Beaucoup voient en Dream Theater les pères du metal progressif tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais quand en 1985 ces derniers se sont formés sous le nom de Majesty, dans le Connecticut, pas très loin de leur Long Island natal, sévissait déjà depuis quelques années Fates Warning, avec un second album sous le coude, The Spectre Within. A la tête de cette jeune formation, deux musiciens : le chanteur John Arch et le guitariste Jim Matheos. Leur collaboration aura été de courte durée : après cinq ans et un Awaken The Gardian (1987) référentiel, John Arch est remercié, laissant place à Ray Alder pour donner le visage du Fates Warning qu’on connaît aujourd’hui et à sa discographie qualitativement impressionnante.
Mais l’histoire de John Arch et Jim Matheos ne s’arrête pas là. Les années passant, les coups de sang de jeunesse ayant laissé place à l’expérience, la sagesse et l’amitié, les deux compères se sont retrouvés en 2003, le temps de l’EP Twist Of Fate, puis un projet commun, sobrement baptisé Arch/Matheos lors d’un premier album, Sympathetic Resonance (2011), et pérennisé aujourd’hui par un second, Winter Ethereal, qui vient de voir le jour. Chanceux sont les fans de Fates Warning, à pouvoir profiter de ce qui s’apparente à deux incarnations parallèles et complémentaires de la même entité…
C’est à cette occasion que nous avons pris le temps d’échanger, longuement, avec John Arch, afin qu’il nous livre la genèse de Winter Ethereal et les secrets de sa relation particulière avec Jim Matheos. Il nous parle également de son approche personnelle du chant et des textes, et revient sur sa propre histoire, y compris sur son audition pour Dream Theater, quelques mois après son départ de Fates Warning, dont il aura finalement décliné l’offre.
« Je n’aime pas particulièrement complexifier les choses mais parfois c’est comme ça que ça finit, et je n’aime pas faire simple juste pour faire simple, car ça m’ennuie. […] Quand j’en arrive au stade où je suis satisfait, le résultat est généralement très compliqué. »
Radio Metal : La dernière fois que nous avons parlé à Jim, en 2016, il nous a dit qu’il n’y avait rien à l’horizon pour le projet Arch/Matheos, car vous étiez tous les deux bien occupés. Au final, quand avez-vous commencé à parler de faire un second album ?
John Arch (chant) : Tout a probablement commencé avec ces concerts que nous avons donnés pour l’anniversaire de l’album Awaken The Guardian. Je suppose que le fait de me jeter à l’eau m’a amené à ressentir que j’avais peut-être un peu plus à offrir, en termes de créativité et d’écriture. Je ne suis pas certain exactement du timing mais Jim était probablement en train de finir Theories Of Flight, ou peu importe où il en était, mais c’était à cette période que Jim venait de faire deux albums d’affilée avec Fates Warning. Ce n’est pas trop dans mes habitudes mais j’ai en fait contacté Jim et, pour la première fois de ma vie, c’est moi qui lui ai demandé, alors que normalement, c’est lui qui vient vers moi pour me demander [rires]. J’ai dit : « Je ne sais pas ce que tu as prévu de faire, mais quand tu auras fini avec le truc en cours avec Fates Warning… » Car je me disais que peut-être il irait faire un autre album d’OSI ou qu’il chercherait à se diversifier et faire autre chose. Donc quand je lui ai posé la question, il a tout de suite été réceptif, disant : « Ouais, j’aimerais carrément faire quelque chose comme ça. » Ayant fait deux albums à la suite avec Fates Warning… Ceci est un autre exutoire créatif pour Jim qui est un petit peu différent du line-up actuel de Fates Warning, donc peut-être qu’à la fois lui et moi avions l’occasion d’être créatifs autrement et de faire d’autres musiques.
Vous avez une façon de travailler très flexible, sans pression, sans deadline. Est-ce important pour vous de ne rien forcer ou planifier avec ce projet, qu’il se construise de façon organique, quand c’est le bon moment, quand vous avez quelque chose à dire ?
J’ai beaucoup de chance d’avoir eu l’opportunité de travailler avec autant de musiciens talentueux et de travailler avec Jim à mon rythme, c’est vraiment une bénédiction. Quand on est dans un groupe à plein temps, voilà comment ça se passe : tu finis l’album et ensuite tu pars en tournée, et là tu tournes autant que tu peux, et ensuite tu retournes au studio. Alors que j’ai la chance d’avoir pu vivre des expériences dans lesquelles puiser, de façon à ce que lorsque le processus créatif se met en branle, j’ai toute une réserve d’où je peux tirer des choses pour m’aider dans le processus créatif. Je trouve que jusqu’à présent ça a bien fonctionné pour moi.
Comment ta relation créative avec Jim fonctionne, concrètement ?
Nous avons travaillé de la même manière, je pense, au fil des années. C’est presque tout le temps pareil. La seule exception est lorsque nous avons fait l’album Twist Of Fate, car j’ai écrit la musique et les paroles, tous les trucs sur ma guitare, et j’ai apporté ça à Jim. Mais la façon dont ça fonctionne habituellement est que, la plupart du temps, nous n’avons pas d’idée préconçue. Bon, Winter Ethereal est un petit peu différent de Sympathetic Resonance, car à l’origine ce dernier avait été prévu pour être un album de Fates Warning, donc j’ai pris le train en marche à mi-chemin dans la conception de cet album. Avec Winter Ethereal, j’avais une page blanche, un tableau vierge, et Jim est vraiment celui qui donne l’impulsion pour la musique, car dès qu’il va dans son lieu de prédilection, son studio au calme, tout seul, c’est là qu’il peut créer des compositions musicales. C‘est son boulot dans Arch/Matheos, et mon boulot est de prendre ce qu’il crée et de l’interpréter, principalement émotionnellement, et plus ou moins intellectuellement, pour écrire les textes. J’écoute la musique sans relâche jusqu’à ce que j’en aie presque marre et qu’une étincelle d’inspiration se produise, et ça peut être d’abord une ligne mélodique ou une idée de parole, l’un ou l’autre. Il n’y a donc pas d’ordre particulier. C’est grosso modo ainsi que nous fonctionnons. Enfin, c’est un processus bien plus long et méticuleux qu’il n’y paraît, mais je dirais juste que Jim crée l’élan et qu’ensuite je sais ce que j’ai à faire, c’est-à-dire essayer d’interpréter ce que Jim essaye de transmettre émotionnellement avec sa musique, et j’essaye de compléter ça du mieux que je peux sans faire trop d’ombre à ce que Jim a composé.
Dirais-tu que ceci est le premier album depuis Awaken The Guardian qu’il a réellement écrit pour toi ?
Ouais. Vu qu’avec Sympathetic Rersonance j’ai pris le train en marche, et qu’ensuite Jim et moi avons commencé à composer… Ce que j’essaye de dire est que lorsque Jim compose pour Fates Warning, je pense qu’il est dans un certain état d’esprit pour le type de musique qu’il apprécie vraiment de jouer et le type de musique qui appellera un certain style de chant. Ceci étant dit, en arrivant à mi-chemin de la conception de Sympathetic Resonance, je pense qu’il a un peu changé son style de composition pour s’adapter à ce qui me stimule vraiment émotionnellement et aux éléments musicaux que j’aime. Mais ouais, avec Winter Ethereal, il est clair que c’était différent des autres parce que c’était prévu dès le départ pour Arch/Matheos. Ceci étant dit, je dirais qu’il a effectivement composé une grande partie de la musique avec moi en tête, donc il y avait des éléments là-dedans que j’appréciais beaucoup, mais cet album sonne un petit peu différent aussi parce que je pense que Jim m’a forcé, de façon positive, à investir d’autres terrains, à sortir de mes sentiers battus et à essayer des trucs différents. Et je crois avoir fait la même chose avec Jim, c’est-à-dire que je l’ai emmené vers des choses où il n’irait normalement pas en composant pour Fates Warning. Je pense que ça a vraiment profité à la musique.
