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Interview   

Antilife répand la fièvre


Bien loin de la vague qui rend le black metal plus accessible, avec des productions qui semblent parfois bien lissées et des finitions mélodiques parfumées, un autre mouvement reste attaché à la nature violente et repoussante des racines du style… Antilife est sans aucun doute de cette école. Certes, cette binarisation ne reflète pas la complexité d’une esthétique musicale qui va bien au-delà des apparences et qui a su évoluer avec le temps, mais elle peut donner quelques clés de compréhension pour ce projet qui se revendique du suicidal black metal. D’ailleurs, l’ouverture musicale est loin d’être rejetée dans ce projet qui se distingue de tout purisme, le dernier album My Name Is Sickness étant une démonstration des horizons funestes qu’il peut explorer dans des registres musicaux larges. Ce qui rapproche Antilife des origines du black metal réside plus dans l’intention et sa démarche jusqu’au-boutiste.

Retrouver un certain malaise, être confronté à une œuvre d’art dérangeante et incomprise, en projetant et en idéalisant peut-être ce que le black metal offrait dans les années 90, c’est ce que propose le groupe français dans cette ode à la mort. Le chanteur Haine et le guitariste Symptôme assument pleinement dans cet entretien que le concept derrière Antilife puisse rebuter les auditeurs et les spectateurs. L’idée n’étant pas de choquer par surprise ou de répandre le vice, comme peuvent le revendiquer (souvent par posture) d’autres artistes, mais plus de partager une expérience sensationnelle et sensorielle. La proposition d’Antilife est sans doute difficile, mais elle n’en reste pas moins intrigante, et les deux musiciens évoquent longuement cela avec nous.

« Il y a donc le côté cathartique de déverser son propre mal-être, il y a le côté ultra-haineux qui pousse à foutre le malaise, mais c’est aussi en même temps une démarche artistique, qui est celle de respirer, de faire puer l’authenticité à tout le monde. »

Radio Metal : Haine, tu étais à la batterie à l’origine. Etait-ce naturel que tu reprennes le chant après le départ de Psycho, sachant que tu étais déjà au chant dans Verlies quand lui était batteur ? Il y a eu un petit jeu de chaises musicales…

Haine (chant) : On ne peut pas dire que c’était vraiment naturel. C’était au contraire très chaotique puisque ça a été mis en place par rapport à une séparation assez brutale entre Psycho et moi-même. Normalement, je faisais tous les instruments, en tout cas sur le premier album, et en live, je faisais effectivement la batterie. Ce qui s’est passé est que nous avons eu des différends. C’était assez intense et soudain. J’ai donc décidé de me séparer de lui et de continuer avec les autres membres du groupe. La décision de passer au chant s’est faite naturellement parce que je ne me sentais pas de laisser la place à quelqu’un d’autre, peut-être par égocentrisme, ou parce que j’avais quelque chose à me prouver par rapport à la séparation avec mon ami. La différence est que quand Psycho était avec moi dans Verlies, il était batteur de « session », pour jouer en live, tandis que dans Antilife, nous étions vraiment les deux membres permanents et créateurs du projet. Quand ça s’est terminé avec lui, j’ai juste décidé de prendre les rênes et puis de continuer avec les autres musiciens pour créer une entité qui serait plus un vrai groupe plutôt qu’un simple nouveau projet solo ou bicéphale comme nous avions fait avant.

Tu as dit que ta séparation avec Psycho était brutale. Quand on évolue dans ce genre de projet qui demande pas mal d’implication émotionnelle, est-ce que ça peut se terminer autrement que dans la difficulté ?

Disons que c’était plus l’aspect personnel qui était en jeu que l’aspect musical, même si effectivement, ça se reflétait là-dessus. Ça a été difficile aussi parce que je traversais une période de dépression assez intense. Ce qui nous a amenés à nous prendre la tête, ce sont nos histoires. Surtout qu’à l’heure actuelle, nous nous sommes rabibochés et nous nous entendons très bien, mais ça a vraiment été un tournant dans le sens où il y a eu une volonté de changer l’approche musicale et celle du groupe qui n’était plus porté par seulement deux personnes qui décidaient. Je voulais que tout le monde s’investisse et enregistre, par exemple, sur le deuxième album Silence Under The Sun. Que ce soit Symptôme, Névrose ou 0, ils ont tous enregistré leurs instruments – j’ai fait la batterie et le chant. C’était déjà une manière de s’ouvrir plus, de vraiment créer un groupe plutôt, comme je le disais, que ce soit un projet solo ou une entité bicéphale. Ça a été dur, mais en même temps c’était nécessaire et vu que ça a été fait, aujourd’hui nous nous en portons quand même bien mieux dans notre dynamique.

