Avant la pandémie, Arch Enemy était littéralement partout. Le groupe s’imposait durablement comme l’un des piliers de la scène profitant d’un succès croissant, particulièrement depuis 2014 et l’arrivée d’Alissa White-Gluz. War Eternal (2014) et Will To Power (2017) ont déjoué les craintes des membres du groupe depuis le départ d’Angela Gossow, Arch Enemy n’a pas eu besoin de se reconstruire du tout. Il a au contraire progressé à une vitesse hallucinante. La pandémie a interrompu son rythme effréné de tournées, l’occasion pour le groupe de se remettre à composer. Si Michael Amott et Daniel Erlandsson ont réussi à se réunir en raison de restrictions moins sévères en Suède, retrouver Alissa et le guitariste Jeff Loomis s’est avéré plus complexe. Peu importe, Arch Enemy a conscience qu’il doit désormais honorer son statut. Deceivers a été conçu dans ce sens : permettre au groupe de continuer de jouer les têtes d’affiche, avec la philosophie qui convient.
L’objectif affiché de Michael Amott était d’exprimer le lien indéfectible qu’il entretient avec le heavy metal à l’ancienne. En ce sens, Arch Enemy est une sorte de « réactualisation » de cette musique et Deceivers ne fait pas exception. Le groupe a profité de l’assistance de Jacob Hansen à la production (Amaranthe, Delain, Volbeat), réputé pour faire sonner les grosses cylindrées. L’ouverture « Handshake With Hell » a une seule vocation : convaincre immédiatement l’auditeur. Des leads en tapping accompagnés de gros accords sert de pseudo-introduction avant de déboucher sur des guitares enlevées au son gonflé comme jamais. Alissa prouve à nouveau son aisance pour le growl et la fluidité avec laquelle elle embraye sur des plages claires taillées pour fédérer. « Handshake With Hell » présente de manière synthétique et explicite les mécaniques d’Arch Enemy aujourd’hui : quelques ingrédients de heavy traditionnels, une production contemporaine et un growl aussi puissant que maîtrisé. A ce propos, le combo dévoile d’emblée ce qui constitue peut-être la plus grosse – et la seule – « surprise » de l’album : si Alissa avait très timidement fait usage de son chant clair sur les deux précédents opus, sur ce titre elle ne se fait pas prier, développant une dynamique du « clair-obscur » bien connue de la scène death mélodique moderne. Arch Enemy se permet en outre un pont atmosphérique, histoire de construire l’anticipation avant l’effervescence finale faite de soli sortis tout droit de la NWOBHM. « Deceiver, Deceiver » délaisse un riffing plus classique pour des articulations plus agressives où le palm-mute emprunte légèrement au punk et au hardcore. « Deceiver, Deceiver » contient certains des passages les plus violents de la discographie du groupe et permet de rassurer quant à la dynamique de l’opus : Arch Enemy n’applique pas toujours sempiternellement les mêmes codes, tout en restant extrêmement accessible.
C’est justement ce qui va (ré)alimenter les débats autour de Deceiver, d’Arch Enemy et la musique metal à succès en général. Deceiver manifeste sa volonté d’être le plus direct possible. Arch Enemy a toujours le live en tête, à l’instar du riff binaire d’« In The Eye Of The Storm » (aux échos de heavy traditionnel à la Judas Priest) et de ses soli « onctueux ». « The Watcher » se paie le luxe de présenter un refrain qui a quelques airs de folk-metal, presque dansant. Arch Enemy prend toujours soin de faire émerger des mélodies phares dans chaque composition, peu importe les prouesses instrumentales environnantes. Le développement alambiqué de « Sunset Over The Empire » s’efface devant ses chœurs hérités d’Accept que le public devrait reprendre avec ferveur. Même lorsque Arch Enemy puise ponctuellement dans le lexique death/black avec « Spreading Black Wings », il parvient à le rendre accueillant, non sans une grandiloquence certaine. L’appréhension de Deceivers vient de notre capacité à adhérer à ce qui peut être considéré comme un « metal générique ». Quoi qu’il en soit, si le songwriting de Michael Amott ne brille pas par son audace, sa fluidité et son efficacité sur Deceivers sont exemplaires. Reste à accepter l’extrême homogénéité des compositions de la seconde moitié de l’opus, si ce n’est un « One Last Time » (précédé de l’intro anecdotique « Mourning Star ») très mélodique qui profite de respirations où l’on entend Alissa murmurer.
Deceivers entérine le statut d’Arch Enemy aujourd’hui : c’est un produit qui a conscience de sa grande attraction et qui donne de quoi satisfaire le plus grand nombre. Alissa est brillante, les musiciens talentueux à défaut d’être audacieux. Arch Enemy n’a pas vraiment cette fonction : Deceivers est une autoroute qui devrait sans peine perpétuer le succès de son auteur. Deceivers est une suite logique pour l’orientation musicale d’Arch Enemy : un heavy contemporain fédérateur aussi agréable que dénué de coups d’éclat. Encore une fois, ce n’est pas le dessein du groupe.
Clip vidéo de la chanson « Sunset Over The Empire » :
Clip vidéo de la chanson « Handshake With Hell » :
Clip vidéo de la chanson « House Of Mirrors » :
Clip vidéo de la nouvelle chanson « Deceiver, Deceiver » :
Album Deceivers, sortie le 12 août 2022 via Century Media Records. Disponible à l’achat ici