Le moins qu’on puisse dire est que Victor Smolski a eu et a une vie bien remplie ! Dans le milieu metal, on le connait aujourd’hui surtout pour ses quinze années passées dans Rage, avec qui il a produit certains de leurs meilleurs albums. Pourtant bien avant ça, dès son plus jeune âge, il a connu la gloire en Russie vendant dix millions d’albums (!). Mais la gloire, Smolski s’en fiche, ce qui l’intéresse, c’est la musique et le partage de celle-ci. C’est bien pour cette raison qu’il a fini par s’expatrier. Il n’a pas non plus eu de difficultés à quitter Rage quand plus rien n’allait avec son compère Peavy Wagner pour aller fonder son groupe Almanac.
C’est justement avec Almanac et un troisième album, Rush Of Death, qu’il revient cette année. Un album marqué, de nouveau, par des changements de line-up. Mais là encore, Smolski prend les choses du bon côté, toujours très détendu. Un album qui apporte son lot de particularités par rapport à ses deux prédécesseurs. Smolski y propose une seconde à partie à la « Suite Lingua Mortis », dédiée à son père Dmitry Smolki, professeur et compositeur classique biélorusse décédé en 2017, avec qui il avait conçu la première partie et qui a largement participé à son éducation musicale.
Mais ça ne s’arrête pas là, puisque Rush Of Death est aussi l’occasion pour Victor Smolski de mettre en avant une autre de ses passions : la course automobile dont il a fait son deuxième métier, remportant de nombreux trophées et traçant des complémentarités et parallèles avec ses activités de musicien. Voilà en substance les multiples sujets que nous évoquons ci-après avec le guitariste.
« Je ne vois pas le groupe comme une machine à faire du business et à rapporter de l’argent […]. Quand on part en tournée, c’est un moment très dur où on ne peut survivre que si on soutient à cent pour cent ce qu’on fait. Si on le fait pour l’argent, on sera malheureux. »
Radio Metal : Depuis Kingslayer, le line-up d’Almanac a été réarrangé avec les départs des chanteurs David Readman et Andy B. Franck. Tous les deux sont des chanteurs reconnus et prestigieux qui ont beaucoup apporté à Almanac, autant en termes d’image que musicalement. N’as-tu pas été découragé à un moment donné, surtout vu que le groupe a quand même connu pas mal de changements de line-up malgré son peu d’années d’existence ?
Victor Smolski (guitare) : C’est parce que nous tournons beaucoup et pas tous les musiciens n’ont le temps. Andy B. Franck, par exemple, a un boulot normal, donc il ne peut pas partir en tournée quand il veut. C’était difficile d’attendre que les chanteurs aient le temps, donc nous avons changé. Tu sais, c’est une époque difficile pour tous les groupes. On a vu beaucoup de changements chez plein de groupes ces dernières années, ça arrive tout le temps, surtout quand les musiciens ont un boulot normal. Personnellement, je prends ça de manière détendue parce que c’est très amusant de jouer avec différents musiciens. J’ai aussi changé de batteur et c’est Kevin [Kott] qui joue avec nous maintenant. Pour moi, c’est important d’avoir des musiciens non seulement qui ont de super idées en studio, mais qui apportent également beaucoup de puissance sur scène et me font des retours pendant la composition, et desquels je peux peut-être apprendre. Je recherche simplement des musiciens qui font qu’Almanac soit intéressant et ont vraiment le temps de se consacrer à cent pour cent au groupe.
C’est sûr qu’il y a de plus grands noms qui peuvent t’apporter des fans, mais il existe aussi plein de musiciens fantastiques qui, musicalement, sont peut-être bien plus intéressants. Je ne vois pas le groupe comme une machine à faire du business et à rapporter de l’argent ; pour moi, tout tourne autour de la musique, ça a toujours été comme ça. Je ne veux pas perdre le côté marrant de la musique, telle que je l’aime, telle que je veux la faire, en tentant de nouvelles improvisations et expérimentations. Il s’agit de se donner à fond, de repousser les limites, de travailler dur, de répéter, jouer, aller en studio… Pas tous les musiciens n’ont le temps, à cause de leur famille, leur boulot, etc. Je crois fermement que chaque changement que nous avons connu dans Almanac a rendu le groupe plus fort et meilleur. Surtout en live, c’est un groupe qui déchire ! Nous avons beaucoup tourné l’an dernier, dans des petits clubs jusqu’à de plus grandes salles en Corée et en Russie. Le groupe est très en place, il sonne super bien, donc c’était le bon moment d’aller en studio pour faire un nouvel album.
