Un œuf de canard qui aurait engendré l’univers tout entier, en voilà une bien drôle d’idée. Des histoires saugrenues, il y en a dans les folklores, légendes, mythologies, littératures de tous pays ; mais là, les Finlandais ont été un peu fort sur la bouteille pour le coup. Après tout, le Britannique Terry Pratchett nous racontait l’histoire d’un monde en forme d’immense galette soutenue par quatre éléphants, eux-mêmes transportés par une tortue à travers le cosmos. Alors, à partir de là, il n’y a plus de limites. A l’instar de la qualité des albums proposés par Amorphis dont le dernier en date, intitulé The Begining Of Times, est justement et magnifiquement illustré par l’œuf susmentionné.
Amorphis, voilà déjà son quatrième album depuis l’arrivée de l’excellent Tomi Joutsen au micro. Un chanteur charismatique qui a donné un sacré souffle revigorant au groupe. Même si l’on peut regretter de ne plus être surpris comme jadis par les orientations musicales des Finlandais – la faute à une continuité dans le propos depuis Eclipse – force est de reconnaître que le groupe vole haut, très haut. On attend encore le faux pas, la moindre once de mauvais goût, la petite note qui n’aurait pas dû être. Mais non, en vain. Amorphis avance et sa musique ne frémit pas. A tel point que ça en devient lassant.
Bref, assez divagué et voyons ce que le fondateur d’Amorphis et guitariste soliste Esa Holopainen a à nous dire au sujet du nouvel album, du passé du groupe et des œufs de canard.
« Tout le monde sait très bien ce qui ne va pas ; il suffit de regarder les informations ou d’aller au supermarché et de constater la hausse du prix de la nourriture. Tout le monde sait qu’on vit dans un monde pourri. Je pense que la musique et cet autre monde que nous proposons sont un bon moyen de s’évader. »
Radio Metal : Ce nouvel album, The Beginning Of Times, est le quatrième depuis l’arrivée de Tomi Joutsen dans le groupe – arrivée qui coïncide d’ailleurs avec l’explosion de la popularité du groupe. Comment l’expliques-tu ?
Esa Holopainen (guitare) : Je ne sais vraiment pas. Je pense que l’un des facteurs est le fait que sa personnalité est totalement différente de celle de Pasi [Koskinen]. Sur scène, Pasi était plus détendu, pas vraiment actif. Tomi est à l’opposé : il est très énergique sur scène et il pousse vraiment le public à s’impliquer. Je pense que cela se reflète sur les autres membres du groupe. Il est extrêmement motivé, c’est super de faire de la musique avec lui. Je pense que c’est très important : tout le monde doit être motivé pour que le résultat soit satisfaisant.
L’an dernier, Amorphis a sorti un album de titres réenregistrés et parfois retravaillés, Magic & Mayhem. Avez-vous fait cela en pensant que le groupe était au sommet de son art ?
On a surtout fait ça parce qu’on pensait qu’on devait sortir une compilation. Amorphis n’a sorti qu’une seule compilation, il y a longtemps, chez Relapse Records. Pour celle-ci, nous avions décidé de faire quelque chose de spécial. C’était beaucoup plus intéressant de réenregistrer ces titres que de se contenter de choisir des chansons ici ou là. Ça n’a pas été difficile de choisir les titres que nous voulions réenregistrer. Pour la plupart, nous les jouions sur scène avec Tomi depuis quelques années. Voilà quelle était l’idée derrière Magic & Mayhem.
Certains titres de Magic & Mayhem datent de l’époque où les membres du groupe avaient une vingtaine d’années. Penses-tu que l’enregistrement original de ces chansons manque de maturité ?
Ces nouveaux enregistrements n’ont pas du tout pour objectif de remplacer les anciens albums d’Amorphis. Ils ne le pourraient pas, d’ailleurs, parce que ces albums représentent une certaine période. Prenez Tales From A Thousand Lakes : on ne peut pas vraiment copier le son ou l’atmosphère de cet album. C’était voulu : nous voulions actualiser ces titres avec notre son d’aujourd’hui. Nous avons ajouté des parties de clavier à certaines chansons plus anciennes qui n’en avaient pas du tout. Mais nous avons essayé de conserver les arrangements d’origine. Nous ne voulions pas trop modifier les titres, seulement ajouter du clavier ici et là et bidouiller quelques trucs à la guitare.
Amorphis est connu pour ses expériences avec plusieurs styles musicaux et ses albums très différents. Mais avec les trois derniers albums, le groupe semble s’être fixé sur un style spécifique. Pensez-vous avoir trouvé le style le mieux adapté au groupe ?
