Si Blues Pills a rapidement rencontré le succès avec son premier album sorti il y a deux ans, c’est non seulement grâce au talent de ses musiciens, et en particulier du jeune guitariste français Dorian Sorriaux et de la diva rock-soul suédoise Elin Larsson, mais aussi parce que sa musique est une sacrée bouffée d’air frais, malgré des codes empruntés aux ténors des années soixante et soixante-dix – on ne peut pas les blâmer, tant ceux-ci sont intemporels. Ils nous rappellent ce qu’est une musique authentique, face à des pratiques « artistiques » du business de plus en plus superficielles.
D’ailleurs, Dorian et Elin partagent avec nous leurs sentiments à ce sujet dans l’interview qui suit mais aussi, et surtout, nous parle de leur nouvel album Lady In Gold. Un album qui relève les influences soul du groupe, et particulièrement de la frontwoman qui nous explique avoir baignée tôt dans cette musique qui fait tant de bien à l’âme.
« Le stéréotype veut que Dieu soit un homme, la mort un homme, Satan un homme… Et s’il y avait cette magnifique, puissante, mortelle, effrayante femme qui arrivait et te prenait pour t’emporter de l’autre côté ? »
Radio Metal : La moitié de votre premier album était constitué de chansons de vos premiers EP réenregistrées, ce qui fait de Lady In Gold le premier album de Blues Pills uniquement constitué de nouvelles musiques. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Dorian Sorriaux (guitare) : C’est excitant de pouvoir sortir un album dont personne n’a encore entendu quoi que ce soit ! Car nous n’avions jamais ressenti ça.
Elin Larsson (chant) : Ouais ! [Rires] C’est palpitant !
Dorian : Mais j’imagine que ça n’a rien changé dans nos vies de quelque façon que ce soit, vraiment. C’est juste comme ça que ça s’est fait.
Elin : C’est super et je suis très contente de l’album !
Vous avez encore quelques chansons de ces premiers EPs qui n’ont pas encore été réenregistrées. Etait-ce important d’aller de l’avant et ne plus regarder en arrière ?
Oui.
Dorian : Ouais, c’était important. Si tu ne fais que regarder derrière toi, tu finis par reculer.
Lady In Gold paraît plus posé et élaboré pour ce qui est des atmosphères, grâce notamment au travail des claviers et des chœurs. Pouvez-vous nous parler de votre approche sur cet album par rapport au premier et comment vous êtes-vous retrouvés avec cet état d’esprit ?
Elin : A la base, ça reste grosso-modo du blues rock mais nous avons davantage d’influences soul qui ressortent sur cet album que sur le premier. Bien sûr, pour moi, c’est une étape naturelle parce que j’ai commencé à chanter grâce à ces artistes de soul que j’admirais quand j’ai grandi. Donc pour moi, c’était une évolution naturelle et je pense que pour les gars aussi parce qu’ils ont beaucoup écouté de soul. En plus de ce groove Blues Pills particulier, nous avons adopté ceci et l’avons d’autant plus mis en évidence sur cet album.
Dorian : En fait, je me souviens lorsque nous enregistrions le premier album, à un moment donné nous jammions, et je crois même que c’était peut-être certains des riffs qui se sont retrouvés sur « You Gotta Try », et [le producteur] Don [Aslterberg] était là : « Les gars, vous êtes meilleurs pour faire ça que pour faire ce que vous essayez de faire là ! »
Elin : [Eclate de rire].
Dorian : Donc, ouais, c’était une progression naturelle.
Elin : Par exemple, « Little Boy Preacher », la seconde piste de l’album, elle procurait un sentiment étrange parce que nous avons tous commencé à jouer ensemble et les bandes d’enregistrement tournaient dans le studio, donc nous l’enregistrions… J’étais même déjà en train de chanter certaines des paroles, les mêmes mélodies… C’était tellement étrange… Et après que nous ayons enregistré pendant quelque chose comme quinze minutes, j’étais là : « Putain, on sonne comment là ? » [Rires]
D’ailleurs sur une chanson comme « I Felt A Change », vous sonnez presque comme un groupe purement soul…
Cette chanson, c’est une chanson que j’ai écrite ; pour être franche, je ne savais pas qu’elle allait se retrouver sur l’album de Blues Pills parce que je ne pense pas… J’avais peur que ça ne sonne pas comme Blues Pills. Car je fais ce genre de chansons aussi à côté. Les gars l’ont adoré et le producteur l’a adoré également. Au final, nous avons enregistré quelque chose comme quinze chansons et nous avons choisi celles [que nous préférions]. Donc nous avons choisi celle-ci sur le tard. Mais au bout du compte, je pense que ça fait un bon équilibre, car c’est la seule ballade de l’album.