Symptôme, tu as rejoint assez récemment le line-up d’Antilife. Quel est ton passé musical ?

Symptôme (guitare) : J’ai rejoint Antilife fin 2017, début 2018. C’était surtout via une tournée en commun où Haine était à la batterie chez Hats Barn tandis que je jouais dans Edremerion, un groupe du Nord. A partir de là, j’ai plus ou moins postulé pour le groupe. Avec cette tournée, j’ai aussi appris à connaître Haine.

Les cycles de composition de vos albums sont assez longs. L’écriture du nouvel album a démarré en 2019 et s’est achevée en 2022. Comment vous l’expliquez ? Est-ce un choix de votre part ?

Haine : Ce n’est pas un choix. Déjà, c’est juste la flemme. Ensuite, quand c’est moi qui compose, c’est vraiment quelque chose qui se fait de manière très naturelle. J’ai un truc dans la tête, il faut que je le retranscrive, donc soit je prends la guitare, soit je prends Guitar Pro, je commence à tout noter et par moments, je vais pouvoir enchaîner trois ou quatre morceaux d’un coup, puis à d’autres moments, je vais avoir une disette pendant des mois et des mois, que ce soit pour ce projet où pour quoi que ce soit d’autre. Effectivement, pour le dernier album qui vient de sortir, nous avons pris du temps. Premièrement, parce qu’il fallait du temps pour composer. Deuxièmement, parce que Symptôme s’est énormément investi dans l’écriture et que ça nous a permis d’avoir une nouvelle approche de la musique qui est assez extraordinaire.

Symptôme : Oui, c’est ça. C’était la flemme mais aussi, comme tout le monde à ce moment-là, la pandémie qui nous a poussés à prendre le temps de bien composer. Nous ne sommes pas tous les uns à côté des autres, donc le temps de mettre en place et de créer, ça prend du temps. Le fait de se réunir ensuite pour les enregistrements prend du temps aussi.

Haine : Il y a eu quand même une sacrée productivité au niveau de l’écriture. Le troisième vient juste de sortir mais le quatrième est déjà complètement composé. Nous allons juste prendre un peu de temps pour faire la promotion, essayer de tourner un peu et après nous lancer vraiment dans l’enregistrement dès l’année prochaine.

« Je préfère maintenant utiliser mon propre sang. Donc un jour ou deux avant le concert, en général, je me fais ponctionner un litre ou un litre et demi. Déjà, ça me met bien dans le mood pour être bien attaqué. Il s’agit littéralement de déverser sur les autres ce qui est en moi. »

My Name Is Sickness est composé de pièces très différentes. On a l’impression parfois qu’on n’écoute pas vraiment le même album du début à la fin. Est-ce aussi parce que ces morceaux ont été écrits à des instants différents ?

Comme je disais, je n’étais plus tout seul à la composition. La majorité des titres ont été composés par Symptôme. Même s’il s’approche vraiment de ce que j’aime faire et de ce que j’aime écouter, c’est sa patte, c’est son travail de magicien qu’il met en place qui fait que c’est assez différent. Nous avons essayé de ne pas les coller les uns avec les autres pour essayer d’avoir une espèce d’homogénéité dans les changements, mais c’est ce qui fait que, effectivement, ça peut paraître plus différent encore qu’à l’accoutumée. Et personnellement, je sais que je n’écoute pas forcément les mêmes trucs tout le temps, donc il y a des fois où je vais puiser plus d’inspiration dans un projet ou dans un autre. J’imagine que c’est à peu près pareil pour les autres membres du groupe.

Symptôme : C’est tout à fait ça. Nous envoyons nos idées, nos squelettes, et ensuite, il y a tout un travail de collaboration qui se fait. C’est pour ça que ça se ressent sur l’album, peut-être que s’il y a un morceau différent d’un autre, c’est parce que l’un a plus donné ses idées, ou ça partait de l’idée de l’un ou de l’idée de l’autre.

Antilife est un projet très intense, comme on peut le voir par exemple sur vos prestations live. Cherchez-vous à faire ressentir ça aussi en studio avec des techniques particulières, par exemple par l’utilisation de prises directes, pour garder ce côté un peu authentique ou organique ?