Compte tenu de tes ambitions avec Almanac, au final, n’était-ce pas inévitable qu’à un moment donné ils allaient devoir faire un choix ou bien n’as-tu pas anticipé qu’Almanac deviendrait un groupe aussi actif sur la route ?
Tu sais, je ne planifie pas tellement les choses. Je profite de l’instant présent [rires]. Je fais juste ce que j’aime faire et j’y vais à la cool, très détendu. Je fais ce que j’aime faire, comme j’aime le faire, où j’aime le faire. Nous pensions que peut-être Almanac serait moins actif. Donc le fait que nous nous soyons retrouvés à jouer de plus en plus n’était peut-être pas prévu au départ. Mais le groupe a grandi et a reçu de plus en plus d’offres pour jouer partout dans le monde, comme en Russie, en Asie, etc. C’était marrant de faire ça et de jouer ensemble. Mais tu sais, tous les changements qui ont eu lieu dans le groupe se sont faits sans problème ou ressentiment. C’était très amical, en se disant que c’était le moment de changer quelqu’un parce que, vu comme ça se passait, ça ne marchait pas pour le groupe.
Pour certains gars, ce que nous produisions en studio était un petit peu trop heavy et jouer ça sur scène tous les jours n’est pas si facile. La musique est très compliquée, et pour être bon tous les jours, il faut beaucoup s’entraîner. C’est vraiment comme des groupes tels que Meshuggah ou Dream Theater qui jouent plein de trucs difficiles. Ce n’est pas qu’une question de temps de tournée, c’est aussi une question de se préparer aux tournées, avec beaucoup de répétitions et d’apprentissage pour être bon. Il faut avoir du temps pour ça ! [Petits rires] Mais comme je l’ai dit, je suis détendu. Il s’agit de s’amuser à faire de la musique, sans pression, business ou autre. C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté Rage, car j’ai commencé à trouver que ce n’était plus tellement marrant, que la musique n’était plus au premier plan, qu’il s’agissait plus de jouer et ramasser l’argent. J’avais perdu le côté amusant de la musique, donc j’ai arrêté et j’ai formé un nouveau groupe.
Vous avez donc pas mal tourné ces dernières années, ce qui explique en partie ces changements de line-up. Le live, c’est l’épreuve de vérité pour un groupe ?
Oui, c’est toujours comme ça. Il y a plein de gens qui aiment enregistrer et s’impliquer en studio, mais quand on part en tournée, c’est un moment très dur où on ne peut survivre que si on soutient à cent pour cent ce qu’on fait. Si on le fait pour l’argent, on sera malheureux. Quand on a l’impression que c’est trop compliqué et qu’on n’est pas assez bon pour faire ça tous les jours, là aussi ce n’est pas drôle. Les groupes qui tournent beaucoup et qui conservent le même line-up, il n’y en a pas beaucoup, ce n’est pas facile. Il faut soit vraiment s’éclater, soit gagner vraiment beaucoup d’argent [rires].
« La meilleure chose que j’ai trouvée dans ma vie était la liberté de faire ce que je voulais, où je voulais et comme je voulais [rires]. »
Ce qu’on peut remarquer, c’est que maintenant Almanac est constitué d’un chanteur et d’une chanteuse, au lieu de deux chanteurs et une chanteuse comme avant. Afin de pallier l’absence d’un troisième chanteur, tu as fait appel à Frank Beck et Marcel Junker en tant qu’invités. As-tu abandonné l’idée d’avoir trois chanteurs dans le groupe ou bien comptes-tu recruter quelqu’un dans un futur proche ?
J’aime beaucoup travailler avec plein de chanteurs différents, c’est vraiment amusant et intéressant, je trouve, car ça m’offre une liberté totale pour composer, trouver de nouvelles idées et essayer des dynamiques différentes, des sons différents, des mélodies différentes, des phrasés différents avec des chanteurs différents. Je pense que j’ai été influencé par Nuclear Blast, car il y a longtemps – quinze ans, je crois –, ils m’ont demandé de produire un disque anniversaire pour les vingt ans du label, qui s’appelait Into The Light. C’était une compilation avec des chanteurs-stars de Nuclear Blast – Tobias Sammet, Hansi Kürsch, etc. J’ai composé toutes les chansons, et je les ai enregistrées et produites. C’était vraiment amusant pour moi de composer des chansons pour différents chanteurs. Depuis cette époque, j’aime beaucoup travailler avec plein de chanteurs. C’est la raison pour laquelle j’ai impliqué quatre chanteurs sur le disque de LMO et que j’ai gardé trois chanteurs dans Almanac : c’est amusant !
