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Interview   

Apocalyptica ajoute une pièce à son puzzle


Eicca Toppinen - apocalypticaÇa fait maintenant plus de vingt ans qu’Apocalyptica tâtonne pour se construire. D’abord groupe hommage à Metallica, puis plus généralement groupe de reprises metal, avant de se lancer dans la composition originale. D’abord quatuor de violoncelles, puis trio s’adjoignant ponctuellement les services de batteurs, avant d’asseoir la place du frappeur Mikko Sirén dans ses rangs. A la fois, faire du metal avec des violoncelles n’a a priori rien d’une évidence et, surtout, n’avait aucun véritable précédent avant l’arrivée d’Apocalyptica, et comme dans toute expérience nouvelle, c’est précisément par tâtonnement que l’on trouve ses marques.

Restait, à ce jour, une pièce manquante dans le puzzle Apocalyptica : le chant, qui était tenu par des invités prestigieux en studio et différents chanteurs qui les accompagnaient le temps d’une tournée. Et, comme Eicca Toppinen, celui qui se définit comme le rythmicien de la bande des trois violoncelles, nous l’explique dans l’entretien qui suit, procéder comme ils l’ont fait jusqu’à présent a apporté son lot de problématiques, au point d’atteindre un certain ras-le-bol. Bienvenue à Franky Perez qui inaugure une étape de plus franchie par le combo, même si celui qui a pu chanter aux côtés de Slash ou Daron Malakian (System Of A Down) devra rouler encore un peu sa bosse au sein de la formation avant, éventuellement, de trouver un statut de permanent. Toujours est-il que Shadowmaker est peut-être le premier album d’Apocalyptica réalisé à 100% comme un groupe. Alors, qu’est-ce que ça change, concrètement ? Eicca Toppinen nous répond, et nous parle plus largement de ce nouvel opus et d’autres sujets, ci-après.

Apocalyptica 2015

« Même les professionnels ne savaient pas comment expliquer aux gens ce qu’était Apocalyptica : ‘Alors, c’est un groupe instrumental mais il y a aussi des chansons chantées… Il y a plusieurs personnes, ils jouent du violoncelle, et ils jouent du metal…’ Ça faisait trop de particularités. »

Radio Metal : Selon un communiqué de presse, votre tournée européenne a été reportée parce que vous aviez encore besoin de temps pour terminer l’album et vous préparer pour les concerts. Est-ce que cet album était plus difficile à réaliser que ce à quoi vous vous attendiez ?

Eicca Toppinen (violoncelle) : Oui, c’est ça. Le truc c’est que, lorsque nous avons commencé à travailler ensemble après notre pause d’un an – ok, nous avons quand même sorti le Wagner Reloaded… -, nous devions bloquer plusieurs choses dans nos agendas, comme la croisière [7000 Tons Of Metal], nous devions recaler nos dates en Europe parce que c’était compliqué d’avoir les bonnes salles aux bonnes dates, nous devions bloquer le festival en Australie… Tout semblait indiquer que l’album sortirait en janvier. Au départ je pensais que nous pourrions être en studio déjà d’ici l’été. Mais nous avons dû faire beaucoup de promotion autour de la sortie du Wagner Reloaded, des émissions TV notamment, et nous avons perdu un mois sur notre période de composition. Ensuite nous sommes partis en tournée avec Avanti et nous avons à nouveau perdu deux mois sur notre temps de composition. Nous savions très clairement ce que nous voulions faire et nous savions que nous avions des chansons fantastiques, mais le producteur que nous voulions n’était pas disponible pendant les moments où nous n’avions rien d’autre de prévu. Lorsque nous avons été faire la pré-production en août avec le producteur, nous savions qu’il ne serait pas disponible en septembre et qu’on ne pourrait commencer qu’en octobre, c’est à ce moment là que nous nous sommes rendus compte que l’album ne sortirait pas à temps. Et nous avons fini l’album il y a à peine deux semaines. Ca n’aurait fait aucun sens de commencer une tournée en tête d’affiche alors que l’album n’était pas encore sorti. En plus, de nos jours, tu as besoin de plus de temps pour vendre les billets. Et maintenant, nous avons aussi la tournée avec Nikki Sixx, mais c’est totalement différent de nos grosses tournées puisque nous n’avons pas besoin de vendre les places. C’est eux qui les vendent donc ça n’est pas la même chose. Donc la grosse production se déroulera en octobre, même si on aura quelques concerts avant ça. C’est dommage mais nous n’avions pas d’autre option.