Haine : En studio, non. C’est plus un travail pour donner une pièce musicale qui est assez complète. Je ne fais pas de chant en prise directe. Je préfère – en tout cas depuis que nous avons commencé le groupe – essayer de prendre le temps pour avoir de bonnes prises, quitte à parfois retravailler un peu le truc. Après, ça vient assez rapidement. Par exemple, sur cet album, j’ai enregistré tout le chant en l’espace de trois jours, avec les doublages de piste, etc. Ce n’est pas quelque chose qui prend des mois et des mois, mais ça reste relativement travaillé. C’est la différence avec le live, effectivement, où nous voulons donner une énergie directe et une authenticité à toute épreuve. En tout cas, pour moi, ça a toujours été comme ça : l’album est toujours un support pour créer quelque chose d’unique sur scène. Je pense que ça se ressent ; nous faisons en sorte que ça se ressent. Dans l’écriture des morceaux et des textes, il y a eu aussi une énorme partie de positionnement personnel qui fait que ça doit toucher plus ou moins l’auditeur par rapport à l’intensité de la musique. Si ça marche, tant mieux, si ça ne marche pas… je ne sais pas trop quoi dire [rires].

Pour toi, l’intention derrière le projet d’Antilife est-elle d’abord cathartique, c’est-à-dire pour contenir un peu votre haine, votre colère dans cette musique ? Ou est-ce dans une logique de la déverser, comme on peut souvent l’entendre dans le milieu du black metal ? Ou, troisième solution, est-ce quelque chose de simplement artistique pour illustrer un propos ou un sentiment ?

Tu viens de répondre à la question : c’est les trois à la fois. Il y a quelque chose d’intrinsèque et de profond. Quand nous avons commencé le projet avec Psycho, nous étions tous les deux dans une très mauvaise passe. Nous nous voyions trois fois par semaine pour nous mettre des caisses monumentales. Nous faisions de la musique ensemble parce que nous kiffions ça et tout, mais nous savions que nous n’étions pas dans le meilleur mood qui soit. Nous voulions faire un truc ultra, jusqu’au-boutiste par l’aspect artistique et par l’aspect scénique. Nous nous sommes dit que nous avions un peu ras le bol… Parce qu’à l’époque, nous organisions des concerts avec mon association et celle de [Julien] Crabe, Ondes Noires, et nous voyions énormément de groupes de black défiler qui, au final, ne proposaient pas grand-chose sur scène. Ça nous manquait, nous en discutions pas mal avec Psycho et nous nous disions qu’il fallait que nous proposions quelque chose qui aille au-delà de tout ça, qui mette les gens tellement dans le mal qu’à chaque fois qu’ils ressortent du concert, ils soient un peu abasourdis. Il y a donc le côté cathartique de déverser son propre mal-être, il y a le côté ultra-haineux qui pousse à foutre le malaise, mais c’est aussi en même temps une démarche artistique, qui est celle de respirer, de faire puer l’authenticité à tout le monde. Je ne sais pas si tu étais déjà avec nous, Symptôme, mais le terme « puer » pouvait bien rendre sur certains concerts.

Symptôme : Oui, je vois de quoi tu parles. Il y a toujours une part un peu à l’arrache, mais par exemple, avec la mise en scène et le côté théâtral, à la fin du concert, des fois c’est Verdun, c’est une vraie boucherie ! Il y a tout ce qui va avec. En même temps, c’est aussi ce côté ultra, jusqu’au-boutiste, comme dit Haine, c’est le but.

Haine : Pour le côté odorant, à certains concerts entre 2016 et fin 2017, nous utilisions des cadavres d’animaux qui pouvaient rester pendant quelques jours dans la voiture et ça devenait très pestilentiel dans la salle. Nous avons arrêté ce délire-là, parce que je trouve que ça ne correspondait pas du tout à l’idée d’Antilife. Je préfère maintenant utiliser mon propre sang. Donc un jour ou deux avant le concert, en général, je me fais ponctionner un litre ou un litre et demi. Déjà, ça me met bien dans le mood pour être bien attaqué. Il s’agit littéralement de déverser sur les autres ce qui est en moi.

« Aujourd’hui, nous voulons montrer quelque chose de sale, de dur, d’horrible, mais si les gens ne veulent pas venir voir, qu’ils ne viennent pas et surtout, qu’ils ne viennent pas se plaindre après. »

En évoquant toutes les thématiques autour de la dépression, du suicide, et en ayant cette démarche justement jusqu’au-boutiste, diriez-vous qu’Antilife est un projet plutôt personnel pour chacun des membres du groupe ou quand même quelque chose qui reste très collectif ?

Symptôme : Je dirais que ça part d’un projet personnel et qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus collectif puisque nous partageons la composition et surtout le message à faire passer. Les musiciens cautionnent tout ça. Ils ne sont pas juste là pour jouer et faire leur boulot, ils sont là aussi pour faire passer le message, même si c’est juste en jouant de leurs instruments. C’est donc un peu les deux, en vérité.