Tu as parlé d’ « artistes de soul que [tu] admirais lorsque [tu] grandissais. » Du coup, quel est ton rapport à la musique soul ?
Aretha Franklin est l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à chanter. Le premier album que j’ai acheté était un album de Joe Cocker. J’étais fascinée par ces voix fortes, de même qu’Otis Redding et Etta James. Et j’étais impressionnée par Janis Joplin. C’était la puissance dans leur voix qui était époustouflante, c’est ça qui m’impressionnait.
Pour le premier album, vous aviez pris plus de temps que prévu, surtout parce qu’autant vous que le producteur Don Alsterberg êtes des perfectionnistes. Mais maintenant, puisque vous avez à nouveau travaillé avec ce producteur, j’imagine que vous vous connaissiez mieux ainsi que votre son, et que vous avez aussi appris de cette première expérience. Du coup, est-ce que c’était plus facile et rapide cette fois ?
Ce n’était pas plus rapide ! Et ce n’était pas plus facile ! [Eclate de rire]
Dorian : Mais nous avons effectivement appris des choses avec le premier album qui nous ont aidées.
Elin : Et nous connaissions Don, et nous connaissions mieux nos instruments.
Dorian : C’était peut-être plus facile de commencer à se mettre au travail. Nous nous sommes retrouvés et avons démarré, c’était comme si nous n’avions jamais quitté le studio la première fois. Et j’ai appris à toujours me concentrer sur le fait de jouer quelque chose qui convient à la chanson, qui lui apporte quelque chose, pas seulement jouer un lead de guitare parce que c’est un truc clinquant que je viens juste d’apprendre et je veux que les gens entendent que je me suis entraîné à faire ça. Non, avec Don, c’est toujours une question d’essayer de trouver une mélodie qui apportera quelque chose à la chanson. J’ai beaucoup appris ça, pour ce qui est de la guitare.
« Il y a beaucoup à écrire sur la mort, et lorsque tu écris sur la mort, ça revient aussi un peu à écrire sur la vie. […] Ca rend le présent plus important lorsque tu penses à un tel sujet. »
Elin : Moi, j’ai beaucoup appris de Don pour le rythme. Enfin, j’avais beaucoup appris là-dessus via la musique soul aussi, mais j’ai toujours envie de rentrer au troisième temps et lui veut toujours que je rentre au premier temps, il y a donc tout le temps des discussions qui peuvent parfois être animées, mais c’est juste que c’est plus naturel pour moi de rentrer sur le troisième temps. J’ai aussi gagné en expérience avec les chœurs parce que sur le premier album, je fais tous les chœurs et je les ai faits, genre, sur le vif, je détermine sur place et ensuite c’est enregistré. Cette fois, j’ai pris de cette expérience et j’ai voulu avoir une chorale avec des chanteurs de Göteborg. Je chante les parties les plus aigües des chœurs, donc je n’interfère pas avec la gamme médium de mes mélodies. Ainsi ça ne sonne pas informatisé, ça sonne vrai. J’ai aussi appris à travailler sur les démos à la maison, à trouver des harmonies, écrire et enregistrer ma propre voix pas mal de fois.
Dorian : Nous avons aussi appris à… Comme les arrangements des chansons, et je pense à « Burned Out », la façon dont nous l’avons construite. Ça commence avec la batterie et les cymbales et ensuite ça va dans les couplets avec un rythme de batterie, et à la fin, c’est vraiment puissant. Tu sais, ça commence ici et ça fini là. Et avant, c’était : « C’est un jam sympa », ensuite nous utilisions le jam pour ensuite aller vers un autre jam, mais peut-être que ça ne collait pas ensemble et que nous n’avions pas cette progression naturelle avec cette apogée.