Il y a eu des moments durant le processus d’écriture, cette fois, où Jim m’a un petit peu freiné [petits rires] et dit : « J’ai beaucoup aimé ce que tu as fait sur les démos où c’était bien plus complémentaire avec la chanson, plutôt que de partir sur du chant trop aigu ou de trop chanter. » Evidemment, les textes et les lignes mélodiques partent dans tous les sens [petits rires], mais je pense que nous avons vraiment… Prenons « Tethered », par exemple : c’est quelque chose que je n’avais jamais fait, ce type ou style de chanson, mais en l’écoutant pour la première fois, j’ai vraiment voulu la faire, or nous n’avions presque pas le temps de faire cette chanson. Je suis content que ça ait été possible, parce que je pense qu’elle m’a poussé vers des choses un peu différentes, à chanter de façon un petit peu plus dynamique que ce que je fais normalement. Je ne sais pas si les gens seront d’accord avec ça, ou si toi tu serais d’accord, mais nous avons bien gardé en tête que cette fois nous allions essayer de changer nos habitudes et faire que l’album sonne un petit peu différent.
« Tous ceux qui ont été associés à Fates Warning ou ont joué dans le groupe sont amis. […] Il y a une vraie camaraderie et c’est vraiment sympa quand les choses prennent cette tournure, qu’il n’y a rien de cette animosité ou de ces sottises qu’on voit chez plein de groupes quand il y a une séparation. »
As-tu également des exemples où toi tu as poussé Jim vers des choses qu’il n’aurait pas faites normalement ?
Ouais ! En fait, la chanson « Straight And Narrow », au départ, il n’y avait pas de musique, et j’ai juste eu une idée : j’aimais bien la phrase « straight and narrow » et c’était quelque chose qui m’était personnel parce que le contexte de la chanson est semi-autobiographique. Quand j’étais jeune, j’avais tendance à m’éparpiller parce que j’avais énormément d’énergie et je ne savais pas quoi en faire ; je n’arrivais pas à suivre une direction donnée et je faisais toujours ce que je voulais faire [petits rires]. J’ai donc toujours trouvé que ça ferait une super chanson bien énergique. J’ai présenté l’idée à Jim, j’ai dit : « Ecoute, j’ai ce titre de chanson et j’ai cette idée, » et je lui ai en gros expliqué de quoi parlerait le texte. Il s’est posé et il a dit : « D’accord. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit longue. » J’ai dit : « Non, en fait, ça serait sympa si c’était une chanson plus courte, parce que nous sommes toujours – enfin, pas toujours mais souvent – au-delà des six minutes sur plein de chansons, sept, huit, treize minutes… » Il a donc composé la musique de « Straight And Narrow ». C’était sympa parce qu’il a trouvé une partie au milieu, presque à la Dio/Black Sabbath, et donc il a pu diversifier un peu plus la chanson. Mais voilà un exemple de quelque chose que Jim n’aurait probablement pas fait en temps normal. Il était un peu indécis au début, mais quand il a fini la chanson, il a dit : « Je suis content qu’on ait fait ceci, parce qu’habituellement je ne fais pas ça, mais j’aime beaucoup cette chanson. »
En parlant de longueur de chansons, même si certaines de ces chansons sont assez longues, on dirait quand même qu’il y a eu un certain travail de concision, si on compare aux très longs morceaux que vous avez faits par le passé. Etait-ce un effort conscient de votre part de réduire les longueurs ?
S’il y a bien une chose que je fais, à titre personnel, c’est de rallonger les chansons [petits rires]. Pas que je cherche à le faire mais on dirait que je finis toujours pas avoir plus à dire. En termes de composition, l’un de mes critères est que la chanson, au niveau des paroles, doit avoir du sens, elle doit boucler la boucle, presque comme si on lisait un article ou un paragraphe. C’est donc l’une des choses dont j’ai vraiment besoin, et parfois, dans ces chansons, j’ai besoin de plus d’espace pour finir de dire ce que j’ai envie de dire, pour que la chanson soit complète. Donc, encore une fois, je ne cherche pas expressément à faire ça mais Jim, parfois, quand il définit le tempo… Je vais prendre « Wrath Of The Universe » comme exemple : c’est une chanson assez heavy et Jim a écrit la musique tout seul, sans contribution de ma part, excepté, évidemment, les lignes mélodiques et les paroles. Je pense que Jim sait ce que j’aime et il essaye de me satisfaire du mieux qu’il peut. Notre style d’écriture a toujours été de telle sorte que la musique doit emmener l’auditeur en voyage ; il y a un côté fantastique et ça stimule l’imagination, et avec un peu de chance, les textes, la musique et tout le reste ensemble emmènent l’auditeur dans une jolie petite balade. Parfois ça nécessite qu’il y ait beaucoup de mouvements dans les chansons, et elles deviennent un peu plus théâtrales et un peu plus longues.
Mais je sais pertinemment que c’est ce que j’aime. Je m’ennuie assez vite avec la simplicité. Il y a des fois où la simplicité a bien marché… Comme les Beatles, par exemple, ils ont pu écrire des chansons très simples mais très accrocheuses et c’est très dur à faire ! Dans ma façon de travailler, je n’aime pas particulièrement complexifier les choses mais parfois c’est comme ça que ça finit, et je n’aime pas faire simple juste pour faire simple, car ça m’ennuie. Jim est un compositeur très mature, ça fait longtemps qu’il fait ça, et lui et moi, nous divergeons sur ce qui nous plaît dans la musique. Jim aime davantage la simplicité et moi j’ai tendance à peut-être, parfois, vraiment compliquer les choses. Donc avec Arch/Matheos, nous nous retrouvons quelque part au milieu. J’adore les escapades que nous faisons, comme dans « Wrath Of The Universe » où nous partons dans une section très légère. Ce sont des passages magnifiques et ils rendent les chansons très plaisantes, en tout cas pour moi. Au final, j’ai entendu Jim déclaré qu’il appréciait vraiment cet album et qu’il en était fier. J’espère que les fans ressentiront la même chose, que la rencontre de nos deux esprits, à Jim et moi, donne ce résultat unique.
On dirait que tu n’as jamais travaillé avec un autre partenaire créatif que Jim Matheos. Qu’y a-t-il de si spécial dans votre relation artistique pour qu’au final tu ne travailles à peu près qu’avec lui ?
