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Interview   

Anneke Van Giersbergen sublime ses fêlures


Anneke Van Giersbergen est une passionnée, et si la passion a plein de vertus, elle peut aussi nous submerger et nous faire imploser. C’est un peu ce qui est arrivé à la chanteuse qui a vécu une période de chaos dans sa vie, autant sur le plan personnel que professionnel, elle qui a toujours des tas de projets. L’un de ces projets qui lui tenait à cœur ces dernières années était Vuur, qui avait pour objectif de devenir le réceptacle de toute la partie rock et metal de sa créativité. Mais après une réception mitigée du premier album In This Moment We Are Free – Cities et compte tenu des difficultés à imposer une nouvelle formation, elle a dû se rendre à l’évidence : ça allait être plus compliqué que prévu, notamment financièrement.

C’est donc moralement à bout, peut-être un peu perdue, qu’elle s’est retirée – elle, l’amoureuse des villes – seule dans les bois pour composer ce qui deviendra son nouvel album solo, The Darkest Skies Are The Brightest, sous un format acoustique richement arrangé. Un exutoire, une thérapie même dans laquelle elle a déversé toutes ses émotions du moment, recollant les morceaux de sa vie à la manière de l’art japonais kintsugi. Une étape importante dont elle nous parle ci-après.

« Je pense que si j’ai besoin d’argent, nous pouvons toujours faire une reformation avec The Gathering, mais ça ne serait pas un choix honnête. »

Radio Metal : Ton nouvel album solo, The Darkest Skies Are The Brightest, prend sa source dans le chaos que ta vie était devenue fut un temps. Peux-tu nous en dire plus sur ce contexte ayant mené à cet album ?

Anneke Van Giersbergen : J’écris toujours des choses personnelles. Tout ce que je vis m’inspire à écrire des chansons, parfois c’est joyeux, parfois c’est triste. Dans ce cas précis, c’était très particulier. Il y a un ou deux ans, il se passait tellement de choses dans ma vie professionnelle et personnelle que c’est devenu trop ! Il a fallu que j’appuie sur la pédale de frein et que j’arrête tout, et j’ai décidé de partir seule et d’écrire de la musique pour me vider la tête comme une sorte de catharsis ou de thérapie. En conséquence, cet album est extrêmement spécifique et personnel, bien plus qu’auparavant.

Tu es de toute évidence quelqu’un de très passionné, et l’une des choses qui ont participé à ce chaos, c’est le fait que tu avais planifié trop de choses : ta passion est-elle autant une bénédiction qu’une malédiction parfois ?

[Rires] Oui, complètement. Nous en parlons tous les jours. Il y a tellement de choses que j’aime faire dans la musique – chanter, faire des projets, parfois j’ai des idées toute seule et parfois on me demande de participer à un projet ou de travailler avec quelqu’un de très sympa, ou quelqu’un que j’admire, etc. Je dis toujours oui, et puis plus tard je pense : « Oh, c’est trop ! » J’ai trois ou quatre projets en même temps, plus les tournées, plus la vie de famille… Parfois ça fait beaucoup. Donc pendant quelques années, j’ai essayé de limiter, en me concentrant uniquement sur une ou deux choses à la fois. J’ai aussi l’impression que lorsque je fais quelque chose en étant très concentrée ou seulement une ou deux choses à la fois, je peux faire du meilleur boulot, car je peux y consacrer plus de temps et de créativité. Donc je pense que c’est mieux parfois de dire non à quelque chose, même si c’est très cool, et de me concentrer comme je l’ai fait, en l’occurrence, sur cet album.

Tu as déclaré que ta « croyance en Vuur [t’a] fait dépenser toutes [tes] économies sur l’enregistrement du premier album du groupe et pour pouvoir l’emmener sur les routes. Une fois le premier cycle de tournée terminé, [tu t’es] rendu compte que poursuivre Vuur impliquerait encore plus de gros risques financiers ». Quel était ton état d’esprit à ce moment-là, concernant Vuur ? Etais-tu désillusionnée ?

