La base, et même le concept, de la musique d’Alcest, c’est le voyage dans un autre monde, dans une autre vie, dans un souvenir. Et pour cause, « c’est un projet que j’ai monté pour parler d’une expérience que j’ai vécu quand j’étais gamin, » nous expliquait Neige, la tête-pensante du duo. « C’est un projet qui est très basé sur le spirituel. Enfant, j’avais des espèces de visions ou de souvenirs de l’endroit dans lequel j’aurais pu être avant d’être sur Terre. La musique me permet ainsi de parler de cette expérience là que j’ai eu et qui m’a marqué à vie et a changé ma manière de voir les choses. » Alors même quand il s’éloigne de cette expérience, il n’est pas étonnant de le voir puiser son inspiration dans une culture aussi éloignée de la nôtre qu’est celle du Japon, pays pour lequel déjà en 2013 il évoquait sa fascination après une première tournée là-bas.
C’est donc un autre genre de « souvenir d’un autre monde » que Neige partage avec nous avec Kodama, subtilement inspiré du pays du soleil-levant, et plus spécifiquement du film Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki, comme avec le rapport de ce peuple et cette oeuvre à la nature dont il se sent proche, mais aussi une certaine dualité qui caractérise ce nouvel opus. Neige nous en parle de long en large dans l’entretien qui suit, dérivant sur des questions de spiritualité toujours intéressantes, évoquant ses influences, y compris dans sa propre discographie puisqu’on retrouve dans Kodama des clins d’oeil à son emblématique Écailles De Lune (2010), mais également expliquant le retour du chant black metal, après avoir affirmé que s’en était fini…
« [Le Japon] c’est un monde à part et dans Alcest, en plus, j’ai toujours parlé du fait de s’extirper de la réalité et du monde réel. Ce côté ‘autre monde’ me plait vachement, ça m’a inspiré pour Kodama. »
Radio Metal : En février 2013, alors que tu venais tout juste de terminer les paroles de Shelter, tu nous avais dit que tu étais déjà en train de travailler sur le prochain-prochain album, soit celui qui est devenu Kodama aujourd’hui. Ce qui signifie que ça fait trois ans que tu planches dessus. Comment est-ce que cet album a évolué depuis ? Est-ce que tu avais déjà la vision de ce que l’album allait devenir ?
Neige (chant, guitare, basse, claviers) : Oui, c’est assez marrant parce que c’est toujours comme ça, je commence toujours les albums assez en avance par rapport à l’enregistrement et à la sortie. J’ai toujours des morceaux qui traînent, en fait. Même pendant l’enregistrement de Shelter j’avais déjà des idées, ça ne s’arrête jamais. Du coup, je pense que quand nous nous étions parlé je devais juste avoir le morceau « Untouched », c’est aussi pour ça que c’est le morceau qui se rapproche le plus de Shelter sur Kodama, j’étais peut-être encore dans le mode Shelter. Après, je ne pense pas qu’à cette époque-là j’avais une vision complètement précise de ce qu’allait devenir l’album mais je savais déjà qu’il allait être beaucoup plus pêchu et un peu plus sombre.
Trois ans c’est long. Est-ce que tu n’as pas eu peur au final, qu’au moment où tu sortirais cet album il ne corresponde plus à là où tu en es personnellement et émotionnellement ?
Complètement, c’est un peu ça le problème. Maintenant, tu vois, l’album n’est pas sorti et je suis déjà, quelque part… Ce n’est pas que je suis passé à autre chose mais c’est exactement ça le problème, tu as bien soulevé le truc. Après, je ne suis pas trop dans la spontanéité dans la composition, je préfère vraiment écrire peu de choses mais les peaufiner parce ce que j’ai tout le temps énormément de riffs et j’en garde très peu. J’écrème en fait au maximum et du coup c’est pour ça que j’ai besoin en général de commencer assez tôt. Tu vois, par exemple, au bout de trois ans finalement ça fait un album de quarante-deux minutes. Bon, il y a un titre en plus que nous avons enregistré mais qui n’est pas sur l’album, mais ça ne fait pas énormément de musique, je préfère que ça soit court mais le plus travaillé possible. Mais oui, c’est sûr que ça fait bizarre. Là déjà, ce n’est pas que je suis passé à autre chose parce que ce n’est pas vrai, je suis encore dans l’album, mais il va falloir que je me remette dedans.
Tu viens d’évoquer un titre en plus qui n’est pas sur l’album, pourquoi ?
C’était prévu qu’il soit sur l’album, c’est juste que nous nous sommes fait une écoute des pré-mixes, car c’est important quand tu as tous tes titres de faire une écoute pour voir si dans l’ordre, tel que ce sera sur l’album, tout va bien, si nous nous ne sommes pas chiés à un moment, que tout s’enchaîne bien… C’était le titre à la place d’ »Onyx », c’était un morceau un peu post-rock, beaucoup plus calme… Je ne sais pas, ça n’a pas fonctionné dans le cadre de l’album. Du coup, nous l’avons isolé, il sera donc en CD bonus sur une édition spéciale qui sortira chez Prophecy et c’est beaucoup mieux comme ça.
Le nom de l’album signifie soit « esprit de l’arbre » soit « écho » en japonais. Qu’est-ce que ces termes t’évoquent ?
L’esprit de l’arbre c’est quelque chose qui fait un peu partie de l’univers d’Alcest parce que j’ai toujours parlé d’esprit, de spiritualité, de choses qui s’inscrivent dans ces domaines-là. Concernant l’arbre, la nature a toujours été très importante pour moi, elle m’a toujours beaucoup inspiré, j’y fais toujours plus ou moins référence dans mes paroles, même si nous ne sommes un groupe qui parle uniquement de ça. Nous ne sommes pas un groupe écolo non plus mais disons que c’est quelque chose qui m’a toujours inspiré. L’esprit de l’arbre reste quand même dans le contexte des thèmes assez classiques d’Alcest. L’écho, je ne sais pas, peut-être parce que l’album pourrait faire écho à certaines choses que nous avons pu faire avant. En même temps, je pense que l’album apporte beaucoup de choses nouvelles aussi. Mais c’est avant tout pour la sonorité. C’est comme les gens qui me demandent « pourquoi Alcest ? », ils s’imaginent que j’ai une explication hyper détaillée mais non, c’est juste que j’aime la façon dont ça sonne. Kodama c’est un peu pareil, j’aime beaucoup le fait que ça soit un nom court, japonais donc un petit peu étrange, que l’on n’a pas l’habitude d’entendre tous les jours, et qui fait référence au Japon et à certaines choses qui m’ont inspiré pour cet album.