Pour être honnête, c’est probablement une zone de confort, c’est très confortable. Car j’ai une personnalité de type A et je n’aime pas être balancé dans des situations où les choses sont chaotiques, et malheureusement, dans le monde de la musique, c’est très chaotique. Certains groupes… Je ne vais mentionner personne mais ils vont en studio, ils écrivent en studio, et c’est une situation inconfortable pour moi mais également pour Jim. Nous avons tous les deux le même type d’éthique de travail et nos rouages internes sont très comparables dans notre manière de travailler. Jim aime être dans son coin au calme, car il a besoin de réfléchir et de faire de l’introspection pour trouver la créativité qu’il recherche, et moi c’est pareil : j’ai besoin d’un coin sombre au calme sans distraction, car il semblerait que c’est ainsi que je parviens à saisir quelque chose qui m’enthousiasme. C’est la seule façon de faire pour que la magie opère pour moi, et il semble que travailler avec d’autres gens, ce serait un petit peu plus chaotique. J’ai fait une chanson avec un autre groupe, Dead By Wednesay, par exemple : le guitariste, Joey Concepcion, dont j’apprécie le style à la guitare, avait écrit il y a longtemps une chanson et j’ai chanté dessus pour leur album, et la chanson au final était pas mal. Je crois que je peux travailler avec d’autres gens, que ça serait possible, mais dans ma vie bien remplie, avec mon travail à plein temps et ma collaboration avec Jim, mon emploi du temps est complet [petits rires] et ça ne me laisse pas beaucoup de temps libre. Donc, en ce qui me concerne, c’est un parfait arrangement. J’ai beaucoup de chance de pouvoir travailler avec Jim et tous les autres musiciens très talentueux, et aussi d’avoir une famille chez Metal Blade Records qui a foi en moi et me permet de faire ces albums. Je n’ai jamais eu besoin d’aller voir ailleurs. Je n’ai jamais eu envie de faire ça à plein temps. Je m’implique dans la mesure de ce que me permet mon emploi du temps, et je pense que ça a été du gagnant-gagnant pour Jim, moi et j’espère pour les fans aussi.
« Mes lignes mélodiques sont peu orthodoxes et se contorsionnent beaucoup, et ça correspond grosso modo à la façon dont mon esprit fonctionne. Je sais que c’est effrayant mais pas de problème [rires]. Je suis également bipolaire et parfois mon esprit s’emporte tout seul et se surcharge un peu trop, et peut-être que ça transparaît dans la musique. »
Malgré tout, y a-t-il eu des moments dans le passé où tu as essayé de monter d’autres projets avec d’autres partenaires ? En dehors de la fois où tu as auditionné pour Dream Theater…
C’est probablement la seule fois, je pense, avec Dream Theater, il y a longtemps. Il y a eu un moment après que j’ai quitté Fates Warning où la musique m’a manqué. J’étais déboussolé, je ne savais pas quelle direction je voulais prendre, j’étais arrivé à un croisement sur ma route et il fallait que je prenne à gauche ou à droite. A l’époque, je me disais que j’avais peut-être envie de revenir à la musique. Dream Theater devait clairement être un groupe à plein temps, et évidemment, comme on peut le voir, ils tournent presque chaque jour de l’année. Donc ça n’est allé nulle part et je savais un peu, au fond, que ce n’était de toute façon pas quelque chose que je voulais faire. Pour répondre à ta question, assez simplement, non, je n’ai pas essayé de… Pas que je n’aie pas eu d’opportunités. J’ai reçu des centaines et des centaines de cassettes et de fichiers que des gens m’ont envoyés au fil des années. C’était soit des styles de musique qui, selon moi, n’auraient pas collé avec moi, soit c’étaient des choses qui ne m’inspiraient pas. Donc je pense que tout ceci m’a conduit sur le chemin que j’avais choisi depuis le départ.
Cette fois, vous avez choisi de faire appel à différentes sections rythmiques à travers l’album. Du fait que sur Sympathetic Resonnance le groupe n’était autre que le Fates Warning actuel mais avec toi au chant, penses-tu que ça a semé la confusion ?
Oh ouais ! [Rires] Laisse ça sur les réseaux sociaux et les fans s’agglutineront sur le sujet en à peine quelques minutes. Absolument, il y avait de la confusion, évidemment. Sur les réseaux sociaux, les gens prennent les choses et les interprètent de travers, et malheureusement, certaines choses sont dites mais… Rien de dramatique. Cette fois, c’était l’idée de Jim. Il m’en a parlé, il a dit : « Peut-être qu’on devrait envisager la possibilité d’avoir d’autres musiciens sur l’album pour éviter toute confusion. » J’étais partagé, probablement surtout parce que j’adore Bobby et Joey en tant que musiciens et amis, et j’étais déçu qu’ils ne soient pas sur l’album. Mais la façon dont les choses ont évolué est que Jim a soumis l’idée à Metal Blade et ils ont trouvé ça super. Jim a commencé le processus… C’est vraiment Jim qui prend en charge un tas de choses dans Arch/Matheos, parce qu’il aime bien et moi je n’aime pas [petits rires]. Généralement, Jim s’occupe en grande partie de l’administratif et du choix des musiciens. Jim a travaillé avec plein de musiciens par le passé et il connaît plein de gens. Il s’est donc chargé de choisir les musiciens. Il m’a soumis sa liste et j’ai dit : « Ça me va. » Evidemment, les gens que je connais, comme Mark Zonder et Joe DiBiase, la question ne se posait pas parce que j’avais déjà joué avec ces gentlemen. Il a ensuite commencé à recevoir des réponses de certains et d’autres ne lui ont pas répondu. Là où ça s’est bien goupillé est que Joey et Bobby ont entendu dire que nous allions avoir plein d’invités sur cet album, et ils ont reconsidéré leur position et ont dit : « Vu qu’il y aura plein de musiciens, ça change la donne, donc ça ne nous dérangerait pas de faire une chanson ou deux. » J’étais très content que nous puissions faire jouer nos amis, en plus de ces autres merveilleux musiciens. Je trouve que tout le monde a fait un boulot fantastique.
Est-ce aussi votre façon de dire que ceci est plus un projet qu’un groupe ?
Je ne crois pas que nous essayons d’affirmer directement quoi que ce soit, mais peu importe comment on regarde ça… Je dis juste qu’il n’est pas prévu d’emmener ça sur la route à l’heure actuelle, mais même si nous le faisions, on peut toujours avoir un line-up. Ce n’était pas intentionnel, ça n’a pas été fait dans cette optique, mais je suppose que n’importe qui peut en déduire ça, en voyant tous ces musiciens invités à jouer sur cet album. Encore une fois, nous voulions juste éviter toute forme de confusion, de rancœur ou autre. Nous faisons les choses pour satisfaire tout le monde et pour que toutes les personnes impliquées soient contentes, et ainsi je crois que nous avons atteint notre but.
Malgré tout, parmi les invités, presque tous les instrumentistes qui ont officié dans Fates Warning apparaissent dans Winter Ethereal : Joe DiBiase, Joey Vera, Bobby Jarzombek, Mark Zonder et Frank Aresti. Cet album serait-il une sorte de réunion de famille ?
[Rires] Ouais, tu sais quoi ? En fait, c’était cool. Ce sont tous des amis. Quand on mentionne Fates Warning, on mentionne mon nom ou celui de n’importe quel membre du groupe passé ou actuel, et ce qui est vraiment sympa à ce sujet, c’est la dynamique. Tous ceux qui ont été associés à Fates Warning ou ont joué dans le groupe sont amis. Il nous arrive encore de nous retrouver. Je vais soutenir Fates Warning quand ils font un concert, et quand d’autres anciens membres de Fates Warning jouent, je soutiens leur groupe et j’achète leurs albums aussi. C’est vraiment agréable quand il n’y a pas de linge sale. Ray et moi avons un respect mutuel, nous sommes très bons amis. Je les ai vus récemment quand ils étaient en tournée et nous nous sommes posés pour parler pendant un long moment. C’est super. Il y a une vraie camaraderie et c’est vraiment sympa quand les choses prennent cette tournure, qu’il n’y a rien de cette animosité ou de ces sottises qu’on voit chez plein de groupes quand il y a une séparation. Donc, pour répondre à ta question, je suis très content que Joe DiBiase joue de la basse et que nous ayons tous ces autres musiciens, y compris ceux dont j’avais entendu parler avant mais n’avais jamais rencontré, comme Sean Malone, Steve DiGiorgio, Thomas Lang, Matt Lynch… Je ne connais même pas ces gentlemans mais le truc, c’est que quand on fait de la musique ensemble et qu’ensuite on écoute les chansons et l’album, c’est un peu étrange, je ressens une forme de connexion avec ces musiciens. Même si je n’ai jamais rencontré certains d’entre eux, j’ai un grand respect pour eux, et quand j’entends leur nom, je ressens de l’exaltation. C’est tellement étrange d’avoir ce lien quand on n’a jamais rencontré quelqu’un, mais vu qu’ils ont consacré du temps à cet album et qu’ils en ont fait partie, ça donne un sentiment spécial. Surtout avec nos vieux amis que je connais depuis des années. Ça fait beaucoup de bien.