Mais en ce qui concerne l’enregistrement, cet enregistrement qui a duré six semaines à Nashville a été le plus facile pour moi. Il fallait beaucoup travailler, les journées étaient longues, vingt heures par jour, six jours par semaine. Mais c’était facile parce que nous savions ce que nous voulions faire et ce que nous faisions. Avec les précédents albums il y avait beaucoup d’éléments incertains, « Est-ce qu’on va vraiment sortir cette chanson ? », « Ce passage tombe-t-il au bon moment ? », nous ne savions donc pas exactement quel genre d’album nous étions en train de faire. Cette fois c’était différent. Et le mixage a ensuite pris deux mois parce que Greg Fidelman était notre premier choix mais il n’était pas disponible. Donc nous avons essayé quelque chose d’autre, mais ça n’a pas fonctionné. Et ensuite, nous avons appris que Greg Fidelman avait une annulation et qu’il était disponible, donc nous lui avons envoyé les pistes et il a passé deux mois sur le mixage, ce qui représente plus de temps que ce qu’on a passé sur les enregistrements, ce qui est dément ! Nous devions repousser la sortie de l’album encore de deux semaines. Ca avait déjà été retardé de janvier à début avril… Et ensuite nous nous sommes dits que nous ne voulions pas faire de concessions, nous ne pouvions pas faire un album qui soit « pas super ». Nous avons de super chansons, nous les avons enregistrées avec la meilleure qualité possible, tout existait là, pourquoi gâcher tout ça en se précipitant ? Je pense que les fans seront contents de le découvrir, notamment en live lorsque nous viendrons en tournée en octobre, enfin je l’espère.

Après avoir invité beaucoup de chanteurs sur vos albums précédents, c’est votre premier album avec un seul et même chanteur, Franky Perez, qui chante sur toutes les chansons – excepté les instrumentales, bien sûr. C’est probablement ce qui manquait à Apocalyptica pour qu’on puisse vous appeler « un groupe » ou, tout du moins, pour que ce soit un format de groupe que les gens puissent comprendre. Est-ce que c’était votre objectif lorsque vous avez intégré un chanteur pour cet album, de pouvoir travailler comme un groupe au complet et être considéré comme tel ?

Ouais, en fait, beaucoup de raisons nous ont poussées à trouver un chanteur pour cet album. Pour beaucoup de gens, la tournée et l’album étaient déconnectés parce que tu as des invités sur l’album et ensuite quelqu’un que personne ne connaît qui chante pendant la tournée. Il faut avoir en tête qu’il y a deux mondes : les pistes vocales et les pistes instrumentales. Ça sautait d’un univers à un autre à cause des différents chanteurs, et parce que les lignes de chants étaient très différentes des parties instrumentales. Et aussi parce que c’était une vraie galère de faire ces albums collaboratifs, il y avait trop de maisons de disque impliquées derrière les chanteurs invités. Les chanteurs ne posaient jamais de problème, mais leurs maisons de disque commençaient à dire : « Vous ne pouvez pas sortir ce single ! » Alors que nous avions tout planifié par rapport à la sortie de ce single ; nous avions planifié une tournée pour accompagner la sortie du single… Je commençais à détester ça ! C’était mon ressenti personnel, je ne pouvais pas faire un album de plus dans ces conditions. Donc notre solution a été de trouver un chanteur pour l’album qui puisse partir en tournée avec nous. Et nous avons été contents de trouver Franky.