Oui, d’une certaine manière, car Vuur était quelque chose que j’ai toujours voulu mettre en place. Je voulais mener un groupe. Tout ce qui avait à voir avec le rock, le metal ou le prog, je voulais lui apposer l’étiquette Vuur. Je voulais donc faire un album, j’avais énormément d’idées pour ça, et emmener le groupe sur les routes. Je voulais continuer à faire des choses seule en tant qu’Anneke Van Giersbergen, mais tout en faisant des choses dans le rock et le metal, tous les trucs heavy, sous le nom de Vuur. Sauf que c’est compliqué de construire un groupe comme ça avec un nouveau nom. Même si les gens connaissent mon nom et me connaissent, former un nouveau groupe, sortir un nouvel album et trouver le moyen de mettre le groupe à l’affiche de festivals ou de concerts dans des clubs, c’est difficile. Je le savais, mais même si je le savais, c’était trop dur de faire avancer le groupe. Il fallait plus de temps et faire un autre album pour y arriver. J’ai commencé à écrire pour le second album, mais ensuite il s’est passé énormément de choses, avec Vuur mais aussi dans ma vie personnelle, dans ma relation, dans ma famille, et j’ai dû tout arrêter, mais ça ne veut pas dire que Vuur n’existe plus. Je peux toujours me remettre dessus si j’ai de nouvelles chansons heavy ou si je veux travailler avec quelqu’un dans la scène metal, je peux le faire sous le nom Vuur, mais pour l’instant, il faut que je le mette au second plan.

La solution de facilité pour toi dans ce business aurait probablement été de te remettre avec The Gathering. Est-ce quelque chose que tu as envisagé à un moment donné, en particulier dernièrement quand tu as été confrontée à des problèmes financiers avec Vuur ?

Non. Oui, je pense que si j’ai besoin d’argent, nous pouvons toujours faire une reformation avec The Gathering, mais ça ne serait pas un choix honnête. The Gathering et moi allons chacun de notre côté, ce qui est bien comme ça. J’aime être en seule. Même dans le cas de Vuur, c’est mon bébé et c’est ma vision. Je ne suis pas obligée de prendre en compte l’opinion de cinq ou six autres personnes sur la nouvelle musique ou sur la manière d’aborder les choses. Donc je suis très contente avec ma carrière solo.

J’imagine que c’est un business difficile quand on veut être honnête.

Oui. Je suppose, mais d’un autre côté, si tu penses genre : « D’accord, je devrais travailler avec telle et telle personne pour peut-être pouvoir passer à la radio ou me remettre avec The Gathering parce qu’alors ça intéressera plein de gens », si ce n’est pas ton choix créatif, alors ça ne produira pas une musique honnête et je suis certaine que les fans et les gens qui suivent ma musique le remarqueront, car ils ne sont pas stupides. Les gens qui écoutent ce genre de musique ne sont pas stupides. Je pense que ce serait un mensonge. Je ne devrais jamais faire ça. Je choisis la difficulté, mec ! [Rires]

« En temps normal je ne serais pas allée dans une maison près des bois parce que je trouve les bois effrayants, surtout le soir [rires]. »

Tu as pas mal tourné en tant qu’artiste solo en 2019. D’abord avec une tournée aux Pays-Bas pour jouer des chansons provenant de toute ta carrière – y compris tes collaborations avec d’autres artistes – et ensuite tu as été en Amérique du Nord où tu as joué un certain nombre de reprises – a-ha, Queen, Mischa Spoliansky, etc. Ces tournées faisaient-elles partie du même processus que l’album, d’une certaine manière ?

Pas forcément directement. Non, mais j’adore faire des concerts solos en acoustique. J’adore être proche du public et être dans un contexte intime. La seule chose, c’est que je n’avais jamais d’album solo acoustique dans ce style pour accompagner ces tournées. Ça faisait donc longtemps que je faisais ces tournées et qu’après les concerts, les gens me disaient : « J’ai aimé le concert. Où est-ce que je peux acheter un album dans ce style ? » Je répondais que j’avais sorti plein de choses, mais que je n’avais jamais fait d’album solo acoustique. Donc à cet égard, c’est une très bonne chose. J’ai toujours voulu créer un album solo acoustique.