Je crois, oui. Sur nos quatre derniers albums, nous avions exactement le même line-up. Avant Eclipse et l’arrivée de Tomi, le line-up d’Amorphis changeait toujours d’un album à l’autre. Ça se ressent au niveau de la musique et des paroles, car chaque musicien qui est un jour passé par Amorphis a apporté un style particulier. Là, nous en sommes à quatre albums avec le même line-up. Et d’ailleurs, nous avons fait appel à la même équipe de production, ou presque, et au même studio. Ça se reflète bien entendu sur le son final et ça rend le tout plus cohérent.
Penses-tu que le groupe puisse un jour revenir à un style plus rock, comme sur Far From The Sun ?
Ça n’ira peut-être pas aussi loin ! À l’époque, on a beaucoup expérimenté ; nos albums sont très différents les uns des autres mais je ne pense pas que nous irons à nouveau aussi loin qu’avec Far From The Sun. L’album contient de bonnes chansons mais elles ne correspondent pas vraiment à notre univers actuel. Il nous manquait ce petit côté brutal que Tomi a apporté par la suite. Mais on ne sait jamais. Le prochain album sera peut-être un album reggae !
De par certaines atmosphères et mélodies, The Beginning Of Times se différencie légèrement de ses trois prédécesseurs. Quel était votre état d’esprit quand vous avez commencé à travailler sur l’album ?
Le processus de composition a commencé il y a un peu plus d’un an alors que nous tournions toujours pour Skyforger. Pendant la tournée, nous avons discuté et réalisé que la plupart des gars avaient beaucoup d’idées en tête. Quand on a eu un peu de temps, ici, en Finlande, nous sommes entrés en studio de répétition pour travailler quelques titres. C’est plus ou moins là que ça a commencé. L’été dernier, nous avions déjà enregistré une démo de répétition de seize titres. Nous avons alors décidé de booker le studio et de commencer l’enregistrement. Le projet s’est étiré sur un an. Mais nous n’avons jamais pensé à ce que nous avions fait sur Skyforger. Pour nous, chaque album représente un nouveau projet. C’est assez impressionnant, la vitesse à laquelle nous avons créé les chansons pour cet album.
Cet album révèle un très grand contraste, avec des parties plus sombres encore et d’autres plus légères. Le contraste est-il une notion qui vous est chère ?
Oui. On essaie toujours d’utiliser de nouveaux éléments dans la musique. Les changements ne sont peut-être pas aussi radicaux que dans le passé mais on retrouve le même esprit. Pour cet album, nous voulions du chant féminin et des instruments classiques : flûtes, clarinettes… Il y a même un saxophone. Même si les chansons peuvent paraître similaires à celles de Skyforger, Silent Waters ou Eclipse, cet album contient certaines nouvelles saveurs sur lesquelles nous avons insisté.
« N’importe quelle personne qui lit les paroles peut décider où ils veulent que la trame de l’histoire les emmène ou quelles sont les idées philosophiques derrières les paroles. Et on veut faire ça avec bon goût ; c’est la raison pour laquelle vous ne verrez jamais Amorphis porter des vêtements moyenâgeux stupides sur scène. »
The Beginning Of Times recèle une grande richesse, surtout au niveau des arrangements, avec le chant féminin et la flûte, comme tu viens de le dire. Est-ce la raison pour laquelle vous affirmez dans votre déclaration de presse que cet album représente le plus grand défi du groupe à ce jour ?
Je pense que le défi se situe davantage au niveau du thème que nous avons choisi pour les paroles. L’album parle de Väinämöinen, le personnage central du Kalevala, l’individu le plus important de la mythologie finlandaise. Les paroles sont basées sur son histoire. Composer de la musique sur ce thème était un vrai défi, pour nous. Il y a également le fait que nous avons beaucoup de titres sur l’album. Nous avons treize chansons, pour un total de 58 minutes de musique. On n’avait encore jamais fait ça. C’est un immense défi d’essayer de maintenir l’intérêt de l’auditeur du début à la fin, de faire en sorte qu’il supporte l’album et les chansons.
L’album est une fois de plus basé sur le Kalevala. Le groupe semble particulièrement attaché à ce poème épique : les trois derniers albums tournaient également autour de ce thème, ainsi que Tales From The Thousand Lakes. Quelle est l’importance du Kalevala pour vous ?