« Je voulais que toutes ces chansons soient comme des médicaments pour soigner les gens et les auditeurs. La musique, c’est de la médecine. »
Comment êtes-vous parvenus à travailler avec autant de contributeurs tout en conservant une cohérence ?
En fait, ça nous inquiétait au départ, car évidemment on se dit qu’on a plein de musiciens différents, chacun a son propre style, chacun a sa patte ou son son sur son instrument… Donc nous avons pensé que ça pourrait poser problème. Mais grâce à Jens [Bogren], déjà, et à Tony [Lindgren] de Fascination Street Studios, et tous les autres gars qui travaillent là-bas et qui sont juste fantastiques… Je n’imagine même pas la quantité de travail et le soin qu’ils ont dû mettre là-dedans, pour mixer les batteries, les basses, les guitares et tous ces trucs, pour que tout sonne cohérent. D’une certaine façon, ils y sont parvenus. Pour ma part, quand j’écoute l’album, je n’entends rien qui jure ou qui ne donne pas l’impression d’avoir sa place. Il est clair que j’entends les différences dans les sons de batterie et de basse de chaque musicien, mais vu qu’ils sont spécifiquement sur différentes chansons, avec la façon dont l’égalisation a été faite et dont ça a été mixé, tout me paraît cohérent. Je ne crois pas du tout que ça porte préjudice, tout le contraire même : avoir autant de musiciens avec différents styles et qualités sonores, ça apporte un côté unique et une dynamique à l’album. Peut-être que pour quelqu’un qui ne l’entend pas, ça se joue à un niveau subconscient, mais ça rend la dynamique de chaque chanson d’autant plus différente de la suivante. Donc c’était plus une prouesse de Jim en tant qu’ingénieur mais aussi des Fascination Street Studios, c’est une preuve de leur talent.
Et comment avez-vous choisi qui jouerait sur quelle chanson ?
En fait, Jim a choisi des musiciens qui, selon lui, pouvaient composer leurs propres parties, car Jim ne voulait pas s’enliser à écrire les parties de basse, ce qu’il a de toute façon fait… Sur les démos, Jim a écrit ses propres parties de batterie et de basse par-dessus lesquelles j’ai posé mon chant, mais quand il s’agissait de faire jouer de vrais musiciens, il ne voulait pas écrire les parties à leur place. Il voulait que chaque musicien ait la liberté artistique d’écrire ce qu’il trouvait approprié, et il a choisi des musiciens qui avaient un palmarès en matière de composition de leurs propres parties. Mais pour ce qui est de qui a joué sur quoi, là aussi ça doit être Jim qui a décidé. Je n’ai absolument pas participé à ça. D’une certaine façon, ça s’est bien goupillé. Peu importe qui a joué sur quelle chanson, ils ont assuré ! Ça a très bien fonctionné. Je n’imagine pas les choses autrement. Je suis sûr que chaque musicien ayant joué sur cet album aurait pu jouer sur n’importe quelle chanson et aurait probablement tout déchiré et sonné merveilleusement bien, mais… Prenons « Tethered », par exemple : peut-être que Jim s’est dit que Mark Zonder serait super sur cette chanson à cause du feeling acoustique de cette dernière, et Mark est un maître avec le charleston et les cymbales, et égal à lui-même, il a effectivement été parfait pour cette chanson. Je ne sais pas si ça a été le cheminement de pensée de Jim à travers tout le processus ou si ce n’était que le hasard, mais ça a bien marché pour toutes les chansons, en ce qui me concerne. Je sais que Bobby s’est chargé de « Wrath Of The Universe » et « Straight And Narrow », car déjà il déchire, et ce genre de chanson, à la fois hard, entraînante et complexe, est totalement dans ses cordes, et évidemment il a aussi tout tué sur ces chansons [rires]. Et quand je dis « tuer », je veux dire de façon positive, tu me comprends, n’est-ce pas ? Il a dû y avoir une méthode à la folie de Jim, et ça semble avoir fonctionné. Mais je peux dire que c’étaient les décisions de Jim, pas les miennes.
Tu as une façon vraiment unique de construire tes lignes de chant. Ce sont parfois presque des mélodies en continu, toujours en mouvement, avec plein de variations, presque labyrinthiques, sauf les refrains qui jouent presque un rôle de balise, pour ainsi dire. A cet égard, comment abordes-tu les lignes de chant ?
On m’a souvent demandé ça ! Je vais te dire : plein de fans disent la même chose, or pour ma part je ne fais qu’appliquer ce que je sais faire. Les commentaires récurrents, qui se recoupent, je pense, sont que les lignes mélodiques sont peu orthodoxes et se contorsionnent beaucoup, et ça correspond grosso modo à la façon dont mon esprit fonctionne. Je sais que c’est effrayant mais pas de problème [rires]. Je suis également bipolaire et parfois mon esprit s’emporte tout seul et se surcharge un peu trop, et peut-être que ça transparaît dans la musique. Mais honnêtement, j’ai vraiment l’impression que, globalement, la musique, les paroles et les lignes mélodiques sont entrelacées. Comme je l’ai dit plus tôt, je ne suis pas fan de la simplicité pour la simplicité. Si quelque chose est simple et sonne super bien, je suis à fond pour. Mais je sais que j’ai tendance à charger la musique et, d’une certaine façon, c’est mon approche. Je ne sais pas dire complètement d’où ça vient. Mais quand Jim compose quelque chose, j’aime danser par-dessus les accords et les mouvements avec mes lignes mélodiques. Selon moi, ça fait que ça sonne un peu plus intéressant et j’aime construire des lignes mélodiques. J’amène donc souvent une mélodie qui est presque totalement différente de ce qui se passe en dessous.
Et puis, bien sûr, j’adore faire des syncopes, comme les batteurs. Parfois, ce que font les batteurs, j’aime le faire avec les paroles pour que ça soit plus intéressant. Parfois, je vais chercher des mots de quatre syllabes pour remplacer un mot de trois syllabes, en conservant le sens, rien que pour changer la ligne mélodique parce que j’entends quelque chose dans celle-ci qui pourrait la rendre plus intéressante, donc je vais changer la ligne mélodique mais j’ai besoin du bon mot pour aller avec. Je fais tout un tas de choses de ce genre. Je joue avec mes trucs jusqu’à ce qu’il ne me reste plus rien. Et je ne suis pas le seul, Jim aussi. Nous changeons en permanence des choses, jusqu’à la dernière minute quand nous sommes sous pression. Je suis toujours en train d’essayer de trouver de meilleures lignes mélodiques et des paroles qui conviennent mieux. C’est un processus qui ne se termine jamais. Parfois ça se prête à ce que ce soit très chargé, mais je crois vraiment que c’est naturellement la façon dont mon esprit fonctionne. Tu vois, quand tu écoutes quelque chose que tu as écrit et ensuite tu sais quand tu en es content ? Quand j’en arrive au stade où je suis satisfait, le résultat est généralement très compliqué. Tout comme mes divagations là tout de suite, voilà comment fonctionne mon esprit [rires].