Pour créer The Darkest Skies Are The Brightest, tu t’es retirée dans une petite maison près des bois, rien qu’avec une guitare acoustique et du matériel d’enregistrement rudimentaire. Cette petite maison et le fait de faire cet album, était-ce un refuge pour toi ?

Oui, complètement, et tu sais, en temps normal je ne serais pas allée dans une maison près des bois parce que je trouve les bois effrayants, surtout le soir [rires] et être toute seule… Habituellement, je suis très inspirée par les voyages et le fait d’être entourée de plein de gens, de jouer en concert, d’être dans d’autres pays, etc. Tout ça m’inspire énormément. Donc être seule, ça fait un peu peur, mais d’une certaine façon, parce qu’il se passait tant de choses, je me suis dit que peut-être je devais être seule pour me vider la tête, prendre du recul et me refocaliser. Je l’ai donc fait et ça m’a fait énormément de bien ! En fait, ça m’a fait tellement de bien, parce que j’ai pu me concentrer à fond sur les chansons, sur toutes mes pensées et sur le fait de me vider la tête, que je crois que je vais réitérer l’expérience à l’avenir quand j’aurais envie de composer, juste m’isoler quelque part pour me concentrer. Je ne savais pas que j’avais ça en moi. Je ne savais pas que ça me ferait autant de bien. Mais oui, j’avais quand même un peu peur la nuit, car c’était un petit chalet sur la parcelle d’un fermier. La dame et le gars de la ferme n’étaient pas loin mais au final, j’étais toute seule dans cette maison et il y avait quelques nuits où il y a eu de l’orage. Toutes les lumières se sont éteintes et je ne pouvais rien voir, c’était le noir complet parce que c’était dans les bois – il n’y avait pas de lumière dans les rues. Ça faisait super peur ! Ceci dit, j’en ai fait une chanson, donc c’est une bonne chose – en fait, il y a de cette expérience dans « Hurricane » et un peu aussi dans « Love You Like I Love You » même si ce n’est pas vraiment une chanson tonitruante.

En 2020, tu as demandé à ton ami et producteur Gijs Coolen de t’aider à finir l’album. Quels ont été sa contribution et son rôle dans ce projet, qui est finalement très intime ?

Oui. D’une certaine façon, c’est lui et moi qui avons fait l’album. Cependant, ça me tenait vraiment à cœur de composer les chansons toute seule, car je ne voulais pas avoir à penser à ce que quelqu’un d’autre voudrait avec les chansons, que ce soit la maison de disques, le management ou les fans ; je voulais juste écrire et me vider la tête. Puis, plus tard, une fois que j’avais écrit la majorité des chansons, j’ai demandé à Gijs de les finir avec moi, pour améliorer les parties, pour voir s’il nous fallait des musiciens supplémentaires sur certaines chansons, des arrangements, etc. Il a donc finalisé les chansons avec moi et il s’est chargé de la production de l’album. Gijs est quelqu’un qui est aussi très terre à terre. Il ne pense pas dominer le monde [rires]. Il pense seulement aux chansons et à ce dont elles ont besoin, au type de production qui m’irait et conviendrait à mon caractère. C’était vraiment sympa de travailler avec lui.

C’est un album très folk, mais qui bénéficie aussi de mélanges culturels – on retrouve du jazz, des touches latines, orientales, de la world music… Autant faire cet album était un refuge, autant ça semble aussi avoir été une forme d’évasion. Tu disais que généralement tu étais inspirée par les voyages, donc finalement, là tu voyageais dans ta tête, non ?