Car on ne peut pas tout faire avec un seul chanteur. Quand on n’a qu’un chanteur, il faut composer ce qui sied le mieux à lui et à sa manière de chanter, et ce faisant, tu mets des limites à ta composition. Alors que si tu as plus de chanteurs, tu peux faire ce que tu veux et essayer différents chanteurs et trouver la meilleure combinaison. Je suis très content d’avoir Frank Beck de Gamma Ray qui chante sur le disque, et il nous rejoindra en tournée. Et aussi Marcel Junker, qui est normalement un chanteur de death metal, mais il apporte une nouvelle couleur qui est fantastique, je trouve. Ce genre d’expérimentation me comble de joie. Je pense que je vais continuer à travailler avec plein de chanteurs, et je suis sûr que pour le prochain album, je trouverai de nouveaux invités avec des voix spéciales. Je me fiche de savoir si c’est quelqu’un du line-up ou un invité… Tous les musiciens qui sont impliqués dans l’enregistrement font le son et nous partons ensemble en tournée. Ce samedi, nous jouons notre premier concert, il est à guichets fermés, et tous les chanteurs seront de la partie, donc ce sera vraiment amusant.
Ton idée d’origine avec Almanac était de créer la rencontre parfaite entre le metal et la musique classique, avec des thèmes historiques. Tu sors maintenant ton troisième album, intitulé Rush Of Death, et on dit généralement que le troisième album est une étape importante pour un groupe. Comment ta vision du groupe a évolué jusqu’à Rush Of Death ?
Nous sonnons comme nous sonnons sur cet album parce que nous avons fait beaucoup de concerts et le son du nouveau line-up est assez heavy. C’est peut-être la raison pour laquelle Rush Of Death sonne plus heavy que les deux albums précédents. J’ai vraiment ressenti l’atmosphère live et l’énergie du public durant le processus de composition. Et peut-être que c’est plus facile d’obtenir un meilleur son avec ce genre de chanson, parce que quand on compose des parties très compliquées et orchestrées avec beaucoup de dynamique, il faut une grande scène, un gros show, et c’est moins une question d’énergie live que de démonstration. Avant que je ne commence à composer Rush Of Death, j’ai réfléchi à mes trente dernières années à tourner et jouer du rock n’ roll, et j’ai pensé à ce qui faisait mon style, c’est-à-dire peut-être le genre de solo de dingue que je faisais déjà à l’époque de Mind Odyssey, le riffing heavy – surtout celui du début avec Rage quand nous avons fait Unity et Soundchaser avec Mike [Terrana] –, et aussi les trucs orchestraux comme « Suite Lingua Mortis ». J’ai essayé de prendre tout ce que j’ai fait avant pour le mettre dans cet album et composer en gardant ceci en tête. J’ai donc voulu faire « Suite Lingua Mortis Part 2 » en faisant appel au même orchestre, mais j’ai aussi voulu faire du riffing vraiment heavy avec des solos de dingue, et j’ai voulu essayer de trouver de nouveaux sons pour le chant. C’est pourquoi j’ai invité Frank Beck de Gamma Ray ainsi que Marcel Junker avec son growl, je voulais mélanger ça à mon chœur pour essayer de trouver quelque chose de nouveau. Je trouve que sur certains chansons, ça sonne vraiment unique.
Cet album a pris beaucoup de temps à se faire ; il m’a fallu près de six mois pour produire le disque. Ça a impliqué beaucoup de répétition, car je n’aime pas les démos. Je n’aime pas la musique plastique faite par ordinateur. J’aime vraiment envoyer la sauce en salle de répétition, être spontané et entendre le son en live. Quand nous jouons live en répétition, si nous trouvons quelque chose qui sonne bien là, ça veut dire que c’est bon pour le studio. Je recherche toujours quelque chose de nouveau, et parfois c’est pénible, parce que tu essayes plein de trucs qui sont difficiles ou qui ne conviennent pas, mais c’est ce qui rend le boulot de musicien intéressant. Ce n’est jamais ennuyeux. C’est sûr, je pourrais prendre les chansons qui ont eu le plus de succès et reproduire la formule, mais ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Nous avons essayé plein d’arrangements différents, puis nous sommes allés en studio et nous avons continué à faire des changements en studio. Tous les gars étaient impliqués dans les arrangements. Il y a deux chansons que j’ai composées avec Tim [Rashid], le bassiste. C’est vraiment un travail d’équipe et c’était super marrant ! C’est dingue de voir comment une chanson se développe à partir d’une petite idée enregistrée sur mon téléphone [petits rires] jusqu’au moment où on se pose en studio pour mixer la véritable chanson. Je suis très content du résultat. La moitié de l’album est sans orchestre, l’autre moitié est avec orchestre, mais ça reste cohérent, ce n’est pas comme une face A et une face B. Le concept est très sympa, je l’aime beaucoup. C’est très solide.
