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Interview   

Alice In Chains dissipe le brouillard


Alice In Chains n’est plus un groupe qui cherche à surmonter quelque chose. Il l’a fait depuis longtemps, en réalité depuis 2009 et l’album Black Gives Way To Blue. Les gens pensaient que le groupe ne dépasserait pas la mort de leur chanteur Layne Staley, qu’il allait s’estomper peu à peu. Il n’en est rien. Alice In Chains ne regarde que très peu en arrière, William Duvall et Jerry Cantrell ont eu le courage de reprendre le flambeau de Layne. Depuis, l’une des icônes du grunge de Seattle arpente les scènes des plus grands festivals, défendant deux très bons opus que sont Black Gives Way To Blue et The Devil Put Dinosaurs Here.

Rainier Fog est le troisième album du groupe depuis le décès de Layne et marque définitivement la « deuxième vie » du groupe, si ce n’est le début d’une troisième étape. Alice In Chains a choisi de revenir à Seattle pour enregistrer ce qui est à ce jour l’un de leurs albums les plus aboutis, avec un son si caractéristique qui renvoie à leurs premiers efforts. Surtout, il témoigne de la force d’un groupe qui est toujours là, qui ne compte pas s’arrêter et qui regarde autour de lui pour témoigner d’une époque. Jerry Cantrell détaille pourquoi ce Rainier Fog a pris tant de temps, pourquoi il obéit à la même logique que le groupe a toujours suivie et pourquoi l’oeuvre capture l’époque dans laquelle elle se réalise. Surtout, il met les choses au clair : Alice In Chains n’est pas inclassable, il est un « putain » de groupe de rock.

« Ça a toujours été une fusion entre les deux, la laideur et la beauté, l’obscur et le clair. C’est juste la vie, n’est-ce pas ? Tout le bon et le mauvais, tu ne laisses rien à l’écart. C’est très dramatique. Ça englobe un peu tout. Ça a été une pierre angulaire du son de ce groupe depuis le tout début. »

Radio Metal : Cinq ans se sont écoulés depuis le dernier album. Il se trouve que vous avez toujours pris un peu de temps pour sortir vos albums, mais cette fois ça fait tout de même cinq ans. Est-ce qu’accoucher d’un album a toujours été un processus difficile ?

Jerry Cantrell (guitare & chant) : Il y avait quatre ans entre les deux derniers et la raison pour laquelle ça fait cinq ans cette fois est parce que nous n’avions pas de contrat de maison de disques à l’époque, nous avons dû régler les choses avec BMG. Nous avons essayé de sortir l’album plus tôt mais il faut que tout le monde soit en ordre de bataille, n’est-ce pas ? Ça prend le temps qu’il faut, mec. Mais je ne suis pas sûr que les gens comprennent bien à quoi ce temps est employé. La moitié est passée à tourner. Pendant deux ans de ce laps de temps nous sommes sur la route à tourner en soutien d’un album. Donc tu retires ces deux ans, puis on prend un peu de temps libre une fois la tournée finie. Ensuite ça prend environ un an, un an et demi à composer, jouer et enregistrer l’album, créer l’artwork, obtenir un contrat avec une maison de disque, et tout un tas de conneries. Voilà ce que ça nécessite généralement pour nous. Ce n’est pas comme si nous restions assis à nous tourner les pouces pendant cinq putains d’années, il y a beaucoup de travail ! Et comme je l’ai dit, la moitié du temps est passé à soutenir un album qu’on a fait.

Vous ne composez pas lorsque vous êtes sur la route ?

Pas vraiment. Je recueille des riffs, voilà ce que je fais. Ensuite, lorsque c’est le moment de composer, je passe en revue tous mes riffs. Ecoute, nous pourrions faire un album tous les ans pour que vous ayez un nouvel album entre vos mains, mais ce serait de la merde ! Il serait nul à chier ! Il y a un certain niveau de qualité que nous nous efforçons d’atteindre et ça prend du temps.

