C’est confortablement assis à l’extérieur dans un repère ombragé, entouré des préfabriqués qui servent de loges au groupe, que nous rencontrons Johan Hegg, chanteur d’Amon Amarth. Pendant que dehors, les concerts font rage depuis quelques heures, nos Vikings suédois eux se relaxent tranquillement en attendant leur tour de (presque littéralement) mettre le feu à la scène.
Certes, en ce jeudi l’affiche est celle du Knotfest, mais le terrain est bel est bien celui du Hellfest qu’Amon Amarth connaît, puisque ce n’est pas leur première fois à Clisson. « C’est super de venir au Hellfest, » nous confie Johan. « C’est fascinant de voir à quel point le festival a grandi. C’est l’un des festivals les mieux organisés d’Europe ! En venant ici, en tant que groupe, on se sent toujours très bien accueilli. Ils nous traitent bien. C’est génial de se balader en coulisse avec tous les super groupes, et les fans aussi sont fantastiques. C’est donc toujours un plaisir. »
Mais si Amon Amarth est ici aujourd’hui, ce n’est pas juste pour se la couler douce mais aussi pour défendre sur scène son nouvel album Berserker sorti en début d’année. « Il n’y a aucun concept derrière cet album », nous fait-il remarquer à son sujet, reprenant la conversation que nous avions eue il y a quelques mois avec le bassiste Ted Lundström. « Après Jomsvikings, qui, lui, était un album conceptuel, nous nous sommes remis à écrire un album sur une base plus traditionnelle. L’approche globale était très différente. Avec Jomsvikings, nous avons dû écrire la musique par-dessus une histoire existante, donc cette fois-ci, puisque toutes les chansons sont disjointes, nous pouvions nous concentrer sur le fait d’écrire les meilleures chansons que nous pouvions écrire. Je sais que plein de groupes aujourd’hui, depuis que l’industrie a évolué, essayent d’écrire plus de chansons à mettre sur album, mais nous n’avons jamais été ce genre de groupe. Nous travaillons toujours avec les chansons que nous trouvons être suffisamment bonnes pour être incluses dans l’album et nous ne produisons pas une énorme quantité de chansons. Nous avons travaillé très dur et je crois que nous avons enregistré pas moins de trois versions démos de l’album avant même d’aller en studio faire l’enregistrement final. En dehors de ça, le processus était assez similaire à ce que nous avons connu ces dernières années, maintenant que nous n’avons plus de salle de répétition. Nous écrivons des trucs chez nous et partageons ça via internet. »
« Je trouve que la culture et la mythologie vikings possède de précieuses leçons de vie. »
Un album qui, certainement, lui aura offert plus de flexibilité dans l’écriture des textes. Johan a d’ailleurs préféré attendre que toute la musique soit faite avant de prendre sa plume. Flemme ou envie d’une autre approche ? « Les deux ! » s’exclame-t-il en souriant, avant de préciser : « J’avais seulement quelques idées au sujet desquelles je voulais écrire des textes, mais j’ai toujours été quelqu’un qui, quand il entend la musique, peut entendre de quoi doit traiter la chanson. Ça me vient comme ça. J’ai délibérément attendu que la musique m’apporte l’inspiration. Je ne suis pas du genre à forcer mon inspiration. Quand nous travaillons sur quelque chose, je ne peux pas dire : ‘Il faut maintenant que j’écrive quelque chose à ce sujet’, puis commencer à écrire. Il faut que je le ressente. Ça a toujours été comme ça, et souvent, quand je ressens quelque chose, c’est quand j’entends la musique. Mais il peut aussi arriver qu’on ait envie de suivre certaines idées précises ou qu’une idée nous vienne subitement, sans réfléchir. Mais normalement, c’est plus facile pour moi de me servir de la musique comme source d’inspiration. »