« Un groupe de metal peut jouer du classique et un orchestre peut envoyer du rock. De même, je ne vois pas la musique classique comme étant quelque chose de spécial et toujours bon, car dans le monde classique, il y a beaucoup de conneries ; il y a pas mal de musique classique qui est totalement nulle, et il y a plein de mauvais musiciens classiques. »
Comme tu l’as mentionné, Rush Of Death est plus ou moins considéré comme un split album, puisque les chansons du milieu sont dédiées à la « Suite Lingua Mortis Part 2 », une suite directe des chansons avec orchestre de la première moitié de l’album Speak Of The Devil de Rage. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire une suite presque quinze ans plus tard ?
Il y a un peu d’histoire là-derrière, car « Suite Lingua Mortis » a été enregistré avec l’orchestre de Minsk et j’avais travaillé avec mon père [désormais décédé], et nous avons beaucoup répété avec l’orchestre à la Philharmonie. C’était merveilleux de travailler avec mon père parce qu’il me donnait toujours des conseils et m’aidait avec les arrangements. Avec son expérience, c’était toujours super d’avoir son avis, pour savoir si je faisais les choses bien ou pas. J’ai voulu dédier la seconde partie à mon père, en souvenir du temps où nous travaillions ensemble, car cette suite est très personnelle pour moi. Je l’ai aussi enregistrée avec le même orchestre, les mêmes gars, au même endroit à Minsk. C’était quelque chose de très spécial pour moi. Ça a fait remonter beaucoup de souvenirs.
Quand j’ai composé la première partie, nous avons travaillé ensemble sur une mélodie qu’il a ensuite utilisée dans une symphonie à lui. C’était un super moment pour moi de me retrouver au même endroit, de composer et de penser à cette époque. L’atmosphère était détendue pendant que je travaillais avec les mêmes gars, comme l’ingénieur du son. Pour tout le monde c’était de super souvenirs. Au même moment, j’ai fait un grand concert classique à Minsk dédié à mon père. C’était fou et à la fois triste. Je suis reconnaissant pour ce qu’il a fait pour moi et pour avoir ouvert mes yeux sur ce monde musical, et pour m’avoir soutenu dans mes trucs heavy aussi, car ce n’était pas un musicien classique conservateur. Il était très ouvert d’esprit. Il écoutait tous les disques que je faisais. Je crois que c’était la première personne à qui je parlais de ma musique quand le disque était terminé. Son retour était vraiment incroyable et très important pour moi ; il n’y avait pas une seule personne au monde à qui je pouvais parler de la même manière.
Ayant un père dans la musique classique qui était une personne aussi centrale pour toi, peux-tu nous en dire plus sur ton éducation musicale et tes débuts en tant que musicien ?
J’ai commencé quand j’avais six ans, sans que ma famille me pousse à faire de la musique. Ils m’ont juste demandé si ça m’intéressait. Je suis né dans une famille très musicale, mon frère était un pianiste classique qui a étudié au Conservatoire et y a enseigné ensuite. Mon père faisait quelque chose avec de la musique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à composer des opéras, des symphonies, etc. Il m’emmenait aux répétitions du philharmonique. Je pense que parfois je créais des problèmes [petits rires], car je montais sur scène et je m’intéressais à ce qu’ils faisaient, en n’étant pas très discret. Mais il m’a montré ce monde musical et c’était très intéressant pour moi. C’est pourquoi c’était très spécial pour moi d’aller en école de musique et au Conservatoire. J’aimais beaucoup étudier, donc il n’y avait pas de pression, mes parents ne me poussaient pas spécialement dans cette voie. J’ai eu beaucoup de chance avec mes enseignants, car j’ai d’abord commencé avec le violoncelle et le piano, et mon professeur était super, il faisait en sorte que cet univers musical soit si intéressant que je rentrais de l’école et continuais à étudier à la maison. A onze ans, je crois, j’ai trouvé une guitare dans l’école de musique et j’ai voulu apprendre à en jouer. J’étais fasciné par la guitare. J’ai étudié la guitare dans une école de rock et de jazz.