Le Kalevala est devenu partie intégrante du son d’Amorphis et de tout ce que le groupe représente. Le Kalevala est présent dans chaque album d’Amorphis. Ce n’est pas seulement une thématique au niveau des paroles, ça fait aussi partie de la musique et de tout ce qui l’entoure, comme l’artwork. C’est une source d’inspiration sans laquelle Amorphis ne ferait sans doute aucun album. Le Kalevala sera toujours présent dans notre musique et dans le groupe.
Établissez-vous un parallèle entre ce poème et le monde dans lequel on vit, ou le voyez-vous comme une façon d’échapper à la réalité ?
C’est ce qu’il y a de bien à propos de la musique en général : de mon point de vue, la musique est un excellent moyen d’échapper à ses soucis. Nous ne sommes pas un groupe politique, qui parle de ce qui ne va pas de nos jours. Tout le monde sait très bien ce qui ne va pas ; il suffit de regarder les informations ou d’aller au supermarché et de constater la hausse du prix de la nourriture. Tout le monde sait qu’on vit dans un monde pourri. Je pense que la musique et cet autre monde que nous proposons sont un bon moyen de s’évader. Du moins, ça permet d’oublier le monde actuel pendant un moment. C’est le message qu’on transmet à travers notre musique : vous pouvez aller voir nos concerts et ne penser à rien d’autre. Vous pouvez vous contenter d’apprécier la musique et les histoires qu’on raconte.
De nombreux groupes finlandais s’inspirent du folklore et de la littérature dans leurs paroles. Pourquoi les Finlandais sont-ils si attachés à leurs racines ?
(rires) Je ne sais pas trop. Peut-être parce que ça vaut la peine d’en parler. Nous ne nous contentons pas de pomper directement les histoires du Kalevala. Pekka Kainulainen, qui écrit les paroles, y injecte toujours des croyances multidimensionnelles. N’importe quelle personne qui lit les paroles peut décider où ils veulent que la trame de l’histoire les emmène ou quelles sont les idées philosophiques derrières les paroles. C’est ce qu’il y a de bien là-dedans. Et on veut faire ça avec bon goût ; c’est la raison pour laquelle vous ne verrez jamais Amorphis porter des vêtements moyenâgeux stupides sur scène. On est un groupe de rock, un groupe de metal, on a simplement choisi un thème un peu bizarre !
Tu n’aimes pas tous ces groupes dont les paroles tournent autour du Moyen-Âge, qui portent des épées et parlent de dragons ?
Non, ce n’est pas ma tasse de thé ! J’aime beaucoup certains groupes de folk au niveau musical, comme Moonsorrow, Korpiklaani ou Finntroll, par exemple. Ce sont de très bons groupes et des types bien, ils ont vraiment un côté unique. Mais quand il s’agit de donner dans le jeu de rôles ou je ne sais quoi, ça devient un peu idiot. Mais ce n’est que mon avis.
L’excellent artwork signé Travis Smith est une interprétation de la naissance du monde d’un point de vue mythologique, c’est-à-dire issu d’un œuf de canard. Peux-tu nous expliquer cette histoire ainsi que son lien avec le concept de l’album ?
Nous avions l’idée de l’œuf avant même de commencer à discuter du concept avec Travis. Dans la mythologie finlandaise, la croyance veut que l’univers soit issu d’un œuf de canard. C’est la métaphore de la naissance du monde, de l’univers, le début du temps. Voilà l’histoire de l’œuf. Mais la totalité de l’album est illustrée par Travis, l’artwork du livret est lui aussi extraordinaire. La pochette du vinyle sera différente. On voulait faire quelque chose de spécial pour la version vinyle.
(A propos de Tomi Joutsen) « Je pense que c’est la meilleure chose qui soit arrivée à ce groupe. Quand quelque chose d’ancien meurt, quelque chose de bon arrive. J’y crois fermement. »
Pour cet album, le chant a été enregistré sous la tutelle de Marco Hietala. Le fait qu’il joue également d’un instrument et soit lui-même compositeur fait-il de lui un meilleur coach vocal, du fait qu’il ne soit pas uniquement tourné vers le chant ?
Oui. Marco et Tomi travaillent ensemble depuis Eclipse. Eclipse était le premier album avec Tomi et c’était aussi la première fois qu’il officiait véritablement en tant que chanteur dans un studio. Il était assez évident qu’il avait besoin d’un coach convenable. Nous connaissions Marco depuis des années et nous nous sommes dits qu’il faisait un coach idéal, car c’est un maître en termes de prononciation et d’harmonies vocales. Voilà comment ça s’est passé. Ils fonctionnent très bien ensemble, il y a une excellente alchimie. Généralement, ils étudient les arrangements vocaux finaux tous les deux. Marco apporte son aide sur les harmonies et il dirige les chœurs. Ils forment une super équipe, ils travaillent vraiment bien ensemble.