Elin : J’essaie toujours de trouver… Même si je trouve tout de suite une mélodie, j’ai appris que je dois essayer d’autres choses également, de façon à trouver ce qui va le mieux et qui est le plus original.
Vous avez maintenant un nouveau batteur, André Kvarnström. Tout d’abord, la dernière fois que nous t’avons parlé, Dorian, rien n’était officiel mais Cory Berry était à l’époque temporairement hors du groupe parce qu’il y avait « de petits problèmes au sein du groupe avec Cory… »
Les deux : [Eclatent de rire].
Du coup, c’était quoi ces problème qui ont finalement mené à son départ ?
Dorian : Je pense que la façon la plus simple de l’expliquer est de dire que tu peux vraiment bien t’entendre avec quelqu’un chez toi, simplement en tant qu’amis, mais qu’en tournée, c’est complètement différent. Il y a beaucoup de pression, il y a les conditions, il y a beaucoup de stress, et certaines personnes avec qui tu peux apprécier être parce que ce sont des amis ne peuvent pas supporter ça, et ensuite ça peut devenir un problème. En gros, c’est ce qui s’est passé. Donc nous sommes toujours en très bons termes avec Cory.
Elin : Nous l’avons vu avant de partir pour ce voyage [de presse]. Et je trouve que c’est un excellent musicien et compositeur. Je pense aussi qu’avec cet album, bien sûr, ça a fait perdre certains éléments parce qu’il a énormément contribué et maintenant André apporte sa part.
Qu’est-ce qu’André a apporté au groupe et comment a-t-il été impliqué dans la composition de l’album ?
Nous avons commencé à écrire cet album et nous étions en studio à la fin 2014, donc nous avons travaillé là-dessus pendant presque deux ans, en alternance avec les tournées, pas deux années de façon constante, autrement ça aurait été ridicule [rires]. C’est vraiment un super batteur et il avait même quelques idées au niveau production. Il était là : « Peut-être que nous pourrions avoir ce son… » Il n’a peut-être pas autant l’habitude de composer que Cory mais il a amené le meilleur niveau batterie. Il a apporté quelque chose d’un peu plus groovy.
Dorian : C’est très important pour moi, dans n’importe quel groupe de rock, que la section rythmique soit super solide. Sur cet album, j’aime vraiment les parties de batterie qu’André a faites. Il joue vraiment les bonnes choses. Il y une intensité là-dedans. A la fin des chansons, comme nous le disions, ça devient plus heavy… Tu peux vraiment ressentir la dynamique, que ça monte vraiment.
Elin, tu as dit que « Lady Gold est un personnage qui symbolise la mort. [Vous] vouli[ez] tordre le stéréotype typique de la mort qui serait La Faucheuse. Donc au lieu de ça, [vous] en av[ez] fait la Dame en Or. » En dehors de l’idée de s’éloigner du stéréotype, pourquoi avoir choisi de dépeindre la mort sous une personnalité aussi belle et séduisante ?
Elin : [Rires] Je trouve qu’elle est séduisante mais elle est également effrayante et c’est une femme puissante. Elle a quelque chose de noir en elle. Et j’ai voulu déformer [les idées habituelles] parce que le stéréotype veut que Dieu soit un homme, la mort un homme, Satan un homme… Et s’il y avait cette magnifique, puissante, mortelle, effrayante femme qui arrivait et te prenait pour t’emporter de l’autre côté ? Mais ce n’est qu’une histoire, tu sais.
Dorian : Nous ne l’avons pas encore rencontrée… [Rires]
Même si la mort n’était pas le thème principal, il était aussi un thème présent sur le premier album. Et il semble être un thème important sur ce nouvel album. Quelle est ta relation à ce thème ?
Elin : Je trouve qu’il y a beaucoup à écrire sur la mort, et lorsque tu écris sur la mort, ça revient aussi un peu à écrire sur la vie. Donc je pense, en général, que nous devrions tous essayer de vivre notre vie, ne pas avoir peur de la mort et ne pas vivre dans nos regrets, regarder devant nous et être dans le présent. Evidemment, j’ai peur de la mort. Je pense que tout le monde n’est pas là : « J’ai hâte de mourir. » Enfin, peut-être que certains… Mais je trouve que ça rend le présent plus important lorsque tu penses à un tel sujet.