Dès quatorze ans, j’ai monté mon groupe [Pesniary] et j’ai commencé à tourner ! [Petits rires]. C’était dingue. J’étais très jeune quand j’ai fait mon premier enregistrement et ma première tournée. J’ai eu un énorme succès avec mon premier groupe, nous avons vendu environ dix millions d’albums en Russie. Nous avons tourné à fond, en jouant dans des stades. Mais c’était l’époque de l’Union soviétique et c’était un pays fermé, donc ça ne me suffisait pas de ne jouer que dans un pays. Je voulais voir le monde [rires]. J’ai fait ma première tournée en Europe [avec le groupe Inspector], en Allemagne, au Danemark, etc., et j’ai dit : « Ok, il faut que je déménage. » Puis j’ai pris plein de cours privés avec de grands guitaristes comme Shawn Lane, j’ai été en Amérique pour y prendre des cours, jouer dans un tas de clubs, etc. Plus tard, j’ai déménagé en Allemagne. Je voulais être partout, jouer partout. La meilleure chose que j’ai trouvée dans ma vie était la liberté de faire ce que je voulais, où je voulais et comme je voulais [rires], et ça fait quinze ans que c’est comme ça, donc je suis très content !
« Les gens voient parfois l’orchestre comme un outil promotionnel […]. C’est très différent quand tu as quelqu’un qui sait ce qu’il fait, par rapport à quelqu’un qui ne fait qu’utiliser ça pour se mettre en valeur. »
Tu viens de mentionner les cours que tu as pris avec Shawn Lane, qui est un grand guitariste de jazz-fusion. Qu’as-tu appris de lui ?
A faire ce que j’aime faire, et à le faire comme je veux le faire, et pas comme les gens attendent que je le fasse, à ne pas suivre ce que les gens m’ordonnent de faire, à ne pas être esclave de la popularité, du business, de la maison de disques, etc. Ceci, au final, est ce qui te rend heureux. Non seulement il m’enseignait la guitare mais en plus, il me poussait à ressentir et comprendre ce que je fais, et à le faire avec émotion, tout en créant une bonne production, en étant parfait, sans faire d’erreur en studio. Il m’a appris à être ouvert d’esprit aussi, à mélanger des idées folles. Surtout, Shawn Lane jouait du clavier et de la guitare, ce qui me fascinait : parfois tu composes des chansons au clavier, puis tu joues sur la guitare, donc ça offre différentes façons de jouer et de faire tes phrasés. Il m’a aussi appris à essayer de jouer avec mes doigts ce que j’entends dans ma tête et pas juste des gammes qui sont pratiques pour mes doigts.
L’association du metal ou du hard rock et d’un orchestre a été faite de nombreuses fois maintenant et est devenue assez commune. Mais que penses-tu de la manière dont l’orchestre est habituellement intégré aux compositions metal ?
Parfois c’est bien, parfois ce n’est pas si bien. Les gens voient parfois l’orchestre comme un outil promotionnel, genre : « On fait un truc important. On a un orchestre, on produit quelque chose d’énorme… » Ce n’est que de l’apparence et parfois il s’agit juste de faire jouer à l’orchestre quelques accords de clavier. C’est une sorte de couleur d’arrangement. Moi, je pense ça autrement. Pour moi, le groupe et l’orchestre, ce n’est pas différent. Ce sont juste des instruments différents ; je ne vois pas ça comme un arrangement spécial ou quoi. L’orchestre, ce n’est pas forcément pour le monde du classique, et le groupe, ce n’est pas forcément pour le rock. Un groupe de metal peut jouer du classique et un orchestre peut envoyer du rock. De même, je ne vois pas la musique classique comme étant quelque chose de spécial et toujours bon, car dans le monde classique, il y a beaucoup de conneries ; il y a pas mal de musique classique qui est totalement nulle, et il y a plein de mauvais musiciens classiques. C’est naturel pour moi, parce que je joue toujours du violoncelle, et j’aime beaucoup cet instrument, et je joue plein de trucs heavy au violoncelle. Et certaines choses ne peuvent pas être jouées à la guitare, donc c’est mieux quand c’est le violoncelle qui les joue. Certains groupes parviennent à un parfait équilibre et composent de bonnes choses, tandis que d’autres musiciens ont juste embauché un arrangeur, pour le payer pour qu’il fasse quelque chose et ils n’ont aucune idée de comment on utilise un orchestre ! [Rires] C’est comme ce que Peavy a fait avec l’orchestre avant que je n’arrive dans le groupe : il ne connait rien à la musique classique, il a juste embauché des musiciens qui ont tout fait pour l’orchestre. C’est très différent quand tu as quelqu’un qui sait ce qu’il fait, par rapport à quelqu’un qui ne fait qu’utiliser ça pour se mettre en valeur.
Selon toi, quel groupe a réussi à mélanger metal et orchestre ?
