« Merci, c’était ma toute première interview en tant que bassiste officiel de Periphery, ça fait quelque chose » concluait le fraîchement arrivé Adam « Nolly » Getgood d’une voix émue et joviale à la fin de cette interview. L’homme a beau n’être membre à part entière de Periphery – un choix qui l’a forcé, non sans difficultés, à quitter son groupe d’amis Red Seas Fire – que depuis quelques semaines, il connaît parfaitement l’histoire du groupe, étant leur ami, bassiste de scène et producteur de longue date. Lui qui contribuait avec un regard extérieur à la musique du groupe se retrouve maintenant impliqué « de l’intérieur », au risque – dont il a conscience – de perdre ce recul.
Le nouvel album de Periphery sortant le 16 juillet prochain est le premier à avoir été véritablement composé en groupe, à l’inverse du premier, quasiment entièrement écrit par le guitariste Misha Mansoor. Adam Getgood nous parle de ce que cette évolution dans le processus implique. Et il nous parle aussi de la suite, puisque le groupe prévoit de travailler bientôt sur l’album-concept Juggernaut, exercice de style qui pourrait avoir un impact direct sur la musique de Periphery.
Nous avons également abordé avec Nolly l’émergence, voire l’explosion du mathcore depuis quelques années, un style pourtant peu évident à appréhender.
Radio Metal : Il y a quelques jours, tu as révélé que tu avais rejoint Periphery en tant que membre permanent. Tu as joué les parties de basse sur le nouvel album, Periphery II: This Time It’s Personal, que tu as également co-produit, mais as-tu participé au processus d’écriture de celui-ci ?
Adam « Nolly » Getgood (basse) : En termes d’écriture de chansons, non, pas vraiment : j’étais chargé des parties de basse. Au départ, j’étais là surtout pour co-produire l’album mais quand l’enregistrement a commencé, tout a été modifié. Sur les démos, les parties de basse étaient très brutes et suivaient les lignes de guitare, mais pendant l’enregistrement, j’ai essayé beaucoup de nouvelles choses et les lignes de basse s’en trouvèrent souvent modifiées. J’ai apporté un peu de ma personnalité à l’album, comme dans les arrangements, mais en ce qui concerne le travail d’écriture, tout le crédit est à mettre au reste du groupe.
Comme tu étais un ami du groupe depuis longtemps, le fait de te choisir comme bassiste a dû leur apparaître évident. Mais ont-ils tout de même cherché à recruter d’autres bassistes ?
Cette histoire est vraiment marrante car, pour être honnête, je ne pense pas qu’ils étaient si pressés que ça d’engager un autre bassiste. Ils avaient toujours apprécié le fait que je les avais toujours aidés quand je le pouvais, comme Jeff (NDLR : Jeff Holcomb, bassiste de session sur certains live) en ce qui concerne les tournées et donc ils étaient vraiment disposés à m’engager. Je pense que la raison pour laquelle nous nous sommes mis d’accord sur cette décision concernant le groupe, c’est qu’ils voulaient que je sois un membre qui puisse composer, ce qui m’intéressait aussi beaucoup, soit dit en passant.
En tant que producteur, tu sais prendre du recul sur la musique. Penses-tu que cela puisse être un plus que tu apportes au groupe ?
Oui, j’aimerais le penser. Lors de l’enregistrement de l’album, nous n’étions pas du tout conscients du fait que j’allais bientôt rejoindre le groupe et donc j’avais un point de vue plus extérieur sur la musique, ce qui a plutôt été positif. La prochaine fois, ce sera intéressant de voir ce que cela va donner de « l’intérieur ». J’aimerais croire que je serais capable de prendre du recul sur l’ensemble et le juger en tant que producteur. Misha (NDLR : Misha Mansoor, guitariste de Periphery), qui est un producteur fantastique et avec qui j’ai produit l’album, est capable d’avoir cette attitude : par exemple, il peut le faire sur ses propres compos. Mais oui, je devrai jouer ce rôle dans le futur.
Ne risques-tu pas de perdre cette objectivité maintenant que tu es un membre permanent ?
C’est possible, oui. Je ne vais pas mentir ! (rires) Nous verrons ce que cela va donner. Sur les prochains albums, nous travaillerons probablement avec notre ami Taylor (NDLR : Taylor Larson, ingénieur du son sur le dernier album) : ainsi, ce point de vue extérieur sera toujours présent. Mais ce sera intéressant de voir ce qui va arriver ! J’essaierai de garder cette objectivité mais peut-être as-tu raison et que je serai trop investi.