« Lorsque le jour arrivera où je dirais ‘non, on ne peut plus rien m’apprendre’, alors je devrais simplement arrêter de jouer de la musique [rires]. J’espère que ça n’arrivera pas, bon Dieu… »
Dorian, tu as dit dans une interview que les thèmes de cet album n’étaient pas aussi personnels qu’ils ne l’étaient sur le premier. Qu’est-ce qui vous a poussé à être moins personnels cette fois ?
Dorian : Ce que je voulais dire c’est qu’il y a davantage de fiction mais il y a quand même des chansons très personnelles.
Elin : Ouais, il y des personnages inventés mais certaines chansons, la plupart… Je veux dire que « I Felt A Change » était tellement personnelle que, putain, je n’arrive pas à croire que nous l’ayons sortie [rires]. Les gens en interview me demandent : « De quoi ça parle ? » Je suis là : « Non, je ne peux pas vraiment… » Mais je pense que la religion est toujours un grand sujet sur lequel on peut écrire. Comme « Little Boy Preacher », ça parle du gourou d’une secte qui trompe tout le monde mais c’est aussi de la fiction, ça n’existe pas vraiment. Je trouve que c’est assez pertinent aujourd’hui d’écrire à propos de ce genre de choses, en raison de tout ce qu’il se passe. Tout comme « Bad Talkers », ça parle de gens qui jugent d’autres gens et ne les laissent pas être qui ils sont, et puis tout le monde a une opinion sur des conneries. Comme n’importe quel désir sexuel, si ce n’est pas illégal, devrait être accepté. N’importe quelle couleur de peau devrait être acceptée. C’est ridicule que ça pose encore problème aujourd’hui que nous nous voyons de façon différente, jugeant nos différences, alors que ça ne devrait pas importer en 2016.
L’illustration renvoit une idée de dualité. Est-ce que ça signifie que vous voyez une dualité dans votre musique ? Comment cette illustration incarne l’album ?
Dorian : Marijke Koger-Dunham qui a fait ces illustrations est vraiment la meilleure personne pour en parler mais il y a effectivement beaucoup de…
Elin : …symbolisme et je pense que ça complète bien notre musique. Je ne m’en rendais pas vraiment compte jusqu’à ce que nous ayons fait le premier album. La façon dont elle peint et tous ces genres symboles, c’est un peu ce que nous voulons accomplir avec notre musique, trouver l’équilibre entre… Car je trouve que ça peut être magnifique lorsque quelque chose est beau et à la fois malicieux. Je pense que c’est ça l’art pour moi.
L’album se termine sur une reprise du « Elements And Things » de Joe White, datant de 1969. Qu’est-ce que cette chanson représente pour vous ?
Dorian : C’est une super chanson que nous avons commencé à jouer il y a deux ans. Nous l’avons jouée très souvent et les gens ont commencé à nous poser des questions, espérant : « Vous devriez la mettre sur le prochain album. » Idem avec le label et les gens avec qui nous travaillions. Tout le monde l’adorait et nous de même.
Elin : Et donc c’est pour ça que nous avons voulu l’enregistrer, pour la leur offrir.
Vous êtes tous très jeunes dans le groupe, du coup, était-ce important pour vous d’étudier certains vieux classiques des années 60 et 70, y compris le fait de faire des reprises, pour vraiment comprendre comment la musique de cette époque où vous n’étiez même pas encore né était faite ?
Je pense, en général, que ça n’a pas d’importance si tu es vieux ou jeune. Ce qui est important pour un musicien, c’est qu’il découvre vraiment la musique et ne se focalise pas que sur un seul genre. Je trouve qu’il est important d’être influencé pas tout type de musiques et aussi de ne pas avoir le sentiment que « je ne peux plus rien apprendre » ou « je connais tous les albums et maintenant je sais tout » parce que ça fait du mal à ton instrument. [C’est important] de toujours avoir une opinion modeste sur les choses et j’adore ça avec notre groupe parce que nous… Il est clair que je ne connais pas toute la musique qui existe mais je veux explorer. Je trouve que c’est une énorme part dans le fait de devenir un musicien et c’est de ça dont il est question. Et lorsque le jour arrivera où je dirais « non, on ne peut plus rien m’apprendre », alors je devrais simplement arrêter de jouer de la musique [rires]. J’espère que ça n’arrivera pas, bon Dieu…
Lady In gold n’est que votre second album mais vous avez déjà un EP live et un album live. Diriez-vous que c’est en concert que votre musique prend toute sa dimension ?