Je suppose ! J’étais surprise que ce genre de musique soit sorti de ma tête, car quand j’ai commencé à composer, je me suis vraiment coupée de toute idée sur la manière dont la nouvelle musique devrait sonner. J’ai simplement commencé à composer et ceci est ce qui en est ressorti. J’étais un peu surprise que des trucs un peu folk et groovy ressortent, mais d’un autre côté, j’ai écouté Fleetwood Mac, de la world music, etc. Donc je suppose que tout ça était dans ma tête et c’est ressorti quand j’ai écrit ces chansons. Les gens ont l’air d’apprécier. J’ai fait pas mal d’interviews pour cet album maintenant et plein de gens de la presse metal mais aussi ceux qui ont entendu les deux nouveaux singles y sont très réceptifs. C’est super sympa !

« Pour trouver un peu de paix intérieure, il faut toujours passer par des épreuves et des situations difficiles ou des défis. Tout le monde vit les mêmes choses. Il ne s’agit pas de savoir comment les éviter, il s’agit de savoir comment s’y prendre pour les gérer. »

C’est aussi un album richement arrangé, malgré son côté intimiste…

Quand j’étais en train de composer, j’étais seule, mais j’avais déjà des idées claires en tête, du genre : « Oh, là il y a besoin de violon… » Certaines chansons réclamaient un autre instrument ou une basse ou des éléments rythmiques comme des percussions. Parfois je savais à l’avance et parfois, lorsque je travaillais avec Gijs pour finir les chansons, nous disions : « Là il y a besoin d’éléments rythmiques » et nous allions au studio et nous nous enregistrions en train de jouer sur ces éléments. Les arrangements se sont construits graduellement, en fonction des besoins des chansons. Certaines chansons ont une vraie batterie – c’est joué de manière percussive, mais c’est un vrai batteur sur un kit de batterie. Il y a des chansons qui ont de la basse. Certaines chansons ont de magnifiques arrangements de cordes ; le quatuor à cordes à qui j’ai demandé de jouer sur l’album s’appelle Magic Strings, c’est quatre femmes et elles sont extrêmement douées. Quelqu’un avec qui nous avions déjà travaillé avant, Ruud [Peeters], a écrit ces arrangements pour cordes, il est extraordinaire. En l’occurrence, ces quatre ou cinq chansons avec des arrangements de cordes sont beaucoup plus belles maintenant qu’avant, donc j’en suis très contente.

L’album s’intitule The Darkest Skies Are The Bightest (les ciels les plus sombres sont les plus radieux) : penses-tu qu’il y ait toujours quelque chose de positif à retirer des épreuves et des mauvaises situations ? Est-ce juste une question de point de vue sur la vie ?

Oui, absolument ! Je pense qu’il est très important de voir qu’il y a toujours de l’espoir. Peu importe la situation dans laquelle on est, il y a un moyen d’en sortir et il y a de l’espoir. Tout le monde a sa chance. Tout dépend si on est disposé à saisir cette chance, si on est disposé à voir la lumière, et alors bien sûr, on peut y arriver. Je n’ai rien inventé, mais je sais qu’il faut traverser un peu d’obscurité pour atteindre la lumière dans sa vie. Pour trouver un peu de paix intérieure, il faut toujours passer par des épreuves et des situations difficiles ou des défis. Tout le monde vit les mêmes choses. Il ne s’agit pas de savoir comment les éviter, il s’agit de savoir comment s’y prendre pour les gérer.

Penses-tu que ce titre d’album peut aussi faire écho à la période que l’on vit actuellement ?

Oui, aussi. Quand j’étais en train de finir et d’enregistrer cet album, nous étions en pleine pandémie de coronavirus. Initialement, j’étais un peu réticente à parler à propos de mes problèmes ou difficultés personnelles, car le monde était en train de brûler et tout le monde était en train de vivre ça, ainsi que d’autres problèmes de société comme Black Lives Matter, il se passait tellement de choses dans le monde que je me suis dit : « Donc maintenant, mon album est terminé. Est-ce que je peux parler de ça ? Cet album ne sera-t-il pas futile aux yeux du monde aujourd’hui ? » Mais j’ai remarqué que plein de gens vivaient les mêmes choses. En fait, ce que je vis est universel. Il n’y a pas de différence entre moi et qui que ce soit d’autre. Alors j’ai pensé : « Je peux en parler, on peut partager des choses, on peut partager cette musique, on peut partager l’histoire de cette musique, car tout le monde comprend. Je parle aussi de leur histoire. » Du coup, j’étais confortée dans mon idée que je devais en parler. Mais comme tu l’as dit, bon sang, toute cette pandémie avec les confinements, c’est un énorme défi pour tout le monde.

