Trente ans déjà qu’Amon Amarth nous abreuve d’un death mélodique guerrier et défoulant à souhait, sans jamais laisser de côté l’évasion inhérente à leurs inspirations nordiques. Si leur patte a vite été définie et n’a, de l’aveu même du groupe, guère changé depuis, les membres s’évertuent néanmoins à progresser, un pas à la fois, ne serait-ce qu’en tant que musiciens. Ramenés de force chez eux par les restrictions sanitaires alors qu’ils menaient, tambour battant, leur tournée pour Berserker, ils ont tout d’abord transmis leur gratitude à leurs fans à travers le titre « Put Your Back Into The Oar », avant de rempiler pour un douzième album, profitant au mieux du temps qui leur était alloué par la force des choses.
L’album s’ouvre sur un morceau à la fois singulier et adéquat : le sobrement nommé « Get In The Ring » a été composé pour accompagner les entrées du catcheur Erick Redbeard, ami du groupe. Transposé dans le cadre de The Great Heathen Army, ce titre projette l’auditeur dans la peau d’un membre de l’armée éponyme et remplit à merveille son rôle de chauffeur de salle pour les batailles annoncées. On tient également là un exemple d’un phénomène récurrent : les mélodies à tournures nordiques ne sont pas toujours ostensibles, ou peuvent s’interpréter différemment, simplement pour ce qu’elles sont. Amon Amarth évite ainsi astucieusement certains types de surenchères. Autres points saillants de l’album : des titres parfois surprenants par leur légèreté, avec des mélodies bondissantes qui, une fois passé le bref instant initial d’incrédulité, vous suivront des jours durant. Cela concerne notamment le rythmé « Dawn Of Norsemen », mais surtout le divertissant « Heidrun » (du nom de la chèvre mythologique), avec son incantation finale en spoken words (et… bêlements ?), précédant une dernière itération d’un refrain particulièrement obstiné et entêtant. En contrepoint de ces éclats festifs, on trouvera des titres tels que « Oden Owns You All », une sorte de monster truck musical, au rythme saccadé et menaçant au possible. Ce dernier opère une belle mise en situation : on est invité (voire forcé) à faire preuve d’humilité, à reconnaître notre insignifiance vis-à-vis de l’Histoire et des puissances divines évoquées.
Parallèlement aux influences death old school chères aux membres, on trouve des accointances avec encore d’autres franges du metal. Il n’aurait ainsi pas été si surprenant d’entendre une armada de synthétiseurs symphoniques sur le refrain Kamelot-esque du sombre « The Serpent’s Trail », tandis qu’on est confronté dans les couplets à des alternances de chant clair/parlé et growl, pour finir sur des tonalités black. La chanson titre est, quant à elle, plus que jamais empreinte de gravité ; la structure n’en devient pas évidente à déceler, mais cela apporte un vent de fraîcheur, et incite à secouer sa carcasse, en s’impliquant dans la bataille de tout son être pour ne pas être laissé sur le carreau. Plus difficile encore à ignorer : une voix invitée familière sur « Saxons And Vikings ». L’increvable Biff Byford rejoint la bataille. Et il n’est pas seul : ses deux guitaristes, Paul Quinn et Doug Scarratt, y livrent également des solos. Un véritable mashup de groupes, où, de manière fort à propos, les membres de Saxon incarnent le camp – historiquement opposé à cette fameuse « grande armée païenne » – qui a donné son nom à leur groupe. Cette voix non seulement claire mais aussi puissante et haut perchée, dans la plus pure tradition heavy/power, choque presque de prime abord par son irruption soudaine : il est peu habituel, mine de rien, de voir deux voix masculines si opposées s’affronter ainsi, avec ces bons vieux growls qui ne sont, une fois encore, pas que des râles arides mais roulent dans les oreilles, avec du relief et des couleurs. La magie opère cependant rapidement et on réalise vite que cet audacieux clash ajoutera un argument de poids au CV du groupe.
Une fois de plus, Amon Amarth livre une tripotée d’hymnes durant lesquels il est difficile de se retenir de lever le poing comme un trépané du cerveau, comme si on luttait contre Dieu (ou Odin) sait quoi. On pourrait transposer ces appels répétés à la bravoure et à la débrouillardise (« Find A Way Or Make One » en tête de régiment) dans n’importe quelle époque, et c’est peut-être ce qui empêche encore et toujours Amon Amarth d’apparaître comme trop clownesque concernant ses paroles et thématiques. Le combo semble vouloir nous répéter, à travers ses métaphores historiques et mythologiques, qu’il ne faut rien prendre pour acquis, que tout se mérite, mais aussi que l’impossible peut se dissoudre devant les efforts de qui sait se soulever avec suffisamment de vigueur et de pugnacité. Nul doute que la longévité et la constance du groupe sont une fois de plus à saluer. Amon Amarth est parvenu, avec The Great Heathen Army, à semer un nombre appréciable de surprises sur une base qui a maintes fois démontré être à l’épreuve des flammes comme du temps. Il faudra probablement deux ou trois écoutes aux plus réticents pour s’immerger dans le résultat, mais le charme viking opère bel et bien toujours, traversant les mers et les âges.
Clip vidéo de la chanson « The Great Heathen Army » :
Clip vidéo de la chanson « Get In The Ring » :
Album The Great Heathen Army, sortie le 5 août 2022 via Metal Blade. Disponible à l’achat ici