Avec Spiritual Instinct et sa signature sur le label Nuclear Blast, Alcest passe assurément un palier important dans sa carrière. Ce n’est que juste retour des choses après avoir marqué durablement la scène metal, en bientôt quinze ans depuis Le Secret et cinq albums. Et si certains craignent pour l’intégrité d’Alcest en le voyant rejoindre une « grosse machine », qu’ils se rassurent : non seulement Neige nous certifie que « ça n’a rien changé sur [leur] manière de travailler », mais Spiritual Instinct est peut-être son album le plus puissant, cathartique et introspectif, né d’un manque et d’une urgence à se retrouver dans sa spiritualité. Un album marqué par la spontanéité et un mode d’enregistrement en quasi tout analogique, mais aussi une conception éprouvante faisant suite au cycle de Kodama lui-même extrêmement éprouvant.
Dans l’entretien qui suit, Neige nous parle donc de la façon dont ses tourments personnels ont façonné Spiritual Instinct, revenant sur ce besoin de spiritualité et la manière dont celle-ci s’exprime et s’est développée dans sa vie. Une interview où, en plus d’explorer les méandres de l’album et de sa conception, on explore la psychologie d’un artiste très conscient de lui-même et cherchant sans cesse à transcender le monde réel, en donnant vie à un « ailleurs ».
« Je me suis senti un peu perdu, sur la fin des tournées de Kodama. Et le titre de l’album, Spiritual Instinct, va aussi être en rapport avec ça, dans le sens où je me suis un peu éloigné de mon côté plus spirituel et j’ai ressenti un manque extrêmement violent à un moment donné. »
Radio Metal : Vous avez beaucoup tourné pour l’album Kodama. Comment as-tu vécu la fin de ce cycle et l’après-Kodama. Étais-tu fatigué ? Soulagé ? Encore un peu euphorique ?
Neige (chant & guitare) : Pour être parfaitement honnête, j’étais exténué. C’est marrant, parce que Spiritual Instinct a un peu puisé son inspiration dans mon stress et dans la fatigue extrême que j’ai pu avoir après avoir tourné pour Kodama. Après, je ne dis pas qu’il n’y a pas de groupes qui font pire, mais c’est juste que la manière dont je gère ma vie, avec les tournées, etc., ça a fait qu’au final, j’étais vraiment sur les rotules, physiquement et émotionnellement. Sinon, ce n’était que du positif. Le fait que nous ayons beaucoup tourné avec Kodama, ça signifie que l’album a beaucoup plu, qu’il y a eu beaucoup de demandes, et nous étions ravis. Dans sa globalité, c’est une période d’Alcest que nous avons adorée. C’est peut-être une des périodes que j’ai préférées au final, parce que c’est un album qui a plu à quasiment tous nos fans et dont nous avons été très fiers. Je pense que ça nous a un peu mis la pression aussi pour Spiritual Instinct. Nous nous sommes dit qu’après un album comme Kodama, il faudrait vraiment garder le même niveau d’exigence et de qualité. Mais c’est vrai que j’ai eu très peu de temps pour moi ces trois dernières années, voire même plus que ça, parce qu’au final, on oublie de prendre du temps pour soi, on se retrouve exténué, et au final, ça nous fait perdre plus de temps que si on avait décidé de partir en vacances pendant deux ou trois semaines pour se reposer. Ce n’est pas très malin, en fait. Il faudrait à la limite se forcer à prendre du temps libre pour être plus productifs, plus en forme et surtout se sentir mieux.
Dirais-tu que Kodama a été un jalon important dans l’histoire d’Alcest, plus que d’autres albums ?
Oui. Pas forcément plus qu’Écailles De Lune, mais tout aussi important. On verra avec la distance, mais ça fait partie des albums les plus importants d’Alcest. Il y a aussi un truc que j’ai beaucoup aimé avec Kodama, c’est que c’est un album qui nous a permis de nous « réconcilier » avec le public français, qui n’était pas forcément hyper à fond sur Alcest dans nos débuts ; nous avions plus de fans à l’étranger. Avec Kodama, ça s’est complètement équilibré, et maintenant, je pense que nous avons quand même plus de fans en France qu’ailleurs. Nous sommes un groupe français, nous chantons en français, or nous avons été, non pas boudés, mais un peu incompris pendant quelques années, et le fait que tout soit rentré dans l’ordre avec Kodama, ça nous a forcément fait hyper plaisir. C’est un album qui a beaucoup marché aux États-Unis également. Il a bien marché de manière générale et ç’a été une chouette période. Il y a aussi le fait que l’album soit un hommage à tout mon amour pour le Japon, la culture japonaise, et tous les clins d’œil à Princesse Mononoké… Je suis content que cet album ait marché.
Tu as mentionné la pression que tu t’es mise pour lui trouver un successeur. Comment as-tu géré cette pression ?
Comme nous le pouvions ! En essayant de faire la meilleure musique possible, comme nous l’avons fait à chaque fois, mais disons que j’ai la hantise que le groupe s’affaiblisse au fil de ses albums. C’est vrai qu’il y a beaucoup de groupes que j’écoute et dont je n’aime pas forcément les albums récents. Je n’ai pas envie que ça soit quelque chose qui nous arrive. Nous devenons de plus en plus exigeants, avec Alcest. Plus le temps passe et plus nous mettons la barre haut, que ce soit au niveau des compos, au niveau du son, au niveau du visuel, du concept… Nous essayons vraiment d’être très prudents, à ce stade de notre carrière, pour ne pas justement se laisser avoir en se disant : « On a plus de succès, donc on va pouvoir plus se la couler douce. » C’est l’inverse, en fait. Plus nous avons de retours positifs de l’extérieur, plus ça nous met la pression, quelque part, et nous voulons vraiment être très prudents, et ce à tous les niveaux, pas uniquement dans la musique en elle-même.
La pression, pour toi, ça a plutôt tendance à jouer comme un frein, ou comme un moteur ?
C’est difficile à dire. Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie, c’est sûr. Après, au final, peut-être que ça nous aide à garder ce niveau de qualité, d’exigence, mais je pense que même sans ça, je me mettrais un niveau d’exigence assez élevé, parce que je suis très perfectionniste et je veux vraiment donner le meilleur de moi-même à chaque fois, surpasser mes limites, aller encore plus loin dans ce que je peux faire dans mon écriture. Je ne sais pas si j’ai forcément besoin de pression en plus. Il y a aussi le fait que je ne sois pas forcément le meilleur juge de ma propre musique et c’est vrai que parfois, j’ai peut-être tendance à trop me reposer sur ce que les gens me disent autour, que ce soit les critiques ou ce que vont dire mes proches. Ça va dépendre des périodes de ma vie, aussi. Disons qu’il y a des périodes où je suis plus ou moins confiant, plus ou moins sûr de moi. Par exemple, sur Kodama, j’avais peut-être plus confiance que sur Spiritual Instinct, je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, chaque album est un procédé différent. Ce n’est jamais la même chose et c’est ça qui est intéressant, quelque part.
« Là, j’en suis à un point de ma vie, je t’avoue… Ce n’est pas que j’en sois à un nœud, à un truc inextricable, mais presque. Là, je suis allé voir mon docteur il y a un mois et il m’a dit : ‘Écoute, tu fais un burn-out, il faut vraiment que tu arrêtes.’ […] Ce qui est terrible, c’est de devoir se discipliner pour prendre des vacances, devoir se discipliner pour ne pas travailler ! »
Apparemment, une partie de l’album a été composée durant le long cycle de Kodama. Dirais-tu que la tournée a en partie nourri la musique que tu créais ?
Oui, quelque part. Il y a la tournée, et le fait que justement, quand tu es en tournée, tu es un peu « coupé » de toi-même et de ce que tu aimes faire en tant que personne, pas en tant que Neige d’Alcest ou que musicien. Tu es un peu coupé de ce que tu es au fond de toi. C’est du travail du matin au soir, et même quand tu ne travailles pas, quand tu n’es pas sur scène, il y a beaucoup de préparatifs, et quand tu as du temps libre, tu vas quand même penser au concert… Tu n’es jamais vraiment apaisé. Donc quelque part, ça a créé un manque de connexion avec moi-même. Je me suis senti un peu perdu, sur la fin des tournées de Kodama. Et le titre de l’album, Spiritual Instinct, va aussi être en rapport avec ça, dans le sens où je me suis un peu éloigné de mon côté plus spirituel et j’ai ressenti un manque extrêmement violent à un moment donné. Vers la fin du cycle de Kodama, j’ai senti que je devais revenir vers ça, parce que ça fait partie de moi, ça a toujours fait partie de moi depuis quasiment ma naissance, à tel point que j’ai réutilisé le mot « instinct », parce que ce n’est pas quelque chose qui est conscient, qui est réfléchi. Il n’y a pas de parti pris quand je dis que je suis une personne spirituelle, c’est quelque chose dont j’ai réellement besoin, comme le besoin de manger ou de dormir. Donc j’ai eu ce besoin de retourner à ça.