Apocalyptica - Shadowmaker

« Nous avons essayé d’être beaucoup plus orientés violoncelle déjà avec l’album précédent, mais quelque chose s’est passé et a foiré, et ça s’est trop rapproché d’un son de guitare. »

En fait, c’est une question intéressante parce que c’est exactement ce que nous ont dit les gens dans l’industrie, comme les maisons de disque. Et maintenant ils disent : « Ok, maintenant nous savons comment promouvoir le groupe ! » Donc même les professionnels ne savaient pas comment expliquer aux gens ce qu’était Apocalyptica : « Alors, c’est un groupe instrumental mais il y a aussi des chansons chantées… Il y a plusieurs personnes, ils jouent du violoncelle, et ils jouent du metal… » Ça faisait trop de particularités. Nous voulions vraiment faire un « album de groupe » cette fois. Après dix ans de collaboration en continue, après la tournée du Wagner Reloaded avec un orchestre, c’est ce que nous voulions faire. Je pense que c’est le premier album que nous avons vraiment composé en tant que groupe depuis Cult. Avec du recul, je trouve que Cult et Shadowmaker sont très proches. Avec Cult, nous étions en conflit avec notre maison de disque parce qu’ils voulaient nous obliger à faire encore un album de reprises et nous ne voulions absolument pas faire ça, et nous avons eu l’opportunité de nous débarrasser de leur contrat. Nous sommes entrés en studio et ils nous appelaient, nous envoyaient des lettres disant qu’ils allaient nous poursuivre en justice [petits rires]. Et nous leur disions : « Ah non, nous savons exactement quel genre d’album nous voulons faire et nous allons le faire ! » Tous les quatre, nous avions une vision très claire de ce que nous voulions faire. Et maintenant, avec Franky, ça faisait cinq, et après avoir répété encore et encore, nous avons engagé un producteur. Et là tu avais six gars enfermés dans un studio dans la campagne de Nashville, dans le Tennessee, et personne ne nous a dit une seule fois ce que nous devions faire. Nous nous mettions la pression pour arriver à faire l’album que nous voulions faire et je pense que nous y sommes parvenus. Je me sens bien vis-à-vis de cela parce que je suis certain que les personnes qui ne pouvaient nous considérer comme un vrai groupe le feront à présent.

C’était peut être aussi un moyen d’intéresser les gens à votre album en tant que tel, et pas pour les artistes qui chantent dessus ?

Ouais, et j’ai l’impression qu’Apocalyptica est de plus en plus reconnu [grâce à ça]. Les gens connaissent Apocalyptica parce qu’ils connaissent Corey Taylor ou parce qu’ils sont fan de Rammstein ou autre. Mais nous n’avons pas forcément besoin de ça pour que les gens s’intéressent au groupe. Et j’espère que, maintenant que nous sommes un vrai groupe, avec cette pièce manquante nous pourrons compléter le puzzle.

Vous avez eu différents chanteurs sur vos tournées précédentes. Avez-vous envisagé de demander à l’un d’entre eux de rejoindre le groupe pour cet album au lieu de faire des auditions ?

Non, aucun des chanteurs de tournées que nous avons eus… Ils étaient supers en live mais… Par exemple, Tipe [Johnson] était un super chanteur, il a été avec nous pendant cinq ans je crois, mais il a un style plutôt old school et nous voulions être modernes. Nous avons des influences venant du rock des années 1970 et tout, mais nous avons besoin d’une grande variété de sonorités et c’était un vrai défi de trouver un chanteur qui puisse chanter dans des styles différents. Et Tipe, en l’occurrence, est un très bon chanteur rock. S’il chante du AC/DC ou lorsqu’il peut chanter fort, il est fantastique mais c’est un peu différent de chanter sur un de nos albums.