Le Japon a en effet été une grande inspiration pour cet album. Quelle relation entretiens-tu avec ce pays ?
Ma relation, c’est un peu comme beaucoup de gens de ma génération qui ont grandi avec les mangas, les jeux-vidéo, disons que j’ai un petit côté geek en moi depuis toujours [rires]. Le manga ce n’est pas tellement ce qui est le plus important, c’est surtout que ça a permis, je pense, à beaucoup de gens de s’intéresser à cette culture, avec laquelle nous avons à la fois beaucoup de points communs et beaucoup de choses très différentes aussi. Je pense qu’il y a beaucoup de français qui sont fascinés par le Japon. C’est aussi le fait d’y être allé deux fois avec Alcest, après toutes ces années de rêves de Japon, de se demander « comment c’est là-bas ? », « est-ce que c’est vraiment comme dans les mangas ? » Le fait de le voir de mes propres yeux, ça m’a mis une sacrée claque, en fait. Le fait aussi de se rendre compte que nous sommes sur la même planète et qu’à la fois c’est un monde complètement différent, que ce soit culturellement, au niveau de leur philosophie, de leur comportement en société, de leurs codes… Tout est extrêmement différent d’ici. Quand on va au Japon il faut vraiment essayer de s’adapter, même si c’est très difficile. Même pour les gens qui vivent au Japon depuis des années, apparemment ils ne sont toujours pas considérés comme des vrais japonais. C’est un monde à part et dans Alcest, en plus, j’ai toujours parlé du fait de s’extirper de la réalité et du monde réel. Ce côté « autre monde » me plait vachement, ça m’a inspiré pour Kodama.
En 2013, tu nous disais déjà que depuis toujours tu rêvais d’aller au Japon. Est-ce que ça a été conforme à ce que tu imaginais et à ce à quoi tu t’attendais ? Parfois on peut rêver de quelque chose et être déçu…
Oui, c’était vraiment conforme. C’était même « encore pire » que ce que je pensais ! [Rires] Il y a deux endroits sur Terre qui m’ont fait cet effet-là, l’Islande et le Japon. Ce sont deux îles, donc il y a peut-être quelque chose à voir par rapport à ça. La première fois que nous y sommes allés ça m’a vraiment plu et marqué, mais aussi le fait d’y retourner une deuxième fois… Parce que la deuxième fois nous y avons fait plus de tourisme, nous avons joué dans des temples, goûté encore plus de nourritures différentes, nous nous sommes vraiment imprégnés de la culture japonaise et du Japon. C’est sûr qu’en tant que musicien ça inspire vraiment, même si l’album ne parle pas du Japon, il n’y a pas de texte qui en parle ou de musique traditionnelle, c’est juste l’aura. Je voulais plus donner à l’album une espèce d’aura un peu japonaise par rapport à la pochette et au titre, que de réellement faire un album japonais, car la musique reste du Alcest.
« L’univers d’Alcest est assez lumineux et en même temps on a vécu des moments tellement difficiles à Paris ces derniers temps qu’il y a forcément une part de ténèbres qui a réussi à s’infiltrer dans l’album. Il y a plein de dualités qui se sont créées autour de l’album, tout y est très conflictuel, il y a plein d’univers contradictoires qui vont entrer en collision. »
Je sais que tu apprécies la spiritualité japonaise. Qu’est-ce que tu aimes chez elle par rapport à la spiritualité des religions qu’on connaît par chez nous ?
Déjà je pense qu’ils ont un lien plus fort avec la nature, un respect de la nature et de l’environnement. Bon, c’est assez paradoxal car ils ont aussi une culture qui est très technologique, très moderne, mais parallèlement à ça ils ont aussi un respect profond de la nature et des traditions ancestrales. Il y a des choses au Japon qui n’ont pas changé depuis des millénaires. Deuxième chose aussi, c’est leur rapport à la mort, qui est je trouve beaucoup plus sain que ce que l’on peut avoir nous. Par exemple, pour eux c’est juste le passage d’un état à un autre, il n’y a pas de fatalité comme ici, de tabou, de malaise… Par exemple, nous avons été hébergés dans la maison du chanteur du groupe qui ouvrait pour nous – c’était eux qui s’occupaient de nous au Japon, qui faisaient le lien entre nous et le pays, parce que eux parlent japonais, pas nous, ils comprennent les codes, tout ça… Et du coup, chez lui, il y avait un petit hôtel où il gardait les cendres de son grand-père, et quand il passait devant il le saluait, comme s’il faisait partie de la maison. Je trouvais ça formidable, je trouvais ça incroyable, par rapport à nous. Là j’ai une image, par exemple, en Italie les pleureuses qui sont au cimetière pour montrer le plus de détresse possible, c’est à l’opposé de ça en fait. C’est une relation vraiment différente.
Apparemment, plus spécifiquement, l’album puise l’origine de son inspiration dans le film « Princesse Mononoké » d’Hayao Miyazaki. Qu’est-ce qui fait te sentir proche de cette œuvre ?
Oui, ça a été un peu le déclic au niveau du concept de l’album. Enfin, ce n’est pas un album concept mais c’est un [film] qui a un petit peu donné vie aux thèmes que j’allais aborder dans les paroles, enfin, au moins à certains d’entre eux. J’adore dans ce film la confrontation qu’il peut y avoir entre la nature et le monde des humains, sans qu’il y ait forcément de bons ou de mauvais côtés ; comme dans tous les films de Miyazaki, il n’y a jamais de bons ou de méchants, il y a toujours des qualités et des défauts dans les deux camps et c’est aussi très japonais ça. C’est aussi ce que j’adore dans ses films, ce n’est pas manichéen comme ce que l’on peut voir dans le cinéma américain, après il y a de très bonnes choses aussi mais disons que je trouve ça un peu plus intelligent, plus sage. Cette cohabitation brutale entre la nature et le monde des humains qu’il y a dans ce film est très d’actualité. Je trouve qu’on est très occupés par nos petits problèmes, par nos guéguerres, par nos religions, les problèmes politiques… Et on a tendance à vite oublier qu’autour de nous, autour de nos villes et de nos microcosmes, il y a la Terre et l’endroit dans lequel on vit dont on ne prend pas soin du tout, et si ça continue comme ça on ne va pas faire long feu. Il y a beaucoup de gens qui l’oublient. C’est vrai que c’est quelque chose qui est très présent, dans tous les films de Miyazaki il y a cette problématique, sans forcément dénoncer de manière catégorique mais ça soulève la question : « Qu’est-ce qu’il va se passer si on continue comme ça ? » C’est quelque chose qui m’a vachement plu dans ce film, ainsi que le personnage féminin principal, San, le fait qu’elle soit en guerre contre les humains mais qu’elle soit humaine elle-même. J’ai trouvé ça très beau, très fort, et la féminité de manière générale est quelque chose qui m’a toujours inspiré aussi dans Alcest. L’univers d’Alcest est quelque part un univers qui est à la fois féminin et très puissant, et je trouve que ce personnage exprime ça très bien justement.