C’est de ça que tu parlais quand tu disais que tu avais puisé dans le stress que tu as ressenti pendant la tournée ?
Oui, c’est exactement ça. C’est le fait de se sentir un peu perdu à force de trop tourner. Suivant les personnes, ça se manifeste de manière différente. Il y a des personnes qui vont se réfugier dans l’alcool, les abus ou je ne sais quoi. Dans tous les cas, ça te coupe de toi-même et ça crée une confusion au bout d’un certain temps. Moi, ça s’est manifesté avec beaucoup d’anxiété, beaucoup de stress et, surtout, le fait de se sentir dépossédé de soi-même, de ne plus savoir qui tu es, quelque part. Et le fait de revenir en force à quelque chose de très spirituel avec cet album, ça m’a fait beaucoup de bien, quelque part. Même s’il y a de la colère dans les riffs, dans le ton un peu plus dur de l’album qui était lié à ce côté plus anxieux, il y a aussi un côté très spirituel, très retour aux sources.
Est-ce que tu penses que c’est une problématique qui est commune à tous les artistes du spectacle, parce qu’ils s’offrent à un public et doivent faire passer celui-ci avant eux-mêmes ?
Oui. Je pense que tous les musiciens sont concernés par ça. Après, je ne sais pas s’ils sont tous influencés par ça dans leur créativité, parce qu’il y a des groupes qui ne font pas forcément dans l’introspection, qui ont un cahier des charges, j’en sais rien… Je prends complètement au hasard un groupe comme Amon Amarth, je ne pense pas qu’ils vont parler de leur anxiété liée à leur mode de vie dans la musique ! [Petits rires] Ils vont toujours parler de Vikings, d’histoires, etc. Alcest, c’est vrai que c’est un truc dans lequel j’aime bien me montrer tel que je suis, surtout avec le nouvel album, et parler de choses extrêmement profondes. Comme j’aime bien le dire, Alcest, ce n’est pas du rock’n’roll, ce n’est pas de la musique fun, c’est un truc hyper sérieux. Je mets vraiment mon âme sur la table, à disposition. Il y a un côté presque gênant dans le fait que ce soit aussi personnel.
Le communiqué de presse parle d’un album plein de spontanéité. Est-ce que, musicalement, il a été abordé avec plus de spontanéité que les précédents albums ?
Oui. Ce n’est pas quelque chose que tu décides quand tu composes. Soit ça se fait de manière spontanée, soit tu vas galérer pendant quatre ans à faire ton album. Donc ce n’est pas toi qui décides. Comme tu disais, ça a été composé un peu entre les différents concerts de la tournée, et quand nous rentrions de tournée avec Kodama, il y a eu un moment où je n’avais pas composé depuis longtemps, je ne me sentais pas forcément au top, et le morceau du single, « Protection », il est sorti en un coup, presque tout seul, en moins d’une journée. C’est un truc qui ne m’arrive vraiment jamais. Je suis très minutieux, très dans le travail du détail, je vais faire plusieurs versions d’un morceau, le retourner à l’envers, etc., or « Protection » a été fait en quelques heures. Il y a eu plusieurs morceaux comme ça sur l’album. Pas tous, mais la majorité des morceaux a été composée de manière très rapide, comme ça, et avec des temps d’absence d’écriture de plusieurs mois entre les morceaux.
D’un autre côté, quand on a la pression comme tu as pu l’avoir pour cet album, est-ce qu’on n’est pas tenté de vouloir tout contrôler, et donc de réprimer toute forme de spontanéité ?
Si ! Mais il y a un truc qui m’aide beaucoup quand je compose, c’est mon intuition. C’est elle qui va me dire quand un morceau est fini ou pas. Et ça, peu importe si tu passes trois ans sur un morceau ou trois heures, si ton intuition te dit que c’est bon, c’est que c’est bon. C’est très intéressant, le fait de mettre son cerveau et ses pensées de côté, pour vraiment écouter ton « gut feeling », ce que tes tripes vont te dire. C’est le meilleur des juges. Pour moi, la voix de la raison, c’est vraiment l’intuition, ça n’est pas l’intellect. Par contre, l’intellect va te servir à te dépatouiller d’un morceau dans lequel tu vas galérer pour assembler les parties, pour le terminer, mais une fois qu’il est terminé, quand tu vas l’écouter, c’est ton intuition qui va te dire soit que c’est bon, soit que le morceau a besoin de plus de travail. Et ce, peu importe le temps que tu passes dessus.
« Dans la religion, en opposition à la spiritualité, tu as déjà toutes tes réponses qui sont faites, dans un bouquin tel que la Bible, et tu n’as qu’à suivre les règles, tu n’as même pas à réfléchir. C’est ça qui ne me correspond pas du tout avec la religion, en opposition avec la spiritualité, où tu dois trouver tes réponses par toi-même, où tu dois aller puiser à l’intérieur de toi et vraiment ne pas avoir peur de ce que tu peux être. »
On en revient à l’instinct…
C’est exactement ça ! L’instinct s’est aussi beaucoup retrouvé dans la manière d’écrire l’album. C’est intéressant que tu le remarques.
Vous avez enregistré cet album au même endroit que Kodama, et avec le même producteur, Benoît Roux. Le processus a-t-il été le même ou a-t-il évolué sur la base de l’expérience avec Kodama ?
Avec Kodama, l’enregistrement avait pris pas mal de temps. Nous avions vraiment travaillé en profondeur dans le son, nous avions pris le temps pour faire les choses bien. Et nous nous sommes dit pour Spiritual Instinct, vu que les morceaux étaient spontanés, que ça aurait été bien de faire un enregistrement plus brut, plus spontané, et passer moins de temps en studio, pour rester frais et garder l’espèce d’énergie du départ. Et ça a été tout l’inverse ! Ça a été l’enregistrement le plus long que nous ayons eu de notre carrière. Ça a été, pas deux fois plus long que Kodama, mais quasiment. Ça a été vraiment difficile. Nous avons passé encore plus de temps à trouver des sons. Nous ne voulions pas reproduire la même formule que Kodama au niveau des sons, mais nous voulions quand même garder ce côté organique, très « vrai » du son, sans trop d’artifice. Donc ça a aussi été enregistré sur bande. Pour Kodama, il n’y a que la batterie qui avait été enregistrée sur bande, et là nous avons aussi fait la guitare et la basse. Disons que ça complique un peu le processus, parce que les bandes, il faut les préparer, il faut les nettoyer tous les jours, il faut entretenir la machine et tout. C’est toute une logistique à avoir, en fait, et ça ne fait pas gagner du temps, c’est sûr. Au final, ça a pris beaucoup de temps, parce que nous avons mis la barre très haut au niveau du son. Ça a été une expérience assez difficile.