Vous avez enregistré les pistes de base de l’album dans un studio qui s’appelle Studio X. C’est en réalité le studio qui s’appelait auparavant Bad Animals où vous avez enregistré votre album sans titre. Et c’est la première fois en vingt ans que vous avez enregistré chez vous, à Seattle. Avez-vous eu envie de vous reconnecter un peu plus avec vos origines et votre histoire, d’une certaine façon ?

Nous avons simplement décidé de faire ça là-haut. Je veux dire qu’un studio est un studio, donc ça n’a pas vraiment d’importance où on est. Pour une bonne partie des débuts de ce groupe, trois d’entre nous vivaient à Los Angeles : William, Mike et moi. Donc ça paraissait logique d’enregistrer là-bas. Mais maintenant, William vit à Atlanta, Sean vit à Seattle et j’ai toujours un pied à terre à Seattle, donc nous avons commencé à parler de peut-être enregistrer à la maison. Evidemment, nous avons aussi une histoire avec ce studio. C’est une décision qui a été prise. Je pense que Sean ne voulait pas venir à Los Angeles pour le troisième album et avoir à vivre à Los Angeles tout une année pendant que nous l’enregistrions [petits rires]. Nous avons fait deux albums à Los Angeles et il a dû venir, donc cette fois, nous sommes montés à Seattle pour lui [rires]. Mais c’était cool ! C’est toujours cool d’être en ville, et nous avons enregistré l’été. Seattle est putain de splendide l’été, c’est le meilleur moment de l’année pour être là-bas, nous y croisons plein d’amis, la famille… Ça avait du sens à l’époque, et puis plus tard, quand nous avions enregistré la chanson « Rainier Fog » et avons décidé d’appeler l’album ainsi, ça avait encore plus de sens. Il y a de multiples significations derrière tout, n’est-ce pas ? Tout dépend ce qu’on en retire, qu’est-ce que ça t’évoque. Mais ce que ça signifie pour moi, c’est tout ce que je viens de dire. Le Mont Rainier est comme un monument, on peut le voir de n’importe où à Seattle. Ca symbolise notre chez-nous. Cet album est donc un retour à la maison mais il ne s’agit pas forcément que de regarder en arrière, nous continuons à aller de l’avant. Nous sommes très fiers d’où nous venons.

Avez-vous ressenti le poids de votre propre histoire ou, au contraire, le contexte était-il inspirant ?

Nous avons fait un super album dans ce studio. Malheureusement, c’était le dernier album studio que nous avons enregistré avec Layne. J’imagine que ça avait du sens, avec cette incarnation du groupe, avec William, d’aller à la maison et faire rentrer dans cette histoire cette période du groupe également, que tout se relie.

C’était le troisième album avec Layne, et là c’est le troisième album avec William…

Tu as raison ! Nous ne planifions pas vraiment les trucs comme ça. Ce sont des petits panneaux de signalisation qui indiquent qu’on fait la bonne chose, et parfois on ne sait même pas avant de voir plus tard que « ah, c’est ce que nous étions censés faire ! » Je veux dire qu’il a eu des discussions à ce sujet, peut-être des inquiétudes, ou peu importe, mais dès qu’on passe la porte, c’est juste le moment de se mettre au travail. Tout ça, le passé, n’a eu aucune espèce d’importance.

Pourquoi n’avoir pas fait l’intégralité des enregistrements à Seattle ? Pourquoi avoir ensuite bougé dans des studios à travers le pays ?