Est-ce que cela te pousse à collaborer avec des chanteuses ou des musiciennes ?
Il y a une chanteuse sur l’album, la chanteuse du groupe Sylvaine, qui chante les chœurs sur le premier morceau, « Kodama ». J’avais joué de la batterie sur son album qui est sorti cette année chez Season Of Mist. Nous avons des univers qui sont assez proches, elle fait aussi partie de cette scène metal shoegaze et post-rock. Du coup, ça m’a semblé naturel que nous continuions à collaborer ensemble.
Pour revenir à Princesse Mononoké, comment l’inspiration de cette œuvre s’est-elle manifestée dans Kodama et sa conception ?
Comme je te disais, plus au niveau de l’aura de l’album que dans des choses précises mais dans le morceau « Kodama », il y a des mélodies qui peuvent faire penser à des thèmes japonais. J’utilise des gammes asiatiques dans certains riffs. Je ne sais pas si les gens vont forcément le remarquer, mais il y a des petits clins d’œil à la musique asiatique un peu partout dans l’album, il y a beaucoup de quintes, des choses comme ça.
Sur les mélodies d’ « Éclosion » aussi…
Oui, sur « Éclosion » et sur « Kodama » aussi beaucoup. Ça s’est manifesté de manière assez subtile dans la musique, mais ça a quand même apporté beaucoup parce que c’est aussi ce qui différencie Kodama des albums que nous avons pu faire avant. Visuellement nous avons voulu aussi donner à la pochette un ton un peu manga, un peu japonais. Et dans le nom de l’album, Kodama. Dans certains thèmes aussi, dans les paroles, mais ce n’est pas un hommage forcément du début à la fin. Il y a aussi beaucoup notre univers à nous. Nous ne sommes pas un groupe japonais, donc c’est difficile de faire un hommage sans en faire trop. Nous avons essayé justement de ne pas trop en faire.
As-tu étudié la musique, les gammes japonaises ?
Pas du tout mais j’en ai tellement entendu que ça s’est imprégné en moi.
As-tu pensé à collaborer avec des musiciens japonais, pour obtenir un côté authentique ?
Il y a ce groupe, Vampillia, qui a joué avec nous à chaque tournée, j’avais pensé à travailler avec eux sur cet album mais c’est assez compliqué sur le plan logistique. Déjà, je n’aurais pas su trop quoi leur faire faire. Je pense que pour faire ça il vaut mieux aller sur place, peut-être monter un projet différent, partir de zéro et vraiment faire quelque chose ensemble. Un travail à distance, en plus avec Alcest où j’ai tendance à avoir la main mise sur la musique et la partition à cent pour cent, c’est assez difficile. Par contre je serais très partant s’il fallait aller au Japon pour composer quelque chose avec ces gens-là sur place.
« Je me sens encore moins à ma place, comme je pense beaucoup de gens à l’heure actuelle, par rapport à tout ce qui se passe, toutes les horreurs que l’on voit tous les jours. Maintenant je n’ose même plus lire les actualités en fait, je sais que ça va me pourrir ma semaine. C’est quand même dingue d’en arriver là. »
Ça t’intéresserait de réaliser la musique d’un film d’animation ?
[Rires] Pas spécialement. Enfin, oui, si on me le propose pourquoi pas, mais après ce n’est pas un but. Disons que j’ai toujours voulu faire un peu de musique de film. Il y a ce côté très cinématographique dans Alcest, donc c’est vrai que j’aimerais vraiment un jour qu’un réalisateur choisisse une de nos musiques pour la mettre dans un film, ça c’est clair. Après faire une musique spécialement pour un film, c’est autre chose. Je préférerais avoir un des morceaux d’Alcest dans un film.
L’idée dernière ma question, c’était celle de réaliser une œuvre complète, qui soit à la fois sonore et visuelle…
Trop compliqué ! [Rires] J’ai déjà beaucoup à faire avec ce projet et je pense que malheureusement je n’aurais pas le temps et l’énergie pour faire ça. Mais c’est sûr que oui, c’est une idée qui pourrait être intéressante.
L’artwork de Førtifem se veut être un hommage aux illustrateurs nippons. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Dès le départ je voulais quelque chose qui ait un style japonais mais sans trop en faire, sans que ce soit caricatural non plus. J’adore cet illustrateur qui s’appelle Takato Yamamoto, qui fait des illustrations avec des ambiances très contradictoires, des choses très morbides et à la fois un trait très fin, des personnages toujours très doux, très féminins, avec visages presque un peu angéliques. Mais les univers qui sont autour de ses personnages sont toujours très hostiles et très durs, voire morbides, et c’est vrai que c’est une confrontation qui m’a vachement plu, parce que l’album est plein de ces paradoxes aussi. Le côté urbain et nature dont je te parlais par rapport à Princesse Mononoké, le fait que l’univers d’Alcest soit assez lumineux et qu’en même temps on ait vécu des moments tellement difficiles à Paris ces derniers temps a pour conséquence qu’il y a forcément une part de ténèbres qui a réussi à s’infiltrer dans l’album. Il y a plein de dualités qui se sont créées autour de l’album, tout y est très conflictuel, il y a plein d’univers contradictoires qui vont entrer en collision. C’est ce qui fait un peu le son et le concept de l’album. Et c’est un truc qui se retrouve chez cet illustrateur aussi, et donc aussi dans la pochette avec ce personnage jeune dans un contexte assez romantique mais avec la mort qui rôde autour. On sent qu’il y a une certaine tension et une certaine menace dans la pochette, malgré le personnage.
Cette dualité, le communiqué de presse d’ailleurs en parle, avec le fait « de vivre entre les univers, aussi bien la ville et la nature que les mondes physiques et spirituels, » et aussi « sur les contrastes entre nature et urbanité, jeunesse et mort, ou encore féminité et animalité. » Est-ce une dualité que tu ressens en toi ?
Oui, complètement. J’ai toujours aspiré à m’élever spirituellement, à être la meilleure personne possible, faire les meilleurs choix possibles dans ma vie, mais en même temps je reste très humain, avec beaucoup de faiblesses aussi, je vis en ville malgré mon amour de la nature, beaucoup de choses comme ça qui sont toujours en équilibre et qui font un petit peu cette musique et ma sensibilité.