Concernant Franky, c’est fou à quel point sur certains titres il peut littéralement être James Hetfield et sur d’autres chansons son chant peut ressembler à du Coldplay, par exemple…

Ouais Coldplay et ensuite System Of A Down, et tout d’un coup il se met à [il hurle] crier… Son chant est très varié. Et je pense que ça vient en partie du fait que c’est un autodidacte et qu’il chante sur scène depuis plus de vingt ans. Il a eu un groupe de metal mais il est aussi passé par le funk et plein d’autres choses. Nous avons beaucoup de chance de l’avoir trouvé, il est bien meilleur que ce que nous pensions pouvoir trouver.

Qu’est-ce que le fait d’avoir votre propre chanteur a changé dans la réalisation de cet album et au niveau du résultat final ? Comment avez-vous travaillé avec Franky ?

C’était un monde totalement nouveau pour nous. Pour la toute première fois, nous avions un chanteur avec nous en salle de répétition, pendant que nous arrangions encore les chansons et travaillions sur la pré-production. Nous avons passé au moins trois semaines avec Franky en salle de répétition et en studio pour la pré-production. La plupart des chansons avaient déjà été composées avant que nous l’ayons trouvé et nous avions déjà écrit une grande partie des paroles mais il a quand même écrit quelques textes pour cet album et en a affiné quelques-uns parmi ceux qui avaient déjà été écrits. Il a aussi eu des idées pour les arrangements musicaux, mais la plus grosse différence c’était que, lorsque nous étions tous face à face dans cette pièce, nous pouvions ressentir l’aspect live des chansons et le fait d’avoir Franky avec nous a beaucoup influencé notre manière de jouer et le genre de chose que nous jouions. Ça a modifié nos arrangements. Avant, nous enregistrions toujours les chansons et la partie de chant s’ajoutait ensuite à cela, et parfois nous faisions quelques petites retouches par la suite. Là nous avons pu essayer différents tempos, changer la structure des chansons, etc. C’était vraiment plaisant. Et je pense que ça s’entend dans l’album. La voix de Franky s’intègre comme un instrument à part entière au milieu du reste qui l’entoure. Ça a fait une grande différence.

Apocalyptica 2015

« Tu sais, même si j’ai fait le Wagner Reloaded, je ne suis pas un grand fan de l’œuvre de Wagner. »

Tu as dit qu’il était trop tôt pour envisager de garder Franky de manière permanente. Est-ce que vous voulez voir si l’alchimie entre vous est bonne en tournée avant de prendre des décisions sur votre futur ?

Disons les choses ainsi : nous ne sommes pas habitués à faire des plans sur le long terme. Nous n’avons aucune idée de ce à quoi ressemblera notre prochain album. Nous ne voulons pas nous cantonner à un seul concept, mais à la façon dont je vois les choses, il est possible que nous fassions notre prochain album à nouveau avec Franky. Ça dépend de comment se passe la tournée, mais jusqu’ici, il s’intègre super bien dans le groupe. J’ai hâte de voir comment ça ferra évoluer le groupe, une fois que nous aurons fait plein de concerts ensemble, comment ça va avancer et quelle inspiration ça va donner au groupe. C’est possible qu’il reste, mais c’est pour ça qu’il n’est pas un membre permanent. Il a fallu peut-être cinq ans avant que Mikko rejoigne le groupe, parce que nous ne savions pas, lorsque nous avons rajouté de la batterie, si ça allait être quelque chose de permanent, si nous allions toujours inclure de la batterie. Nous voulions avoir la possibilité de retourner au stade de « groupe sans batteur » si nous le souhaitions. C’est la même chose avec Franky, mais je le vois davantage comme un chanteur permanent. C’est mon ressenti. Mon instinct me dit que nous allons certainement travailler sur le prochain album assez rapidement. Nous serons en tournée pendant presque deux ans mais j’espère que nous composerons de nouvelles musiques sur la route et entrerons en studio ensuite. Maintenant qu’il est avec nous, c’est palpitant de penser à ce qui pourrait arriver dans le futur s’il reste. Je veux dire qu’alors, lorsque nous écrirons les chansons, nous le connaîtrons. Je trouve que c’est un super album mais je vois déjà que nous pouvons en faire un autre qui serait encore un cran au-dessus [petits rires].

