Au petit jeu des live streaming, Architects était obligé de se manifester. L’enjeu est de taille pour le groupe, devenu l’année dernière l’une des têtes d’affiche les plus importantes. Architects se transformait petit à petit en machine de guerre, à la production chirurgicale et aux effets de lumière grandeur nature. Comme s’il assumait pleinement son statut de relève de la vieille garde.
Dès lors, la pandémie risquait de freiner un essor fulgurant. Architects a besoin de la scène pour accroître son statut. Il a la nécessité de maintenir ce lien avec le public. C’est justement l’objectif de ce Live At Royal Albert Hall, à quelques mois de la sortie de son nouvel album For Those That Wish To Exist. Architects veut donner vie à cette salle prestigieuse vide et proposer une expérience ambitieuse, quitte à redoubler d’efforts pour affirmer qu’il est l’une des figures imposantes de l’avenir.
La véritable star du concert, c’est le Royal Albert Hall. La salle vide possède toujours une aura majestueuse sur laquelle s’appuie la réalisation. Architects utilise cette atmosphère étrange pour souligner élégamment l’absence du public, qui aurait dû remplir les sièges. On suit de près Sam Carter qui nous emmène des coulisses au centre de la scène en contemplant avec lui l’immensité du lieu désert. Dès que son frontman trouve sa place au centre de la salle, Architects ouvre les débats via « Nihilist ». Le groupe se trouve sur une scène au fond, la salle est mitraillée de jeux de lumière et Sam occupe le centre, coupé du groupe. Architects ne surprend aucunement par la qualité sonore immédiate de son live. Il s’attache à l’exécution parfaite de ses versions studio et s’y tient, que ce soit lors de « Modern Misery », « Death Is Not Defeat » ou « Royal Beggars ». Des lumières impressionnantes, un son gigantesque, une réalisation millimétrée… Et du vide. La prestation d’Architects est une masterclass technique (Sam Carter n’accuse presque aucun faux pas), pourtant il y a une forme d’inertie, quelque chose qui ne décolle pas. Il faut attendre quelques inédits pour trouver un Architects moins automatique, à l’instar de « Discourse Is Dead », d’« Animals » qui s’inspire de l’évolution musicale de Bring Me The Horizon ou du plus audacieux « Dead Butterflies » et ses incrustations de cuivres. Ces trois morceaux, issus du prochain album, illustrent la volonté d’Architects de se détacher des poncifs du « djent » et du metalcore pour embrasser des mélodies plus pop. Une évolution logique et réussie, pour peu que le groupe parvienne à conserver l’agressivité qui a fait sa renommée.
Architects a essayé quelques artifices de mise en scène pour insuffler une âme à son concert : le groupe se réunit au centre de la scène en adoptant une disposition plus intimiste et joue « Memento Mori » en acoustique et au clavier. « A Wasted Hymn » suit la même disposition. Cette recherche de solennité n’occulte pas ce sentiment « industriel » qui gouverne le concert. Architects reprend très vite sa posture initiale et continue d’enchaîner les morceaux les plus récents en terminant par le classique « Doomsday ». Sam Carter se sera très peu adressé au public (un choix qui se justifie). Il se contente de remercier et d’annoncer un nouvel album pour février. Job done, See you next time. C’est là que le bât blesse. Contrairement à un Behemoth qui a joué des codes du streaming vidéo pour proposer une expérience unique, Architects a déroulé une exécution studio dans un cadre qui souffre trop de l’absence d’audience réelle et prend l’allure d’un clip version longue. Pire, il pourrait être taxé de surjeu voire de sensiblerie. Quand il n’y a personne pour profiter des artifices et leur donner du sens, on s’aperçoit de leur nature véritable et limitée. Ils restent des artifices. Architects prouve un point : le talent et les moyens ne suffisent pas toujours.
Il ne faut pas s’y méprendre, les musiciens sont monstrueux et les compositions restent l’œuvre d’un groupe qui mérite son statut aujourd’hui. Reste que la conception et la direction de ce Live At Royal Albert Hall mettent en exergue le fossé qui sépare l’expérience live réelle du streaming. Behemoth a montré la voie : il faut s’amuser des codes vidéo, les utiliser pour ne pas soumettre une version appauvrie de l’expérience. Vingt euros pour une heure quinze de clip, cela reste trop cher payé, même dans ce contexte.
Setlist :
Nihilist
Modern Misery
Discourse Is Dead
Broken Cross
Death Is Not Defeat
Royal Beggars
Gone With the Wind
Mortal After All
Gravedigger
Animals
Holy Hell
Dead Butterflies
Memento Mori (acoustique)
A Wasted Hymn (acoustique)
A Match Made in Heaven
Hereafter
Doomsday