« On a des millions de décisions à prendre au cours de notre vie et on est confrontés à des décisions et des choix auxquels parfois la logique ne saura pas nous donner de réponse. Je crois que c’est pour ça qu’on a l’intuition. […] J’essaye toujours de suivre mon intuition, même si sur le moment où je prends la décision, il se peut que je ne la comprenne pas. »
Ta voix ne semble pas du tout vieillir et tu as l’air toujours capable d’atteindre d’impressionnantes hauteurs avec tes notes. Comment parviens-tu à entretenir ta voix au fil des années ? Est-ce que le fait de ne pas beaucoup chanter, que ce soit en tournée ou en faisant des albums, t’aide à la préserver ou bien dois-tu t’entraîner pour ne pas la perdre ?
Tout d’abord, merci pour le compliment, j’apprécie beaucoup. Tu sais quoi ? Je pense que je me cause moi-même du tort, car je crois que c’est une épée à double tranchant. Je sais que si on tourne beaucoup et qu’on tombe malade, par exemple on contracte une infection virale aux poumons, en gros on va se faire mal, on va créer des dommages et empirer les choses. Ceci étant dit, je sais que je devrais être un meilleur chanteur. D’après mes souvenirs du temps où je tournais plus souvent, tourner renforçait ma voix, plus qu’autre chose, ça renforçait mon vibrato, ça me donnait plus de précision, et je pense que ne pas tout le temps chanter est préjudiciable. Donc une période de cinq ou six ans passe, ou peu importe la durée, dix ans, je n’ai pas du tout chanté et, tout d’un coup, on est sur le point d’écrire et enregistrer un album, et bien sûr je panique, car je ne suis pas sûr ! Je ne sais pas comment ma voix va sonner. Donc nous commençons le processus d’écriture et ensuite je commence à chanter et, évidemment, je suis déçu. Je suis là : « Oh mon Dieu, ça sonne horrible ! » [Petits rires] Il faut alors que je continue à y travailler. A mesure que nous enregistrons les chansons en démo, ma voix commence à se renforcer et à retrouver un semblant de ce qu’elle était – pas complètement mais… C’est donc vraiment un processus pour retrouver la force de ma voix chantée.
Ne pas tourner et ne pas être un musicien à plein temps, il ne fait aucun doute que ça dessert ma voix. Et s’arrêter puis reprendre comme je le fais n’est probablement pas sain, car ma voix ne s’acclimate pas. J’ai probablement fini mon chant pour cet album en novembre et je n’ai pas vraiment chanté depuis. Donc je retombe dans mes vieux travers. Si j’avais un minimum de jugeote, je continuerais à chanter et à faire des vocalises pour maintenir ma voix et la renforcer. Je sais que j’ai fait un grand détour avec ma réponse, mais c’est une épée à double tranchant. Peut-être que ne pas chanter a un peu préservé ma voix. En tout cas, ça ne l’a pas endommagée, mais j’entends des chanteurs comme Todd La Torre qui est constamment en tournée, et c’est un chanteur extraordinaire, tellement fort et sa voix n’a de cesse de s’améliorer. J’ai été le voir de nombreuses fois et il est tout simplement incroyable, et ma voix est loin d’être aussi adaptée que la sienne aux conditions de tournée. Il me faudrait longtemps pour répéter et être prêt à partir sur les routes pour chanter live. Je te réponds honnêtement. Je pense que c’est plus préjudiciable qu’autre chose.
Tu as déjà connu de grosses galères avec ta voix ?
Ouais ! Je reviens sur les concerts d’Awaken The Guardian, nous avons joué au Prog Power une semaine avant d’aller en Allemagne. J’avais des trucs bizarres, je ne me sentais pas bien, j’avais de grosses migraines et mon vibrato avait presque disparu. J’étais très fatigué. Je ne savais pas ce qu’il se passait, mais dans tous les cas, nous étions lancés, j’étais dans l’avion pour me rendre en Allemagne. Il n’était pas possible de faire machine arrière, mais en fait, on m’a diagnostiqué la maladie de Lyme à cause d’une tique qui m’a mordu. J’étais sur scène en Allemagne, me sentant mal comme jamais, mais il fallait que j’assure le concert. Nous avons réussi à faire le concert, très bien, mais les mois suivants, j’ai remarqué un déclin dans ma voix, et surtout le vibrato de ma voix était presque inexistant. J’attribue ça à la maladie de Lyme car il se trouve que Shania Twain a été incapable de se produire et chanter pendant probablement trois ou quatre ans, voire plus, parce qu’elle avait contracté la maladie de Lyme et que ça provoque de graves dommages nerveux. Il m’a fallu beaucoup de temps pour récupérer et finalement faire cet album. J’ai eu des moments de galère, mais je dirais que plus je chantais et plus j’essayais dur, plus ça s’améliorait. Je dirais que ma voix n’est pas encore tout à fait comme j’aimerais qu’elle soit. Au final, ça a été, mais il est certain que j’ai eu des galères cette fois, et je crois que c’est à cause de la maladie de Lyme.
Tu as déclaré apprécier la patience de Jim pendant que tu enregistrais ton chant, car « ça peut être brutal parfois ». Qu’est-ce que tu veux dire ? A quel niveau ça peut être brutal ?
Oh bon sang ! [Rires] Quiconque a déjà été en studio avant… Tu chantes du mieux que tu peux et tu vas aussi loin que possible. Il se peut que tu parviennes à faire la moitié d’un couplet mais je crois que personne n’est capable de rester juste ou de délivrer une prestation parfaite d’un bout à l’autre d’une chanson. Quand on va voir une prestation live, et si on écoute l’enregistrement de cette dernière, on entend clairement que tout le monde est un peu faux et que le live, c’est du live. En studio, on fait plusieurs prises. C’est le luxe du studio. Jim a son casque sur la tête et est derrière la table de mixage en assurant le rôle d’ingénieur. Parfois, je vais chanter pendant huit ou neuf heures, et huit ou neuf heures à écouter quoi que ce soit est suffisant pour nous faire péter les plombs [rires]. Rien qu’écouter quelqu’un parler pendant dix minutes peut nous faire péter les plombs ! Mais en plus je chante en répétant la même… Parfois, il y a quelque chose que j’ai beaucoup de mal à faire ou alors j’essaye une nouvelle ligne mélodique, et je peux me retrouver le faire vingt fois avant d’avoir la bonne prise, parce qu’une partie sera bonne mais tu auras foiré la fin, ou le début. Voilà comment ça se passe. Il faut vraiment avoir beaucoup de patience quand on a le casque sur les oreilles, qu’on est l’ingé son et que quelqu’un fait de multiples prises. Je m’agace terriblement moi-même !
« Je me souviens très précisément de la sortie de No Exit, qui était le premier album avec Ray, donc bien sûr, j’étais très curieux. Ça m’a un petit peu fait mal au cœur à l’époque parce que je me disais : ‘Ça aurait pu être moi…’ Mais le groupe devait aller de l’avant. »
Donc je ne sais pas comment il fait, mais il est très patient ! Il m’aide jusqu’à ce que je sois satisfait ou que nous disions tous les deux : « D’accord, mettons ça de côté. On y reviendra une autre fois » [rires]. On doit souvent faire ça quand quelque chose ne marche pas, et quand je reviens au studio la fois suivante, j’ai la bonne prise du premier coup. C’est comme ça que ça se passe en studio : parfois on est en forme, parfois pas. Il y a eu des moments où nous nous sommes battus et des moments de malaise, mais je crois que tout le monde traverse ça. Mais en règle générale, quand Jim et moi travaillons ensemble, tout est une question de compromis, et nous pouvons avoir des divergences d’opinion, mais au final, nous nous respectons mutuellement. C’est du donnant-donnant. Je dois l’en remercier, et en particulier pour sa patience. Je ne sais pas comment lui ou quiconque fait ça. Mixer du chant c’est vraiment pénible ! [Rires]
Tu as déclaré que cet album n’était pas un album conceptuel mais que les paroles étaient « liées par un thème récurrent touchant au poids ou au vol mystérieux des émotions humaines, nous laissant avec plus que questions que de réponses ». Quelles questions t’es-tu posées à cet égard ?