Du coup, après la tournée de Kodama, devoir enchaîner avec ça…
C’est exactement ça ! Là, j’en suis à un point de ma vie, je t’avoue… Ce n’est pas que j’en sois à un nœud, à un truc inextricable, mais presque. Là, je suis allé voir mon docteur il y a un mois et il m’a dit : « Écoute, tu fais un burn-out, il faut vraiment que tu arrêtes. » Donc j’ai pris deux semaines off, mais c’était trop court. Il m’aurait fallu un mois pour vraiment récupérer. C’est très drôle, parce que pendant ces deux semaines, je n’ai pas checké mes e-mails, je suis beaucoup moins allé sur Internet que d’habitude pour poster des trucs par rapport au groupe et tout ça. J’ai fait des choses pour moi, j’ai fait ce que j’aimais faire en dehors du groupe, donc j’ai fait beaucoup de yoga, j’ai vu mes amis, je suis beaucoup sorti, j’ai joué aux jeux vidéo, j’ai vraiment fait des trucs sans rapport avec Alcest. Et je me suis dit : « Mais c’est trop bien, en fait ! » [Rires]. Et mes potes m’ont dit : « Ouais, mais tu sais, ça a un nom, ça. Ça s’appelle des vacances. C’est un truc que tu ne prends pas et que tu devrais prendre plus souvent ! » Ça fait des années que je n’ai pas pris de vacances. Et au bout d’un moment, tu te fatigues vraiment. Nous comptions sur le fait que l’enregistrement se termine assez vite pour pouvoir prendre du temps pour nous avant de commencer la promo. Et là, il y a eu zéro temps. Ça a été : enregistrement, photos promo, clip, promo album – je suis parti deux jours à Londres et deux jours à Düsseldorf et je faisais dix ou quinze interviews par jour – et là, je fais l’interview de Radio Metal aujourd’hui. Ça ne s’arrête jamais, en fait ! Ce qui est terrible, c’est de devoir se discipliner pour prendre des vacances, devoir se discipliner pour ne pas travailler !
Vous avez donc fait un enregistrement entièrement analogique, sauf pour le chant. Pourquoi ça ?
En analogique, tu ne peux pas trop dropper, faire des prises à l’infini, etc. et je galère toujours plus avec les prises de chant studio qu’avec la guitare, par exemple. Donc il valait mieux faire ça en digital, pour pouvoir refaire si besoin. C’est aussi simple que ça.
Pour toi, c’est quoi l’apport de l’analogique, notamment par rapport aux autres albums et à Kodama où seule la batterie était en analogique ?
C’est un vaste débat. C’est un truc de geek de son. Moi, j’étais curieux d’essayer d’enregistrer en analogique. Après, au niveau du son, il y a une petite différence, c’est que ça compresse naturellement le son. Il y a une compression analogique qui se fait à la prise, sur la bande, qui change un peu le son, qui le complexifie un peu, qui l’enrichit, et c’est un truc de geek. C’est-à-dire que la plupart des gens, avec un blind test, je ne suis pas sûr qu’ils fassent la différence entre analogique et numérique. Mais Benoît Roux, c’est sa manière de travailler préférée, et nous, ça nous allait. Donc nous avons fait ça sur bande, mais si c’était à refaire, je ne sais pas si je le referais. Ce n’est pas ça qui nous a spécialement fait prendre du temps, mais c’est un ensemble de facteurs. Nous avons aussi été pressés en studio. Nous n’étions pas complètement prêts de notre côté, et nous avons été pressés. Ce n’est pas un truc que j’aime faire du tout, je n’aime pas arriver en studio sans savoir ce que nous allons faire. Moi, j’aime aller en studio quand tout est vraiment nickel. Là, il y avait des trucs qui n’étaient pas encore bouclés, surtout en termes de recherche de son, le fait de savoir sur quels amplis nous allions jouer, etc. Il y avait aussi quelques petits détails sur des compos, certains passages qui n’étaient pas encore complètement définis, j’ai dû écrire les textes à la dernière minute… C’est vraiment pénible et ça ne facilite pas l’enregistrement. Comme je te disais, ça a été un ensemble de choses, et nous ferons bien attention la prochaine fois de prendre le temps qu’il faut pour être prêts.
« Je pense que le monde réel m’emmerde, en fait. Quatre-vingt-dix pour cent du monde réel m’emmerde, je ne trouve pas ça intéressant, je ne trouve pas ça beau. J’ai besoin de plus. Je sais qu’il y a une dimension beaucoup plus profonde derrière tout ça. »
Tu as déclaré qu’avec Spiritual Instinct, tu avais quelque chose d’urgent à exprimer. Tu as même parlé d’album cathartique, de quelque chose qui devait sortir de toi. J’imagine que c’est lié à ce que tu disais tout à l’heure, mais quelle était cette chose que tu devais exprimer urgemment ?
Ce sont plusieurs choses. Il y avait des émotions plus « négatives » à faire ressortir, liées à l’anxiété que j’ai depuis toujours et qui ne s’est pas forcément arrangée avec ce mode de vie. J’ai tendance, avec Alcest, à garder le projet relativement détaché de mon côté angoissé. Mais là, il fallait que je puisse inclure aussi un peu de cette partie de moi, en parallèle du côté plus magique et plus éthéré d’Alcest. Il y avait cette urgence à ce niveau-là, et le fait que, comme je te disais, j’avais un manque de spiritualité dans ma vie à ce moment-là. Depuis, j’y suis revenu totalement, mais au moment où j’ai écrit l’album, je sentais qu’il y avait cette part de moi plus déconnectée de la vie réelle qui avait besoin de s’exprimer, mon « côté Alcest ». Ça a été un retour en force à ça, et l’instinct spirituel, c’est ça, je ne peux pas m’empêcher de me tourner vers ça aussi souvent que possible. Là, il y a eu une grosse période où ça a été un peu plus compliqué. C’est un truc que j’avais déjà dû ressentir auparavant, mais là, c’était vraiment l’urgence absolue, comme on dit ! [Rires]
En disant que quelque chose devait sortir de toi, on dirait presque que tu parles de l’accouchement d’un être vivant…
Oui ou d’un exorcisme… En fait, dans la spiritualité, tu aspires forcément à grandir et à t’élever, et pour cela, il faut pouvoir se regarder en face tel que l’on est. Spiritual Instinct, ça a été aussi ça, faire face à mes démons, à mon côté plus angoissé que j’ai tendance à vouloir un peu cacher. Ça a été très intéressant pour ça et ça m’a permis de grandir. Dans la religion, en opposition à la spiritualité, tu as déjà toutes tes réponses qui sont faites, dans un bouquin tel que la Bible, et tu n’as qu’à suivre les règles, tu n’as même pas à réfléchir. C’est ça qui ne me correspond pas du tout avec la religion, en opposition avec la spiritualité, où tu dois trouver tes réponses par toi-même, où tu dois aller puiser à l’intérieur de toi et vraiment ne pas avoir peur de ce que tu peux être. Pour pouvoir grandir, t’élever, en tant qu’âme, en tant que personne, il faut à tout prix s’accepter totalement. C’est une démarche assez courageuse, car ce n’est pas un truc que l’on a forcément envie de faire. Mais c’est passionnant.
On avait déjà un peu abordé cette question à l’époque Kodama, mais à quoi ressemble ta vie spirituelle ?
Avant, et c’est très connecté à Alcest, c’était lié aux visions que j’avais pu avoir étant plus jeune. J’ai eu la chance de vivre quelque chose de spirituel au lieu de juste en entendre parler ou m’y intéresser. J’ai vraiment vécu quelque chose et j’ai beaucoup de chance par rapport à ça. J’avais dû t’en parler, mais j’avais des espèces de souvenirs, d’images qui s’accompagnaient de sensations hyper fortes qui me venaient à l’esprit quand j’étais tout petit. C’était dans des contextes complètement lambda, tels que dans la voiture, à l’école, peu importe, et j’avais des espèces de visions d’un lieu qui n’était pas terrestre. Ce n’est pas un truc que j’aurais pu rêver ou imaginer, car c’était vraiment trop précis, trop fort. Forcément, ça m’a beaucoup intrigué, et je n’ai pas pu trop en parler, parce que c’est un peu gênant. Il n’y a aucun mot qui puisse décrire ce lieu et ces émotions, ça dépasse les concepts humains. Ça a été formidable pour moi de pouvoir créer Alcest quand j’étais ado, pour ne pas avoir à en parler, ne pas avoir à me justifier, et juste pouvoir mettre tout ça dans un projet musical. En tant que personne, je suis quelqu’un de très normal, très terre-à-terre, mais j’ai une part de moi qui, je le pense réellement, ne vient pas d’ici. C’est très dur de combiner les deux, d’avoir un pied sur Terre et un pied dans cet autre monde. Ça crée une tension permanente, et j’essaye toujours de trouver une harmonie dans ma vie par rapport à ça. Donc dans mon passé, question spiritualité, tout passait par Alcest ou par le fait d’aller me promener dans la nature, de passer du temps dans la forêt ou au bord de la mer. C’est un excellent moyen de se connecter à sa spiritualité. C’est une aide, je pense que ça peut vraiment te donner un petit coup de pouce pour entrevoir ce que peut être quelque chose de divin ou de profondément spirituel. J’insiste beaucoup sur le fait qu’il faut vraiment se faire son expérience soi-même, plutôt que d’entendre quelqu’un d’autre en parler ou de dire quoi faire. Il faut être indépendant à ce niveau-là. On a tous une expérience différente et une approche différente des choses. Il faut faire attention à tout ce qui est dogme, croyances préétablies… C’est tellement prétentieux que de dire : « Moi, je sais ce que c’est Dieu, que quand on meurt, on ira là, c’est sûr… » Non, je pense qu’il faut vraiment se calmer, se souvenir qu’on n’est que des êtres humains, et que ça serait quand même bien prétentieux de dire que l’on connaît tout sur tout.