[Réfléchit longuement] Je trouve que ce que Blind Guardian a fait avec leur dernier album est intéressant, avec seulement du chant et un orchestre, car il y a plein d’idées de chansons normales mais simplement jouées par un orchestre.
Vu que tu joues du violoncelle, que penses-tu d’Apocalyptica ?
Ce sont de très bons musiciens. D’accord, c’est un projet un peu commercial, ils ont commencé avec des reprises, à jouer ces chansons de Metallica et ainsi de suite, en se faisant un grand nom en tant que groupe de reprise. D’accord, ils sautent et font les fous sur scène, il s’agit surtout de faire le spectacle [petits rires], mais ce sont de bons musiciens, donc c’est cool. Ce sont des musiciens professionnels. Ça sonne bien quand ils jouent avec différents groupes et collaborent avec d’autres musiciens. J’aime quand des professionnels font quelque chose, car on peut entendre qu’ils savent ce qu’ils font.
L’illustration de Rush Of Death est très moderne, ou même futuriste, en comparaison des représentations historiques des deux premiers albums. Au niveau des textes, tu n’as pas totalement abandonné les thèmes historiques, mais est-ce que ça veut dire que tu élargis le concept thématique du groupe ?
Oui. Enfin, je veux poursuivre les trucs historiques, comme avec Tsar et Kingslayer, car j’aime beaucoup l’histoire. Mais je cherchais de nouvelles histoires et nous avons découvert que beaucoup de gens voyaient les gladiateurs sous un certain angle, c’est-à-dire comme étant des esclaves, sans liberté, etc. Mais ce n’est pas vrai, car il y a plein de preuves comme quoi les gladiateurs n’étaient pas toujours des esclaves. Quand ils gagnaient leur liberté, nombre d’entre eux ne voulaient pas partir, ils ne voulaient pas de cette liberté, ils aimaient ce qu’ils faisaient, ils voulaient continuer à se battre. Ils étaient attachés à l’atmosphère des arènes de combat et à la gloire qui va avec. Comme par exemple Flamma qui était un des plus grands gladiateurs, il a vécu trente ans et a gagné plus de trente fois ! Il gagnait toujours sa liberté mais il n’en voulait pas [rires]. Plein de gladiateurs étaient comme ça. Ceci était donc le concept pour « Suite Lingua Mortis Part 2 ». Ensuite, à partir de cette histoire, j’ai sauté dans le présent pour voir les courses automobiles comme les combats de gladiateurs des temps modernes, car nous offrons un spectacle similaire.
« Ma tête est pleine de notes ! [Rires]. Même quand je prends des vacances normales et m’allonge quelque part sur la plage, je pense à la musique ! La seule façon pour moi de me vider la tête, c’est d’appuyer sur le bouton de démarreur [rires], car sur le circuit, c’est dangereux. […] Si tu penses à la musique pendant ne serait-ce qu’une seconde sur le circuit, ça peut être très douloureux [rires]. »
Ça fait plus de vingt-cinq ans que je conduis en tant que pilote de course professionnel. J’ai participé onze fois aux vingt-quatre heures du Nürburgring. J’ai pris de gros risques, j’ai eu plein de gros accidents. Je sais ce que ressentent les coureurs automobiles. C’est une grosse décharge d’adrénaline. Tout le monde dehors veut voir le spectacle, tout comme dans une arène. Ils aiment quand quelqu’un a un accident ; parfois, ils vont voir une course en espérant que quelqu’un se crashe. D’un côté, c’est dingue, mais il s’agit d’offrir du spectacle au public, et pour le coureur, il s’agit de gagner. Niki Lauda a toujours dit qu’il n’y a pas d’amitié sur le circuit [petits rires]. Quand on fait la course, il faut se battre. James Hunt a dit : « Plus on se rapproche de la mort, plus on se sent vivant. » Les décisions qu’on doit prendre en une seconde, c’est fou ! Certaines personnes font la course jusqu’à la mort, comme Jacky Ickx et Stefan Bellof sur le circuit de Spa-Francorchamps : tout le monde sait que deux voitures ne passent pas dans le premier tournant du Raidillon de l’Eau-Rouge, or les deux ont mis les gaz, et un gars [Stegan Bellof] est mort. Il y a donc plein de similitudes avec les gladiateurs. J’ai trouvé cette histoire vraiment cool. C’est comme un album conceptuel mais à la fois historique et dans le présent.
Tu es dans la musique depuis tout jeune, avec une famille très musicale comme tu l’expliquais, donc comment t’es-tu retrouvé impliqué dans la course automobile ?