Vous avez un batteur et un chanteur permanent. Est-ce que tu te verrais dire à Franky et/ou Mikko « Les gars, nous n’aurons pas besoin de vous sur l’album qui va venir, mais vous reviendrez pour ceux d’après » ? Est-ce que tu te verrais faire un album sans batteur ou chanteur ? Est-ce une possibilité ?

Tout est possible mais je pense que ce serait quelque chose de plus conceptuel. Wagner Reloaded est un album entièrement instrumental. C’est notre premier album instrumental depuis Reflection, mais c’était conceptuel. C’est possible, mais je ne me sens pas l’envie de faire ça pour le moment, je n’ai pas spécialement envie de composer de la musique qui ne serrait jouée que par trois violoncelles. Peut-être une chanson ou deux, mais pas un album entier. Ça pourrait se produire, par exemple, si je composais des morceaux pour un film. Mais pour Apocalyptica, la manière naturelle dont les chansons ressortent, c’est avec d’un côté une partie instrumentale et de l’autre du chant et de la batterie. Il y a de la batterie sur chacun des titres de cet album. Nous en avons discuté lorsque nous enregistrions : nous n’avons pas le genre de morceau très orienté musique classique sur l’album, et nous nous sommes dit « pourquoi devrions-nous avoir ça ? » Pourquoi devrions-nous mettre ça en avant ? Ok, nous pourrions jouer du classique, et les gens se plaindraient : « Oh, mais ça n’est que du violoncelle ! Si je veux écouter du violoncelle classique, j’achète un album de violoncelle classique ! » Nous n’avons pas besoin de faire ça, nous ne jouons pas du violoncelle pour seulement enregistrer des albums de classique. Pourquoi le devrions-nous ? Nous pouvons faire quelque chose de différent ! Dans le même esprit, quand tu fais un album tu ne peux pas te demander jusqu’ à quel point ça va plaire aux fans. Tu ne peux pas, tout simplement parce que tu ne peux pas plaire à tout le monde et ça te fait perdre ton objectif de vue. Tu peux uniquement faire des albums que tu aimes toi-même, parce qu’alors des gens seront plus susceptibles de les apprécier. Je sais qu’il y a une armée de gens qui hurlent sur internet à chaque fois qu’ils entendent que notre son est trop distordu ou qu’il y a trop de batterie ou de chant. Je m’y suis habitué après dix ans [petits rires]. A chaque fois qu’un groupe opère un changement, il y a toujours des fans qui détestent ça. Certains fans pensent toujours que les premières démos du groupe sont les meilleures et que c’était authentique, et qu’après ça c’est devenu « trop commercial » [rires].

Vous avez sorti en 2013 Wagner Reloaded Live In Leipzig, un album capté live pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Richard Wagner. Est-ce que cette expérience a eu une quelconque influence sur ce nouvel album ?

Enormément ! C’était un projet vraiment stimulant. C’était beaucoup de travail, surtout pour moi puisque j’ai écrit toute la musique – seul. C’était amusant, faire une pause et faire ce projet autour de Wagner, ça m’a permis d’écrire des chansons qu’autrement je n’aurais pas écrit pour un album d’Apocalyptica, parce que la musique a été composée pour servir un décor, une danse et une histoire, c’était donc une approche différente. C’était vraiment très différent des concerts et albums d’Apocalyptica habituels. Je pense qu’on apprend à travers tout ce qu’on fait, surtout si c’est quelque chose qui nous oblige à nous surpasser. Si c’est quelque chose qui paraît presque impossible au début, que tu travailles dur et que tu finis par y arriver… Il n’y a pas d’autre manière d’apprendre.