« Qu’est-ce qui reste de nous si on enlève tout notre vécu, toute notre expérience ? Qu’est-ce qui fait notre essence ? […] J’ai toujours pensé qu’il y avait une part d’inné en nous, et que l’on pouvait se définir en dehors de notre expérience. »
Et donc plus tard, depuis un an et demi ou deux, j’ai commencé à faire du yoga et de la méditation. La méditation, c’est très difficile. C’est peut-être un truc avec lequel j’ai plus de mal, parce que ça fait ressortir beaucoup de choses négatives, surtout dans les débuts. Tu as vraiment toutes tes pensées parasites et négatives qui vont ressortir, et ce n’est pas forcément facile, parce que tu vas te ressentir moins bien à la fin de ta séance de méditation, qu’avant d’avoir commencé. Donc il y a peut-être un stade à passer. Peut-être que je n’en suis pas encore là, ou que je n’ai pas pratiqué assez régulièrement, parce qu’avec mon mode de vie, c’est difficile de faire ça tous les jours. Mais d’un autre côté, le yoga, j’ai découvert ça il y a un an et demi ou deux ans, et ça a changé ma vie. Il y a quelque chose d’extrêmement beau dans le yoga et il faut l’avoir essayé une fois pour voir ce que ça fait. C’est un sentiment assez fou. Tu passes vraiment à un moment avec toi-même, tu n’es pas dans le passé ou dans le futur, tu es vraiment là, tu es présent. Il y a un calme intérieur qui est vraiment très beau, et ça casse tous tes cadenas émotionnels. C’est-à-dire que si tu t’es senti mal, si tu as eu quelque chose de très lourd en toi, tu vas vraiment ressentir une libération à la fin de ta session. La première fois que ça arrive, ça fait très bizarre, c’est un gros choc. Après, je sais qu’il y a des gens qui voient plutôt ça comme un entraînement un petit peu physique, qui prennent ça de manière beaucoup plus terre-à-terre, mais pour moi, c’est un super complément à ma vie spirituelle. Ça permet vraiment de se connecter à ce qu’on est au plus profond.
Tu parlais de ce souvenir de ce monde dont tu as fait l’expérience étant enfant, ces visions dont tu parles dans Alcest. Justement, dans Kodama, tu t’étais un peu éloigné de ça, c’était moins direct…
[Coupe] Ah oui, pas du tout ! En fait, dans Kodama, ça n’en parle… Enfin, il y a un morceau qui s’appelle « Je Suis d’Ailleurs », qui pour le coup est plus connecté à ça, au fait de se sentir un peu étranger, de ne pas toujours avoir l’impression d’avoir les pieds sur Terre, et que ça soit difficile de concilier cette espèce d’attraction pour un autre monde, dont tu ne sais pas exactement ce que c’est, et une vie très terre-à-terre. Donc il y avait ce morceau-là. Mais le reste de l’album, c’est plutôt ce concept autour du combat entre la nature et le monde des humains, en référence au film Princesse Mononoké, et toute cette ambiance un peu japonisante qu’il peut y avoir dans les mélodies ou dans l’artwork. Comme Shelter, c’est un album un peu à part. J’ai fait deux albums consécutifs qui ne parlaient pas forcément de cet autre monde dont j’ai beaucoup parlé dans mes débuts. J’y reviens un peu sur Spiritual Instinct, mais je n’en parle pas directement. C’est plutôt, comme on disait, un mélange de spiritualité et d’angoisses. Spiritual Instinct, c’est un album qui est vraiment très introspectif. C’est la première fois que je ne m’inspire pas d’un lieu, de quelque chose d’extérieur. Même au niveau des couleurs, c’est très sombre ; ça renvoie plus à un voyage intérieur, en fait.
Ça fait du coup depuis plusieurs albums que tu t’éloignes du concept de base d’Alcest. Penses-tu que tu as fait un peu le tour de cette expérience ?
Je ne pense pas. C’est juste que tu ne peux pas le faire à chaque fois. Il faut vraiment ressentir le besoin d’en parler, et j’ai très peur de mal en parler, d’aller trop loin, d’être poussif, de vraiment presser le citron, faire ça à chaque fois. J’avais besoin de me rafraîchir, quelque part, avec des albums comme Kodama ou Shelter, tout en gardant la patte Alcest, parce que je pense que quoi que je fasse, il y aura toujours ces mélodies un peu éthérées, épiques qui reviennent, et des choses qui ne sont pas connectées à ce monde-là. Même si je fais des albums qui n’en parlent pas directement, tu vas retrouver cet autre monde dans chacune de mes mélodies. À l’époque de Souvenirs D’un Autre Monde, ça a été un choix parfaitement conscient de mettre en musique ces souvenirs d’un autre monde. C’est un truc que je ne peux pas faire à chaque fois, mais par contre, j’ai envie d’y revenir. Spiritual Instinct, ça a été très teinté de colère et de doutes. C’est un album déjà plus alcestien que Shelter et Kodama, mais ce n’est pas encore complètement le concept d’origine, même si au niveau des mélodies et des ambiances, je pense qu’on peut retrouver des choses qu’il y a dans Souvenirs D’un Autre Monde ou dans Écailles De Lune, par exemple. Je pense que j’arrive à un point où je vais avoir besoin d’en parler à nouveau, surtout avec ma nouvelle pratique du yoga, qui me permet de vraiment revenir à l’essence, à ce que j’ai au plus profond de moi. À un moment donné, je pense que ça va ressurgir.
« Je n’aime pas les choses sombres. Je n’aime pas la musique sombre, j’aime la musique émotionnellement puissante, mais pas creepy. »
Derrière l’idée de l’instinct que l’on retrouve dans le titre de l’album, il y a celle de notre animalité. C’est ce qu’on retrouve sur la pochette de l’album, qui représente un sphinx. On peut imaginer que ce sphinx, c’est un peu toi, représenté sous ces traits d’une créature mi-homme mi-animal. Est-ce que c’est aussi un peu ça que tu as cherché à faire, à savoir renouer avec l’animal en toi ?
Je n’essaye pas de renouer avec ça ; homme et animal, pour moi c’est un peu la même chose. C’est plutôt une observation, et le fait de ne pas forcément se sentir très à l’aise avec ça. C’est de voir que l’on est plein de choses, on n’est pas qu’une chose en tant que personne, on est vraiment multiple. Dans mon cas, ça va être un mélange de spiritualité, de mélancolie, de colère, d’animalité, de quelque chose de plus primaire, avec des côtés un peu compulsifs que je n’aime pas chez moi, des choses sur lesquelles j’essaye de travailler. C’est vrai que je me reconnais vachement dans cette créature, et puis le fait de m’être toujours senti un peu étranger, j’ai toujours un peu fait « tache ». Quand j’étais dans le sud de la France, j’étais vraiment très différent de la plupart des gens, et ensuite, quand je suis arrivé à Paris, c’était un peu pareil. Alcest, c’est un groupe qui est très différent, ce n’est pas un groupe de metal habituel, c’est une drôle d’entité. Les gens me le disent : « C’est un groupe tellement étrange que je ne sais même pas comment en parler, je ne sais pas quels mots utiliser ou dans quel style vous mettre. » C’est un peu l’histoire de ma vie ! [Petits rires] Je me reconnais vachement dans ce sphinx qui est aussi très étrange, très intrigant, qui est à la fois beau et laid, et qui est à la fois très terrestre et très spirituel… Qui est complexe, en fait. Dans le visage du sphinx, il y a quelque chose d’un peu mélancolique, de réfléchi, il est très pensif. Il y a une espèce de noblesse dans son expression, et même dans ses ailes un peu angéliques, il y a quelque chose qui renvoie beaucoup à la spiritualité. Et d’un autre côté, il y a les griffes, les poils, quelque chose de vachement plus bas, plus terrestre.