Ouais, je pense que nous sommes un groupe live.
Dorian : Nous essayons aussi de capturer l’énergie live, d’une certaine façon, lorsque nous enregistrons en studio. Mais bien sûr, c’est un processus différent parce que tu fais des overdubs et tout mais les pistes principales que nous enregistrons, elles sont faites tous ensemble dans la même pièce. Nous ne faisons pas ça au métronome, d’abord la batterie, on écoute attentivement et ensuite… Non, nous maintenons le côté vivant.
Elin : Mais tout ce que tu peux faire sur un album studio, tu ne peux pas forcément le faire en concert mais tout ce que tu peux faire en concert, tu peux le faire en studio. Je veux dire qu’à chaque fois que nous jouons en concert, nous improvisons, nous rallongeons, parfois nous ne savons même pas où ça va avec les chansons mais nous finissons toujours sur la même longueur d’onde, et parfois nous nous plantons, ce qui est super [petits rires]. Je vois une chanson comme un orgas… orgasme vivant ? [Rires]
Dorian : C’est un orgasme permanent ! [Rires]
Elin : [Rires] Non, c’est comme un truc vivant. Ce n’est jamais complètement terminé. Ça continue d’évoluer. Par exemple, la façon dont nous jouons lors de nos concerts maintenant comparé à la façon dont nous jouions sur l’album live à la Freak Valley que nous avons sorti, ce n’est pas exactement pareil.
« J’aime trois artistes qui sont considérés mainstream, en terme de chanteurs, et ce sont Adele, Beyoncé et Amy Winehouse, et c’est à peu près tout, le reste n’est que de la merde. »
Elin, tu as dit que tes influences étaient à trouver chez des chanteurs comme Aretha Franklin et Etta James, et Dorian, la dernière fois, tu nous disais à quel point Peter Green avait eu un grand impact sur ton jeu de guitare. Que trouvez-vous chez ces chanteurs et musiciens que vous ne semblez pas trouver dans la musique plus contemporaine ?
Dorian : Je ne sais pas, c’est une bonne question.
Elin : Je pense que, plutôt les chanteurs en général, ils sont bien meilleurs parce qu’il n’y avait pas d’auto-tune, ils écrivaient souvent les chansons et ils avaient un mode d’expression authentique. C’est ce que moi aussi j’essaie d’obtenir, ce feeling dans la façon d’exprimer un mot ou des paroles. Tout comme Peter Green…
Dorian : Bien sûr, certaines personnes aujourd’hui font de supers trucs. Je ne pense pas que ce soit une question de génération… comme s’ils avaient quelque chose dans les années soixante et que ça n’existait plus. C’est juste que maintenant, il y a toutes les radios et tout a changé [dans l’industrie].
Elin : Je pense qu’à l’époque, tu voulais devenir musicien. Tu voulais avoir un groupe. Maintenant, tu veux davantage être une idole qu’un musicien, et ensuite tu veux avoir des millions de gens qui te suivent sur les réseaux sociaux… Mais ils passent à côté de ce qu’il y a de meilleur dans le fait d’être musicien, car c’est ça qui compte vraiment, le fait d’écrire tes propres chansons. Je trouve que la musique mainstream, c’est de la merde [rires]. Je pense que j’aime trois artistes qui sont considérés mainstream, en terme de chanteurs, et ce sont Adele, Beyoncé et Amy Winehouse, et c’est à peu près tout, le reste n’est que de la merde. Mais, en fait, je pense que les gens commencent à se mettre à chercher des groupes qu’ils aiment, et ne pas se contenter de prendre ce qui passe à la radio. Je pense qu’ils en arrivent au stade où ils prennent conscience parce qu’ils prennent aussi conscience de ce qu’ils mangent, où ils achètent leurs trucs et ainsi de suite ; la qualité au lieu de la quantité. Et je pense que c’est une des raisons du succès de notre groupe. Par exemple, Alabama Shakes rencontre énormément de succès aux Etats-Unis et au Canada, donc je pense que les gens commencent à prendre conscience et en avoir marre de toute cette musique mainstream, car pour moi, tout sonne pareil. Et les émissions de télé comme Idols, ils montrent le mauvais tableau à ceux qui veulent devenir musicien. Ce n’est pas ça être musicien. Ce n’est pas un produit avec lequel quelqu’un te dis quoi faire. C’est ta propre expression et ça, ça vivra plus longtemps qu’une émission de télé, par exemple, ou un hit qui passe à la radio.