C’est principalement une question de disponibilité. Nous avons seulement pu réserver le studio à Seattle pour, je crois, deux mois et demi. Ce n’est pas très inhabituel de faire un album à plusieurs endroits. Nous avons probablement voyagé plus pour celui-ci que pour n’importe quel autre album. Nous avons posé les fondations, les pistes de base, à Seattle, c’est-à-dire toutes les pistes de batterie, de guitares rythmiques, de basse et ce genre de choses. Ensuite, Nick, notre producteur, a un studio à Nashville. Je veux dire qu’il y a la vraie vie qui s’immisce. Layne… Heu, William a un fils, il a une famille, Nick a trois enfants, il disait « les gars, j’adorerais que vous veniez à Nashville où je pourrais être avec ma famille et tout, au lieu d’aller je ne sais où. » Nous étions là : « Ouais, pourquoi pas. Allons à Nashville. » Nous n’avions jamais enregistré là-bas, donc c’était plutôt sympa de pouvoir enregistrer dans une ville aussi chargée en histoire pour la musique américaine. Je suis fan de country, je l’ai toujours été depuis que je suis enfant, donc c’était cool d’avoir l’opportunité de se poser à Nashville pendant quelques mois. En majorité, nous faisions des parties pour rajouter de la couleur, des couches, des solos et du chant.

« On nous a qualifiés de quatre ou cinq putains de choses différentes au cours de nos trente-et-un ans d’existence pour définir ce que nous sommes, et je crois que les gens ne comprennent toujours pas ce que nous sommes. Pour moi, nous sommes juste un putain de groupe de rock n’ roll. »

Nous aurions pu finir là-bas mais je suis tombé malade au milieu de l’enregistrement. Je suis allé à l’anniversaire de Sammy Hagar à Mexico, où j’essaye d’aller tous les ans, et je suis tombé malade ! Ce n’était vraiment pas grand-chose au départ, mais le médecin m’a donné des antibiotiques auxquels je suis allergique. Ça m’a foutu en l’air pendant environ un mois ! Je n’ai donc pas pu finir mes parties de chant, ma gorge était complètement fermée. Donc quand nous avions fini à Nashville, je savais que nous aurions à aller encore ailleurs, donc j’ai dit : « Toutes les conneries qu’il reste à enregistrer sont mes trucs, alors pourquoi je ne ferais pas ça chez moi avec notre ingénieur Paul Figueroa ? Il m’enregistrera à la maison. » Et Nick a dit : « Ouais, on peut complètement faire ça. » Nous avons donc installé un microphone dans ma maison, nous avons amené quelques amplis, nous avons mis des micros pour les repiquer, et j’ai passé quelques mois tout seul, à juste chanter et jouer de la guitare, à faire toutes les conneries que je devais faire. Ensuite nous avons été à Henson, où nous avons enregistré les deux derniers albums, pendant environ dix jours. Et puis, pour finir l’album, nous l’avons mixé à Pasadena, au studio de Joe Barresi – c’est lui qui a mixé l’album -, et nous avons enregistré quelques trucs là-bas aussi. Donc techniquement, ça fait cinq endroits !

En utilisant autant de studios différents, n’aviez-vous pas peur d’obtenir un résultat décousu ?

As-tu entendu l’album ? Est-ce qu’il sonne décousu pour toi ? [Petits rires] Il est putain de bon ! Ceci dit, c’est une bonne remarque, car chaque pièce a un son différent, tu as raison. Mais les mêmes personnes étaient impliquées à chaque fois. Les gens ne changent pas, donc notre méthode et comment nous abordons les choses est tout le temps la même, nous utilisons le même matériel. Nous pouvions nous installer dans des endroits différents mais ça restait la même chose. Et une fois que tu as de bonnes pistes de batterie, vu que Sean a fait toutes ses parties à… Bon, presque toutes ses parties, il a fait quelques overdubs ici et là, mais la plupart de ses pistes de batterie ont été faites dans une grande pièce au Studio X, donc c’est là qu’on retrouve l’homogénéité. Les parties de batteries sonnent toutes pareilles, tout le reste peut être ajouté, ça n’a pas d’importance si nous enregistrons une guitare à Nashville ou Los Angeles ou Seattle, ça sonnera quand même grosso-modo comme ma guitare. Mais si avions fait différentes prises de batteries dans différentes pièces, alors on entendrait probablement la différence.