Tu disais que tu as ressenti toute ta vie le fait d’être étranger et qu’Alcest n’entrait dans aucune case. Comment le fait d’être un outsider a impacté ta vie et ta relation aux autres, à la société, etc. ?
C’est une drôle de question ! En fait, j’ai beaucoup plus été un outsider avec ma famille. Forcément, la famille, tu ne la choisis pas. C’est vrai que je n’ai jamais trop pu dialoguer avec mes parents, surtout mon père, qui est très différent de moi, il est pour le coup vachement plus terre-à-terre, vachement plus normal que moi. Il s’est intéressé à des trucs de mec « normal », comme le sport, la voiture, la mécanique… Des trucs « de mec » quoi ! Et c’est vrai que la plupart des gens dans le sud de la France sont comme ça. Moi, c’est vrai que j’avais des intérêts tellement différents… Nous n’avions rien en commun, quasiment. Avec le recul, ce qui est chouette, il y a un truc qu’il a toujours aimé, et qu’au final, je me retrouve à aimer énormément aussi, c’est la mer. Nous sommes très attirés par la mer, nous aimons beaucoup ça, mes parents et moi. Je pense que c’est un truc qui nous a un peu rapprochés. Et puis maintenant, avec les années, on a tendance à se rapprocher un peu plus de ses parents aussi. Il y a peut-être eu beaucoup d’incompréhension dans les débuts, mais maintenant, ils sont très fiers de moi. Mon père aussi est très fier d’Alcest. C’est vrai que ça n’a pas toujours été simple, mais tout ça pour dire que ça dépend avec qui. Avec ma famille, ça a pu être compliqué, mais par contre, j’ai eu la chance d’avoir toujours été entouré d’amis très chers, et la chance que tu peux avoir les amis, c’est que tu les choisis, déjà, et puis ce sont des personnes qui m’ont toujours compris et respecté. Ce sont aussi quelque part tous des outsiders, donc nous nous comprenons, et ça m’a vraiment aidé. Je pense que si je n’avais pas eu mes amis, ça aurait été très compliqué pour moi d’avoir une vie à peu près normale.
Cet écart entre ton père très terre-à-terre et toi très rêveur, ça a été conflictuel à une époque ?
Plus que conflictuel, ça a vraiment été une impossibilité à se comprendre, parce que moi, j’étais dans des univers très oniriques, j’étais beaucoup dans la fantasy, dans les jeux de rôle, dans les mangas… J’étais un peu ce qu’on appelle un geek maintenant. J’étais un peu dans les échappatoires, quelque part. Ce que j’aime dans le Japon aussi, parce que je suis un passionné du Japon depuis toujours, c’est que c’est un autre monde, c’est un truc qui te sort de ta réalité quotidienne. Je pense que mon père a toujours eu du mal à comprendre pourquoi je voulais faire des « fix » d’autres mondes. J’ai toujours été attiré par les univers « différents ».
À quoi cherches-tu à échapper ?
Je pense que le monde réel m’emmerde, en fait. Quatre-vingt-dix pour cent du monde réel m’emmerde, je ne trouve pas ça intéressant, je ne trouve pas ça beau. J’ai besoin de plus. Je sais qu’il y a une dimension beaucoup plus profonde derrière tout ça. Je pense que quand tu as eu la chance d’y avoir accès, d’une manière ou d’une autre, comme j’ai pu l’avoir quand j’étais plus jeune, tu ne peux pas ensuite te conformer à quelque chose de purement terre-à-terre. C’est impossible.
« Il y a un côté jouissif dans ce volume, un côté très primaire, qui n’est pas cérébral. Et moi, j’adore ce qui n’est pas cérébral. J’ai beaucoup de mal avec les trucs trop calculés. »
Tu dis qu’il est important de rester connecté à son essence, et j’imagine que derrière le mot « essence », il y a un peu le mot « instinct ». Penses-tu que l’un des problèmes de notre société aujourd’hui soit que les gens aient oublié leur part d’instinct ?
Oui. Alors, je ne sais pas si l’instinct est vraiment quelque chose que j’inclus dans notre essence profonde. Je ne pense pas. Mais en tout cas, pour ce qui est de ne pas forcément gérer nos vies uniquement avec notre intellect, ça oui. Parce que pour moi, notre essence profonde, c’est quelque chose qui dépasse notre pensée. C’est justement ce qui est très intéressant quand tu pratiques la méditation ou le yoga, tu vas te rendre compte que les pensées t’induisent souvent plus en erreur qu’autre chose. Il faut extrêmement rester connecté à sa voix intérieure, à son intuition, à son sixième sens… On peut l’appeler comme on veut. C’est quelque chose qui peut te faire prendre des décisions qui de prime abord vont te paraître complètement absurdes, alors qu’au final, tu te rends compte que c’est ce que tu aurais dû faire dès le début. Pour moi, notre essence, c’est ça, et c’est aussi l’âme. C’est la nature de l’âme, et c’est quelque chose qui n’est pas forcément connecté à notre humanité. Je pense que nous sommes beaucoup plus que de simples êtres humains.
L’être humain a évolué de telle sorte qu’il va de plus en plus minimiser sa part d’instinct, notamment pour réprimer certaines pulsions. Est-ce que tu penses que l’instinct est toujours positif ?
C’est une bonne question. Après, les instincts primaires de violence, de dirigeants ou de guerriers, de gens qui auraient des instincts de conquête, de meurtre, de violence, je ne sais pas s’il faut dire qu’il ne faudrait pas les réprimer. C’est une question difficile ! Je vais dire que ça va peut-être dépendre des instincts, parce qu’il y en a aussi beaucoup qui vont être parasités, par la pensée, par le vécu… Qu’est-ce qu’un instinct véritable, un instinct brut ? Je vais prendre un exemple extrême, mais un tueur en série qui aurait comme instinct de détruire les autres, de leur faire du mal, est-ce que c’est un instinct qu’il aurait eu dès la naissance, ou est-ce que c’est un instinct « faux », qui aurait été construit par son expérience, par la société ? Donc qu’est-ce qu’un pur instinct ? C’est justement ça qui m’intéresse. Quelle est notre part d’inné ? Qu’est-ce qui reste de nous si on enlève tout notre vécu, toute notre expérience ? Qu’est-ce qui fait notre essence ? Il y a certaines personnes qui ont été élevées de la même manière, par les mêmes parents, qui n’ont peut-être que quelques mois d’écart, et qui vont être radicalement différentes. J’ai toujours pensé qu’il y avait une part d’inné en nous, et que l’on pouvait se définir en dehors de notre expérience. Et ça, c’est quelque chose de très intéressant. Moi, j’ai l’impression d’avoir été qui je suis depuis le départ. C’est quand même étrange…
Spiritual Instinct est un album assez sombre par certains aspects, même si on n’est jamais très loin non plus de la lumière avec Alcest. Il se trouve que Kodama se terminait sur un morceau, « Onyx », qui était assez sombre, et qui t’évoquait quelque chose de presque oppressant et post-apocalyptique. Or, « Onyx » n’avait pas de paroles. Est-ce que finalement, avec Spiritual Instinct, tu n’as pas mis des mots sur ce que tu commençais à exprimer instrumentalement sur Onyx ?
Je ne sais pas. Onyx était plus rattaché à ce qui s’était passé à l’époque du Bataclan, cette sensation de fin du monde que l’on a pu avoir ce jour-là, où tu te dis que tout fout le camp, qu’il n’y a plus d’espoir. Bon après, il se passe des choses horribles dans le monde, tout le temps. Ce sont des trucs sur lesquels on n’a pas forcément autant d’attachement et d’empathie, ce qui est très dommage. On devrait se sentir concerné à chaque fois. Mais le fait d’avoir quelque chose comme ça qui se passe à une rue de chez moi, parce que j’habite derrière le Bataclan, ça a été un choc, un traumatisme. Du coup, c’était peut-être plus lié à ça, tandis que Spiritual Instinct, c’est vraiment de l’introspection pure et dure. Mais disons que le climat ambiant, un peu négatif, n’a forcément pas dû aider dans le ton de l’album. Musicalement, peut-être qu’il y a un lien. Après, au niveau de l’idée derrière le morceau, pas forcément. Ce sont deux choses assez différentes.