Après trois albums, Tomi a-t-il encore besoin d’un coach vocal ?
Je pense que oui. Il pourrait s’en sortir tout seul mais comme il a pris l’habitude de travailler avec Marco sur quatre albums, il se sent plus à l’aise si un producteur regarde par-dessus son épaule. Il pourrait sans doute s’en sortir parfaitement avec notre aide ou celle de l’ingénieur du son mais on obtiendra un résultat optimal si quelqu’un le coache.
Tomi, votre deuxième guitariste, a assuré un peu de chant sur Magic & Mayhem, pour la première fois depuis 1997. Cette expérience ne l’a-t-il pas encouragé à participer vocalement à The Beginning Of Time ?
Non, pas vraiment ! On a fait une petite tournée Magic & Mayhem en Finlande l’an dernier et il a assuré quelques lignes de chant ici et là. Mais il n’a pas chanté sur The Beginning Of Time. Il faut vraiment le pousser pour le convaincre de faire ça !
Tomi Joutsen est un chanteur incroyablement talentueux, avec une étendue vocale très large. Au final, dirais-tu que le départ de Pasi a été une chance pour le groupe ?
Je pense que c’est la meilleure chose qui soit arrivée à ce groupe. Quand quelque chose d’ancien meurt, quelque chose de bon arrive. J’y crois fermement. Nous avons eu beaucoup de chance d’accueillir un type comme Tomi dans le groupe. La motivation et les sentiments au sein du groupe sont totalement différents aujourd’hui. Par rapport au groupe qui a réalisé Far From The Sun, c’est le jour et la nuit. L’atmosphère au sein du groupe est totalement différente.
À propos de Far From The Sun, tu as déclaré tout à l’heure que le groupe ne reviendrait sans doute pas à ce style musical. Pourquoi ?
Je pense que ça ne correspond tout simplement pas à notre formule actuelle. Tomi, par exemple, ne voudrait pas faire ce type de musique. Nous avons trouvé la formule que nous aimons. Far From The Sun était vraiment… Il y a de bonnes chansons sur cet album, mais tout sur ce disque reflète l’époque à laquelle nous l’avons enregistré. À l’époque, Pasi était très peu motivé et, musicalement, nous n’étions même pas sûrs de savoir ce que nous faisions. Tout ce qui s’est passé à cette époque s’est reflété sur le disque et sur le processus d’enregistrement. Même sur notre maison de disques de l’époque, Virgin. C’était le chaos complet et j’associe ça à de mauvais souvenirs. Je préfère ne pas comparer cet album à ce que nous avons fait par la suite ! C’est sans doute l’une des raisons. L’auditeur ne pense pas à tout ça à l’écoute de cet album mais il a été réalisé dans de très mauvaises conditions.
Le 26 avril, vous vous êtes produits dans la version finlandaise de Idol Gives Back. Comment vous êtes-vous retrouvés à participer à ce programme télé ?
Ils nous l’ont demandé. En Finlande, notre fan-base est assez conséquente et le metal est extrêmement populaire ici. Je ne sais pas pourquoi c’est sur nous que c’est tombé. Les autres groupes programmés sont des groupes pop, nous sommes le seul groupe de metal. Nous n’avons encore jamais participé à une action caritative. En dehors du fait que c’est une excellente promotion pour l’album, c’est aussi l’occasion de faire une bonne action en jouant une chanson.
Les groupes de metal participent-ils souvent à ce type d’émission TV populaire en Finlande ? En France, c’est complètement inconcevable !
Oui, de temps en temps. Un bon exemple, ce sont toutes ces chaînes de télé qui diffusent les concerts de metal lors des festivals. Ce n’est pas rare de voir un groupe de metal à la télé. Je ne sais pas pourquoi, c’est curieux !
Interview réalisée le 14 avril 2011 par téléphone.
Traduction : Saff
Site Internet Amorphis : amorphis.net
Ah Amorphis, un groupe dont y a pas un album que je trouve mauvais sauf que le dernier, bien qu’étant toujours impeccable, ne m’inspire (bizarrement apparemment au vu des avis dithyrambiques dessus) pas. Enfin c’est pas grave, j’ai eu la chance de les voir l’année dernière au WOA sur la tournée de Skyforger et c’était vraiment extra!
PS : Merci la mythologie finlandaise, ça répond à la grande question : « qui de l’oeuf ou de la poule? » et la réponse est l’oeuf de canard! Fallait le trouver!
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Ooook!
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Ooooook?!