Le nouvel album a pour titre « Periphery II: This Time It’s Personal ». Cela veut-il dire qu‘au niveau des paroles, ce disque est plus intimiste ?
On pourrait le dire, oui, mais c’est plus du second degré. On ne se prend pas au sérieux et le titre de l’album est un clin d’œil à un film d’action hollywoodien très cliché. Cependant, cet album s’est révélé plus personnel pour Spencer (NDLR : Spencer Sotelo, chanteur de Periphery), car il a écrit toutes les paroles des chansons. Avant, il arrivait à la dernière minute et pratiquement toutes ses parties vocales étaient déjà écrites. Ainsi, un des grands changements de cet album, c’est le lien émotionnel entre Spencer et ce qu’il chante. Je crois qu’on peut vraiment le ressentir à l’écoute de l’album.
Tu as dit que cet album était très personnel pour Spencer mais, dans le même temps, cet album a été composé par tous les membres du groupe : c’est un paradoxe intéressant, ne trouves-tu pas ?
Oui, bien sûr. Le premier album, donc avant que Spencer rejoigne le groupe, c’était surtout la vision musicale de Misha, avec peu de contribution des autres membres au niveau des parties vocales. Cette fois-ci, cela a été un véritable travail de groupe. Certaines chansons sur l’album, comme « Froggin’ Bullfish » ou « Make Total Destroy », venaient de Misha à la base mais tout le monde y a participé. Mark (NDLR : Mark Holcomb, guitariste de Periphery) a rejoint le groupe depuis peu mais il a tout de suite apporté sa pierre à l’édifice en composant des riffs. Dans ce cadre, la chanson « Scarlet » est vraiment la sienne. Sur le premier album, une chanson fut le résultat d’un travail entre Misha et Jake (NDLR : Jake Bowen, guitariste et clavier de Periphery) : « Race Car ». Si vous écoutez cette chanson, vous pourrez vous rendre compte du travail de Jake sur le nouvel album.
Néanmoins, cela n’a-t-il pas été frustrant pour lui de faire des compromis ?
Je peux comprendre que l’on pense cela car Misha a écrit tout le matériel à l’origine et donc on pourrait considérer qu’il souhaiterait que cela restât ainsi. Mais si tu parlais avec Misha – et je le sais pour en avoir parlé avec lui – tu verrais combien il est heureux de cette nouvelle situation. Misha a toujours eu de grosses responsabilités sur ses épaules et il a toujours pensé que les choses pouvaient être un peu trop unidimensionnelles si une personne s’occupait seule de tout. En ce qui le concerne, il a été vraiment content de voir le groupe contribuer tant à la musique. Il ne s’inquiète plus de savoir d’où la musique peut venir maintenant. Cela lui permet d’être plus objectif. En fait, je crois qu’il n’y a pas eu de problèmes lors de la composition des morceaux.
Le titre de la chanson « Facepalm Mute » sonne un peu comme un nom de version de travail d’une démo : quelle est son histoire ?
Oui, le titre ressemble vraiment à celui d’une démo ! En fait, c’est un fan qui nous l’a suggéré et comme on a trouvé cela vraiment marrant, on l’a gardé. C’est aussi une petite critique du mouvement « djent » et de ce que nous pensons de celui-ci et de sa technique de guitare particulière. On a trouvé ça drôle. Au début, beaucoup de chansons du nouvel album possédaient des titres assez bizarres que nous n’avons pas gardé : « Facepalm Mute » étaient l’une d’elles. Ce fut l’exception.
On a l’impression que les groupes jouant du mathcore, et en règle générale de la musique très technique, sont de plus en plus populaires. Comment expliques-tu le fait qu’une musique aussi difficile à appréhender rencontre plus d’audience ?
Je ne sais pas ! (rires) C’est une drôle de chose. En ce qui concerne l’auditeur, ce style de musique est véritablement basé sur le groove. Une grosse partie de notre album est composé en 4/4 et possède un rythme solide : même si tu ne comprends pas les rythmiques syncopées dans leur ensemble, tu peux toujours trouver quelque chose qui te fera bouger la tête. Et ça, c’est universel. C’est super de voir que beaucoup de gens se mettent à jouer de la musique technique afin de développer leur musicalité, au lieu de se contenter de musique extrêmement simple. Non que la musique simple ne soit pas intéressante, non, mais ce qui commence à sortir de cette scène musicale est vraiment positif. Voir des jeunes prendre leurs instruments pour les emmener à un niveau supérieur, c’est quelque chose de cool.