Je suppose que n’importe quel parolier doit creuser profondément en lui. En fait, je pense qu’on le fait tous, que l’on écrive des textes ou pas, on se demande toujours quelle est notre raison d’être, quel est le but de tout ceci. Surtout quand on écrit de la musique avec laquelle on essaye d’inspirer d’autres gens, ça peut parfois être dur. Je viens tout juste d’avoir soixante ans et je pense que plus on vieillit, plus on se pose ce type de questions. J’ai creusé profondément en moi pour écrire une grande partie des textes de cet album. Peut-être que certains textes de chansons ne se rejoignent pas, mais je dirais que six sur neuf le font. Il y a un thème récurrent qui emploie des métaphores et un langage imagé pour provoquer la réflexion chez l’auditeur. Pour moi, tout l’objectif de la musique et des paroles est d’emmener l’auditeur en voyage et de l’impliquer émotionnellement, y compris dans le sens des chansons. Si l’auditeur peut se connecter à toi, aux paroles et qu’il vit des choses qu’il peut relier à toi, alors il a plus de chances d’apprécier ce qu’il entend, car il peut s’y identifier. Je crois qu’il y a beaucoup de ça dans cet album. Encore une fois, en vieillissant, en pensant aux choses et en partageant ceci avec l’auditeur, j’essaye – de façon mature – de provoquer la réflexion et une implication de la part de l’auditeur.
Peut-être que quelques-unes de ces chansons, comme « Straight And Narrow », ont une approche différente, c’est plus rentre-dedans pendant cinq minutes et ça aborde quelque chose de peut-être un peu plus triste, mais au final, je ne voulais pas que ce soit une chanson triste. Je voulais que toutes ces chansons soient comme des médicaments pour soigner les gens et les auditeurs. La musique, c’est de la médecine. Je crois que notre but, à Jim et moi en tant que qu’auteurs-compositeurs, est d’essayer de créer un lien avec le public. Enfin, je pourrais prendre chacune de ces chansons, on pourrait passer en revue les textes et je pourrais t’expliquer ce que je voulais dire ici et là et ajouter qu’une partie est laissée ouverte à interprétation, mais ça traite en grande partie de la perte et ça parle en majorité de mon expérience personnelle, et je me disais que d’autres gens pouvaient s’y identifier. Avec un peu de chance, au final c’est… Un peu comme Awaken The Guardian. C’est un album pour partir en voyage. C’est un album à écouter au casque pour quitter cette planète pendant un moment, partir dans un voyage musical et en revenir en ayant l’impression d’être vraiment parti quelque part. Il s’agit de faire travailler l’imagination. C’est ce dont les gens ont besoin, faire davantage travailler leur imagination. C’est un vrai don. On est tellement absorbés par ce monde, par la réalité et par la manière dont fonctionne le système qu’on a besoin d’échappatoire. J’espère que c’est ce que sera cet album pour les fans.
Crois-tu que les gens devraient davantage écouter leurs émotions ? Crois-tu que les réponses à nos questions existentielles sont à trouver profondément enfouies dans nos émotions ?
Je peux seulement dire que j’ai toujours été porté sur les émotions. C’est ainsi que je fonctionne. Je veux dire que dans la vie, c’est toujours bien d’être instruit et bien informé avant de prendre une décision, quelle qu’elle soit. On a des millions de décisions à prendre au cours de notre vie et on est confrontés à des décisions et des choix auxquels parfois la logique ne saura pas nous donner de réponse. Je crois que c’est pour ça qu’on a l’intuition. On a une voix en nous qui nous aide et nous guide pour trouver le bon chemin. Parfois, tout le savoir intellectuel, l’expérience académique et tout le reste ne nous aideront pas. Je peux assurément dire que durant ma vie, il y a en partie eu de la chance, mais l’intuition… En règle générale, j’essaye toujours de suivre mon intuition, même si sur le moment où je prends la décision, il se peut que je ne la comprenne pas. Peut-être que la décision qu’on est en train de prendre n’a pas beaucoup de sens pour nous sur l’instant, mais viendra un moment où la décision qu’on a prise bouclera la boucle et on comprendra au final que c’était la meilleure chose à faire. Il est clair que l’intellect est nécessaire mais l’intuition et une forme de spiritualité, tout comme le fait d’être reconnaissant des choses est également une nécessité dans notre vie, sinon on sera malheureux.
Même si tes textes emploient toujours des références mythologiques et des métaphores, ils sont plus basés sur la vraie vie aujourd’hui que ce dont tu avais l’habitude autrefois. Comment expliques-tu cette évolution ? Est-ce simplement le fait de vivre la vie durant toutes ces années qui t’a poussé à davantage te référer à la réalité ?
Je pense que c’est en fonction de l’époque qu’on vit. Je vais revenir sur Awaken The Guardian : les textes se basaient beaucoup sur la mythologie, mais quand on lit très attentivement les paroles, il y a aussi des leçons sur la vraie vie. Enfin, pas des leçons, parce que je n’aime pas faire la morale, ce n’est pas mon intention. Il ne s’agit pas de prêcher mais peut-être de transmettre une pensée positive ou des leçons de vie que j’ai apprises. C’était donc un mélange de mythologie et d’émotions reposant sur la vraie vie, issues de mes rouages internes, de mes expériences, comme tout le monde. On a tous connu la douleur et d’innombrables expériences de vie qui restent gravées en nous. Donc je puise toujours là-dedans. Quand nous avons imaginé pour la première fois le nom Fates Warning, nous avons tiré ça d’une de nos chansons ; de « The Calling », je crois, issu de Spectre Within. Mais le nom Fates Warning correspondait plus ou moins à l’orientation artistique sur laquelle le groupe travaillait. Les textes mythologiques, ainsi que ces mélodies de dingue, tout semblait coller à la musique qui était écrite, ça allait comme un gant. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire d’autre sur cet album.
« Peut-être que je n’ai jamais cru que […] j’aurais pu vivre de la musique. Peut-être était-ce mon problème, le fait qu’au fond de moi, je ne croyais pas à cette issue. »
Ensuite, plus tard, Twist Of Fate représentait peut-être un petit changement de direction, où j’ai évité d’écrire des textes basés sur la mythologie, mais tout en conservant un lien très fort avec les émotions et des sujets qui font réfléchir. Ensuite, Sympathetic Resonance était un album très thérapeutique pour moi, car j’étais à un moment de ma vie – tu sais, on traverse tous une crise de la cinquantaine – où tout me retombait dessus en même temps – mon enfance, et un tas de choses que j’ai traversées et vues. Je pense que c’est la manière dont nos rouages internes se préparent à l’avenir et c’est en partie une forme de guérison. Cet album a été très curatif pour moi parce que j’ai dit des choses que j’avais besoin de dire et j’avais besoin de vider mon sac. Et maintenant, avec Winter Ethereal, il y a énormément d’éléments liés aux émotions mais, encore une fois… Je n’ai pas envie d’employer de terme « lunatique », mais il y a énormément de mouvement dans les chansons qui, j’espère, se raccroche aux émotions de l’auditeur. Je n’ai aucune envie de revisiter les textes mythologiques, les donjons et les dragons [petits rires]. Même si les textes ne sont pas simples, c’est une approche plus simple, pour moi, afin d’atteindre mes rouages internes et d’être honnête sur les choses. Voilà l’idée de ces paroles : elles sont plus centrées sur l’honnêteté.