Est-ce que ça veut dire que tu te sens à ta place nulle part ?
C’est exactement ça. Je ne me sens nulle part à ma place. Le morceau « Je Suis D’Ailleurs » sur Kodama parle exactement de ça. Et je me sens encore moins à ma place, comme je pense beaucoup de gens à l’heure actuelle, par rapport à tout ce qui se passe, toutes les horreurs que l’on voit tous les jours. Maintenant je n’ose même plus lire les actualités en fait, je sais que ça va me pourrir ma semaine. C’est quand même dingue d’en arriver là.
Tu penses que les gens sont de plus en plus paumés dans ce monde ?
Oui, complètement. Déjà, il y a le fait que les gens ne croient plus en Dieu. Comment dire… Moi je suis très antireligieux, anticlérical, etc. mais disons que ça donnait un sens à la vie des gens pendant très longtemps. Maintenant, en occident et autour de moi, beaucoup de gens ne croient plus en rien. Je ne dis pas que je suis hyper croyant, j’ai une spiritualité mais je ne cherche pas à convertir qui que ce soit à quoi que ce soit. Mais disons que j’ai l’impression que les gens sont à la recherche de quelque chose. On ne sait pas trop de quoi mais il y a un manque d’absolu dans la vie des gens. C’est quelque chose qu’on ressent beaucoup en France. C’était un pays catholique pendant très longtemps, bon, ça l’est toujours mais la religion chrétienne a tendance à, pas à disparaître, mais se ternir de plus en plus. C’est vrai que les gens se raccrochent à d’autres choses, Facebook, je n’en sais rien… Ils sont devenus très centrés sur eux-mêmes aussi je trouve, de manière générale, en occident.
D’ailleurs, dans le metal il y a pendant longtemps beaucoup eu le côté satanisme et surtout athée. Mais on commence à voir de plus en plus d’artistes et groupes de metal s’orienter vers ou se chercher une spiritualité, comme Pierrick Valence de Phazm, qui s’est tourné vers les croyances païennes polythéistes, ou Chris S.R. de Schammasch, qui a un discours différent de ce qu’on peut entendre habituellement…
Je pense que, quelque part, le metal est une des dernières musiques vraiment spirituelles. Je ne suis pas sûr que le metal soit vraiment concerné par ça, parce que même si les gens sont athées, ils sont souvent très intéressés par [la spiritualité], très ouverts à la discussion. Il y a toutes formes de croyances dans le metal : les purs satanistes qui croient en la version chrétienne de Satan, le Satanisme athée, le mec qui s’intéresse au paganisme, au bouddhisme… Disons que c’est plutôt quelque chose que je pense qu’on retrouve dans l’occident de manière générale, sans forcément parler du metal, parce que justement c’est une musique qui a toujours été très proche de la spiritualité, même si elle a pu s’y opposer.
« J’ai l’impression que les gens sont à la recherche de quelque chose. On ne sait pas trop de quoi mais il y a un manque d’absolu dans la vie des gens. […] [Ils] se raccrochent à d’autres choses, Facebook, je n’en sais rien… Ils sont devenus très centrés sur eux-mêmes aussi je trouve, de manière générale, en occident. »
Sans forcément se tourner vers les religions, tu penses qu’il y a un besoin de retrouver aujourd’hui une forme de spiritualité, peut-être plus personnelle finalement ?
C’est sûr et certain. C’est hyper important que les gens qui peuvent être allergiques au mot Dieu à cause de la religion séparent spiritualité et religion, ça n’a aucun rapport. Il est possible d’être quelqu’un d’assez spirituel sans forcément adhérer à une religion. Le contact avec quelque chose de supérieur à nous peut se faire sans aucun intermédiaire, sans aucun livre, sans aucun savoir, c’est quelque chose qui est très instinctif et primitif. Ça fait partie de l’histoire des hommes depuis toujours. Après avec l’écriture il y a eu plein de choses, des dogmes, des interdits, le jugement, tout ça est complètement dissociable de la spiritualité. Quelque part je trouve ça dommage que des gens mélangent croyances personnelles et spiritualité, et religion car ça n’a aucun rapport.
Qu’est-ce que Dieu pour toi alors ?
Pour moi ce serait quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, qu’il est impossible d’essayer de représenter ou d’avoir la prétention de deviner sa [volonté]. Déjà, le fait de dire qu’une force va nous créer pour ensuite nous juger, nous mettre dans telle boite parce qu’on a fait telle chose, déjà ça c’est absurde. Si jamais il y a un dieu, je ne pense pas qu’il nous ait créés pour ça. Mais, qu’est-ce que Dieu ? Je ne suis pas sûr que nous soyons en mesure de le comprendre et je ne pense pas qu’il faille en avoir la prétention. Je pense personnellement qu’il y a quelque chose, quelque chose qui a une force, qui nous a créés, il y a certainement pour moi un but à l’existence et à tout ça, mais après, savoir quoi, pourquoi… Personnellement je n’ai pas la prétention de pouvoir savoir exactement qu’est-ce qu’il en est mais je pense par contre qu’il y a un réel sens à notre passage sur Terre et que l’on doit essayer de s’élever le plus possible. Ça c’est sûr.
Penses-tu que les religions font un peu fausse route en essayant de mettre des mots et un concept sur quelque chose qui dépasse notre entendement ?
Exactement. C’est exactement ça le problème. On va appliquer des schémas bassement humains, bassement terrestres comme la figure du Père, ce genre de choses complètement absurdes. Pourquoi devrions-nous donner une figure humaine à quelque chose qui ne l’est pas ? C’est ce genre de concepts bassement humains qui ont fait, je pense, beaucoup de tort à la spiritualité.
Tu as déclaré que cet album parlait de « la confrontation du monde naturel et du monde humain.” Tu places donc l’Homme en dehors de la nature ? Je veux dire par là qu’il y a une mode qui revient aujourd’hui qui est celle de l’idée d’antiscpécisme, où l’Homme ne se définirait pas par opposition à la nature et ne se placerait pas avant les autres espèces…
Je ne sais pas trop quoi en penser. Je pense que nous sommes réellement différents des animaux et de la nature dans certains sens, ne serait-ce que par la manière dont nous nous en sommes éloignés et avons perdu le contact avec. Le fait d’avoir une conscience, c’est sûr que ça nous a souvent fait faire fausse route. Après, par rapport aux animaux, qui n’ont pas notre conscience et qui font juste partie du tout, je ne sais pas… Il y a des gens qui disent que l’Homme n’est qu’un animal comme les autres, je t’avoue que je ne sais pas trop quoi en penser ! [Rires]
Comment est-ce que cet album et l’influence du Japon s’inscrivent dans le concept global d’Alcest ? Qui est, rappelons-le, de parler d’une expérience que tu as vécu étant enfant, avec des sortes de visions ou souvenirs d’un endroit dans lequel tu aurais pu être avant d’être sur Terre.