Penses-tu qu’on ressortira de cette crise en étant meilleurs ?

J’espère ! C’est la seule chose que j’espère. Enfin, on n’a pas le choix, n’est-ce pas ? Il faut le faire. Il faut battre le virus et faire ce qui doit être fait pour en sortir. J’espère que nous pouvons le faire de manière positive, mais il y a plein de gens actuellement qui s’opposent frontalement avec des avis divergents. Souvent, les gens choisissent la haine plutôt que l’amour et ça me fait peur, mais je suis certaine qu’il y a aussi plein de gens qui ont envie de travailler ensemble et de sortir de cette situation en un seul morceau, mais aussi positivement.

« Le monde dans lequel on vit est très matérialiste, il est centré sur tout ce qu’on peut toucher, sur ce qu’on peut dire et ce qu’on peut entendre, mais parfois on oublie qu’on a vraiment une âme qui nous montre une vraie direction qui a du sens dans notre vie. »

De nombreux artistes ont eu un regard positif sur le temps libre que leur a offert la pandémie. As-tu toi-même utilisé ces mois de confinement pour prendre un peu de recul et te concentrer sur des choses importantes à tes yeux mais dont tu n’avais pas le temps de t’occuper avant ?

Oui, absolument. Je fais partie des gens qui, comme tu l’as dit, sont contents d’être simplement à la maison et avec leur famille. J’ai regardé cent millions de séries sur Netflix, ce qui est super ! [Rires] J’ai adoré passer du temps en famille, à être ensemble sur le canapé, même si le fait de jouer, faire des concerts et voyager me manque, évidemment nous n’avons pas de revenu, mais ça c’est sur le plan pratique. Ça n’a même pas vraiment influé sur la réalisation de l’album. Au final, pendant que nous étions en confinement, Gijs et moi, nous continuions en nous envoyant des fichiers et en discutant au téléphone et par e-mail. On fait la même chose quand on travaille avec des gens à l’étranger. Je préfère être avec lui au studio, mais ce n’était pas un gros problème. Beaucoup de gens autour de nous sont dans une très mauvaise situation. Donc ça m’attriste, mais j’essaye de me focaliser sur les bonnes choses, sur le positif et sur le fait de s’entraider. J’espère qu’on s’en sortira vivants [petits rires].

L’album contient une chanson intitulée « Keep It Simple » (fais simple) : est-ce un principe que tu dois parfois te rappeler à toi-même ?

Oui, vraiment ! Quand j’ai écrit cette chanson, j’étais dans la petite maison et j’étais très fatiguée. Ce que je faisais, c’est que je composais et j’enregistrais toute la journée, et je ne mangeais et ne dormais pas beaucoup, donc à la fin, j’étais super fatiguée. A ce moment-là, j’avais prévu de faire une autre chanson, donc je me disais : « D’accord, je vais rentrer à la maison demain, mais je veux commencer une nouvelle chanson. » Mais j’étais tellement fatiguée que je pensais : « Dans ce cas, il faut que je fasse simple, car je suis fatiguée et je ne peux pas faire des trucs compliqués. » Donc des accords simples, une bonne mélodie toute simple et des paroles sur le fait de faire simple quand il se passe énormément de choses dans notre tête ou quand c’est trop ; il faut faire simple pour prendre du recul, et avoir une idée claire de ce qui se passe et de la manière de résoudre les choses dans notre monde. Ça m’est venu tout naturellement !

La dernière fois qu’on s’est parlé, à propos de l’inspiration et de la musique, tu nous as dit que « nous, les humains, les gens, on a la responsabilité de sortir nos antennes et recevoir des choses venant du monde, de la nature, de Dieu, de tout en dehors de nous-mêmes ». Sur cet album, tu as une chanson intitulée « The Soul Knows » (l’âme sait). Du coup, que sait l’âme ? L’âme est-elle cette antenne, selon toi ?