Que ce soit avec les références mythologiques ou les événements davantage basés sur la vie réelle et historiques, tes textes sont toujours très bien renseignés. Fais-tu beaucoup de recherches ou bien est-ce que ça vient du fait que tu lis beaucoup et es très curieux, indépendamment des textes que tu écris ?
Je suis coupable d’avoir un dictionnaire d’anglais et des synonymes – sur mon ordinateur, bien sûr – constamment avec moi. Je reviens sur l’idée que la musique elle-même dicte ce que je fais. Quand je ressens que j’ai quelque chose à dire… On peut dire quelque chose d’un million de façons différentes mais j’aime dire les choses de façon imagée. Ça se prête à de meilleures lignes mélodiques et à une lecture plus intéressante des textes. Ça laissera également des ouvertures pour l’interprétation de l’auditeur. D’un autre côté, je peux dire quelque chose de spécifique qui, selon moi, a vraiment besoin d’être dit, compris et bien interprété. Il se passe beaucoup de choses dans ces textes. J’essaye toujours de trouver des manières de mieux m’exprimer ou un mot qui n’est pas très couramment utilisé et qui pourrait avoir une meilleure définition pour ce que j’essaye de dire. Comme je l’ai dit, c’est un processus long et démentiel, du début à la fin. Ça évolue et change constamment. Jusqu’à ce que la dernière note soit posée et que les bandes soient envoyées, nous sommes encore là : « Oh merde, je devrais changer ci, je devrais changer ça » [rires]. Nous sommes toujours en train de nous autocritiquer. En ce qui concerne les textes, ils doivent retomber sur leurs pattes, avoir du sens, et tout comme Jim, quand il compose, ne veut pas laisser partir quelque chose tant qu’il n’en est pas content et que ça ne l’émeut pas au plus profond de lui-même, je ressens la même chose avec les lignes mélodiques et les textes. J’ai envie de lire quelque chose qui m’aurait impressionné si quelqu’un d’autre l’avait écrit. J’imagine que je pourrais dire les choses de façon plus directe ou simpliste, mais il n’y aurait probablement pas la même ouverture, le même feeling et le même sens. Je trouve que ça apporte tellement plus de richesse quand les choses sont dites de façon un peu plus éloquente, en utilisant l’étendue de la langue anglaise, plutôt qu’en étant purement direct. C’est un style. C’est ma manière de faire.
L’album s’intitule donc Winter Ethereal et l’hiver est généralement une époque de l’année où les gens ont tendance à s’isoler et être plus introspectifs, et vous avez d’ailleurs une chanson intitulée « Solitary Man » sur l’album. Es-tu un homme solitaire ?
C’est marrant [petits rires]. Tu te souviens quand je parlais d’avoir soixante ans, et l’impulsion de cette chanson, « Solitary Man », en gros, c’était en partie le processus de réflexion suivant : j’ai soixante ans maintenant et c’est un changement dans la vie, car on perçoit les choses un peu différemment, et probablement qu’on redoute les années à venir, mais peu importe, on affronte ce qu’on doit affronter. Voilà l’origine de cette chanson, car j’ai eu l’impression que durant ma vie… Peut-être est-ce dû à la façon dont j’ai été élevé, car j’ai été dans des écoles catholiques, j’ai été élevé en catholique et j’avais des parents stricts, et on nous apprenait à toujours plaire aux autres avant de penser à soi. J’ai grosso modo fait ça toute ma vie : j’ai fait passer tout le monde avant moi. Ne te méprends pas, j’adore aider les gens, je suis quelqu’un de très généreux et empathique, et je suis toujours prêt à aider, mais vient un moment où, parfois, on ne prend pas suffisamment de temps pour soi. Parfois on en a ras le bol, on en a marre d’être malmené, marre des gens, marre de la façon dont on vit parce qu’on vit pour tout le monde sauf pour soi. Voilà d’où est venue cette chanson. J’essayais de parler de manière éloquente de ces sentiments que j’avais. Ça ne parle pas de… Tu sais, j’ai un côté très extraverti, j’ai plein d’amis avec qui je m’éclate, j’en ai toujours eu, je suis très sociable, mais j’ai aussi un côté introverti. Quand j’en ai marre, j’ai besoin de me recentrer sur moi-même. Je crois vraiment qu’on a tous ce besoin. On a tous besoin de se couper de la civilisation. On a tous besoin de s’éloigner de la pression et d’une vie qui n’est pas toujours propice à nos rêves, et qu’on arrête de nous dire quoi faire, quand le faire, comment le faire. En gros, c’est à quoi je pensais en écrivant cette chanson. Mais en bafouillant, j’ai fini par oublier ta question d’origine, si ça ne te dérange pas de la répéter ! [Rires]
La question était simplement de savoir si tu aimais la solitude…
Oui, j’ai un côté introverti. Etant également diagnostiqué comme bipolaire, le sentiment hivernal dont tu parlais, je le ressens assez souvent, malheureusement, mais je le gère. Est-ce qu’on a parlé du titre de l’album ? C’est de là que vient le titre de l’album, en fait : j’avais le mot « ethereal » pour l’album et puis nous recherchions un autre pour mot pour le compléter et ajouter du sens. Jim a fait remarquer : « Eh bien, tu mentionnes le mot ‘winter’ à plusieurs reprises. » Donc, ouais, le mot « hiver » a certaines connotations quand on y pense. Evidemment, c’est une saison, c’est quelque chose de tangible, mais on peut aussi lui associer un tas de choses, comme une forme de mort, un flétrissement qui fait que la vie semble s’arrêter dans la végétation qui nous entoure, et on peut regarder à travers la fenêtre à n’importe quel moment et se sentir sombre ou isolé. Et puis, quand le printemps arrive, c’est une renaissance. C’est à ça que nous pensions quand nous avons intitulé l’album Winter Ethereal. Donc, ce mot « hiver » est clairement associé au côté émotionnel de nos rouages internes et nous essayons d’établir des parallèles avec ceci, absolument.
« Quand j’ai été [auditionner pour Dream Theater], c’était comme lorsqu’on a le diable sur une épaule et un ange sur l’autre épaule. Un côté disait : ‘Ouais, vas-y.’ L’autre côté disait : ‘Je ne sais pas si j’en ai envie…’ Et ça n’arrêtait pas de balancer d’un côté et de l’autre [rires]. »
Je sais que Jim aime travailler isolé, et tu as dit que vous avez « tous les deux le même type d’éthique de travail et [que] [v]os rouages internes sont très comparables dans [v]otre manière de travailler ». J’imagine alors que l’hiver est idéal pour votre créativité…
Absolument ! L’été, comme tout le monde, je vais faire du vélo et je m’amuse, et après une longue journée de travail, on a tous envie de faire des trucs. Donc oui, durant l’été il se passe plein de choses, mais l’automne et l’hiver, on dirait vraiment que ça… En aucun cas je nous comparerais, moi ou Jim, à eux, mais les grands poètes des siècles passés ont souvent fait référence à l’hiver dans leurs écrits et aux émotions associées. Dans ce genre de situation, quand on écrit quelque chose, on a vraiment besoin d’être dans un endroit calme, où on peut réfléchir, se perdre dans nos pensées et s’inspirer. J’imagine que c’est ça l’écriture. On essaye de s’inspirer, et si on a la chance d’inspirer d’autres gens à travers ça, alors on aura réussi. Mais ouais, pour Jim et moi, je pense que l’hiver est l’époque de l’année où nous sommes les plus productifs, car on passe effectivement beaucoup de temps à l’intérieur. Quand on écrit des parties de guitares, ou si j’écris des paroles, je passe beaucoup de temps seul. Je ne peux pas m’asseoir dans un canapé à regarder la télé tout en écrivant des paroles, je n’y arriverais pas [petits rires]. Donc il est clair que l’hiver a sans doute engendré certaines de nos meilleures œuvres par le passé.