La notion de vie après la mort et de vie avant la mort c’est quelque chose aussi qui fait partie de la spiritualité asiatique. Il y a des choses dans le bouddhisme justement qui sont très proches de ça. Après, c’est sûr que c’est un album qui ne parle pas de ça de manière aussi directe que j’ai pu le faire avec Les Voyages De l’Âme ou Souvenirs d’un Autre Monde, mais ça reste quand même toujours en filigrane. Il y a quelque chose je pense dans la musique qui est toujours très déconnecté du réel. Je ne vais pas forcément parler de choses de mon quotidien. C’est une musique toujours très éthérée et qui ne puise pas son inspiration dans les mêmes thèmes que les autres groupes, que ce soit dans le rock ou la musique moderne. Mais c’est sûr que c’est un album un petit peu différent, il n’est pas aussi proche de cet univers-là. Ces souvenirs, avec le temps qui passe, deviennent de plus en plus lointains. Ça fait toujours partie de moi et j’ai toujours cet univers-là en moi mais c’est sûr que plus le temps passe, plus il m’est difficile de puiser là-dedans pour Alcest. Mais ça revient par période, c’est cyclique, peut-être que dans le prochain album ce sera plus apparent. Par exemple, le morceau « Je Suis d’Ailleurs », c’est aussi quelque chose qui s’inscrit dans cette thématique-là.
Est-ce que tu as retrouvé dans le Japon un bout de ce monde ou quelque chose qui s’en rapprochait ?
Non, c’est très différent. Je pense que pour le coup, c’est une ambiance qui est assez différente de ce qu’on peut trouver sur Les Voyages de l’Âme, par exemple, qui a des consonances plus celtes. Le fait que l’album soit plus sombre permet moins disons de parler des thèmes habituels qui sont davantage lumineux. Quand j’ai parlé de ce monde-là, c’était toujours de manière très déconnectée de ce qui peut se passer ici – je fais allusions aux récents attentats – et de manière très positive. C’est sûr que Kodama est peut-être un peu plus sombre.
Dans tes albums, tu as effectivement toujours fait référence aux couleurs et à la lumière. Et là, Kodama se termine sur l’instrumentale « Onyx », en référence à la pierre réputée pour sa couleur noire. Qu’est-ce que ça symbolise pour toi de terminer l’album là-dessus ?
C’est pour donner un ton assez sombre à l’album. C’est un album qui n’est pas pessimiste, il est plein de vie, mais c’est sûr qu’il est beaucoup plus sombre que les précédents. Ce morceau-là, « Onyx », m’évoque quelque chose de très granuleux, très terreux, un peu comme de la roche volcanique ou je ne sais pas, ce que l’on pourrait entendre au centre de la Terre, quelque chose de presque oppressant et post-apocalyptique. Je trouve que ce morceau d’outro fait très ville dévastée après une catastrophe naturelle ou quelque chose comme ça.
Tu évoquais les attentats tout à l’heure, comment en tant qu’artiste tu as vécu ça ?
Justement j’en parle pas mal dans les dernières interviews, les autres journalistes me posent la question aussi. J’habite dans le quartier où tout s’est passé, à cinq minutes à pied du Bataclan et de Charlie, forcément j’étais très affecté par ce qui s’est passé. Le fait d’avoir joué au Bataclan aussi, j’y avais joué avec Opeth en 2014, je connais bien la salle, les loges, là où tout s’est passé. Donc forcément ça fait un très gros choc. Je n’ai perdu personne personnellement mais j’ai des amis qui n’ont pas eu cette chance-là et qui ont été traumatisés, ce qui est tout à fait normal. En plus tu sais, cette scène-là à Paris, c’est un petit monde, tout le monde se connait donc nous avons tous été dévastés. Même si Alcest s’est toujours différencié des thèmes plus actuels, plus terre à terre, nous ne pouvons pas rester hermétiques à ce qui s’est passé. Ca a forcément eu une influence dans l’album d’une manière ou d’une autre. Même si les textes n’en parlent pas forcément.
« C’est hyper important que les gens qui peuvent être allergiques au mot Dieu à cause de la religion séparent spiritualité et religion, ça n’a aucun rapport. […] Le contact avec quelque chose de supérieur à nous peut se faire sans aucun intermédiaire, sans aucun livre, sans aucun savoir, c’est quelque chose qui est très instinctif et primitif. »
Tu aurais une appréhension à rejouer au Bataclan ?
Je ne sais pas, probablement non parce que je ne pense pas qu’ils attaqueraient deux fois le même endroit.
Mais le lieu est chargé d’émotions…
Ouais, le lieu… [Soupir] Ils vont refaire des concerts mais personnellement, je pense que je ne serais pas capable d’y mettre les pieds. C’est trop lourd, c’est trop chargé…
Pour revenir à la musique, les noms de Smashing Pumpkins, Tool, Dinosaur JR, Grimes ou The Cure sont évoqués pour décrire les influences de l’album. Qu’est-ce qui t’inspire chez ces artistes ?
C’est un peu du cas par cas. J’ai découvert Tool il y a peut-être trois ans, j’étais passé complètement à côté, et ce que j’adore dans ce groupe c’est leur son qui est très mystique je trouve, j’entends beaucoup de musiques celtes dans leurs harmonies, quelque chose de très ancestrale, de très profond, même si c’est un groupe américain avec un son moderne. Le fait que leurs morceaux soient très longs, qu’ils soient faussement techniques. Quand les gens parlent de Tool c’est « bon c’est un groupe technique, c’est comme Meshuggah », pour moi ça n’a aucun rapport avec Meshuggah. Ce n’est pas tellement technique, c’est plutôt qu’ils ont des rythmiques un petit peu complexes mais les mélodies s’enchaînent de manière très naturelle. Du coup, c’est vrai que ça m’a un peu influencé sur certains passages. Smashing Pumpkins je suis fan depuis que je suis ado, ça m’a toujours influencé depuis le premier album. C’est un des premiers groupes que j’ai entendus qui avaient un son de guitare très saturé, très énergique et puissant, mais avec des mélodies et harmonies qui vont plutôt vers le majeur. C’est aussi ça qui m’a fait utiliser beaucoup de majeur dans Alcest. Grimes, son album Visions qui est sorti en 2012 est celui que j’ai le plus écouté. C’est un artiste électro, on sort vraiment de la sphère metal. D’ailleurs, les gens ne comprennent pas pourquoi je mets ça dans mes influences parce que l’album ne sonne pas du tout comme Grimes, bien évidemment. Mais c’est son côté un peu extra-terrestre qu’on retrouve dans Kodama, un gros mélange de plein de choses, son univers aussi très proche du Japon et des mangas ; je me sens très proche de son univers. C’est une artiste dont je me sens très proche, du moins sur cet album-là. Son dernier album est peu plus commercial, donc ça m’a un peu moins touché mais ça fait partie de mes grosses influences pour Kodama. Dinosaur JR, c’est pour le son. C’est un groupe indé / grunge qui fait un peu partie de l’école Sonic Youth. Ils ont un son très cru, très naturel, et c’est ce que nous avons voulu aussi pour cet album, avec une batterie avec beaucoup de micros d’ambiances, pas trop d’effets, les guitares les plus crunchy possible. Pour The Cure, je suis un fan de cold wave aussi et ça se retrouve dans certaines mélodies de l’album, des sons clairs avec du chorus très mélodiques…
Est-ce que tu peux nous parler de l’enregistrement de l’album en tant que tel ? Est-ce qu’il y a eu des changements dans la manière de procéder ou des améliorations ?