Haine : Il y a aussi le fait que même s’il cautionne, chacun d’entre nous ne vit pas de la même manière en dehors de l’entité. Je sais que certains d’entre nous ont une vie de famille, certains s’en sortent plutôt pas mal dans leur existence. C’est bien. C’est aussi nécessaire d’avoir des personnes un peu plus saines d’esprit qui vont pouvoir diriger le truc vers une organisation et un ordre un peu plus établi, parce que si je décidais tout par moi-même, ce serait le chaos total tout le temps. Il n’y aurait pas de progression sensée, il n’y aurait pas de volonté d’avancer si je n’avais pas l’appui de ces personnes qui sont mes soutiens infaillibles.

Sans ces personnes-là, tu imagines un petit peu un avenir comme Nattramn a pu avoir pour Silencer, par exemple, en hôpital psy ?

Si effectivement je dois tout décider, il y a des chances. C’est pour ça aussi que nous avons poussé le groupe vers cet aspect un peu démocratique, où nous essayons d’impliquer un peu tout le monde. Mais oui, si j’avais dû décider tout, au bout d’un moment, il y aurait eu un pétage de plombs total. Ce n’est pas possible. J’ai besoin de Symptôme, j’ai besoin de Névrose, j’ai besoin des nouveaux petits gars qui nous rejoignent depuis un petit moment. C’est ultra-nécessaire, sinon ça ne fonctionne pas et ça reste au point mort ou mort tout simplement.

Même s’il s’inscrit dans une démarche depressive black/suicidal black, qui a clairement ses codes stylistiques, votre projet ne présente pas que ça dans sa musique. Il y a quand même des passages très entraînants, très rythmés. On n’est pas que dans la mélancolie pure à tous les instants. Un peu comme un Shining, par exemple. Cette démarche est-elle une volonté artistique ?

Je vais te dire un truc, nous utilisons depuis le début l’appellation suicidal black metal pour faire une petite différence avec le côté dépressif, puisque, en général, quand on parle de DSBM pur et dur, ce sont vraiment des trucs très lancinants, très répétitifs et très pleurnichards. Ce que nous avions à l’époque où nous avons créé l’entité Antilife avec Psycho, l’idée était de véhiculer un malaise profond, une haine de soi, une haine des autres qui était primordiale dans l’aspect stylistique et le visuel. Notamment par nos shows d’avant où Psycho tirait dans le public avec son pistolet, moi je me battais à la fin avec des gens, il y avait des coupures, des claques qui se perdaient, du sang versé partout. Il y avait vraiment ce côté très haineux à donner aux autres pour qu’ils le prennent, qu’ils l’acceptent, qu’ils n’aient pas le choix. C’est emprunté au black metal, c’est pour ça aussi que nous faisons cette musique et que nous essayons de jouer un peu avec ces codes. Après, ce n’est pas ce qui fait tout à fait le truc aujourd’hui. Il y a eu pas mal d’évolutions avec l’arrivée de Symptôme, du nouveau batteur et du nouveau bassiste. Et puis, en dehors de la musique et des prestations scéniques, j’évite de me comporter comme un connard. Ce n’est pas le but, mais c’est vrai qu’il y a plus de côté haineux, entraînant, bagarre, notamment dans les paroles des deux premiers que nous n’avons pas diffusées. Il y a une envie d’en découdre. Il n’y a pas que l’envie d’en découdre avec soi-même, il y a aussi l’envie d’en découdre avec le monde, et je pense qu’intrinsèquement, les deux sont liés. C’est aussi ce qui crée le malaise et la maladie dans ma tête. C’est intense.

Symptôme : C’est exactement ça. Tu viens passer un sale quart d’heure, donc il faut que ce soit fait à fond. On n’est pas obligé d’avoir forcément ce comportement dans la vie de tous les jours, mais la scène, c’est le moment idéal.

Haine : C’est ça : passer cinquante minutes sur scène, c’est cinquante minutes où le public doit se sentir mal à l’aise. Il doit se faire un peu malmener parce que c’est aussi ça le but, de piquer à la fourche démoniaque le cul des gens pour qu’ils se réveillent et se disent : « Putain, il y a un truc qui vient de se passer. Ce n’est pas agréable », même si c’est bien, ce n’est pas agréable.

Justement, pour cet album, vous avez fait pas mal d’avertissements sur les réseaux sociaux et notamment au début du clip « Addict » par rapport à la violence de cet album. Pourquoi avoir choisi d’avertir autant votre public qui, potentiellement, sait déjà à quoi s’attendre ?