Dorian, tu nous as déjà parlé de ton background la dernière fois, du coup, Elin, peux-tu nous en dire plus sur le tiens et comment tu en es arrivée à chanter ce genre de musique à un aussi jeune âge ?
Je ne suis pas si jeune que ça [rires]. Je pense que c’était une progression. Lorsque j’étais jeune, j’écoutais Aretha Franklin et je commençais à avoir ce genre de timbre et de force dans ma voix. Et plus tard, à mon adolescence, j’ai découvert les Doors et Black Sabbath, donc j’ai joué dans différents ensembles et groupes à l’école. Nous avions un groupe de reprise de Black Sabbath. J’avais un groupe de disco-metal où nous jouions du Abba mais avec des guitares distordues et ce genre de conneries [petits rires], j’étais très jeune. J’ai joué dans un groupe de stoner rock avec uniquement des filles. J’ai été influencée par d’autres musiciens et amis qui m’entouraient et, dans notre classe, nous partagions nos influences, genre : « Tu devrais écouter cet album ! » Je me souviens lorsque j’ai acheté le premier album de Witchcraft, par exemple. Je me disais : « Oh mon Dieu, ils sont tellement géniaux ! » Et j’avais peut-être quinze ou seize ans. Je pense que j’ai toujours été ouverte, et non « je veux écouter que ça. » Tu te retrouves avec une perception plus ouverte des choses. Et ceci est le genre de musique que nous composons et que nous voulons exprimer.
Des membres du groupe sont suédois, un est américain et Dorian, tu es Français. N’y a-t-il pas parfois des différends culturels, d’une façon ou d’une autre ?
Dorian : Pas vraiment. Enfin, au début, je ne savais pas parler anglais. Il y avait un différend culturel parce qu’être Français, généralement, ça n’aide pas lorsque tu veux essayer de parler anglais. Mais je ne sais pas. En fait, parfois, c’est plutôt amusant parce qu’au niveau humour, il m’arrive de dire quelque chose à André, en particulier, et il a toujours cette expression sur son visage qui me fait comprendre « ok, là, il n’est pas à l’aise avec le fait de blaguer à ce sujet » [rires]. Car en français, nous pouvons être satyriques et faire de l’humour noir, ça ne pose aucun problème. Nous savons que nous pouvons blaguer là-dessus et ce qui est sérieux et ce qui est de l’humour.
Elin : Nous sommes un peu plus politiquement corrects en Suède.
Dorian : Ouais, c’est bien moins commun de blaguer sur ces choses.
Elin : Mais, enfin, ce n’est pas comme si… Maintenant, on dirait que nous sommes des gens super ennuyeux ! [Petits rires]
Dorian : C’est juste une culture différente. Ce n’est pas qu’en Suède, les américains sont comme ça aussi. Peut-être que c’est comme ça partout sauf en France.
Elin : Ouais, mais nous sommes tous des individus différents. C’est pareil avec notre équipe de tournée, elle est également composée de différentes personnalités et ainsi de suite mais je ne pense pas que ça a à voir avec le fait que je vienne de suède, lui de France…
Dorian : Ce sont surtout des différences de personnalités et, évidemment, il y a probablement des suédois qui sont bien plus portés sur l’humour noir que moi…
Elin : Je pense que nous sommes très respectueux entre nous, ce qui est important.
Interview réalisée en face à face le 7 juin 2016 par Valentin Istria.
Retranscription, traduction & introduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Peder Carlsson.
Site officiel de Blues Pills : www.bluespills.eu