencé avec Enigma, qui était un projet plus simple et qui était un album instru, plutôt que directement avec Adagio, parce qu’honnêtement, je vois la différence, c’est beaucoup plus compliqué pour tout gérer.
Et l’album on va le retrouver dans les magasins ? Parce que ton album solo, je ne l’avais pas vu…
Eh bien, tu dois encore être le seul à aller en magasin acheter des disques aujourd’hui [petits rires]. Il va être chez Gibert parce que nous allons faire un deal avec eux. Mais c’est le seul truc en distribution physique où je vais le faire parce que c’est la seule chaîne de magasin où éventuellement il y a encore des gens passionnés qui vont peut-être aller chercher des disques de metal. Mais en Fnac où… J’allais dire Virgin mais ça n’existe même plus, en fait ! Ça devient significatif que les choses ont changé. Et le problème de cette distribution physique, c’est que les groupes n’osent pas parce qu’ils ont peur de se décrédibiliser. Il y a toujours cette image : « Si t’es pas en bac, t’es pas crédible. » Et en fait, c’est complètement obsolète aujourd’hui de penser comme ça. C’était peut-être valable il y a quinze ans mais aujourd’hui, qui ne commande pas sur Amazon ? Il y a plein de choses qui sont vraiment significatives du fait que ça fonctionne vraiment de plus en plus comme ça, par correspondance, ou sur les merchandisings de concert – car effectivement, si tu n’as pas ton CD sur un concert, c’est n’importe quoi. Mais le mettre en magasin, sachant ce que ça occasionne… Enfin, tout le monde n’est pas familier avec comment ça marche mais il y a des retours et ça coute beaucoup d’argent, etc. Donc pour moi, c’est complètement n’importe quoi de faire comme ça, en tout cas dans ce style de musique et à cette échelle-là. Après, quand c’est des beaucoup plus gros groupes ou de la pop, oui, ça vaut le coup. Johnny ou Céline Dion, s’ils ne sont dans les bacs de CD à Carrefour, ça ne sert même plus à quoi que ce soit qu’il y ait des bacs de CD à Carrefour, mais parce que ça va toucher tellement de gens, tout le monde connait ces artistes-là. Donc là, ça vaut le coup, mais sur un truc metal, à moins que ce soit Rammstein, AC/DC, Metallica, ça ne sert absolument à rien. À part au Japon, où ils sont toujours passionnés par l’objet, ça continue à vendre beaucoup de CD et d’objets physiques. Donc, pour préciser, pour se procurer le CD à la sortie, ce sera sur Amazon dans le monde et sur le site d’Adagio – www.adagio-online.com -, et du coup à Gibert dans toute la France aussi.
Interview réalisée par téléphone le 1er juillet 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Matthis Van Der Meulen & Nicolas Gricourt.
Photos : Martial Lenoir (1, 2, 4 & 6) & Perrine Perez Fuentes (3, 7 & 9).
Site officiel d’Adagio : www.adagio-online.com.
faut qu’il sorte ce gars-là . Des disques cd ou vinyls se vendent encore . La preuve , même les Leclerc développent leurs rayons . d’ailleurs , ils proposent les dernières ré-éditions de Celtic Frost en vinyls ; on est très loin de Dion ou de Smet.
Lu l’interview un peu en diagonale : quel melon, ce mec ! ce discours perfectionniste , Malmsteen nous l’a fait pendant des années , on voit le résultat. Le type nous explique jusqu’ à comment écouter son album . J’aurai le droit de m’asseoir ou pas, svp ? Merci aussi de nous indiquer le type de matériel audio qu’il faut se procurer pour se plonger dans ce chef d’oeuvre . Sans rire .
Plus sérieusement , les excellents Chaos Divine et Circus Maximus produisent de très bons albums de Prog Metal eux aussi sans pour autant vouloir refaire le monde comme ça. Faut garder les pieds sur terre . En cherchant un peu, on trouve de bonnes productions toutes les semaines, voire des très bonnes.Merci Internet . Leur album sera noyé dans la masse , comme les autres. Avec ou sans Forté.
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« Eh bien, tu dois encore être le seul à aller en magasin acheter des disques aujourd’hui »
On est au moins deux. Et je trouve ça super dommage que ça se perde 🙁
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3 ! mais quand je vois une album a 18 euros en magasin et deux fois moins sur internet, je dis pas non non plus.