Berserker, le titre de l’album, s’il fait référence à ce guerrier viking qui affronta seul les troupes anglaises lors de la bataille de Stamford Bridge en 1066, dont le groupe fait le récit dans la chanson « The Berserker At Stamford Bridge », n’est pas sans rappeler le clip de la chanson « The Way Of Vikings » où le frontman était lui-même présenté comme le Berserker, une forme d’alter ego dont il endosse le rôle en montant sur scène. Pourtant, on ne peut que constater le décalage entre la furie d’un guerrier berserker et le naturel très calme du chanteur. Une remarque qui le fait rire, avant de justifier ce contraste : « Tu sais, les berserkers n’étaient pas des berserkers vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Ils l’étaient quand ils partaient en bataille, et alors ils se montraient intrépides, mais ils avaient probablement aussi leurs moments de calme, j’imagine. »
« Depuis le début, quand nous écrivions la musique et les textes, nous nous disions : ‘Oh, si c’était un film, de quoi parlerait le film ?’ »
Sans surprise, ce sont donc encore et toujours les histoires et sagas vikings que Johan nous narre à travers Berserker, avec une petite touche d’introspection et de références bien cachées à sa vie privée : « En fait, j’ai tout le temps fait ça, ce n’est pas nouveau. Il y a plusieurs albums où c’est comme ça, ce n’est simplement pas super évident et je n’écris jamais les textes de façon directement personnelle. J’essaye toujours d’instiller mon propre vécu dans autre chose, trouvant des analogies qui me correspondent dans ces histoires vikings. Donc oui, c’est personnel, mais pour quelqu’un d’autre qui lit les textes, ils peuvent ne pas le remarquer. » Il faut dire que ces histoires vikings, qui font la réputation d’Amon Amarth depuis le premier jour, ont toujours inspiré Johan dans sa vie : « Ce n’est pas comme si j’y pensais constamment, mais tu sais ce que c’est quand on lit quelque chose qui nous inspire : on l’emmène avec nous et on agit en fonction. Ce n’est pas comme si à chaque décision que je dois prendre, je me demande : ‘Qu’est-ce que Thor ou Odin feraient ? Ou qu’est-ce que Ragnar Lothbrok ferait ?’ Mais ces gens, qu’ils soient réels ou pas, et leur manière d’agir m’inspirent et m’indiquent comment je dois me comporter. Je trouve que la culture et la mythologie vikings possède de précieuses leçons de vie, pour ainsi dire, car tout ne sera pas facile, il faut faire confiance à ses amis et à sa famille, et puis il y a cette idée de fidélité, d’honnêteté et de franchise. C’est juste une part fascinante de notre culture et de notre histoire et j’ai envie de la partager avec les gens du mieux que je peux. » Puis il nous donne quelques noms de sagas vikings qu’il apprécie particulièrement : « L’une des plus épiques est la saga Njáls, je la trouve extraordinaire. Puis il y a la saga d’Egill Skallagrímsson, celle des Jomsvikings, évidemment, qui est géniale, celle de Ragnar Lothbrok… Toutes ces histoires ont été d’une grande inspiration dans ma vie, ainsi que l’Edda poétique. »
En tant que chanteur, Johan est évidemment celui à qui incombe la tâche d’incarner directement ces histoires et ces personnages légendaires. Or on peut remarquer dans Berserker une touche plus appuyée d’une forme de théâtralité, que ce soit dans « The Berserker At Stamford Brdige » où, tel un acteur, Johan semble endosser le rôle du berserker ou bien lors de l’accalmie sur « Ironside » où, fait rare, le chanteur emploie sa voix claire. D’ailleurs, on se souvient de la chanson « Satan Rising » de l’EP Under The Influence (constitué de morceaux composés « à la manière de »), sur laquelle Johan s’adonnait à sa plus belle imitation d’Ozzy Osbourne. Le Berserker aurait-il des envies de développer le chant clair dans Amon Amarth ? « Tout dépend, pas nécessairement, » répond-t-il songeur. « De mon point de vie, c’est suivant ce qui convient à la musique. Le fait que j’ai utilisé du chant clair sur cet album a bien plus à voir avec la dynamique que le fait que ce soit du chant clair, car les parties où ça intervient sont des parties plus calmes et donc y mettre ce chant clair aide à développer l’intensité de ce qui vient après. Si on calme le jeu, quand ça revient plein pot, l’explosion est encore plus forte. En fait, nous essayons toujours d’écrire des trucs théâtraux. Depuis le début, quand nous écrivions la musique et les textes, nous nous disions : ‘Oh, si c’était un film, de quoi parlerait le film ?’ Ça a toujours été un peu comme ça que nous fonctionnons. Peut-être simplement que maintenant, sur cet album, nous nous sommes davantage focalisés sur le fait de conférer au chant plus de dynamique, mais cette démarche a déjà commencé avec With Oden On Our Side, et c’est un processus d’évolution qui ne s’est jamais arrêté depuis. » Si, en outre, il nous confie ne pas vraiment travailler son chant clair, on peut tout de même se poser la question de la façon dont il a façonné son style vocal, certainement devenu l’un des growls les plus reconnaissables et puissants qui soient. Il nous répond : « En buvant beaucoup de bière et en gueulant sur les gens ! » Il éclate de rire et précise : « C’est quand même un peu comme ça que ça a commencé ! »
« Il faut s’autoriser à faire des erreurs, du moment qu’on apprend grâce à elles. »
S’il devait présenter Amon Amarth à quelqu’un qui ne connaît pas le groupe, quelle chanson issue de Berserker choisirait-il ? « Je crois que ‘Raven’s Flight’ est un bon début, » répond-t-il du tac au tac. « C’est d’ailleurs pour ça que c’était le premier single tiré de l’album. L’idée de cette chanson m’est en fait venue après avoir regardé Vikings, quand les fils de Ragnar Lothbrok partent en Angleterre venger leur père. » Une précision qui nous fait automatiquement embrayer sur cette série à succès, afin d’avoir l’avis d’un fin connaisseur des mythes et légendes vikings sur la crédibilité de cette dernière : « C’est basé sur une légende, car il y a une saga islandaise qui parle de Ragnar Lothbrok, mais en ce qui concerne cette saga, en soi, il n’y a aucune preuve substantielle qu’il ait réellement existé. Au lieu de ça, il se pourrait que ce personnage ait été imaginé comme le mélange de plusieurs personnalités de l’époque, mais on ne le sait pas ! Dans tous les cas, ce qu’ils ont fait avec la série Vikings est qu’ils ont pris le personnage et ont décrit et présenté la culture viking aux gens. Ils se sont permis quelques libertés avec les faits historiques et tout, mais je trouve qu’ils ont fait du bon boulot ! Le plus important est que c’est historiquement cohérent, même si tout n’est pas à cent pour cent correct, comme qui a fait quoi, etc. Mais c’est très bien fait ! »
Pour finir, Johan Hegg avait déclaré que « ce sont les erreurs qui nous renforcent, pas les succès ». On n’a donc pas pu résister à l’envie de lui demander quelles ont réellement été les erreurs qu’Amon Amarth a pu commettre, vu tous les succès qu’ils ont enchaînés pour en arriver à devenir aujourd’hui une des forces les plus incontournables du death metal : « Oh, nous avons fait tellement d’erreurs ! Il y en a même trop pour toutes les lister ! C’est ça le truc : quand tu es dans un groupe, rien ne sera jamais parfait. Si ce ne sont pas des erreurs de tournée, ce sont des erreurs d’enregistrement. En l’occurrence, pendant longtemps, nous avons pensé que nous pouvions produire nous-mêmes nos albums, jusqu’à ce que nous décidions de ne plus le faire et réalisions que nous n’aurions même jamais dû commencer à le faire. Nous pensions que si nous produisions nous-mêmes, nous aurions un contrôle total, mais le problème quand on fait ça, c’est qu’on vit tellement avec les chansons que parfois on ne voit plus ce qui pourrait les améliorer. Or, quand on a à nos côtés quelqu’un ayant un regard extérieur, qui ne fait pas partie du processus même de composition et donne son avis sur telle partie qui ne fonctionne pas si bien que ça, car c’est trop répétitif ou autre, il peut t’aider à rendre tes chansons meilleures. C’est une erreur dont nous avons fini par avoir conscience, et nous avons dit qu’en fait peut-être était-ce bien d’avoir un producteur [petits rires]. Mais il y a un paquet d’autres erreurs que nous avons commises. Mais il faut s’autoriser à faire des erreurs, du moment qu’on apprend grâce à elles. »
Interview réalisée en face à face le 20 juin 2019 par Charles Lavilanie & Nicolas Gricourt.
Transcription, traduction & textes : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Amon Amarth : www.amonamarth.com
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