Oui, c’est sûr. Je pense que l’âme est quelque chose qu’on oublie parfois. Le monde dans lequel on vit est très matérialiste, il est centré sur tout ce qu’on peut toucher, sur ce qu’on peut dire et ce qu’on peut entendre, mais parfois on oublie qu’on a vraiment une âme qui nous montre une vraie direction qui a du sens dans notre vie. Notre raison d’être ou la raison pour laquelle on fait ce qu’on fait dans la vie et on essaye d’accomplir des choses, c’est parce que l’âme nous dit de le faire ou essaye de nous le dire. Parfois, on devrait davantage l’écouter. Peut-être qu’on peut parler d’âme, peut-être qu’on peut parler d’intuition, car je pense que tout ce qui a trait à l’âme ou à l’intuition est un don de Dieu. On le reçoit comme une sagesse et on devrait davantage l’écouter, au lieu d’écouter nos émotions ou ce genre de chose.

Pour parler de cet album, tu as fait référence à l’art japonais du kintsugi, qui consiste à réparer des objets en porcelaine et en céramique en mettant en valeur les lignes de fracture avec de l’or. La symbolique est évidente et assez forte. T’es-tu beaucoup intéressée aux arts et philosophies japonais et plus généralement asiatiques pour les appliquer à ta vie ?

Oui. Je veux dire que toi et moi, nous vivons en Occident. Notre conception de la vie, de la religion, de Dieu et de l’amour est très différente de la conception qu’en ont les gens en Asie et que l’on trouve dans l’histoire ancienne de ces pays. Je me suis donc toujours intéressée au bouddhisme et à ce courant religieux. L’art du kintsugi est presque une philosophie. Tout passe par la douleur dans la vie pour eux, mais si on panse nos plaies, notre vie s’améliore car on gagne en sagesse, on grandit. Donc afin de trouver la paix intérieure, il faut célébrer nos cicatrices dues aux épreuves qu’on a traversées. Je pense que c’est la même chose avec les vraies cicatrices. On trouve toujours ça très intéressant quand des personnes ont de vraies cicatrices, genre : « Ouah, où as-tu été ? Qu’as-tu fait pour avoir cette cicatrice ? » Ça intéresse plus les gens quand tu as vécu des choses.

« Je pense qu’il faut que nous apprenions et apprenions à nos enfants de prendre soin de nous-mêmes, des autres, de notre environnement. Parfois, quand on dit ce genre de chose, les gens nous prennent pour des putains de hippies, mais en l’occurrence j’en suis une, donc ça ne me dérange pas ! »

Des chansons comme « Hurricane » et « I Saw A Car » ont un côté presque chamanique. Puisque tu as composé près d’un bois, penses-tu que la nature t’a influencée en ce sens ?

C’est très possible ! J’adore que tu qualifies ça d’influence chamanique, car c’est effectivement assez hypnotisant. Je ne sais pas d’où sont venus les grooves. Sur certaines chansons, j’ai commencé à jouer de la guitare et à en jouer comme si c’était des percussions ou en essayant une approche différente, et ceci est ce qu’on a obtenu. J’adore ! Ça me met en joie quand je le joue. Ça me met en joie quand je l’écoute. Apparemment, les gens aiment aussi beaucoup écouter ! Peut-être que c’est quelque chose de très pur, et peut-être que les bois et le tonnerre m’ont inspirée à faire ça [petits rires]. Ça m’a vraiment mis dans un état d’esprit particulier. On se sent tous différents quand il fait froid et on se sent tous émotionnellement différents quand le soleil se met à briller. Quand l’air printanier arrive, tout le monde est heureux et les problèmes deviennent un peu moins importants. A l’inverse, quand j’étais jeune et que c’était l’hiver, j’étais vraiment déprimée. Même si j’étais de nature très joyeuse, quand j’étais très jeune, ça me démoralisait complètement quand les jours raccourcissaient et s’assombrissaient. Ce n’est plus tellement le cas maintenant, mais quand c’est l’automne et l’hiver, je sens encore que je suis moins heureuse. Je pense que tout le monde a ce genre de réaction biologique à la nature.