Kodama voyait le retour des voix black metal, tandis que Spiritual Instinct non seulement conserve ça mais est également marqué par du riffing très metal. Est-ce que c’est le retour d’un amour de jeunesse, ou est-ce que c’était plutôt une nécessité pour exprimer cette obscurité et ce côté négatif que tu avais à exprimer ?
C’est ça, c’est une nécessité. C’est presque un réflexe, parce que ça n’est pas forcément conscient. Le fait d’avoir grandi avec le metal, quand j’ai besoin de faire quelque chose de plus dur, plutôt que de faire de la hard tech ou je ne sais quoi, je vais faire ce que je sais faire, donc des guitares saturées, avec une batterie pêchue et un chant hurlé. Il n’y a pas de message, je ne veux pas dire : « On retourne au metal. » Je ne fonctionne pas trop en termes de style. C’est juste que j’ai des réflexes, des outils, des mécanismes, et je vais plus me diriger vers certains outils musicaux que d’autres. Et je repense à ce que tu disais à propos de l’instinct, ce côté plus animal, c’est ce qui rejoint ce besoin très primitif, très violent d’exprimer quelque chose de brut, une colère spontanée, presque animale. C’est un peu ce que tu retrouves dans le titre, en opposition au côté plus spirituel.
« Je suis très dur envers moi-même, je suis mon pire ennemi, et justement, quand tu as une démarche spirituelle comme je peux l’avoir, il n’y a pas de mensonge possible. Tu te regardes dans le miroir et tu te vois tel quel. »
Tu penses que n’aurais pas pu exprimer ce que tu voulais exprimer sans avoir recours à ces outils issus du metal ?
Si. Je pense qu’il y a plein de moyens d’exprimer la colère, artistiquement.
Je te demande ça parce qu’il y a des gens comme Steven Wilson ou Mikael Akerfeldt qui soutiennent que l’on peut faire des choses très sombres et très heavy, si ce n’est plus, sans forcément avoir recours au metal…
Oui, mais du coup, ça m’emmerde, personnellement. En fait, je n’aime pas les choses sombres. Je n’aime pas la musique sombre, j’aime la musique émotionnellement puissante, mais pas creepy. Je ne sais pas trop comment expliquer. Je vais beaucoup aimer la musique très mélancolique, très émotionnelle, mais par contre je n’aime pas trop les trucs dissonants. Évoquer des ambiances un peu cauchemardesques, ou creepy, ce n’est pas mon truc, par exemple. Pour ce qui est d’exprimer des choses spontanées, cathartiques, agressives, sans utiliser de puissance, ce doit être possible, mais je ne vois pas trop comment. Il y a un côté jouissif dans ce volume, un côté très primaire, qui n’est pas cérébral. Et moi, j’adore ce qui n’est pas cérébral. J’ai beaucoup de mal avec les trucs trop calculés.
Alcest a, à un moment donné, beaucoup été associé au black metal. Tu dis que tu n’aimes pas la dissonance, mais pourtant la dissonance est très présente dans le black metal…
Oui, mais je n’aime pas le black metal dissonant. Je déteste. Tous les trucs modernes, je ne comprends pas. Ce n’est pas mon truc, en fait. Moi, j’aime par exemple le black metal norvégien, qui faisait un peu un lien entre le côté sombre de la nature, le côté un peu fantasy, tout ce qui est Emperor, Ulver, Burzum… Bon, Burzum, je déteste le gars, forcément, mais j’aimais beaucoup la musique. Les premiers Darkthrone aussi avaient un truc hyper sauvage, hyper mystique, quelque part.
Une chose qu’on peut remarquer dans l’album, c’est que la basse est pas mal présente dans le mix, et ce dès les premières secondes de l’album. Cela participe pas mal d’un sentiment de lourdeur, qu’il y avait peut-être un peu moins sur les albums précédents. Était-ce un parti pris de mettre en avant cet instrument ?
Oui, quelque part. Comme tu dis, c’est un truc que nous n’avions jamais trop fait avant. Nous avions besoin de cette lourdeur. Ça allait bien avec le style de l’album et l’idée qu’il y avait derrière, de quelque chose de brut, d’instinctif. Après, c’est un truc qui s’est fait vachement pendant le mix et le mastering, donc un peu malgré nous. Nous bossons avec un gars qui s’est occupé du mastering et qui s’appelle Mika Jussila, c’est un Finlandais. Et avec lui, quand tu reçois ton mastering, la basse devient toujours beaucoup plus lourde. Donc ça s’est aussi fait un peu malgré nous. Mais je pense que ça colle bien avec le cahier des charges que nous avions.
On parlait du côté obscur, sombre, etc. Mais inversement, par le passé, même lorsque tu avais recours à des éléments très metal, ta musique est souvent restée très lumineuse, assez légère, assez onirique. Tu as déclaré que généralement, tu ne parles pas de ton obscurité dans la musique d’Alcest. Cette fois, c’est quelque chose que tu as eu besoin de faire. Du coup, cette obscurité, est-ce que c’est quelque chose que tu as cherché à refouler jusqu’à présent ?
Ce n’est pas que je le refoulais, mais disons que ce n’était pas suffisamment prédominant dans ma vie pour que je ressente le besoin de le mettre dans Alcest. C’est quelque chose qui était un peu en retrait, mais ces dernières années, ça a été de plus en plus présent, et j’ai eu besoin à un moment donné de faire quelque chose d’honnête artistiquement, vu que c’est le seul projet que j’ai maintenant. Je n’ai plus le moyen de m’exprimer dans d’autres projets, je n’ai qu’Alcest, donc c’était aussi un besoin que j’avais. Et puis quand tu composes dans un groupe, je pense que chaque chose que tu peux exprimer vraiment avec tes tripes, sans y réfléchir, sans avoir à intellectualiser ou à conceptualiser, il faut vraiment sauter sur l’occasion. Parce qu’au niveau de la créativité, il n’y a rien de plus pur que ces choses-là, les choses qui sortent toutes seules. Et c’est un truc que beaucoup de musiciens recherchent, ce moment magique où tu vas composer un morceau en une heure, et ça va être un de tes meilleurs morceaux. Donc si tu sens qu’il y a quelque chose qui a besoin de sortir, il ne faut généralement pas essayer de trop le teinter d’une couleur ou d’une autre, il faut le laisser sortir tel quel.
C’est quoi la part obscure de ta personnalité ? Comment s’exprime-t-elle ?
[Petits rires] C’est assez personnel. Ce sont des choses que je n’aime pas forcément chez moi. Je suis très dur envers moi-même, je suis mon pire ennemi, et justement, quand tu as une démarche spirituelle comme je peux l’avoir, il n’y a pas de mensonge possible. Tu te regardes dans le miroir et tu te vois tel quel. Quelque part, à ce stade-là de ma vie, c’est presque l’inverse, c’est que j’essaie d’être un peu plus clément envers moi-même, d’être un peu plus aimant, parce que je suis très dur. Il ne faut pas oublier qu’on est ce qu’on est, qu’absolument personne n’est parfait. La personne que l’on est, il faut faire avec. Rien n’est perdu, il y a toujours moyen de s’élever, de devenir une meilleure personne que ce que l’on aimerait être. Il faut être patient, être compréhensif, et ne pas être trop dur.
« Pour être une meilleure personne, il faut avant tout se connaître. Et quand je dis ‘être une meilleure personne’, c’est être une meilleure personne pour les autres, pour les gens autour de toi, pour pouvoir donner le meilleur de toi-même, mais c’est aussi de pouvoir s’aimer soi-même. »
Andy Schmidt de Disillusion nous disait que notre côté sombre faisait partie de nous, et que d’une certaine façon, c’était aussi notre ami, qu’on pouvait le nier, le combattre, mais qu’on pouvait aussi l’accepter…
Oui. En fait, le combat passe en premier par l’acceptation. C’est-à-dire que si tu veux corriger certains aspects de ta personne, il faut déjà les comprendre – enfin, pas les comprendre, parce que c’est très compliqué de comprendre pourquoi on fait ci ou ça, mais il faut l’accepter tout autant que notre part de lumière, et vraiment s’accepter tel que l’on est. Et ce n’est pas évident. Je pense qu’il y a aussi beaucoup de gens qui se mentent ou qui n’ont pas conscience de leurs défauts. Il y a des gens autour de moi qui me disent que je suis très conscient de ce que je suis et je ne cherche pas du tout à m’enjoliver. J’aimerais être une meilleure personne que ce que je suis, mais ça doit passer par un certain travail, j’imagine, et sûrement un parcours de toute une vie.
