Le son des abysses… si profond, englobant et tumultueux, voilà bien une source d’inspiration exemplaire pour un son de funeral doom des plus massifs. Les océans, Daniel Droste, chanteur-guitariste des Allemands d’Ahab, en a fait plus qu’une passion, mais un élément essentiel de sa vie pour se relaxer de la brutalité du monde moderne. Comme y reposent les origines de la vie, c’est là qu’il trouve le retour aux sources nécessaire pour avancer. Petit, il se promenait au bord de la Baltique pour y trouver des fossiles de cette ère primitive ; adulte, il trouve aux bords des océans le calme et la sérénité. Ahab, tiré du nom du capitaine dans le roman d’Herman Neville, Moby Dick, c’est donc une histoire d’eaux, et de littérature fantastique maritime. The Boats Of The Glen Carrig, titre de leur dernière offrande au somptueux artwork, évoque le roman noir de 1907 de William Hope Hodgson, où un équipage du XVIIIème siècle affronte les horreurs de la Mer des Sargasses, un cimetière marin où vivent monstres aquatiques et créatures en formes de poulpes géants, quand le premier opus The Call Of The Wretched Sea reposait sur Moby Dick et The Giant narrait le personnage d’Edgar Allan Poe, Arthur Gordon Pym Of Nantucket.
Ahab joue le jeu des contrastes pour fomenter l’élaboration de son univers sombre et tortueux, comme les gouffres marins. Les notes éthérées de « The Isle », premier morceau de ce quatrième album, sont là pour préparer au mieux la plongée abyssale qui aura lieu pendant les six imposants titres (chacun durant entre sept et quinze minutes !). La voix douce et délicate, évoquant la tranquillité océanique, vient en opposition immédiate avec le guttural représentant la dureté de ce milieu, et ce dès le début, le schéma se répétant plusieurs fois, comme ce fut déjà le cas sur les opus précédents. Ahab plonge la tête de l’auditeur toujours plus profond, dans une longue et lente descente vers les abîmes, chaque fois plus marquante ; ils lui laissent toutefois reprendre son souffle à l’air libre par intermittences salvatrices, où la tension se relâche avec quelques notes de guitares et une batterie allégée.
« Like Red Foam », plus énergique et rapide que la moyenne des titres d’Ahab, véritable champ d’exploration expérimentale qui en fait un morceau véritablement à part dans la discographie du groupe, donne l’occasion d’écouter quelques variations intéressantes du chant guttural, avant des incartades mystiques et mélodiques vers la fin du titre. Voilà bien la grande force de Ahab et de ce The Boats Of The Glen Carrig : présenter, tels différents tableaux dans un ensemble, des variations sur le même thème, à l’aide de subtilités d’arrangements, d’une multitude de sons de basse et de guitares différents, et des voix originales dans un monde du doom parfois un peu stéréotypé. On retrouve un doom funéraire plus traditionnel à partir de « The Weedmen », point d’orgue de l’opus, lente et sombre agonie des profondeurs d’une quinzaine de minutes à l’excentricité dévastatrice, qui s’affirme complètement à mi-chemin avec un riff breaké ravageur et, encore une fois, quelques vocalises expérimentales.
Magnifiquement déprimant et torturé jusqu’à son terme ultime, l’exquis « The Light In The Weed » parfois si aérien, on coule à chaque seconde, on flotte parfois avec délice, mais on subit surtout les assauts répétés de rythmiques lourdes et lentes dévastant tout sur leur passage. Ahab livre ici son offrande la plus complexe, à découvrir dans des conditions qui permettent de déceler tous les artifices subtils de cette nouvelle riche évocation de littérature nautique.
Ecouter l’album en écoute intégrale et regarder les clips des morceaux « The Isle » et « Like Read Foam (The Storm) » :