Cette fois-ci nous ne sommes pas allés en Islande, nous avons fait ça au Drudenhaus Studio avec Benoît Roux – je pense que tu dois voir qui c’est, il a été dans Anorexia Nervosa -, qui a mixé Écailles de Lune et Les Voyages de l’Âme. Nous nous sentons comme à la maison chez lui, c’est un ami très proche et il comprend parfaitement l’univers d’Alcest, d’où nous venons, où est-ce que nous voulions aller avec cet album, donc c’était l’allié parfait pour cet album. Nous avons enregistré la batterie dans notre salle de répète, le grenier d’une maison de famille de mon batteur, Winterhalter, c’est une immense pièce sous une charpente en bois avec une réverbération naturelle très belle. Ce qu’on entend sur l’album au niveau de la batterie, la réverbération, c’est uniquement le son naturel de la pièce. Nous en sommes très contents, nous voulions un son assez organique. Pour les guitares, nous avons fait ça au Drudenhaus Studio près de Nantes et mes références justement c’était Dinosaur JR, Sonic Youth, etc., un son assez râpeux, pas du tout un son metal, poli… Je voulais un son qui soit plus indé mais avec la densité que peut avoir une distorsion plus metal.
Ce qui a beaucoup surpris les gens à l’écoute du premier titre dévoilé, « Oiseaux De Proie », c’est le retour du chant black, car ils pensaient que tu avais dit que tu en avais fini avec le metal dans Alcest. Qu’est-ce qui t’as fait revenir à ça du coup ?
J’ai beaucoup réfléchi suite à Shelter. Disons qu’avec Shelter, je me suis vraiment fait plaisir en faisant un album qui fasse plus référence aux groupes que j’ai pu écouter ces dernières années, un peu comme le fait Mikael Åkerfeldt d’Opeth, il se fait plaisir mais du coup les fans gueulent tout le temps, ça fait trois albums qu’ils gueulent et il ne veut pas changer. Et c’est très bien, ils ont les moyens de le faire en plus, parce que c’est un groupe qui a beaucoup de succès. Mais c’est sûr que dans le cadre de Shelter, je me suis demandé après coup si cet album était autant Alcest que les autres albums. Je me suis demandé s’il était aussi personnel que ce qu’avait pu être les autres. J’avais envie de revenir à quelque chose de très personnel. Le fait aussi d’avoir cette voix black, tout le monde me dit « pourquoi tu ne chantes pas plus avec ta voix black ? », ça m’a quand même fait réfléchir. Le fait d’avoir un outil d’expression comme ça et de ne pas l’utiliser, je me suis demandé pourquoi s’interdire de l’utiliser ? Quand la musique le demande. Je ne vais pas mettre du chant black quand il n’y a pas la place pour en mettre ; sur Shelter ça aurait été impossible. Disons que les morceaux de Kodama, certains passages étaient tellement intenses que ça appelle vraiment l’utilisation du chant black et je pense que ça a vraiment eu sa place sur cet album. J’avais dit à l’époque que je ne ferai plus de chant black, mais comme on dit, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. J’ai changé d’avis. Mea culpa.
Je sais qu’à l’époque, vu son orientation musicale, tu avais une appréhension en sortant Shelter. Du coup, es-tu satisfait de la manière dont il a été reçu?
En fait, j’ai été plus satisfait de la façon dont il a été reçu, que moi la façon dont je perçois cet album maintenant. Je suis toujours très critique avec Alcest. Shelter je ne l’ai pas écouté en entier depuis deux ou trois ans, depuis qu’il est sorti quoi. Je ne peux pas l’écouter sinon je n’entends que les défauts. Et même rapport à Winterhalter qui fait toujours un très bon boulot avec moi dans Alcest, encore plus sur Kodama parce qu’il a vraiment participé à la production, à la manière de concevoir toute la structure rythmique, il s’est vraiment beaucoup impliqué, sur Shelter la batterie était très en retrait, je me suis aussi demandé si la musique n’aurait pas gagné à être un peu plus punchy. Mais du coup, il y a énormément de gens dont Shelter est l’album préféré d’Alcest et qui me disent : « Désolé mais Shelter c’est celui que je préfère. » Il y a beaucoup de gens qui ne l’ont pas du tout aimé, souvent des gens qui sont très metal, qui écoutent principalement du metal et qui n’ont pas compris pourquoi j’avais décidé de mettre de côté les éléments metal. Du coup, Shelter ne les a pas intéressés, mais d’un autre côté beaucoup de gens ont adoré Shelter. Quelque part ça a été plutôt positif.
« Tout le monde me dit ‘pourquoi tu ne chantes pas plus avec ta voix black ?’, ça m’a quand même fait réfléchir. Le fait d’avoir un outil d’expression comme ça et de ne pas l’utiliser, je me suis demandé pourquoi s’interdire de l’utiliser ? […] J’avais dit à l’époque que je ne ferai plus de chant black, mais comme on dit, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. J’ai changé d’avis. Mea culpa. »
Est-ce que Kodama est un peu une réaction à Shelter ?
Oui, mais tout album d’Alcest est une réaction à l’album précédent. C’est-à-dire qu’Ecailles de Lune a été une réaction à Souvenirs d’un Autre Monde, Les Voyages de l’âme une réaction à Ecailles De Lune et Shelter une réaction à Les Voyages de l’Âme. J’ai toujours envie de faire un truc qui soit, pas opposé, mais j’aime bien changer d’optique à chaque fois.