Tu as justement déclaré qu’il fallait « affronter nos démons pour être une meilleure personne ». As-tu le sentiment d’être une meilleure personne maintenant que cet album est terminé ?
Non, parce que c’est trop récent, et je suis vraiment dans un processus de guérison et d’amélioration, parce que je n’étais vraiment pas très bien ces derniers temps. Là je pense que je n’en suis qu’au début, mais en tout cas je sens que ça va déjà mieux. Je suis en marche, je suis sur mon chemin. Quand je dis : « affronter ses démons pour mieux les combattre », c’est surtout pour mieux les accepter. Il faut être honnête envers soi-même pour pouvoir s’accepter tel que l’on est. Les combattre, c’est possible, mais déjà si on arrive à se connaître, à savoir qui l’on est, c’est déjà ce que je peux appeler « combattre », quelque part, parce que tu comprends les mécanismes de tes émotions, les mécanismes de tes instincts, de tes réflexes, et tu peux apprendre à les contrôler. C’est peut-être plus ça que je voulais dire. Je pense que pour être une meilleure personne, il faut avant tout se connaître. Et quand je dis « être une meilleure personne », c’est être une meilleure personne pour les autres, pour les gens autour de toi, pour pouvoir donner le meilleur de toi-même, mais c’est aussi de pouvoir s’aimer soi-même. C’est être ça une meilleure personne. Le but est de vraiment trouver une harmonie avec soi-même et de faire du bien autour de soi.
Tu dis que c’est encore trop récent pour que tu ressentes être une meilleure personne, mais tu dis aussi que tu commences à ressentir les effets positifs d’avoir mis ces choses sur l’album. Comment se manifestent ces effets ?
Tu prends un peu de distance avec tes émotions, parce que tu les as déjà exprimées, elles sont là, elles sont concrétisées sous la forme d’un morceau. Donc c’est quelque chose qui est sorti, déjà. Donc ça ne fait plus autant partie de toi. Et ça fait du bien. Ça enlève déjà un poids. Mais après, je ne me suis pas débarrassé de mes angoisses, ça serait trop facile. Le nombre d’artistes qui étaient tourmentés et qui l’ont été toute leur vie… Je ne dis pas que c’est ce qui va m’arriver, mais on ne se débarrasse pas de ses démons et de ses angoisses comme ça. Par contre, la démarche de vouloir extérioriser ses émotions, c’est déjà une très belle chose.
Presque à chaque album, tu as une chanson en référence à un minéral. Ici, c’est le saphir, mais par le passé, il y a eu l’onyx, l’opale, l’émeraude à deux reprises… Qu’associes-tu à ces minéraux ? Des sentiments ? Des états d’âme ? Des souvenirs ? Des idées ?
Je ne sais pas trop non plus. C’est quelque chose que je trouve très beau. Quand j’étais petit, je collectionnais les pierres semi-précieuses. Je trouve que bizarrement, il y a aussi un côté très spirituel là-dedans. Je ne sais pas si c’est mon côté un peu new age, avec tout le pouvoir des cristaux… Je ne sais pas. Je trouve ça tellement beau qu’il y ait des pierres qui puissent avoir une couleur pure, l’émeraude qui est verte, le saphir qui est bleu… Ce sont des choses qui sont produites par la nature et qui sont tellement belles ! Ça m’inspire. Et puis c’est un produit brut qui vient de la nature. Je trouve que ça cadre bien avec l’univers d’Alcest. Mais je ne suis pas du tout dans la minéralogie. C’est purement esthétique. Je ne comprends même pas moi-même mon attrait pour ça. C’est comme quand les gens me parlent de la plume de paon qu’on retrouve souvent, je ne sais pas, je suis attiré par ça. Il y a là-dedans quelque chose de très éthéré, de très « otherworldly », d’un autre monde, quelque part.
L’édition limitée de l’album comprend des remixes de Perturbator et de Ben Chisholm. Peux-tu nous parler de ces collaborations ?
Perturbator est un pote qui habite à Paris comme moi. Il est assez fan d’Alcest, comme moi je suis fan de son travail. Nous nous sommes vus quelques fois, et nous nous sommes dit que ça serait super de travailler ensemble. D’ailleurs, à notre concert lors de l’événement Red Bull en septembre, qui est un set collaboratif, nous allons jouer un morceau d’Alcest où James [Kent] fera une apparition, et c’est ce même morceau qui sera sur le bonus. C’est super, parce que ce sont deux styles de musique assez différents, et c’est très cool d’entendre le résultat pour la première fois. Quand je l’ai entendu, j’étais hyper content. Ça sonne hyper bien. C’est exactement ce que j’attendais de lui. Quant à Ben Chisholm, c’est l’autre personne qu’il y a dans Chelsea Wolfe, aux côtés de Chelsea Wolfe. Il fait beaucoup de son, je pense qu’il compose aussi un peu. C’est un peu son bras droit, quelque part. C’est aussi un producteur, il fait beaucoup de son, et j’adore ce qu’il fait. Nous nous connaissons depuis quelques années, il nous a vus en concert quelques fois, nous les avons aussi vus plusieurs fois, j’adore Chelsea Wolfe aussi. Je lui ai demandé si ça l’intéressait, il était très motivé. Il a fait un super taf aussi. Nous avons eu beaucoup de chance. Les deux remixes que nous allons avoir, je les trouve géniaux. Ça va faire un super petit EP.
« Les gens qui écoutent Alcest sont un peu des elfes modernes ! Ce sont des gens qui ont un regard particulier, un look particulier, tu as l’impression qu’ils ne sont pas vraiment d’ici. »
Tu parlais de cet événement avec Perturbator au Red Bull Music Festival. Qui en a eu l’idée à la base et comment est-ce que vous abordez ça ?
C’est Red Bull qui a demandé à Fortifem, les graphistes, de préparer une programmation de groupes pour des concerts collaboratifs. Donc Red Bull a eu l’idée et Fortifem a choisi les groupes. Ils m’en ont parlé il y a longtemps, ça doit faire un an ou plus. Donc ça ne vient pas des groupes. Donc je vais jouer de la guitare sur certains morceaux de Perturbator, je vais apporter quelques lignes de guitare et un côté plus organique, quelque part. Et lui va faire des machines sur nos morceaux. Il n’y a pas de nouveau morceau, ce ne sont que des morceaux déjà existants, mais par contre, il y aura une couleur sonore différente. Donc de mon côté, je prépare des parties de guitare pour lui. J’ai aussi un peu reproduit ce qu’il avait fait, parce qu’il avait déjà des pistes de guitare, et j’ai rajouté quelques trucs, un peu de chant aussi. En fait, le truc n’est pas juste d’arriver et de faire un truc chacun de son côté, c’est vraiment apporter une touche tout en respectant complètement le morceau. Je ne veux pas que ce soit kitsch, ou bizarre. C’est pareil pour lui, je pense qu’il a eu cette approche-là et c’est pour ça que ça fonctionne bien.
Penses-tu que cette collaboration pourrait aller plus loin ?
Moi, j’aimerais vraiment. Après, je ne sais pas ce que lui a en tête. Mais s’il a besoin de moi pour d’autres projets à l’avenir, je prendrai tout le temps qu’il faut pour le faire, parce que pour le coup, c’est une vraie bouffée d’oxygène par rapport à Alcest, et j’adore ce genre de musique aussi. C’est quand il veut, il n’y a pas de souci !
On peut d’ailleurs entendre des sonorités new wave, synthwave dans l’album, comme on peut les retrouver chez Perturbator, dans la chanson « Le Miroir »…
Oui. J’écoute énormément de new wave et de post-punk depuis que je suis ado. À l’époque, j’avais le projet Amesoeurs où nous essayions de mélanger le post-punk et le black metal. Mais oui, ce sont des sonorités qui ne sont jamais très loin. J’adore ce genre de musique. Sur « Sapphire » aussi, il y a un côté The Cure, dans les riffs et dans la rythmique, un côté presque post-punk.