C’est un album assez varié. Par exemple, on y retrouve la belle chanson « Fly » qui s’enchaîne à la très heavy, presque à la Black Sabbath, « Drone », et les deux ont des côtés un peu psychés, d’une certaine façon. Avez-vous essayé de retrouver tout le spectre de ce qu’est Alice In Chains et même l’étendre ?

Ce qui est cool avec nous est que nous n’avons pas à nous soucier de quelque chose qui ne sonnerait pas comme nous. Dans chaque album que nous avons fait, de Facelift à Rainier Fog et tout ce qu’il y a entre, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’un seul de ces album sonne comme un autre album d’Alice In Chains. Ils sont tous vraiment uniques. Je veux dire, sérieusement : ils sont tous uniques. Il n’y a pas de « d’accord, bon, ceci sonne un peu comme cela, et ce type de son… » Il n’y a rien de tout ça. Ils sont tous vraiment, vraiment uniques. C’est simplement grâce à la nouvelle musique et où nous en sommes, et puis la chose en laquelle on peut toujours avoir confiance est que nous allons toujours sonner comme nous, car c’est juste comme ça que nous sonnons ! Il y a un style que nous avons développé. Lorsque je me branche ou j’écris un morceau, grosso-modo ça sonnera comme Alice In Chains. Lorsque Sean joue, lorsque Mike commence à jouer avec moi, ça sonnera comme Alice In Chains. C’est un album vraiment cool. Il est très agressif, je trouve, à bien des égards, c’est très psyché, il y a des mélodies qui sont vraiment belles et sympas, comme « Fly » ou la chanson de fin « All I Am » qui a un côté épique année soixante-dix, un peu à la Led Zeppelin, presque. C’est marrant ! C’est ce qui est cool quand on compose. Composer peut être très frustrant, ça prend beaucoup de temps, ça implique beaucoup d’erreurs et de merdes, bien plus d’erreurs et de merdes que de faire les choses comme il faut, pour trouver ce qui convient. Heureusement, nous avons pu prendre le temps avec ce processus plutôt que de se presser. Je pense que c’est pour ça qu’on obtient le genre de musique qu’on obtient de la part de ce groupe. Je suis très fier du niveau de qualité que nous nous imposons, et je crois que nous sommes parvenus à l’atteindre sur cet album. Nous avons atteint ce plafond, si tant est que nous ne l’avons pas dépassé.

Tu as mentionné le dernier titre « All I Am ». C’est un peu le point culminant émotionnel de l’album…

Ouais ! Il me semble que c’est une des premières chansons que j’ai enregistrée en démo. J’avais cette idée qui trainait depuis quelques années. Je me souviens, je participais à une soirée caritative avec James Hetfield et Sammy Hagar – ils font ces soirées tous les ans à San Francisco pour leur association caritative. Ils m’ont invité à venir jouer ; il y avait Linda Perry et un paquet d’autres gens, nous sommes tous montés sur scène et avons joué quelques chansons, et avons levé des fonds pour l’association. Mais je me souviens être assis dans la loge et je jouais cette chanson et chantais la ligne mélodique, et du coin de l’œil, j’aperçois Linda debout qui avançait directement vers moi, et elle est là : « C’est quoi ça ? C’est putain de génial ! » Je trouvais ça bien mais elle, c’est une super compositrice, donc rien que de l’entendre… C’était une chouette expérience de la voir se redresser, venir et me demander ce que c’était, et elle s’est assise et a commencé à chanter avec moi, juste en faisant l’andouille avec la chanson. Mais le fait que quelqu’un d’autre que moi réagisse à cette chanson, ça me l’a logée dans un coin de ma tête. Ouais, c’est un grand final épique de sept putain de minutes, et effectivement il véhicule beaucoup d’émotions. Le texte est très cool, ainsi que les images que ça renvoie. Ça évoque des émotions fortes en moi et je suis content de t’entendre dire que ça te fait la même chose.