Il faut que les gens soient un minimum préparés. Nous avons envie de jouer et de montrer ce que nous faisons. Il y a une certaine frange de la population qui va venir voir et qui va savoir, mais tout le monde n’est pas obligé de venir se prendre des coups dans la gueule s’ils n’ont pas envie de se prendre des coups dans la gueule. Je préfère cent mille fois que les personnes qui ne sont pas préparées à ce genre de choses restent en dehors plutôt qu’elles essayent de s’y confronter et viennent se plaindre après. Premièrement, parce que je vais n’en avoir rien à foutre. Deuxièmement, plutôt que d’être confrontés à une espèce de comportement revanchard, sachant qu’en plus on est dans une période où tout le monde se fait annuler pour moult raisons, là, nous affichons le truc directement, c’est à prendre ou à laisser. Si tu n’aimes pas, ne viens pas, tout simplement. Nous avons eu une attitude un peu plus « on s’en bat les couilles » pendant très longtemps, avant, quand Psycho était là. Je pense qu’à certains endroits, ça a pu nous porter préjudice, même si au final, nous en gardons un excellent souvenir très punk. Aujourd’hui, nous voulons montrer quelque chose de sale, de dur, d’horrible, mais si les gens ne veulent pas venir voir, qu’ils ne viennent pas et surtout, qu’ils ne viennent pas se plaindre après.

« Il doit se faire un peu malmener parce que c’est aussi ça le but, de piquer à la fourche démoniaque le cul des gens pour qu’ils se réveillent et se disent : ‘Putain, il y a un truc qui vient de se passer. Ce n’est pas agréable’, même si c’est bien, ce n’est pas agréable. »

Musicalement, on sent que vous avez des inspirations qui vont au-delà du metal extrême pur et dur. Par exemple, on peut entendre quelques passages jazzy sur cet album. De façon générale, quelles sont vos inspirations musicales qui vont au-delà du metal extrême ?

Symptôme : Le côté jazzy vient peut-être en partie du batteur qui a enregistré l’album avec nous à ce moment-là ; à mon avis, ça vient de ses influences. En tout cas, personnellement, ce n’est pas mes influences. Je suis plutôt black metal traditionnel, j’écoute les gros piliers, des trucs assez connus, je ne suis pas compliqué, et puis quand même énormément DSBM. Mes influences, c’est juste ça, mais ce n’est pas avec ces influences que je vais vraiment composer. Ça va être plus avec des ressentis, des moments, etc.

Haine : Pour ma part, il n’y a pas vraiment de limites. Je sais qu’avec Verlies, je ne me suis jamais posé de limites dans ce que j’aimais bien faire, donc il y avait aussi pas mal de côtés jazzy là-dedans. Je suis très inspiré par des trucs un peu plus pop, plus rock n’ roll, parfois plus électro, etc. On ne peut pas tout mettre non plus dans Antilife parce que, pour l’instant, il y a une ligne directrice. Je sais, par exemple, que notre guitariste Névrose nous insulterait si nous commencions à mettre trop de guitare acoustique et de chant clair. Lui veut du blast beat tout le temps. Mais il y a une espèce d’ouverture musicale qui vient d’à peu près tout ce que j’écoute. Quand je dis que j’écoute énormément de choses, c’est réel. Par exemple, en ce moment, ce qui me permet de m’endormir le plus facilement, c’est d’écouter du blues. A d’autres moments, ce sera plus des trucs électro. Vendredi dernier, je suis allé voir Perturbator et Author & Punisher à Vienne. Il y a plein de trucs qui vont entrer en compte à chaque fois que nous avons une nouvelle idée ou à chaque fois que nous essayons de nous diriger vers quelque chose dans la composition. A partir du moment où nous arrivons à le faire sonner avec ce côté suicidal black metal, pourquoi pas le garder et pousser un peu plus le vice à mélanger les styles ? Le côté trve black metal des grands piliers qui veulent fermer le genre et faire dans l’élitisme, très peu pour moi. Je veux laisser une ouverture particulière à la musique que je crée et surtout – je ne le répéterai jamais assez – la personne pour qui je fais de la musique, c’est moi. Je crée la musique que je veux écouter.

Tout en respectant quand même un certain cahier des charges dans Antilife, car avec Verlies, tu te donnes quand même plus de liberté…

C’est aussi un projet différent. Il y a une grosse partie de liberté, mais quand tu parles de « cahier des charges », ça fait un petit peu trop strict. Nous n’avons pas vraiment une grille de direction. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, avec Symptôme, nous sommes les deux compositeurs principaux et tout ce que nous demandons est que les autres valident ou pas. S’ils n’aiment pas, nous ne faisons pas, s’ils aiment, nous continuons. Ce n’est pas un cahier des charges, c’est plus une question de ressenti sur ce qui ne va pas plaire, et si ça ne plaît pas, nous laissons tomber.

Le chant est quand même très particulier dans le black dépressif. Est-ce que pour toi, il y a une technique particulière pour aborder ce côté très aigu ou est-ce qu’au final, il n’y en a pas vraiment ?