Lors de festivals, quand on assiste à des concerts de groupes stoner tels que Down ou Crowbar, on peut voir d’autres groupes issus de cette scène regarder le show du côté de la scène. Est-ce que cette solidarité s’exprime aussi entre vous et d’autres groupes de la scène mathcore comme Tesseract, Protest The Hero, Between The Buried And Me ?
Oui, beaucoup. Ce style musical est né de la culture Internet : beaucoup d’entre nous connaissent les autres groupes et leurs membres juste par Internet. On ne se rencontre pas souvent mais lorsque cela nous arrive, notamment lors de concerts, c’est toujours cool d’aller discuter avec des personnes avec qui tu as échangé pendant pas mal de temps et voir ce qu’ils donnent live. L’atmosphère est sympa car à chaque fois que tu vois un groupe jouant le même style que le tien, tu es plus attentif et c’est naturel de le regarder du côté de la scène. Ce qui est vraiment cool dans cette scène, c’est que beaucoup de gens sont sympas : on a beaucoup d’amis dans ces groupes.
Il y a une chanson sur l’album qui s’appelle « The Gods Must Be Crazy ! ». Est-ce une manière de dire que si le monde est devenu fou, c’est que les dieux eux-mêmes sont devenus fous ?
On n’a pas nécessairement cherché à dire cela, mais cela peut être un bon thème pour la chanson, oui.
Dans le clip vidéo “Make Total Destroy”, on peut voir des robots géants sortir de terre et détruire tout sur leur passage. Est-ce un futur que tu prédis pour notre civilisation ?
Je crois que plus que toute autre chose, c’est un concept qu’on adore. On aime la science-fiction et ce genre de trucs. En fait, le concept n’est pas venu de nous : c’est Wes Richardson, l’excellent producteur et réalisateur du clip, qui nous a proposé ce concept. On a vu ce que nous pourrions en faire et on s’est décidé pour cela car nous trouvions ce truc très cool. Ce concept s’adaptait très bien aux paroles de la chanson qui parlent d’être contrôlé par des forces inconnues.
Il y a quelques mois, vous avez publié sur votre page Facebook que Periphery sortirait deux albums et que le deuxième serait un concept-album du nom de Juggernaut. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui, bien sûr. Au départ, nous devions entrer en studio et enregistrer l’album. Mais quand l’opportunité de jouer avec Dream Theater s’est présentée, nous avons changé nos plans. Juggernaut n’a pas encore été enregistré mais il est très présent en nous car nous savons ce que nous voulons faire. On met beaucoup de nous-mêmes dans cet album. En septembre, je m’envole vers les États-Unis, car je vis en Angleterre, pour des sessions d’écriture. Cet album-concept est basé sur un thème abordé dans la chanson « Jetpacks Was Yes ! » sur le premier album : les responsabilités qu’entraîne le fait de devenir immortel. Il y a une vidéo de cette chanson, d’ailleurs. Cet album sera intéressant mais je ne veux pas trop en dire. Toutefois, il sera extrême dans le sens où beaucoup de styles différents cohabiteront : de l’ambient, de l’électro, des trucs pop, mais aussi les trucs les plus heavy que Periphery ait jamais composé. Tout cela sera dicté par l’histoire que nous sommes en train d’écrire.
Quelle est l’histoire derrière Juggernaut ?
On est toujours en train d’y travailler. Nous souhaitons d’abord écrire l’histoire et ensuite relier la musique à celle-ci, un peu comme pour un opéra. Vous aurez plus d’infos lorsque l’album sortira : je ne veux pas trop en dire à ce sujet.
Penses-tu que le fait d’écrire un album-concept aura un impact sur votre manière de composer ?
Je le pense : c’est une expérience intéressante d’écrire tout d’abord l’histoire, puis la musique qui s’adaptera à celle-ci. C’est une chose à laquelle je me suis toujours intéressé, plus que de rester devant une page blanche en attendant que l’inspiration te vienne d’on ne sait où. Être porté par une histoire, avoir des personnages créés de celle-ci est quelque chose que nous n’avons jamais fait : nous sommes impatients d’explorer ce nouveau champ de création. Juggernaut sera vraiment différent de tous nous autres albums.