Tu as déclaré que dans cet album, il a des choses vraiment moches…

Oh ouais !

…et d’autres très belles. Penses-tu que c’est cette tension entre la beauté et la laideur, la lourdeur et la légèreté, qui rend une musique profonde et puissante ?

Tout à fait ! Je dirais que c’est une description pertinente de ce qu’est ce groupe. Ca a toujours été une fusion entre les deux, la laideur et la beauté, l’obscur et le clair. C’est juste la vie, n’est-ce pas ? Tout le bon et le mauvais, tu ne laisses rien à l’écart. C’est très dramatique. Ça englobe un peu tout. Ça a été une pierre angulaire du son de ce groupe depuis le tout début.

« [Layne] est toujours en moi. Nous avons créé quelque chose ensemble, nous avons créé – je n’ai pas de meilleure mot – un langage ensemble. […] Aussi l’assurance qu’il m’a donnée pour devenir davantage chanteur moi-même. Tout ça sont des cadeaux que nous nous sommes offerts. Et même s’il n’est pas là, il est quand même là. Tu peux l’entendre tous les soirs. Tu as écouté cet album : il est dedans ! »

Je sais que tu es un peu réticent à dire quelles ont été tes inspirations pour les chansons, pas seulement parce que c’est difficile pour toi de mettre le doigt dessus, mais aussi parce que tu es un peu égoïste, tu aimes garder ça pour toi. Trouves-tu que la musique et l’art en général ont besoin d’une part de mystère afin de répandre toute sa magie ?

Ouais, lorsque j’étais enfant et que j’écoutais de la musique, je n’avais pas la moindre idée de quoi ils parlaient. Tout ce que je savais est que ça me faisait ressentir quelque chose. J’étais un grand fan d’Elton John quand j’étais gamin, et le style des textes de Bernie Taupin avec Elton et le groupe est quelque chose qui m’est toujours resté en tête, les histoires racontées… J’ai aussi aimé les paroliers qui écrivent de manière pas vraiment littérale. Même si ça sonne comme si c’était littéral… Je fais ça, il est un peu plus facile de parler de certaines chansons, comme « Rooster » qui parle de ce qu’a vécu mon père au Vietnam, c’est facile, n’est-ce pas ? « Brother » parle littéralement de mon frère. Certaines chansons sont faciles. La plupart ne le sont pas tellement parce que… Pour trois raisons. Tu en as mentionné une : j’aime vraiment garder ça un peu pour moi. Ce n’est pas à moi de vous dire quels sont tous les petits ingrédients secrets de la recette du cookie. Vous aimez ce cookie, d’accord, mais je ne vais pas vous donner les putains d’ingrédients précis pour que vous… Mais je veux aussi que vous vous appropriez la chanson. C’est comme si tout ça était une peinture. On l’entend des millions de fois : tu peux prendre dix personnes et les faire regarder une peinture, et ils te diront tous quelque chose de différent, n’est-ce pas ? Et c’est cool, car elles réagissent toutes différemment, ça a une signification différente pour chacune d’entre elles. J’essaye toujours d’écrire de cette façon, j’essaye d’écrire de façon suffisamment directe pour qu’il y ait un véritable message, et j’essaye aussi d’être un peu plus obscur de façon à ce que ça puisse être ceci, ça pourrait être cela, et tout à la fois. Il y avait une autre raison mais j’ai oublié ce que j’allais dire… Bref, tu vois ce que j’essaye de dire.