Boire beaucoup d’alcool. Avant les séances d’enregistrement ou de chant, je fais un petit peu d’échauffement quand même, parce que mine de rien, tenir cinquante minutes… Quand nous avons fait nos trois dates en République tchèque, trois soirs de suite, j’arrivais à enchaîner les prestations scéniques, mais de la fin du concert jusqu’au lendemain où je devais reprendre, la voix s’éteignait un petit peu. Donc c’est plus faire du gros bourrinage et souffrir un max. Niveau échauffement, je connais les exercices de base pour faire du chant. Je fais du chant depuis que j’ai onze ans, peut-être, donc ça fait dix-neuf ans que je m’entraîne à chanter, donc il y a des exercices de maintien de notes, de souffle, etc. et ça sert effectivement pour l’échauffement et le grain de voix, mais au bout d’un moment, quand tu es sur scène et que tu es en train de t’agiter comme un possédé, tu y penses beaucoup moins et parfois tu forces un peu trop, et quand tu forces un peu trop, après tu as mal. Mais c’est aussi cette douleur qui est censée être véhiculée dans la prestation et qui fait que tu ne peux pas rester totalement indifférent. Il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas, il y a beaucoup de gens qui aiment bien, ça ne laisse pas indifférent et ce n’est pas sensé.

« Ce qui arrive dans les prestations, parfois je le ressens aussi dans ma piaule quand il est trois heures du matin, que je n’arrive pas à dormir et que j’ai envie de me taper la tête contre les murs. »

Il y a quelque temps, nous avions eu en interview Dehn Sora qui nous parlait du côté très corporel dans les performances qu’il peut faire avec Treha Sektori. Antilife, pour toi, c’est aussi cette démarche, il faut que ce soit très corporel pour que ce soit vécu et transmis ?

Dehn Sora a parfaitement raison. Déjà, j’adore ce type pour ses prestations musicales, notamment avec Treha Sektori. Oui, clairement, ça fait partie de cette espèce d’authenticité et de volonté de montrer que ça ne va pas bien. Ça passe aussi bien par le fait de montrer la douleur physique – donc les lames de rasoir, le sang, etc. – que par les larmes, les cris, les effondrements au sol, etc. Il n’y a rien de mimé dans les prestations scéniques, en tout cas pour ma part – les autres doivent surtout se concentrer sur les instruments, donc ce sera un peu plus compliqué, par exemple, pour Symptôme de s’effondrer au sol. C’est quelque chose qui passe dans cette espèce d’expulsion d’une rage superpuissante qui, à terme, peut détruire le corps. Ce corps en train de se faire détruire, c’est un peu une manière de montrer à l’auditoire que ça ne va pas bien et que ce n’est pas une musique ou une prestation qui est faite pour vous faire vous sentir bien. C’est là pour montrer une noirceur et une douleur incommensurables. Ce qui arrive dans les prestations, parfois je le ressens aussi dans ma piaule quand il est trois heures du matin, que je n’arrive pas à dormir et que j’ai envie de me taper la tête contre les murs. Ce sont des choses qu’on ne peut pas vraiment expliquer uniquement par des mots, donc il faut que ça passe par du visuel, par de l’exagération et de l’exacerbation – plus de l’exacerbation que de l’exagération – sur le plan physique.

Dans les textes, tu alternes pas mal entre le français et l’anglais. Y a-t-il une raison particulière à ça ?

Non, pas vraiment. C’est quelque chose que nous avons commencé à faire dès le début, quand Psycho écrivait encore les textes, en tout cas pour le premier album. Il écrivait des titres complètement en anglais, d’autres complètement en français. Contrairement à Verlies où je mets un point d’honneur à écrire uniquement en français, je me suis dit que c’était pas mal de pouvoir alterner. Il y a des choses qui se disent très facilement en français, il y en a d’autres qui se disent beaucoup plus facilement avec le lyrisme anglophone. Tout dépend comment tu veux faire sonner tes mots et comment tu veux faire sonner ton rythme. Après, je dois avouer que l’écriture des textes vient assez automatiquement. Dès que j’ai les morceaux, je commence à écrire. Je ne peux pas dire que c’est pensé et réfléchi à l’avance.

Tu parles beaucoup de satanisme dans les textes d’Antilife. Quel rapport fais-tu entre le satanisme et la dépression ?