Est-ce que tu dirais que Shelter t’as véritablement permis de gagner un peu par la « force » ta liberté artistique ?
Oui, ce n’est pas faux. Dans un sens, je pense qu’avec Shelter nous sommes allés tellement loin dans l’abandon de notre son de base qu’à partir de là nous pourrons faire quasiment ce que nous voulons, ça ne pourra pas être aussi déroutant qu’a pu l’être Shelter. Je pense que dans une discographie complète, dans cinq ou dix ans, Shelter aura vraiment sa place. Il faudra peut-être un petit peu de temps pour que l’album trouve sa place dans la discographie mais à mon avis sur le long terme il fera partie tout autant de la discographie d’Alcest que les autres albums. Je n’ai pas envie que les gens pensent que nous avons fait Kodama parce que nous renions Shelter ou que nous avons voulu renouer avec nos fans. C’est quelque chose que nous n’avons jamais fait, faire de la musique pour faire plaisir à untel ou untel, et que nous ne ferons probablement jamais car nous avons envie de nous faire plaisir avant tout.
Le communiqué de presse évoque le fait que Kodama « résonne des ‘échos’ » de l’album Ecailles De Lune. Est-ce que tu perçois également un rapport entre ces deux albums ? Vois-tu Kodama comme un retour à vos racines ?
Oui, ça a été un peu volontaire, ne serait-ce que dans la construction de l’album, le fait qu’il y ait six morceaux, qu’il fasse quarante-deux minutes, cinq morceaux rock et une outro un petit peu plus expérimentale comme avait pu l’être « Sur l’Océan Couleur De Fer » sur Ecailles De Lune. J’ai voulu faire écho à Ecailles De Lune et aussi Souvenirs d’un Autre Monde qui avait cette structure-là dans l’album. J’aime beaucoup cette formule de cinq « vrais » morceaux et un morceau où nous sommes un peu plus libres pour terminer. Ce que nous avons aussi repris d’Ecailles De Lune sont les gros contrastes entre les différentes parties, des passages très clames et des passages vachement plus énervés, un côté plus sombre et plus rugueux aussi, que nous n’avions pas eu avec Les Voyages de l’Âme qui était très éthéré. Donc oui je pense qu’il y a des liens avec Ecailles de Lunes. Après, je pense qu’en comparant les deux albums, nous ne sommes pas du tout dans la même chose mais il y a quand même quelques correspondances.
Etait-ce voulu dès le départ ?
Pas dès le départ. Je pense qu’aux trois-quarts de la composition, je me suis dit que ce serait intéressant de reprendre la même structure que pour les premiers albums.
Le lien on peut le retrouver aussi avec des éléments de la pochette, avec la pleine lune…
Oui et puis c’est aussi un personnage féminin, il y aussi de l’eau, il y a plein de petits clins d’œil, de trucs assez subtils.
Vous avez mis un visuel sur Facebook pour « Oiseaux De Proie », où une petite clef pendouille, certains y ont vu une référence à l’EP Le Secret…
Oui, pourquoi pas. Ça c’est Førtifem qui l’ont rajouté, je leur ai pas demandé de rajouter la clef mais c’est sûr qu’il y a eu dans plusieurs visuels d’Alcest ce truc de clef, avec forcément la porte qui donne sur un autre monde, la clef qui permet d’accéder à quelque chose d’autre…
D’ailleurs, vous avez joué Ecailles De Lune en intégralité il y a seulement quelques semaines au Prophecy Fest. C’était comment cette expérience, de se replonger intégralement dans cet album ?
Oui, c’était vachement bien. Beaucoup de stress forcément parce que nous prenons les choses très à cœur et nous avons envie de faire plaisir aux gens quand nous montons sur scène. Nous nous sommes vraiment décarcassés pour bien répéter. Une fois sur scène ça allait, toujours du stress mais ça s’est bien passé, franchement. Les retours des gens, surtout, ont été vraiment très positifs, ça nous a vraiment fait chaud au cœur. C’est quelque chose que nous allons refaire d’ici deux semaines, nous allons aller jouer l’album à São Paulo en intégralité, c’est un festival d’un jour, il y a aussi Katatonia sur l’affiche et le chanteur d’Anathema en solo, deux groupes que je connais personnellement très bien.
Comment vois-tu cet album, Ecailles De Lune, aujourd’hui avec le recul ?
C’est très étrange parce qu’en fait, quand je l’ai fait, c’est l’album que j’ai composé le plus rapidement. Je sortais de la composition de l’album d’Amesoeurs, que nous avons fait entre Souvenirs d’un Autre Monde et Ecailles de Lune. D’ailleurs j’avais travaillé sur Amesoeurs avec Winterhalter avant Ecailles de Lune et il me semble même que sur ce dernier il y avait des morceaux que j’avais prévu pour Amersoeurs, notamment « Percées de Lumière ». C’est un album qui a été très spontané, je n’ai pas trop percuté, en fait. Sur le moment, il a beaucoup plu et aux USA aussi, ça nous a permis de faire notre première tournée aux US, car nous avions eu une très bonne chronique dans Pitchfork et ça va très vite une fois que Pitchfork te donne une bonne note, tu as de la demande aux US quoi… Mais sans forcément avoir conscience que ce serait un album aussi important, parce qu’après coup, avec les années qui ont passé, les gens ont continué à parler d’Ecailles De Lune, à se faire des tatouages de la pochette, quasiment à chaque concert il y a une personne avec un tatouage d’Ecailles De Lune sur le bras. C’est quand même marquant ! Moi, je ne suis pas sûr que je me ferais un tatouage d’Ecailles de Lune sur le bras ! [Rires] Mais voilà, c’est vrai qu’avec le recul, ce n’est pas l’album qui a le plus marché commercialement mais c’est notre album « culte », et ce n’est pas du tout quelque chose que j’avais pressenti à l’époque.
C’est vrai qu’Ecailles de Lune est un peu devenu votre Master Of Puppets…
Oui mais ce qui est bizarre, comment dire… Les gens n’aiment jamais les mêmes albums d’Alcest. Untel va aimer Shelter, untel va aimer Souvenirs d’un Autre Monde… Mais c’est sûr qu’Ecailles De Lune a un petit quelque chose en plus. Je pense aussi que la pochette y est pour beaucoup. C’est un peu comme la pochette d’In The Nightside Eclipse d’Emperor, quand j’écoute la musique, j’ai la pochette en tête. L’univers que l’on voit sur la pochette, c’est exactement ce que j’ai en tête lorsque j’écoute la musique et je pense que c’est un peu la même chose avec Ecailles de Lune, on est vraiment plongé dans cet univers féérique mais sombre, très aquatique, très maternel, très onirique, en fait. Ça fait un tout vachement cohérent, je pense, et c’est ça qui a dû plaire.