Un artiste qui était connu pour cultiver le mystère était David Bowie, et apparemment, tu as pensé à lui avec le single « The One You Know »…

Ouais ! Enfin, je ne pensais pas à lui quand j’ai écrit la chanson. C’est juste quelque chose que j’ai remarqué après coup, et ça ne sonne même pas du tout comme lui. C’est juste quelque chose qui, pour moi, étant genre : « Il pourrait bien y avoir un petit quelque chose… » C’était plus de l’ordre du feeling. Il venait de nous quitter et c’est un artiste que j’ai toujours respecté. Il est passé par tant de personnages différents, d’époques différentes, et c’est quelque chose que j’ai toujours admiré chez lui. Il a pris tellement de risques, et il a eu une si longue carrière. Comme je l’ai dit, cette chanson n’a rien à voir avec lui, je ne pensais pas à lui quand j’étais en train de la composer, mais après coup, elle m’a un peu rappelé le feeling, plus ou moins, je ne sais pas… Si je les mets côte à côte, ça ne se ressemble pas du tout, mais la façon dont le riff arrive, quand le groupe arrive, ça me rappelait un peu le feeling de « Fame » ou quelque chose comme ça, ce genre de flegme vicieux et planant, un truc cool rentre-dedans. Je trouvais qu’il y avait de ça quelque part dedans, c’était sympa. Toute la journée je pourrais nommer une trentaine de personnes, d’artistes, et de moments où « là c’est Ted Nugent, là c’est Aerosmith, là c’est Van Halen, là c’est AC/DC, là c’est Black Sabbath, là c’est Led Zeppelin… » Il se peut que tu écoutes et n’entendes pas ces références mais, selon mon ressenti, ça me rappelle ça. « Là c’est un passage à la Jethro Tull ! » C’est cool et ce n’est pas un problème de laisser tes influences transparaître, du moment que tu ne plagies pas directement quelque chose et que ce sont justes de petits passages comme ça faisant référence à ce qui existait avant toi, mais à la fois c’est complètement toi, tout comme ce que eux faisaient.

A propos de ce single, William a dit que ça traitait de la « façon dont les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent. » Penses-tu qu’on puisse appliquer ça au groupe ?

Je crois que nous avons été un groupe difficile à mettre dans une case. En ce sens, oui. Nous ne sommes pas un groupe de hard rock, nous ne sommes pas un groupe de metal, nous ne sommes pas alternatifs, nous ne faisons pas de la country, nous ne faisons pas de la folk, nous ne sommes pas punk, mais nous sommes un peu de tout ça à la fois. Je pense que c’est ce qui nous rend unique. Nous traversons plein d’espaces différents. Nous avons tous plein d’influences séparées différentes, et nous avons également plein d’influences qui se recoupent. Il n’existe personne qui sonne comme nous et on nous a qualifiés de quatre ou cinq putains de choses différentes au cours de nos trente-et-un ans d’existence pour définir ce que nous sommes, et je crois que les gens ne comprennent toujours pas ce que nous sommes. Pour moi, nous sommes juste un putain de groupe de rock n’ roll.

L’année prochaine marquera les dix ans de votre album du retour, Black Gives Way To Blue. De nombreuses personnes ont pensé lorsque Layne est mort que le groupe était fini et ne pourrait jamais s’en remettre. Mais le groupe est bel et bien là aujourd’hui, toujours en grande forme. Qu’est-ce qui, selon toi, a fait la différence et a permis de maintenir cet élan ? Et comment ressens-tu cette seconde, voire troisième, époque du groupe ?