Dans l’imagerie d’Antilife, le satanisme a une prépondérance assez particulière puisque Satan, pour moi, est une incarnation de ses forces et de ses volontés, qui ne sont pas obligées d’être positives. On n’est pas obligé de se pousser vers la lumière. Ça fait un peu kitsch ce que je dis, mais parfois, on pousse aussi pas mal les choses vers la noirceur, vers les ténèbres. Il y a cette espèce de volonté jusqu’au-boutiste qu’en tant que simple être humain je n’arriverai pas à exprimer correctement, donc l’utilisation des symboles, de cette philosophie et de cette spiritualité qui fait partie de ma vie depuis pas mal d’années maintenant, ça me donne la force d’exprimer aussi bien les choses positives dans mon entourage que les choses très négatives dans la musique et dans les visuels d’Antilife. Même si les gens pourraient penser que ça fait un peu grand-guignol sur le côté DSBM, qu’on coche toutes les cases comme au bingo du black metal, il y a un aspect qui n’est pas complètement déconnant. Parfois, l’utilisation de narcotiques me pousse à voir des choses qui ne sont pas visibles pour les autres, parfois je me parle à moi-même, je parle à des entités qui sont à l’intérieur de moi, qui font qu’il y a un besoin de se raccrocher. Ces symboles et ces entités qui font partie de moi me poussent parfois à faire des choses très néfastes, comme l’automutilation et l’autodestruction. Et ce n’est pas quelque chose dont on peut se passer. Quand nous avons créé le projet avec Psycho, il y avait une autre dimension, puisque nos deux visions du satanisme ne sont pas tout à fait pareilles, même si elles ne sont pas complètement incompatibles. Aujourd’hui, c’est surtout un moyen de pousser ma force vers le néfaste, vers quelque chose qui ne donne pas forcément envie d’être meilleur. C’est ça, être humain, trop humain, et se reposer sur ces images et ces forces internes qui te poussent à agir, notamment parfois vers les choses les plus horribles de la psyché humaine.

Déhà a réalisé le mastering. Selon toi, qu’a-t-il apporté à cet album ? On peut retrouver quelques similarités avec son projet Yhdarl, est-ce à travers ça que vous avez été séduits ?

Je connais Déhà depuis très longtemps. Ça va faire quasiment dix ans que nous nous connaissons. Nous nous étions rencontrés à Lille, puisqu’il habite en Belgique, et il jouait dans un groupe de black metal lillois à l’époque. Nous sommes devenus amis, nous parlons assez régulièrement – d’ailleurs, nous nous sommes parlé il n’y a pas plus tard que deux jours. C’est une personne formidable, que je respecte énormément, avec une sensibilité musicale et même un acharnement à toute épreuve qui le pousse à faire énormément de projets qui sont très intenses. Il y a Yhdarl, mais ce sont aussi ses albums sous le nom de Déhà qui m’ont pas mal bouleversé, comme son album Cruel Words qui est une pièce maîtresse dans mes albums favoris de cet artiste. Nous avions deux ou trois personnes en vue, je l’ai contacté et je lui ai demandé si ça l’intéressait. Il m’a clairement dit : « Ouais, carrément, je suis prêt à le faire. » J’ai demandé aux gars, ils ont accepté. J’ai envoyé le mixage final à Déhà et je peux vous dire un truc : c’est une espèce de monstre. Je lui ai envoyé le mix à treize heures et à dix-neuf heures, j’avais déjà le master fini ! Au-delà du fait que c’est un personnage qui a cette émotivité qui me touche et qui, je pense, nous lie pas mal, c’est un acharné du travail qui fait les choses bien. C’est quelqu’un sur qui on peut compter allègrement et qui fait qu’aujourd’hui, nous venons de sortir un album qui sonne cool, et ça, c’est quelque chose d’assez intense. Je le remercie beaucoup pour ça, d’ailleurs : Déhà, tu es un maître !

« C’est impossible que je quitte la Terre sans avoir fait une espèce d’autodestruction totale et complète pendant dix jours. Il faut que je reparte sur les rotules et que je finisse à l’hôpital, sinon ce n’est pas intéressant. »

L’artwork est l’œuvre de Horde. Lui avez-vous donné des consignes particulières ou est-ce le fruit de sa perception de la musique ?

C’est clairement le fruit de sa perception de la musique. Nous lui avons envoyé la musique et les paroles, en expliquant un peu la thématique qui tourne autour de la maladie, de la psychiatrie, des différents stages et instances qui font que ça ne se passe pas très bien dans la vie de tous les jours. C’est une personne avec qui j’ai été assez proche et qui peut aussi comprendre ça par rapport à son propre vécu, donc nous lui avons laissé carte blanche pour interpréter le visuel et lui donner son sens. Honnêtement, c’est juste génial, c’est magnifique. C’est un travail de grande qualité. J’adorais déjà ce qu’elle faisait avant. J’ai chez moi quelques-unes de ses impressions qui sont sur les murs. C’est une artiste ultra-talentueuse qui mérite d’être reconnue pour ce qu’elle fait. Je trouvais que c’était la meilleure décision à prendre.