« Nous avons tellement toujours travaillé d’arrache-pied sur notre musique, nous sommes vraiment de gros bosseurs, mais sur celui-là, ça a été encore plus, […] et du coup, là, je crois que j’ai vraiment besoin de vacances en fait [rires]. »
Il y a d’ailleurs en ce moment un gros débat sur la pochette du dernier Metallica, que certains trouvent horrible pendant que d’autres disent que ce n’est qu’une pochette…
Comment il s’appelle ? Je vais aller voir parce que je ne l’ai pas vu !
Hardwired…To Self-destruct.
[Il tape dans Google] Oh putain, ouais ! C’est l’espèce de tête bizarre ? Ok, bah moi j’aime bien ! [Rires]
Et donc justement en ce moment il y a un gros débat entre ceux qui disent que la pochette c’est ultra important pour un groupe et ceux qui s’en foutent…
Pour moi, c’est hyper important. Ca a toujours été hyper important. Je me casse le cul autant pour les visuels que pour la musique. C’est des mois et des mois de recherche et de boulot sur des visuels. Mais je pense qu’il y a beaucoup de gens pour qui ce n’est pas très important. Et il y a aussi les gens pour qui c’est important ; Ceux qui vont acheter l’objet, je pense qu’en général ils veulent une belle pochette. Mais les gens qui vont sur Youtube pour écouter de la musique, à mon avis la pochette ils s’en cognent complètement. Mais pour moi, c’est indissociable, à partir du moment où on sort un disque et où on a l’espace et la possibilité de créer un visuel, je pense que c’est très important de faire quelque chose qui soit du même niveau que la musique, où il y ait une recherche aussi importante que dans la musique. Sans forcément que ça soit quelque chose de compliqué, que ce ne soit pas juste une image prise comme ça.
D’ailleurs comment travailles-tu avec les illustrateurs, comme Førtifem cette fois ? Ont-ils carte blanche ?
Non, je suis toujours derrière pour les visuels. Quand j’avais travaillé avec Fursy [Teyssier] nous avions fait les pochettes à deux, je faisais des croquis avec lui. Et puis Førtifem, c’est un peu pareil, je leur donnais un petit peu des lignes directrices et j’ai une idée assez précise de ce que je veux. Je pense que ça n’a pas été facile toujours pour eux de comprendre où je voulais en venir. Moi, en tout cas, j’ai été vraiment ravi de bosser avec eux. Ils ont fait un boulot incroyable, c’est exactement ce que je voulais pour cette pochette et j’espère que ça a été le cas pour eux. C’est sûr que je suis assez perfectionniste pour la musique et les visuels, faut le savoir quoi… [Rires] Pour les gens avec qui je travaille…
D’ailleurs, pourquoi as-tu choisi de travailler avec eux cette fois ?
Ce sont des amis proches, déjà, nous avions travaillé avec eux pour un tee-shirt et puis j’adore ce qu’ils font, je suis vraiment fan de ce qu’ils font. Chaque fois qu’ils sortent une pochette, je suis vraiment impressionné, je trouve qu’ils ont quelque chose d’à la fois très moderne mais aussi très old-school, c’est de l’illustration pure, c’est vraiment les crayons, les stylos… Leur style à la fois gravure, tatoo, très pop culture aussi, ils sont très imprégnés de films, de mangas, de jeux-vidéo, tout ce que tu veux. Je ne sais pas, je trouve qu’ils font des visuels vraiment très forts.
En 2013, tu nous avais dit que tu avais presque planifié tes albums pour encore deux albums à venir. Est-ce que ça veut dire que tu sais déjà à quoi ressemblera celui qui viendra après Kodama ?
J’y réfléchis beaucoup mais figure toi que pour l’instant je n’ai aucune idée en fait. Je crois que c’est la première fois. Nous avons tellement toujours travaillé d’arrache-pied sur notre musique, nous sommes vraiment de gros bosseurs, mais sur celui-là, ça a été encore plus, notamment en studio, nous sommes restés peut-être quatre ou cinq mois en studio, tout compris, mixage, mastering, et du coup, là, je crois que j’ai vraiment besoin de vacances en fait [rires]. Et surtout il y a la tournée avec Mono qui arrive et c’est important d’être en forme, d’être reposé.
Tu parlais tout à l’heure des Etats-Unis, ça a l’air de plutôt bien marcher pour vous à l’international…
Là pour les Etats-Unis, nous n’avons jamais eu un retour comme ça sur un titre d’Alcest. Venant des Etats-Unis, ça a été fou sur « Oiseaux De Proie », mais c’est peut-être parce que nous avons fait l’avant-première du morceau sur Noisey USA. C’est peut-être aussi grâce à ça, mais je ne sais pas. Il s’est passé quelque chose avec les Etats-Unis, donc j’espère que ça débouchera sur une belle tournée.
Est-ce que cela ne vient pas aussi du succès des groupes de blackgaze, comme Deafheaven, par exemple, qui marche bien ?
Oui, mais disons que nous avons fait ça avant Deathheaven. Nous les connaissons très bien, ils n’ont jamais caché qu’ils ont été très influencés par Alcest mais c’est vrai qu’ils cartonnent aux US. Il y a peut-être un engouement pour ça là-bas plus qu’en Europe, c’est possible. Mais je pense que Kodama a un son beaucoup plus américain que nos précédents albums parce que nous avons été clairement influencés au niveau de la prod par Dinosaur JR, Smashing Pumpkins, donc peut-être qu’il y a ce côté un petit peu plus cru dans la prod qui parle vachement plus aux Américains que ce que nous avons fait avant, qui était beaucoup plus lisse, plus metal quoi.
Pour finir, dans l’avant-dernière interview que nous avons faite de Vincent Cavanagh (Anathema) en 2014, il nous disait qu’il n’était pas content car tu ne lui avais toujours pas envoyé son exemplaire de Shelter…
D’accord, je crois que je ne lui ai toujours pas filé, en fait… [Rires] Du coup, il faudra que je lui passe, parce que là, nous allons le voir au Brésil. Mais tu sais, il y a un truc et puis ensuite tu oublies, mais il faudrait que j’y pense, c’est quand même important…
Interview réalisée par téléphone le 23 août 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Alexandre Covalciuc.
Site officiel d’Alcest : www.alcest-music.com
Acheter l’album Kodama.
Un bon gars ce Neige.
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Rigolo, l’allusion au débat sur la pochette de Met 😀
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