Il y a quelques guests sur l’album : John Petrucci, Guthrie Govan ou Wes Hauch de The Faceless. Comment avez-vous eu l’idée de les contacter ?
C’était plus un truc du style : « Ne serait-ce pas cool si on pouvait avoir X sur l’album ? ». Wes est un ami du groupe depuis longtemps, ainsi c’était un choix évident. C’est un guitariste incroyable mais très sous-estimé, c’est pourquoi nous avons voulu lui donner la possibilité de montrer ce dont il était capable. John Petrucci est bien sûr une grosse source d’inspiration et un des meilleurs guitaristes au monde. Lorsque l’opportunité s’est présentée lors de notre tournée commune, tout le monde a sauté dessus ! C’est un grand honneur car John n’a pas beaucoup fait de trucs de ce style pour d’autres artistes. Guthrie, pour moi, est un des meilleurs guitaristes au monde. Jan, notre manager, a fait un super boulot : il a contacté Guthrie sans en avoir parlé avant au groupe. Cela a été un moment incroyable lorsque nous avons reçu un e-mail de Guthrie nous disant qu’il jouerait sur notre album !
Ont-ils composés leurs solos ou ceux-ci étaient-ils déjà écrits avant ?
Ils ont eu carte blanche. Chacun d’entre eux possède un son et un style très distinctif et c’est ce que nous voulions pour l’album. En ce qui concerne Wes et Guthrie, nous leur avons envoyé des démos des chansons que Misha avait déjà réalisées afin qu’ils puissent écrire puis enregistrer leurs parties. Avec John, ce fut différent : Jake est allé le voir avec son ordinateur portable et a passé une journée avec lui dans une chambre d’hôtel où John a écrit le solo et l’a enregistré. C’est leur travail et ce que nous désirions avant tout.
Tu as un autre groupe, Red Seas Fire. Vas-tu continuer à jouer avec eux maintenant que tu as rejoins Periphery ?
Malheureusement, ma décision a eu des conséquences et c’est ce qui l’a rendu difficile. Les gars de Red Seas Fire font partie de mes meilleurs amis et même si, durant ces dernières années, j’ai eu beaucoup à faire avec Periphery, j’ai toujours essayé de rester loyal envers eux. Mais je crois que cela ne serait pas très correct de jouer dans deux groupes à la fois à plein temps : j’ai donc dû quitter Red Seas Fire. Toutefois, j’ai été heureux de constater que ma décision n’a pas eu l’air de les déranger. Ils continueront à quatre, avec un guitariste, Pete. Je crois qu’ils sont en train d’écrire de nouveaux morceaux et c’est super. Cette décision aurait pesé sur ma conscience si les choses n’avaient finalement pas tourné aussi bien. Je continuerai à les soutenir et, à l’heure actuelle, nous réenregistrons le premier mini-LP, car nous voulons qu’il soit différent. Robin (NDLR : Robin Adams, chanteur de Red Seas Fire) va aussi réenregistrer des parties de chant. Je continuerai à tourner avec Red Seas Fire et à les aider du mieux que je peux jusqu’en octobre prochain et la tournée avec Periphery.
Quel a été le facteur déterminant de ton choix entre les deux groupes ?
Pour moi, rejoindre Periphery était un choix évident : j’ai beaucoup tourné et composé avec eux, j’ai vu de quoi ils étaient capables. Je ne me suis pas « vendu » à un groupe à succès : j’ai simplement l’opportunité de faire de mon amour pour la musique une carrière à part entière. D’un point de vue musical, c’est comme ça que je l’analyse. Cela apparaîtra à certains comme une attitude cynique, peut-être, mais c’est ainsi que les choses doivent être si je ne veux pas être obligé de chercher un travail complètement différent pour vivre.
Interview réalisée le 5 juillet 2012 par téléphone
Retranscription et traduction : Jean Martinez – Traduction(s) net
Page Facebook de Periphery : www.facebook.com/PeripheryBand
Album : Periphery II This Time It’s Personal, sortie le 16 juillet 2012 via Century Media Records
Petite erreur dans l’introduction: le guitariste et fondateur du groupe s’appelle Misha Mansoor, et non Misha Moor 😉
[Reply]
C’est corrigé. Merci.