J’ai toujours aimé la course automobile. J’avais un ami qui faisait du karting, puis de la Formule 4. J’ai été voir ce gars et j’ai fait une conduite test. J’étais fasciné par la course. Quand j’ai déménagé en Allemagne, j’ai été dans une école de rallye et j’ai commencé à devenir professionnel, car j’aime beaucoup le sport, et je pense que c’était une bonne décision, car quand tu tournes beaucoup… Surtout il y a vingt ans, je tournais constamment, j’étais en tournée neuf mois par an. C’est difficile : ça te fatigue, tu deviens fou. Certains de mes amis se sont tournés vers la drogue et l’alcool, et ont bousillé leur santé. C’est difficile parfois de rester clean quand tu es très fatigué et à la limite de craquer. J’ai perdu plein d’amis comme ça. Je suis content d’avoir commencé le sport, parce que ça maintient ma bonne forme et ça me vide la tête. Ça m’a donné quelque chose à faire, à apprendre et auquel m’entraîner.
Ensuite, j’en ai fait de plus en plus parce que j’ai eu beaucoup de succès. J’ai gagné plein de courses. J’ai gagné dix-sept fois des courses longue distance sur différents circuits, comme celui de Nürburgring. Donc j’ai eu pas mal de réussites. Le succès m’a aidé à obtenir des sponsors et le soutien de certaines compagnies, ce qui m’a facilité les choses, car le sport automobile coûte très cher, donc il faut de l’aide financière. J’ai grandi et j’ai appris plein de choses. Je ne sais pas si j’ai plus de CD ou plus de coupes de vainqueur chez moi [rires]. Et aussi, quand on est coureur automobile, c’est complètement différent si tu es dans une monoplace, comme dans la Formule, ou si tu es un coureur de rallye. J’essaye de faire les deux. Mais plus généralement, tester mes limites personnelles, ça me fascine. Je fais des trucs de dingue, comme sauter d’un avion, faire du saut à l’élastique, aller dans la montagne, plein de trucs dangereux. J’aime me pousser pour trouver mes limites, sans faire des trucs complètement risqués et stupides, mais en restant en contrôle de moi-même.
Penses-tu que les sensations et l’adrénaline que tu as durant une course sont comparables à ce que tu ressens quand tu es sur scène à jouer du metal ?
Exactement ! Faire une course et jouer du metal, c’est complètement similaire à mes yeux. C’est la même adrénaline. Par exemple, en Italie, il y a un rallye légendaire, très populaire, j’y ai conduit une fois et c’est incroyable l’énergie que tu reçois des fans, c’est comme dans un festival de metal. Tout le monde apprécie chaque fois qu’il y a une sortie de route de dingue. Quand tu montes sur scène et que tu donnes toute ta puissance, c’est la même chose que quand tu vas sur la piste de course. Quand tu donnes trop, tu te crashes, et sur scène, tu as des problèmes avec tes muscles, tu joues la mauvaise note, etc., et tu n’as qu’une chance, quand tu joues la mauvaise note, tu ne peux pas vraiment dire : « Désolé, je vais refaire la partie », comme en studio. C’est live, c’est là et ensuite c’est terminé. C’est pareil sur le circuit : tu fais une sortie de route, c’est fini, tu ne peux plus gagner. C’est aussi une équipe : tu as une équipe pour ton groupe et pour la course. Quand quelqu’un déconne avec les pneus ou les câbles sur scène, tu as des problèmes.
« Le succès n’a pas toujours à voir avec la qualité. […] J’apprécie de voir des musiciens qui jouent bien, font du bon boulot, sont professionnels, et pas juste de grandes stars qui ont beaucoup de succès parce que la maison de disques a fait du bon boulot. »
Et puis, participer à une course, ça me permet de réinitialiser ma tête, parce que je fais énormément de musique dans ma vie : j’enseigne, je fais des ateliers, je compose beaucoup, je fais beaucoup de boulot en studio pour différents groupes, j’enregistre des orchestres pour différents groupes… Ma tête est pleine de notes ! [Rires]. Même quand je prends des vacances normales et m’allonge quelque part sur la plage, je pense à la musique ! La seule façon pour moi de me vider la tête, c’est d’appuyer sur le bouton de démarreur [rires], car sur le circuit, c’est dangereux. J’ai été vice-champion sur le championnat allemand l’an dernier ; la seconde place c’est un résultat vraiment fantastique, j’en suis très content. Donc tu vas à la limite et tu as besoin de te concentrer ; si tu penses à la musique pendant ne serait-ce qu’une seconde sur le circuit, ça peut être très douloureux [rires].
Evidemment, la course automobile, c’est une compétition, donc vois-tu parfois la musique comme une compétition également ?