Ça a été super. Nous nous éclatons. Nous trainons encore ensemble, nous nous faisons toujours plaisir à faire ça, nous continuons à créer de la musique au plus haut niveau… C’est vraiment tout ce qu’on peut demander aussi loin dans une carrière. Ces trois albums que nous avons faits, je trouve que c’est héroïque dans la vie de… N’importe qui, dans sa vie, va traverser des hauts et des bas, des choses très difficiles et des moments putain de triomphants, porteurs de messages de vie, genre « d’accord, je fais ce qu’il faut. » On vivra tous ça. Je pense que la leçon à tirer de notre recommencement est que tout ça nous appartient, tout ça est notre histoire, et le fait de pouvoir continuer et rester une puissante force musicale, que les gens viennent à nos concerts et veulent encore nous entendre jouer notre musique, c’est assez extraordinaire ! Une fois que nous avons décidé que nous voulions refaire de la musique ensemble et voir si ça nous semblait bien… Nous faisons tout de la même façon que nous le faisions avant, et nous le faisons pour la même raison. Tant que nous faisons ce que nous voulons faire, ou ce que nous pensons devrions faire, et tant que nous sommes contents de le faire, et que nous créons de la grande musique, on ne peut pas se tromper. Nous avons commencé en 2005, c’était il y a treize ans, et trois albums, de multiples tournées mondiales. Nous avons largement dépassé le stade du « est-ce que vous pouvez passer à autre chose ? » Si vous n’avez pas rattrapé votre retard sur nous, peut-être que vous ne le ferez jamais [petits rires], mais ce qui est sympa est que plein de gens nous ont suivis, ils nous ont suivis dans cette aventure. Ça dépend de vous, quoi que vous fassiez de votre vie. Ça dépend de moi. Je me suis attaché à faire ça, c’est mon putain de groupe. J’ai fondé ce groupe avec Layne, Sean et Mike Starr en 1987, et il est toujours là. C’est génial. Ceci étant dit, je pense constamment à Layne et Mike !

« Alice a toujours été un groupe qui avait besoin de deux pilotes pour faire voler l’avion. Avec William et moi, c’est exactement pareil. Même si ces deux gars sont différents, je suis le même. Je suis toujours assis sur le même siège, mais j’ai toujours besoin d’un putain de pote pour faire voler l’avion. Nous nous reposons l’un sur l’autre […] et deux voix n’en font plus qu’une. »

Ça t’arrive encore parfois d’entendre la voix de Layne lorsque tu composes de la musique ?

Ouais, il est toujours en moi. Nous avons créé quelque chose ensemble, nous avons créé – je n’ai pas de meilleur mot – un langage ensemble. Le langage d’Alice, la façon dont j’écris, la façon dont il chantait et la façon dont je m’harmonisais avec lui. Aussi l’assurance qu’il m’a donnée pour devenir davantage chanteur moi-même. Tout ça sont des cadeaux que nous nous sommes offerts. Et même s’il n’est pas là, il est quand même là. Tu peux l’entendre tous les soirs. Tu as écouté cet album : il est dedans !

Une chose qu’on peut remarquer est que ton duo vocal avec William atteint une sorte de maturité sur cet album. Tous les deux êtes très différents et complémentaires mais, à la fois, c’est parfois dur de même dissocier vos voix, elles fonctionnent de façon très rapprochée.

La raison pour laquelle ça fonctionne vraiment est parce qu’il ne sonne pas du tout comme moi et je ne sonne pas du tout comme lui. Il ne sonne pas du tout comme Layne. Je ne sonne pas du tout comme Layne. Mais c’est ce que je voulais dire plus tôt en parlant de langage, la façon dont les choses sont écrites, les harmonies, comment ça marche. Avec William, j’ai pu développer encore plus le groupe pour qu’il devienne une entité à deux chanteurs, en gros. C’est comme les Beatles, on ne sait pas qui chante chaque chanson, mais ça sonne quand même comme les Beatles. J’ai toujours été fan de groupes qui avaient plusieurs voix fortes. Alice a toujours été un groupe qui avait besoin de deux pilotes pour faire voler l’avion. Avec William et moi, c’est exactement pareil. Même si ces deux gars sont différents, je suis le même. Je suis toujours assis sur le même siège, mais j’ai toujours besoin d’un putain de pote pour faire voler l’avion. Nous nous reposons l’un sur l’autre, nous nous échangeons les lignes vocales quand nous chantons ensemble, et deux voix n’en font plus qu’une.