On entend souvent que si Wagner était encore en vie aujourd’hui il jouerait certainement dans un groupe de metal. Es-tu d’accord avec ça ?

A vrai dire, je ne suis pas d’accord. Je pense que Wagner est beaucoup plus bigarré, beaucoup plus porté sur les paysages. Sa musique est en fait assez compliquée à comprendre parfois. Les gens connaissent les ouvertures célèbres qui ressemblent un peu à du metal. Bien sûr qu’il y a cette atmosphère et je comprends cette comparaison. Mais je ne pense pas que ce serait le cas, Wagner était un intellectuel de son époque. C’était un rebelle, mais il était aussi un intellectuel. Ses visions étaient grandiloquentes, effectivement comme certains groupes de metal, comme Manowar : ils veulent être les plus puissants, les plus grands. Etre plus puissant et plus grand que n’importe qui. Donc, en ces termes, oui. Ca peu paraître être une approche naïve et gamine. Je ne sais pas. Tu sais, même si j’ai fait le Wagner Reloaded, je ne suis pas un grand fan de l’œuvre de Wagner. Je trouve ça super, mais ça n’est pas ce que je préfère en musique. Les gens le croient parce que j’ai fait ce projet sur Wagner. En ce moment je compose un opéra avec Perttu, et je ne suis pas un grand fan d’opéra. Mais on m’a demandé de le faire, alors je me suis dit : « Ok, c’est super. » Mais je ne comprends pas cette musique. Enfin, si je la comprends, mais ça n’est pas mon genre musical de prédilection. Pour autant, ça ne veut pas dire que je ne pourrais pas composer un opéra [petits rires].

Apocalyptica 2015

« La chose la plus importante c’est que la musique passe en premier, pas l’instrument. »

Avec votre album précédent, 7th Symphony, le son de vos violoncelles s’est rapproché au plus près du son d’une guitare électrique. Mais sur ce nouvel album, on a l’impression que vous vouliez davantage utiliser cet instrument pour ce qu’il est, sans essayer de lui donner un son de guitare, même lorsque vous utilisez de la distorsion. Est-ce que vous pensiez être allé trop loin dans votre album précédent, en imitant des riffs de guitare ?

Je suis super content d’entendre que tu as entendu ça ! [Rires] Peut-être qu’à l’époque de Reflection nous nous sommes trop penchés vers la distorsion. Nous étions tellement enthousiastes à l’idée d’utiliser la distorsion que nous en avons peut-être abusée. Nous avons essayé d’être beaucoup plus orientés violoncelle déjà avec l’album précédent, mais quelque chose s’est passé et a foiré, et ça s’est trop rapproché d’un son de guitare. C’est pour ça que nous étions très précis avec le son et nous devons un grand merci à Greg Fidelman qui a mixé cet album, parce que le mix qu’il nous a fait est génial. Le truc c’est qu’à chaque fois que tu utilises des micros acoustiques sur un violoncelle, sans amplification, ça sonne comme un violoncelle mais ça n’est pas assez punchy. Si tu as des riffs bien nerveux, ça doit être nerveux, ça doit déboiter. Greg a réussi à équilibrer tout ça de manière à ce que ça ressemble vraiment à du violoncelle. Evidemment, quand les gens écouteront ces chansons, ils penseront peut-être que ça ressemble à de la guitare, mais si tu leur dis que c’est du violoncelle et d’écouter à nouveau attentivement, tout le monde entendra la différence. C’était vraiment important. Je pense qu’il y a plus de sonorités de violoncelle dans cet album que dans tout ce que nous avons fait depuis des lustres. Même sur les chansons les plus dures, c’est évident que c’est du violoncelle, tu peux entendre l’archet et c’est totalement différent d’une guitare. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point pour obtenir ce résultat.