Parfois oui, mais de façon amusante. Je fais pas mal de combats de guitares et quand on fait des sessions de jam, c’est aussi un peu un combat de guitare. C’est marrant parfois de faire ces combats de guitares et jouer avec certains gars qui sont vraiment bons. Mais je pense qu’on perd notre temps si on est sur scène avec notre groupe et qu’on pense à la compétition. Il faut profiter du moment qu’on passe sur scène. Quand je joue sur scène et que je vois le public, j’essaye d’en profiter, car c’est ici et maintenant. Quand j’étais jeune, j’y allais peut-être un peu trop fort, à essayer de faire que tout soit parfait. Parfois c’était vraiment pénible quand quelque chose n’allait pas. J’ai souvent joué au Wacken, et il y a cette énorme scène, tu restes devant, tu ne peux pas t’entendre ; c’est très difficile de jouer du mieux que tu peux quand tu ne peux pas t’entendre. Quelque chose va mal et tu es contrarié, mais plus tard, tu te dis : « Merde, tu as fait un super concert avec les fans devant toi, mais tu étais super énervé. Pourquoi ? » [Petits rires]. Donc j’essaye d’en profiter.
Plein de musiciens sont des amis. Ce monde de la musique est tellement petit. Donc la compétition entre les groupes est vraiment stupide. Enfin, je prends l’industrie musicale de manière très détendue. Je ne pense pas à essayer d’être une grande star ou aux ventes. Je n’ai vraiment pas le contrôle là-dessus. Là où j’ai le contrôle, c’est quand j’essaye de faire la meilleure musique que je peux. La maison de disques et les chargés de promotion font leur boulot, et je suis content quand les fans aiment ma musique. Je vois bien que le succès, c’est beaucoup de chance parfois. On n’est pas numéro un des classements parce qu’on a fait le meilleur album. Le succès n’a pas toujours à voir avec la qualité. C’est une question de bon timing, de bonne promotion, etc. Beaucoup de conditions doivent être réunies pour avoir du succès. Une tête d’affiche peut jouer comme de la merde, tandis que le groupe de première partie joue super bien, et parfois, dans les magazines, je lis de très mauvaises critiques sur certains groupes, puis j’achète le CD et je le trouve super ! [Rires]. J’apprécie de voir des musiciens qui jouent bien, font du bon boulot, sont professionnels, et pas juste de grandes stars qui ont beaucoup de succès parce que la maison de disques a fait du bon boulot. J’aime une bonne prestation, une bonne énergie et de bons musiciens professionnels.
Ça fait maintenant cinq ans que tu as quitté Rage, et tout comme Almanac, ils ont depuis sorti trois albums – leur nouvel album sort d’ailleurs presque en même temps que le tien. Les as-tu suivis et as-tu écouté ce qu’ils faisaient depuis que tu es parti ?
Oui, je pense que ce que Rage fait maintenant, ce sont des choix commerciaux, en se basant ce qui est le mieux aujourd’hui pour survivre et avoir du boulot. C’est un peu l’ombre des années 80. [Réfléchit] Je pense que j’ai pris la bonne décision en arrêtant Rage et en faisant Almanac [rires].
Pour autant, je n’ai pas l’impression qu’ils réussissent mieux commercialement parlant…
Non et c’est pour ça que Peavy est un peu énervé et parle mal de l’ancien line-up, car il n’a plus de succès, les ventes se cassent la figure, ils ont perdu leur contrat avec Nuclear Blast… Niveau business, le groupe ne se porte pas très bien. Quand nous jouions ensemble, Peavy était le plus grand fan de Dream Theater qui soit et parlait mal de groupes comme Kreator et Sodom, mais maintenant, il fait de la musique similaire, car c’est mieux pour son porte-monnaie. Ce qu’il fait n’est pas authentique. Plein de fans de Rage sont partis parce qu’à un moment donné il dit une chose, et ensuite il dit autre chose. Ça nous arrive de nous croiser sur des festivals, mais nous ne communiquons pas vraiment, car il a essayé de faire des sales coups stupides à André [Hilgers] et moi ; lors des dernières interviews il a dit du mal d’André, au sujet de son style de jeu… Il dit du mal de tout le monde, simplement parce qu’il n’est pas content. Ce sont de grosses conneries. J’ai travaillé avec lui pendant quinze ans et tous les jours il critiquait le line-up d’avant ; j’en avais marre d’entendre ça [petits rires]. Maintenant, ça fait cinq ans qu’il dit du mal d’André et moi… J’espère que ça continuera encore dix ans et qu’après ça s’arrêtera [rires].
Interview réalisée par téléphone le 28 janvier 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Almanac : www.almanac.band.
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