Les harmonies, qu’elles soient vocales ou à la guitare, ont toujours été un élément fort de la marque de fabrique d’Alice In Chains. C’est encore plus vrai que jamais dans cet album où elles sont très subtiles et sophistiquées. Est-ce un des principaux défis sur lesquels vous vous concentrez en faisant un album ?

Ça fait longtemps que nous faisons ça, donc d’une certaine façon, nous ne faisons pas grand-chose de différent dans l’approche. Premièrement, le principal c’est la chanson, toujours. Il s’agit vraiment de ce que la chanson veut devenir. Une fois que tu as enregistré les parties de base de la chanson… Lorsque je fais la démo d’une chanson, je pense aux harmonies, et je pense à d’autres lignes de guitare ; c’est une ébauche assez grossière du truc. Et lorsque j’en arrive à ce stade, généralement je montre ça aux gars pour voir si quelqu’un aime. Ils écouteront quatre trucs et diront « ouais, j’aime celui-ci, » ils en aiment un sur quatre. Mais c’est simplement comme ça que je suis câblé. Ma méthode n’a pas changé. Notre méthode en tant que groupe n’a pas tellement changée non plus. Il s’agit de chercher à capturer ce que la chanson veut être et d’essayer de s’assurer que la chanson est ce qu’elle doit être. « Est-ce que cette chanson a besoin d’un solo de guitare ? Je ne pense pas. » « Cette chanson a besoin d’un solo de guitare juste-là. » « Est-ce une chanson avec une simple ligne de chant ? Est-ce un truc à plusieurs voix ? » Tu joues un peu avec et essayes des choses, et lorsque ça sonne comme il faut, tu le sais. Une bonne partie du processus consiste à plus que d’ajouter un paquet de truc. En fait, une grande partie du processus consiste à retirer des choses. Tu balances tout ce que tu peux sur le mur et ensuite tu commences à te débarrasser de certains trucs : « Ces trucs se marchent sur les pieds, retirons cette partie de chant, cette ligne de guitare n’a pas besoin d’être là, c’est trop long, dégageons cette partie. » C’est plus une question d’enlever des trucs qu’autre chose.

Ce qui, en partie, caractérisait le début des années 90 lorsque le groupe était en train d’atteindre sa gloire, et donc la musique comme à cette époque, était l’ambiance morne de l’époque. Mais beaucoup de gens disent que ça fait longtemps que le monde n’a pas été aussi morne qu’il l’est aujourd’hui. Le ressens-tu aussi et est-ce aussi inspirant que ça l’était au début des années 90 ?

Je vois ce que tu veux dire. Ouais. Le monde est putain de… C’est un endroit intéressant. Et il s’y passe pas mal de merdes. Il y a beaucoup de trucs vraiment merdiques qui arrivent ; il y a aussi beaucoup de très bonnes choses qui arrivent. Je pense que n’importe quel artiste assimile ces choses, que la meilleure façon de l’expliquer que j’ai entendue est en disant qu’on reflète ces choses, comme si on tenait un miroir qui renvoie l’image de ce qu’il se passe. Donc ouais, il y des éléments de toutes sortes de choses liés à une époque donnée. Chaque album est un peu une capsule temporelle de cette période pendant laquelle il a été composé. Donc vous obtiendrez probablement un parfum de ce qui se passe dans le monde ou ce qui se passe personnellement dans la vie de quelqu’un, et ça devient de petites fenêtres dans les albums. C’est capté et enregistré pour toujours. C’est cool. C’est très personnel, mais c’est aussi très universel, car nous vivons à travers les âges ensemble.

Interview réalisée en face à face le 24 juin 2018 par Nicolas Gricourt.
Introduction : Thibaud Bétencourt.
Transcription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel d’Alice In Chains : aliceinchains.com

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