Le clip de Protection peut faire penser à la démarche artistique de Sia, qui a un personnage qui revient dans ses clips. Est-ce que ce personnage pourra être retrouvé dans tes futurs clips ?
Je ne sais pas, je n’y ai pas trop réfléchi. Pourquoi pas ? C’est vrai que ça n’est pas évident de construire un clip pour un groupe autour d’une autre personne. Nous nous sommes bien fait chier pour le casting à essayer de trouver quelqu’un qui ait un « look Alcest » et que l’attention ne soit pas attirée par la personne, mais plutôt par ce que la personne dégage et ce qu’elle fait, par l’émotion qui est véhiculée par la personne. Nous ne voulions pas que les gens se disent : « C’est un clip avec une meuf qui danse », nous ne voulions surtout pas qu’il y ait un côté un peu sexy. Ce n’est pas évident. Je ne pense pas que nous apparaîtrons nous-mêmes dans beaucoup de nos clips, donc c’est un truc qui devra sûrement se reproduire.
C’est quoi, le « look Alcest » ?
Je ne sais pas ! Il faut regarder notre univers, les pochettes, le logo… Les gens qui écoutent Alcest sont un peu des elfes modernes ! Ce sont des gens qui ont un regard particulier, un look particulier, tu as l’impression qu’ils ne sont pas vraiment d’ici… C’est vrai que ça peut être très subtil. Il y a des personnes qui dégagent quelque chose de différent.
Alcest a mis fin à sa collaboration avec Prophecy Productions qui durait depuis les débuts du groupe, et a signé chez Nuclear Blast. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour Alcest ?
Ouais, complètement. Nous ne nous attendions pas à ce que ça soit aussi différent. C’est radicalement différent, dans le bon sens du terme. Je ne dis pas que Prophecy ont fait du mauvais travail pour nous, ils ont fait du très bon travail, mais ce n’est même pas comparable. Prophecy est une micro-structure, Nuclear Blast est un vrai label avec des moyens considérables. Ils ont fait une listening session pour l’album, ils ont fait voler des journalistes de l’Europe entière juste pour quarante minutes d’écoute. Ils m’ont envoyé quatre jours faire de la promo, deux jours à Londres, deux jours en Allemagne, à dormir à l’hôtel… Ils m’ont chouchouté comme ce n’est pas permis, et c’est incomparable. Ils ont un réseau beaucoup plus étendu que Prophecy, ils connaissent beaucoup de médias, ils font les choses bien. Ils font de la vraie promo, avec des journées promotionnelles partout en Europe… Plutôt que de passer ma journée derrière Skype à parler à des gens du monde entier, je vais carrément les rencontrer, et ça apporte une dimension supplémentaire, c’est autre chose. Ils sont en contact avec énormément de médias, donc c’est super chouette pour nous de pouvoir répandre notre musique. Leur clientèle est très étendue, donc même des gens qui ne connaissent pas Alcest vont voir Alcest dans les sorties du label. Du coup, ils vont écouter « Protection », par exemple, alors qu’ils n’ont jamais entendu une note d’Alcest auparavant. Avec Nuclear Blast, nous sommes enchantés. Ils sont incroyables, et en plus, ils nous laissent une liberté artistique totale, nous faisons ce que nous voulons, et ils ont un respect pour ce projet qui est génial.
« J’ai lu des trucs, je trouvais ça dingue ! Il y a des gens qui disent que Nuclear Blast va changer le son du groupe… […] J’ai vu des trucs du genre : ‘Alcest RIP’. Les gars, on va se calmer ! Ça ne change rien du tout. Ça n’a rien changé sur notre manière de travailler. »
Sur Facebook, lorsque vous avez annoncé cette signature, il y a un certain nombre de fans qui a exprimé son inquiétude vis-à-vis de ça. En gros, ils avaient peur de l’impact que ça pourrait avoir sur la musique, que ce soit en étant contraint à des compromis, à des exigences artistiques, ou même à un calendrier imposé…
Oui, ce qui est dingue, c’est que les gens parlent sans savoir. Ils ne savent pas. Ils ne savent pas quel contrat nous avons signé, ils ne savent rien de la manière dont les labels travaillent à l’heure actuelle. C’est un marché qui est en changement perpétuel. J’ai lu des trucs, je trouvais ça dingue ! Il y a des gens qui disent que Nuclear Blast va changer le son du groupe… Nuclear Blast nous donne une liberté totale, que ce soit au niveau des compos, du son. Il n’y a également aucune contrainte au niveau du temps. Si nous voulons sortir un album dans cinq ans, dix ans, nous pouvons le faire. Les gens parlent sans savoir, c’est hallucinant, tout ça parce que Nuclear Blast est un gros label. Ou alors, ils sont restés bloqués dans les années 1980, je ne sais pas… C’est un truc que les labels ne font plus. Ils n’imposent plus de contrainte artistique aux groupes, parce qu’ils ont compris que la meilleure chose à faire s’ils voulaient vendre des disques à l’heure actuelle, c’était de laisser les groupes faire leur truc. Je pense que les labels étaient derrière les groupes pour la production peut-être pendant les années 1990, 1980, ou même avant, je n’en sais rien. Mais c’est un truc qui ne se fait plus maintenant. C’est une clause dont je ne suis même pas sûr qu’elle existe encore dans les contrats…
Donc les fans peuvent être rassurés…
Oui, et puis surtout, il faut qu’ils se calment ! [Petits rires] J’ai vu des trucs du genre : « Alcest RIP ». Les gars, on va se calmer ! Tout ça pour dire que ça ne change rien. Ça ne change rien du tout. Ça n’a rien changé sur notre manière de travailler. L’album était déjà enregistré, de toute manière, lorsque nous avons signé chez Nuclear Blast, donc c’était déjà fini. Ça ne change rien du tout. Ni en mieux, ni en pire. Ça sera pareil, ça ne change rien. Les gens ne doivent pas se faire de souci. À l’heure actuelle, si un groupe ne sort plus de bons albums, ce n’est pas à cause du label, c’est juste parce que le groupe n’est pas inspiré.
Après Rise of the Northstar, Alcest est le second groupe français à signer chez Nuclear Blast, et même le premier à mettre en avant la langue française sur ce label. C’est une fierté pour toi de représenter la France à un tel niveau ?
Oui, quelque part ça fait plaisir quand il y a de gros labels qui s’intéressent à toi, qui te prennent vraiment au sérieux. Après, nous avons eu une carrière avant Nuclear Blast aussi, et le groupe existe depuis vingt ans. Disons que nous ne nous laissons plus impressionner comme ça. Ce n’est pas que nous soyons blasés, mais nous n’avons pas fait la fête quand nous avons signé chez eux, je crois que nous n’avons même rien fait. Disons que toute notre énergie, toutes nos exigences passent par la musique. Ça ne veut rien dire pour nous de signer chez un gros label. Ça nous permet juste de diffuser notre musique à plus grande échelle, et ça, c’est une chance. Nous voulons toucher les gens, nous voulons toucher le plus de gens possible. Tout ce qui est histoire de profit, d’argent, le fait d’être sur une grosse machine telle que Nuclear Blast, ça représente peu de choses pour nous. Nous voulons faire plaisir à nos fans, nous voulons nous faire plaisir à nous-mêmes, nous voulons sortir des albums de qualité. C’est vraiment notre priorité.
Est-ce que tu ressens en ce moment une dynamique en faveur de la France dans le metal ?
Oui, c’est possible. En tout cas, quand nous avons sorti le morceau « Protection », ça s’est complètement enflammé. Il y a eu un buzz pendant quelques jours, c’était dingue ! Nous avons eu je ne sais pas combien de commentaires, les gens étaient hyper enthousiastes, ça nous a surpris et fait hyper plaisir ! Les gens ont peut-être plus tendance à s’intéresser aux groupes Français maintenant, vu que Gojira est à l’international un des plus gros groupes de metal, et qu’ils sont français. Ça porte forcément plus l’attention sur la France, comme ça s’est passé avec la Pologne grâce à Behemoth et tous ces groupes de black comme Batushka. Les gens sont maintenant très intéressés par tout ce qu’il se passe dans des pays comme la France ou la Pologne.
Interview réalisée par téléphone le 1er septembre 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Robin Collas.
Photos : Andy Julia.
Site officiel d’Alcest : www.alcest-music.com.
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