Vous avez travaillé avec un producteur de renom, Nick Raskulinecz. Quelle a été sa contribution sur Shadowmaker, et qu’a-t-il apporté au son de cet album ?

Il nous a beaucoup apporté et je trouve qu’il est super en matière d’enregistrement, il s’y connaît sur le bout des doigts puisqu’il a toute sa vie été ingénieur. Le plus marquant, c’était lorsque nous étions en phase de pré-production. Nous étions tous dans la même pièce avec nos casques sur la tête, à vérifier que tout le monde puisse bien tout entendre. C’est un genre de chef d’orchestre fou et il avait parfaitement compris ce que nous voulions faire sur cet album et il nous poussait vraiment dans cette direction. Dès la pré-production, nous avions créé le slogan « Soyez Courageux ». C’était notre slogan pour tout l’enregistrement ; ça veut dire essayer d’éviter ce chemin balisé et ennuyeux, essayer de passer à travers la forêt ou dans les montagnes ou peu importe. Et il nous a beaucoup aidés à modifier nos arrangements. Par exemple, la chanson « Till Death Do Us Part », le morceau instrumental, était censé être une chanson de trois minutes et en pré-production elle a fini par durer six minutes trente. Il nous disait : « J’adore cette mélodie, rejouez-la ! Ne vous pressez pas pour aller au passage suivant, prenez votre temps ! » Et d’autres choses du genre. Il était très doué pour nous motiver à essayer des choses différentes. J’avais l’impression que nous six, réunis dans une même pièce, nous étions comme des gosses qui jouent dans un bac à sable à une pièce de théâtre, sans que personne ne dirige, sans que personne ne dise aux autres : « C’est comme ça qu’on fait. » C’était comme si nous avions créé la pièce de théâtre ensemble. C’était l’ambiance qui régnait, c’était inspirant et il était toujours très enthousiaste à propos de tout.

Et lorsque nous avons commencé à enregistrer, il nous disait que tout dépendait de la manière dont nous interprétions le morceau : « Ne stressez pas », « Faites le correctement », « Soyez accordés et en place. » S’il y a une petite erreur, ce n’est pas grave, ça peut se rattraper, mais on ne peut pas recréer la manière dont le morceau est joué. Il ne faisait que des longues prises. J’ai dû rejouer toutes mes pistes un putain de millier de fois. Même si elles étaient super, il voulait mieux. A chaque fois c’était de longues prises, du début à la fin, alors qu’avant c’était toujours découpé en tout petits bouts pour que ce soit plus précis, plutôt que de laisser les parties couler. Et nous avons fait des genres de cartographie des tempos des chansons, en nous appuyant sur notre jeu en live. « Shadowmaker » en est un bon exemple, car elle possède différents tempos et beaucoup de parties différentes. Donc tout le groupe a joué quelques prises en live dans le studio, du début jusqu’à la fin, puis nous avons écouté et il disait : « Ok, ça sonne bien. » Et on s’appuyait sur ça pour faire une cartographie de nos tempos. Ce n’était donc pas métrique. Il avait la volonté de tenter des choses avec nous. Nous avons tout enregistré en acoustique et ensuite nous avons tout ré-amplifié avec des micros, tous les riffs, tout. La plupart du temps il me demandait de jouer les morceaux, du coup j’avais une grosse pile de pédales et plusieurs amplis différents, et ensemble nous décidions des amplis à utiliser. J’étais toujours libre de faire ce que je voulais et il me disait : « Je serais curieux de voir comment tu fais ça ! » Donc je le faisais et il donnait son avis : « Ok, j’aime bien ça, mais je n’aime pas ça… » Et à vrai dire, c’était plutôt plaisant.