Le packaging du CD sera sans plastique. C’est évidemment une décision très écologique. Comment décrirais-tu ta conscience écologique ?

J’essaye de vivre une vie durable et de prendre soin de nous, de la nature, des gens et des animaux qui nous entourent. Parfois c’est dur, mais si tu réalises la quantité de plastique qui rentre en compte dans la fabrication d’un CD et pour imprimer un CD… Je suis contente que les gens m’écoutent sur Spotify, mais je suis aussi contente de vendre mes CD en format physique. J’ai donc demandé à la maison de disques si nous pouvions faire quelque chose de moins plastique, parce que ça allait impliquer énormément de plastique et ça ne me paraît plus convenable. J’ai pensé que ça allait coûter plus cher ou que ça n’allait pas être possible, ou qu’ils n’avaient pas encore inventé ça, je ne savais pas. Puis, quelques jours plus tard, ils ont dit qu’ils étaient d’accord. J’étais surprise, mais j’étais très contente que nous puissions faire ça pour l’environnement. Je trouve que c’est très important. Il y a cette soupe de plastique dans l’océan. Je vis dans une rue très passante et quand je regarde dehors, il y a du plastique partout, à cause des gens qui jettent des choses dans la rue. Ça ne part pas, ça restera une éternité sur cette Terre. Quand on y pense, il faut faire quelque chose. Ensuite, il y a plein de gros problèmes dans la société et avec l’environnement actuellement. Je pense que nous, en tant qu’êtres humains, en tant qu’espèce humaine, on a vraiment ruiné la Terre en une centaine d’années. Je pense que nous devons faire machine arrière maintenant. Je pense qu’il faut que nous apprenions et apprenions à nos enfants à prendre soin de nous-mêmes, des autres, de notre environnement. Parfois, quand on dit ce genre de chose, les gens nous prennent pour des putains de hippies, mais en l’occurrence j’en suis une, donc ça ne me dérange pas ! Je pense que c’est un énorme problème qu’on doit résoudre ensemble.

D’un autre côté, tu aurais pu sortir cet album uniquement en numérique. Pourquoi était-ce important de quand même proposer un produit physique ?

Oui. J’essaye de cerner quelle est la meilleure option, car dans notre scène, comme tu le sais, les gens aiment beaucoup le produit physique, le fait d’avoir un objet spécial avec des vinyles colorés et quelque chose à tenir dans les mains, quelque chose à mettre sur une étagère dans une pièce et à admirer, etc. C’est devenu une œuvre d’art. Dans le temps, un CD n’était qu’un CD, alors que maintenant, il y a tous ces magnifiques digipacks avec un petit livret et on essaye de faire que ce soit vraiment beau. C’est ça le truc. C’est une sorte d’œuvre visuelle aussi. D’un autre côté, les autres scènes se reposent uniquement sur le streaming maintenant. C’est notre scène qui adore encore les produits physiques, mais j’essaye de trouver un compromis. Si on peut imprimer sans plastique, c’est déjà un gros progrès.

« Avec un peu de chance, je serai une vieille dame assise sur un banc dans un parc, regardant la vie passer, heureuse d’être qui je suis. Ça serait la meilleure des choses. »

Au final, as-tu trouvé les réponses aux questions que tu avais concernant ton mariage ou par rapport à Vuur en faisant cet album solo ? Est-ce que ça t’a aidée à réparer ta vie, pour ainsi dire ?

