Avec l’album Circles sorti il y a deux ans, nous en étions arrivés au constat que malgré des changements dans le cadre de création, Amorphis restait invariable dans sa production musicale, désespérément pour un groupe qui nous avait habitué aux revirements musicaux et à l’audace, avant de se stabiliser en 2006 avec l’arrivée du chanteur Tomi Joutsen. Alors, c’est certain, Amorphis vit depuis lors un nouvel âge d’or, très confortable. Peut-être trop. De là à dire qu’il tourne en rond comme pouvait le suggérer, à ses dépends, le patronyme de l’album de 2013, il n’y a qu’un pas. Et si les vicissitudes de l’Amorphis pré-2006 n’étaient pas tant à voir comme de l’audace qu’une recherche de soi, et que la formation c’était aujourd’hui trouvée ? Si Amorphis n’avait pas opéré tous ces changements, serions-nous aujourd’hui en train d’en déplorer le manque ? Car on a beau être critique quant à l’invariabilité du Amorphis de ces dernières années, on en revient toujours au même constat : il déploie à chaque album un joli savoir-faire et une très grande classe. Le nouvel opus Under The Red Cloud semble plus que jamais abonder en ce sens.
Voilà un album qui vient d’un revers de main balayer nos moindres reproches et démontrer que l’on peut rester fidèle, plus encore qu’à une marque de fabrique, à une recette, et pourtant sonner « neuf », comme si le talent d’Amorphis, que par accoutumance on avait pris pour acquis, nous ressautait soudainement au visage. Pourtant tout est là, tout ce que le combo a déjà sans cesse mis en avant : ses mélodies entêtantes, son entrain, ses moments d’extase, le folklore scandinave inscrit dans son ADN, sa palette dynamique, et en particulier celle de Joutsen qui s’étale du guttural jusqu’à ses vocalises claires les plus douces et chaleureuses, etc. Une chanson comme l’ouverture éponyme ou le single, assez classique, « Sacrifice » sont l’archétype du hit d’Amoprhis, avec des thèmes qui résonnent très familièrement dans l’œuvre du groupe. Mais on soupçonne quand même le guitariste Esa Holopainen et ses collègues d’avoir cette fois-ci essayé de se surpasser voire se renouveler. Comme avec ces riches associations de couleur : « The Four Wise Ones », par exemple, qui mêle couplet en suspens, refrain conquérant à la Amon Amarth et un pont quasi cinématographique, gorgé d’arrangements : orgue, flûte, voix, effet sur le chant susurré. Un petit voyage en à peine quatre minutes trente, sans jamais s’égarer.
En voyage, voilà où Amorphis a voulu emmener l’auditeur sous les subtiles teintes épiques et progressives de ce ciel rouge. Particulièrement prégnant lorsque le groupe nous emmène en plein cœur de l’Orient avec « Death Of A King » et « Enemy At The Gates ». La première, d’humeur légèrement dramatique, à grand renfort de sitar, flûte et percussions omniprésentes signées Martin Lopez (Soen, ex-Opeth). La seconde, plus progressive et méandreuse (à l’image de ce solo de clavier psychédélique halluciné), qu’Orphaned Land n’aurait pas renié et qui sent la désolation désertique et le sable brûlant. Tout ça pour nous ramener dans sa Finlande natale avec le folk metal dansant de « Tree Of Ages », quasi celtique avec l’apport du flûtiste Chrigel Glanzmann (Eluveitie). Une autre invitée vient par ailleurs poser sa voix soufflée envoûtante sur « White Night », il s’agit d’Aleah Standbridge (Trees Of Eternity), parfaite pour ce titre plein de sensibilité et de légèreté, contrasté par les apparitions musclées de Joutsen sous, encore, quelques couleurs orientales. Un Joutsen au spectre vocal plus étendu que jamais, notamment dans son chant écorché dont il en module allègrement les textures, comme sur « Dark Path » – il faut croire que l’expérience de « Nightbird’s Song » et ses rugissements à la Dimmu Borgir lui ont donné des ailes.
Ce sont les détails qui font toute la différence, dit-on. Un adage qui se vérifie sur un opus comme ce Under The Red Cloud où les sonorités nuancées (claviers, voix, guitares et leurs effets divers), les structures soignées incrustées de petits joyaux instrumentaux et les arrangements finement élaborés font passer un cap émotionnel à la musique ; on pense notamment aux cordes veloutées de « White Night » ou les percussions récurrentes, plus ou moins discrètes, qui apportent un délicieux parfum d’exotisme à travers tout l’album. Un album résolument intelligent, distingué et raffiné. Alors qu’on commençait à voir une routine un peu lassante s’installer chez Amorphis, un petit vent de fraîcheur vient délicatement souffler du côté des Finlandais. Impossible de leur reprocher quoi que ce soit cette fois-ci, tant ils révèlent là l’une de leur plus belles pièces.
Voir le clip de « Sacrifice » et écouter « Death Of A King » :
Album Under The Red Cloud, sortie le 4 septembre 2015 chez Nuclear Blast.