Apocalyptica 2015

« Souvent, lorsque tu te rates, ça te donne aussi de super idées. C’est pour ça qu’il ne faut pas avoir peur [de faire des erreurs]. Et ça vaut pour tout dans la vie. »

Comment décrirais-tu la manière dont a évolué ta façon de jouer au sein d’Apocalyptica ? Qu’avez-vous appris au cours de toutes ces années, en tant que violoncellistes jouant du rock et du metal ?

Je ne sais pas qui a appris quoi mais pour ma part, la chose la plus importante c’est que la musique passe en premier, pas l’instrument. Et jouer de la musique c’est différent d’avoir peur de faire des erreurs. Je joue avec cet état d’esprit et je m’investis à fond dedans, j’essaie d’être rigoureux lorsque je joue mais je m’en fous si je me loupe. Ça crée une sorte de fluidité. Et aussi tout n’est pas toujours si sérieux. J’ai beaucoup appris à jouer en rythme. Je pense que de tous les violoncellistes dans le monde, je pourrais bien être celui qui joue le plus en rythme parce que c’est ce que j’aime, j’aime écouter Mikko jouer de la batterie, écouter son groove, et j’aime essayer de plaquer tout ce que je joue exactement sur son groove. Et c’est une chose à laquelle les violoncellistes classiques ne pensent même pas [rires]. Je joue aussi de la batterie. Pour moi, c’est tout une question d’être dans le temps. C’est pour ça que je suis le violoncelle qui joue les riffs. Perttu est le gars qui fait les leads et il adore jouer dans les aigus et être la star. Je suis plutôt le travailleur acharné ; j’adore travailler dur [rires]. C’est l’attitude globale que j’adopte avec la musique. Lorsque tu travailles dur en studio, bien sûr que c’est sérieux, tu veux être le meilleur, mais souvent, lorsque tu te rates, ça te donne aussi de super idées. C’est pour ça qu’il ne faut pas avoir peur. Et ça vaut pour tout dans la vie. Et j’ai appris dans ce groupe que je n’avais pas honte d’essayer.

C’est comme pour Wagner Reloaded, je ne pense pas que grand monde aurait accepté ce boulot. Wagner fait peur, tout le processus était trop imposant, et je n’avais pas d’expérience dans la composition pour orchestre. Ça paraissait être une mission impossible, et j’adore ça ! J’ai aussi fait une bande son de film une fois, parce que je n’en avais jamais fait. C’était pour un des plus gros films finlandais et j’ai gagné un Oscar finlandais pour la musique, donc j’ai réussi mon pari. Mais lorsque j’ai commencé, je ne savais pas du tout si j’étais capable ou non de composer une musique pour un film. Et lorsque nous avons fait cette symphonie apocalyptique avec un orchestre, nous n’avions même pas de chef d’orchestre. Je ne savais pas du tout si j’allais pouvoir faire jouer ensemble un orchestre sans chef d’orchestre. Mais ça a marché. J’adore les défis fous. Hier soir j’ai envoyé un email à l’ancienne présidente de Finlande pour lui demander s’il elle aimerait faire un commentaire dans notre documentaire sur Apocalyptica. Presque personne ne ferrait ça. Je lui ai laissé un email et j’ai eu une réponse en une demi-heure ! [Petits rires] C’était incroyable ! Je l’avais envoyé à une adresse mail que j’avais trouvé sur internet, je croyais que c’était une adresse de bureau ou celui de sa secrétaire, et la présidente a répondu en une demi heure : « Ouais, ça me va, mais est-ce qu’on pourrait le faire ici ? » Si tu essaies et que tu échoues, ça n’est pas grave, tu auras toujours une autre chance !

Interview réalisée en face à face le 4 février 2015 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription et traduction : Mariane Monin.
Introduction : Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt & Phillipe Sliwa.
Photos promo : Ralf Strathmann (1, 3, 4 & 5) & Ville Juurikkalla (2).

Site officiel d’Apocalyptica : www.apocalyptica.com.



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