Oui ! Evidemment, en l’occurrence, concernant les problèmes dans ma relation, on travaille dessus et on en parle, et on se fait aider, on fait tout le travail qu’il faut faire. Mais en plus de ça, le fait d’être seule et d’écrire ces chansons, ces mélodies, ces textes, parfois écrire te permet de se vider la tête. D’autres gens, font de la peinture ou sortent se balader dans la nature ou font d’autres choses créatives. Parfois ça t’ouvre l’esprit et te donne un nouvel éclairage et un nouveau regard. Ça m’a donc énormément aidée d’écrire à ce sujet. Composer de la musique a toujours cette fonction. C’est aussi le cas quand on écoute de la musique qu’on aime ou de la musique qui nourrit notre âme ou qui nous donne de l’énergie. Certaines musiques sont faites pour être écoutées en conduisant, certaines musiques sont faites pour gagner en sagesse dans notre vie, mais c’est aussi ce qu’il se passe quand on compose de la musique.

Qu’as-tu de prévu pour la suite maintenant ?

Nous espérons et attendons de pouvoir repartir sur les routes, mais en attendant, je m’entraîne à la guitare, je chante pour maintenir ma voix en forme, et j’essaye de constituer une bonne setlist pour le moment où nous aurons le feu vert, afin d’être prête à partir sur les routes. J’ai aussi encore des idées pour des chansons, donc peut-être que je vais retourner dans la petite maison dans les bois et écrire des trucs pour peut-être des albums futurs ou je ne sais quoi. Nous sommes en train de travailler sur quelque chose pour un live-stream, quelque chose de très sympa. Donc, sur le plan créatif, je peux me maintenir occupée, c’est bien, mais j’aimerais me remettre à faire des concerts et partir. Ça commence à me manquer !

On a parlé de Vuur au début : est-ce que les réactions mitigées au premier album t’ont poussée à repenser le projet musicalement pour le futur ?

Les réactions étaient mitigées, mais seulement parce que les gens étaient confus. Plein de gens, en me voyant dans un groupe de metal, ont pensé que ça allait sonner comme The Gathering, or ça n’avait rien à voir. Je ne sais pas pourquoi les gens ont cru ça, mais quand c’était le cas, ils ont été un petit peu surpris et donc un peu réticents à rentrer dans l’album. Ce qui est drôle, c’est qu’un an et demi plus tard, les gens ont commencé à rentrer dans l’album et les chansons, et maintenant ils aiment beaucoup ! Mais il a fallu que je change mes plans, pour diverses raisons, mais je suis super fière de ce premier album avec Vuur. Je pourrais m’y remettre si je le voulais, c’est sûr. Aujourd’hui, je me concentre sur mon album solo et si on a l’occasion de tourner, je vais longuement tourner pour ça et je vais sans doute faire la plupart des concerts toute seule, juste moi et ma guitare. Ensuite, dès que j’aurai le sentiment qu’il faut que j’écrive un album de metal ou quelque chose de heavy ou que je travaille avec des gens dans la scène heavu, je m’y remettrai, c’est sûr.

En plein milieu de The Darkest Skies Are The Brightest, tu as une chanson intitulée « The End ». A quoi aimerais-tu que ressemble la fin pour toi ?

Ce qui est drôle, c’est que cette chanson est la première que j’ai écrite pour l’album ! [Rires] Elle s’appelle « The End », mais ce n’est certainement pas la fin ultime. C’est une chanson qui parle de prendre du recul pour tout repenser et reconsidérer dans ma vie, et ensuite avancer. Donc pour moi, la fin ultime devra être beaucoup plus positive, avec un plus grand sentiment d’accomplissement et de paix intérieure. Quand on vieillit, on pense à ce genre de chose. Je veux dire que j’y pense de plus en plus, genre : « Comment ai-je envie de vieillir ? Est-ce ça ira encore physiquement ? » C’est ma plus grande peur, que mon physique dépérisse et qu’il ne reste plus rien de moi, mais j’essaye de prendre soin de moi, de prendre soin de ma famille, afin que nous puissions vieillir ensemble. Avec un peu de chance, je serai une vieille dame assise sur un banc dans un parc, regardant la vie passer, heureuse d’être qui je suis. Ça serait la meilleure des choses.

Interview réalisée par téléphone le 10 février 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Mark Uyl.

Site officiel d’Anneke Van Giersbergen : www.annekevangiersbergen.com

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