Pour certains artistes, toute tentative de catégorisation semble vaine. Ainsi The Miraculous, le dernier album de l’organiste Anna von Hausswolff, a été nominé autant dans les catégories rock/indie que pop ou metal des cérémonies de remise de prix suédoises… Succédant à l’ambitieux Ceremony où l’artiste, après des débuts piano-voix très jazzy, semblait avoir trouvé sa voie en incorporant de l’orgue à sa musique lumineuse, The Miraculous poursuit dans la même direction, avec une ampleur plus grande encore. Cette fois-ci, la Suédoise a en effet bénéficié de conditions idéales, puisque c’est sur le grand orgue acoustique de Piteå, l’un des plus imposant de toute la Scandinavie (il compte pas moins de neuf mille tuyaux !) qu’elle a pu enregistrer. Rien de pompeux ou de poussiéreux dans sa musique, pourtant : mettant à profit sa formation et son instrument classiques dans un format plus pop, portée par une soif de liberté et d’expérimentation à la King Crimson ou à la Swans, elle en fait un usage très vivant, marqué par sa pratique live, et résolument moderne.
« The Miraculous », c’est d’abord le nom qu’Anna a donné à un lieu où elle se rendait avec sa famille lorsqu’elle était enfant. Point de convergence de la beauté de la nature et d’une histoire violente (une révolte de paysans y aurait été réprimée dans le sang), il est un lieu de souvenir, de découverte, et de miracle, donc, comme celui recherché par les personnages de Källan de Walter Ljungquist. Ce roman d’apprentissage qui évoque la quête spirituelle d’un groupe d’enfants a inspiré à l’organiste une improvisation live éponyme (Källan (Prototype)) en 2014 et a eu une influence déterminante sur l’album. En effet, tout comme dans Ceremony, des passages lumineux ornaient une atmosphère plutôt sombre où il était question de mort et de deuil, on passe dans The Miraculous de l’enchantement – souvent sur les titres les plus courts, le tourbillonnant « Pomperipossa » par exemple – à l’inquiétude et au cauchemar. Comme dans les contes de fées, merveilleux et horreur s’entremêlent et en appellent à nos angoisses les plus lointaines, les plus inconscientes et les plus infantiles. L’ars memoriae antique préconisait de se représenter des lieux pour se remémorer un raisonnement ou un discours : ainsi, l’évocation en neuf titres de cet endroit miraculeux est propice à la réminiscence, et plus qu’à la nostalgie, à l’exploration adulte de souvenirs d’enfant.
Pour toutes ces raisons, The Miraculous est foisonnant et surtout éminemment visuel : à son écoute, les images surgissent par synesthésie, riches et chatoyantes. L’ampleur épique de l’orgue d’ « Evocation », le chant cristallin presque enfantin en certains endroits et les hululements de banshee à la Diamanda Galás s’adressent à plus que nos oreilles : en faisant appel aux souvenirs de l’auteur autant que de l’auditeur, la musique d’Anna von Hausswolff acquiert une épaisseur singulière, bouleversante par moment, réconfortante à d’autres. Ce n’est pas pour rien que l’album est à nouveau accompagné d’une vidéo réalisée par sa sœur, Maria von Hausswolff : très cinématographique, The Miraculous évoque autant Nico et son harmonium dans Desertshore que Hex de Earth, dont on retrouve des échos des drones et des guitares à la Morricone dans « Come Wander With Me/Delivrance » notamment, titre épique de dix minutes aux passages clairement doom et à l’ampleur de paysage. Car si la musique d’Anna von Hausswolff tient plus de la néofolk à la :Of The Wand & The Moon que du metal, la Suédoise s’en nourrit et ça s’entend : empruntant au doom son ampleur et son usage des drones et au black metal atmosphérique ses ambiances, chacun de ses morceaux se voit doté d’une obscurité et d’une profondeur uniques.
Portée par une fièvre toute romantique, il y a un certain sens de la démesure gothique chez Anna von Hausswolff, mais sans mauvais goût ni artificialité. La chaleur organique des instruments, de l’intrication des titres entre eux, et une certaine simplicité dans la composition qu’on retrouve dans la modestie de ses lives donnent à cette grandeur une dimension paradoxale, presque… miraculeuse. Anna décrit son art en quelques mots : « Il s’agit d’utiliser des choses simples pour faire quelque chose de monumental. » The Miraculous en est l’illustration parfaite.
Ecouter l’album en intégralité :
Le clip vidéo pour la chanson « Evocation » :
Album The Miraculous, sorti le 13 novembre 2015 chez City Slang.