Symptôme : Complètement et du coup, c’est un bel objet. Franchement, je ne regrette pas du tout. C’est vraiment bien fait et complètement raccord avec la musique.

J’imagine qu’un projet comme le vôtre n’est pas spécialement destiné à être porté en tournée, car ça semble difficilement compatible avec le suicidal black metal qui reste dans une démarche très viscérale et corporelle. Les concerts sont des événements plutôt ponctuels pour garder cette intensité…

Oui, il y a une part de ça. Un concert comme ça, au niveau de d’énergie, c’est possible, mais comme tu le disais tout à l’heure, déjà trois dates, que ce soit au chant ou en termes de condition physique, c’est difficile, alors une tournée, au-delà de plusieurs dates d’affilée, ça devient compliqué. Sinon, il faudrait s’économiser, gérer l’énergie ou carrément proposer un show plus calme. Autrement, ce n’est pas possible.

Haine : Surtout, nous n’avons jamais vraiment eu l’occasion de faire beaucoup plus, notamment parce que je m’occupais à la base de toute la partie booking et c’est dur de trouver des dates, bordel ! Surtout dans ce créneau-là. C’est un travail où tu t’y mets pendant longtemps, tu envoies moult e-mails, moult demandes, sur dix e-mails envoyés, tu reçois peut-être deux réponses et peut-être qu’il y en aura une de positive. C’est très ingrat, c’est très long, c’est très demandant. Donc quand nous arrivons à programmer juste quelques dates à la suite, c’est déjà une grande victoire. Sachant que la plupart des dates que nous avons faites jusqu’à présent n’étaient absolument pas rémunérées. Le côté punk où tu fais je ne sais pas combien de centaines de kilomètres pour aller jouer dans une salle pour quelques bières et une pizza, c’est cool, et quand en plus tu dors dans un logement mi-appartement, mi-squat, c’est cool aussi, mais sans des conditions un peu plus préparées à l’avance, tu prends un coup dans la gueule, au niveau de l’énergie. Nous avons essayé à un moment donné de nous programmer une tournée un peu plus longue. Ça n’a pas forcément réussi à cause d’une seule et unique chose : le brave Covid-19 qui a ralenti tout le truc. Nous allons essayer de nous rattraper. J’ai envie de tourner pendant au moins une semaine ou dix jours. C’est un délire que j’ai envie de faire depuis très longtemps. Je sais que tous les membres du groupe ne partagent pas forcément cet avis, mais à un moment donné, il va falloir que nous nous y collions, et nous allons nous y coller très prochainement. C’est impossible que je quitte la Terre sans avoir fait une espèce d’autodestruction totale et complète pendant dix jours. Il faut que je reparte sur les rotules et que je finisse à l’hôpital, sinon ce n’est pas intéressant.

Nous avons plusieurs fois évoqué ton autre projet Verlies. Comment associes-tu ou confrontes-tu Antilife et Verlies ? Comment composes-tu avec ces deux projets ?

A l’heure actuelle, je ne vais plus m’atteler à composer d’albums avec Verlies. Il y en a deux qui ont été faits. J’ai pour projet de remixer et remasteriser le second pour pouvoir le ressortir en format physique. Ça va me prendre un petit peu de temps parce qu’il faut que je récupère certaines pistes que je n’ai plus. A chaque fois que je sors une chanson avec Verlies, c’est juste un truc qui me passe par la tête à un instant T et qu’il faut que j’exorcise tout de suite. Ce n’est pas quelque chose de planifié. Je n’ai plus envie de chercher des musiciens, je n’ai plus envie de tourner, puisque c’est déjà de la musique très compliquée et qu’il faut des personnes qui savent jouer, et je ne pourrais plus me contenter d’avoir de l’approximation. Donc plutôt que de chercher à faire ce genre de choses, je préfère garder ça pour moi-même et expérimenter, extérioriser, faire ce que j’ai envie de faire et que je ne peux pas faire avec Antilife. Ça fonctionne comme ça pour l’instant et je ne pense pas que je reviendrai sur un format de groupe, à moins que quelqu’un nous propose un deal monumental, mais évidemment je n’y crois pas. Pour moi, ça ne sert pas à grand-chose d’espérer là-dessus. J’ai Antilife, je suis très content de la direction que ça prend et des choses que nous faisons ensemble. C’est beaucoup plus important. J’ai d’autres projets où je peux faire sur scène ou en enregistrement d’autres choses qui me satisfont.

Interview réalisée par téléphone le 25 octobre 2022 par Aurélie Chappaz & Jean-Florian Garel.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Facebook officiel d’Antilife : www.facebook.com/antilifesbm

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