Sur un autre sujet, avec le recul, que penses-tu de l’époque où tu as été viré de Fates Warning ? As-tu toujours des regrets par rapport à ça ? Car je sais que tu t’es senti très mal à ce moment-là…
Ouais. Bon, avec le recul, non, je n’ai pas de regret. A l’époque où c’est arrivé, la façon dont c’est arrivé, c’était une situation étrange. On m’a donné un ultimatum et, à l’époque, j’avais l’impression qu’on n’avait pas besoin de me donner un ultimatum, car j’avais toujours démontré mon engagement envers le groupe. Donc, j’ai trouvé malheureux la façon dont ça s’est déroulé. Mais, avec le recul, comme tu dis, sur le long terme, ça devait probablement arriver de toute façon. Je ne sais pas pour combien d’albums je serais resté dans le groupe. J’aurais très bien pu rester pour trois ou quatre albums de plus, je ne sais pas, mais vu la tournure qu’ont prise les choses dans ma vie… En résumé, je n’ai aucun regret car j’ai vécu une vie épanouissante, j’ai fait plein de choses, j’ai pu… Malheureusement, il est dur de survivre financièrement dans le monde de la musique et j’ai pris de nombreuses décision basées là-dessus. J’ai réussi dans ma vie privée mais j’ai également eu le luxe de pouvoir continuer à être impliqué dans la musique, car le fait que Fates Warning n’ait pas arrêté de faire vivre sa musique m’a ouvert une voie, donc en ce sens j’ai eu de la chance. J’ai pu allier ma vie personnelle et la musique, donc c’est un peu le meilleur des deux mondes. Tout le monde sait que je ne suis pas très fan des tournées, et si j’avais dû vivre de la musique, si je n’avais pas pris cette décision, alors j’aurais dû m’y habituer et tourner. Mais n’ayant pas de regret, je suppose que ça veut dire que tout s’est probablement passé comme ça devait se passer.
Que penses-tu de la façon dont Fates Warning a évolué après ton départ ?
J’ai toujours suivi Fates Warning. Je me souviens très précisément de la sortie de No Exit, qui était le premier album avec Ray, donc bien sûr, j’étais très curieux. Ça m’a un petit peu fait mal au cœur à l’époque parce que je me disais : « Ça aurait pu être moi… » Mais le groupe devait aller de l’avant. La seule chose que je peux dire est que No Exit, en l’écoutant, me fait penser à un album de transition pour Faites Warning. C’était un bon album, Ray en particulier a fait un boulot extraordinaire, mais je pense qu’il commençait tout juste à trouver sa vraie voix, et Jim commençait un peu à changer son style de composition. En tant qu’artiste, on ne peut pas sortir dix Awaken The Guardians. Il faut grandir, essayer des choses différentes et laisser la musique s’écrire toute seule. Donc je suis content qu’avec les albums suivants, comme Parallels, Ray ait trouvé sa voix et son identité et soit devenu Ray Alder, le nouveau chanteur de Fates Warning, avec une voix unique. Si je dis tout ça, c’est de manière positive. J’ai toujours suivi le groupe. Il y a plein d’albums que j’aime beaucoup et puis il y a des parties dans quelques albums que je n’aime pas. Je n’aime pas tout, mais j’aime la majorité. Je leur ai toujours souhaité le meilleur.
Je dois dire que leurs deux derniers albums, Darkness In A Different Light et Theories Of Flight, sont deux super albums ! Ils sont revenus en force avec ces deux albums. Je suis très content pour eux. Je suis très content qu’ils aient continué à faire de la musique, pas seulement pour eux, mais aussi pour les fans. Les fans ont un tas de musiques à écouter et un groupe qui est resté uni pendant plus de trente ans, avec évidemment différents membres ici et là, mais il est en grande partie resté intact et n’a cessé de faire de la musique durant toutes ces années. C’est du gagnant-gagnant pour tout le monde. Je n’ai jamais été jaloux. Je les ai toujours soutenus. J’ai été les voir en concert. Je suis resté ami avec tout le monde. Je vais voir Jim. Nous allons voir des concerts. Il n’y a aucune rancœur, ce qui est super ! Nous avons donc une amitié et on a un groupe qui au fil des années a gagné énormément de respect auprès des fans dans les deux camps. Je suis reconnaissant pour tout ça et c’est quelque chose qui a été très positif dans ma vie à bien des égards.
Plus tôt, tu as évoqué l’audition de Dream Theater et le poste que tu as refusé, avant que James LaBrie n’intègre le groupe. Imagines-tu parfois ce qu’aurait été ta vie si tu les avais rejoints ?
Oui. C’est difficile de se mettre dans cette position. En tant que chanteur, être dans Dream Theater implique de chanter pratiquement tous les soirs. C’est un style de vie très différent et c’est un énorme engagement. Je ne sais pas comment les fans perçoivent ça. Je sais que parfois, certains pensent que les membres du groupe sont obligés de le faire, mais en réalité, personne n’est obligé de faire quoi que ce soit. Je sais que les groupes sont reconnaissants envers les fans et les fans sont reconnaissants envers les musiciens. Ce n’est tout simplement pas une vie facile. Je ne sais pas si j’ai jamais été fait pour ça, pour ce genre de vie. Il y a quelque chose en moi qui semble plus… [Petits rires] Pas basique mais plus… Peut-être que je n’ai jamais cru au fond de moi que ce pourrait être un environnement de travail stable où j’aurais pu vivre de la musique. Peut-être était-ce mon problème, le fait qu’au fond de moi, je ne croyais pas à cette issue. Peut-être était-ce l’intuition dont on a parlé plus tôt. Je n’ai fait que suivre mon intuition. Je ne sais pas si j’aurais voulu avoir ce style de vie, car j’apprécie énormément ma vie, elle me permet de faire ce que je veux, quand je veux [rires], je peux monter sur mon vélo ou ma Harley et partir en vadrouille, aller ici et aller là… il y a un tas de libertés qui, je pense, m’auraient manqué si j’avais suivi cette voie. Et comme on dit, c’est toujours plus facile de refaire le match. C’est bizarre d’essayer d’y repenser. J’imagine que c’est quelque chose qu’on ne saura jamais. On prend un chemin, on prend certaines décisions et on vit avec.
« La majorité d’entre nous travaille de neuf à cinq, ou peu importe les heures, mais ce n’est pas là l’histoire de notre vie. L’histoire de notre vie, c’est ce qu’on fait en dehors nos boulots normaux […]. Ça peut prendre du temps à trouver, mais tout le monde est bon dans quelque chose. »
Comment était l’audition d’ailleurs ? De quoi te souviens-tu ?
Ça fait de nombreuses années que je suis ami avec ces gars, depuis bien avant qu’ils soient Dream Theater, quand ils étaient Majesty. Je les connaissais donc quand ils étaient vraiment très jeunes et qu’ils débutaient. Ils avaient l’habitude de venir nous voir jouer quand nous jouions à New York et à Long Island, et je me souviens de notre première rencontre. Etant donné notre amitié et notre histoire, ce n’était pas comme si j’allais les voir pour la première fois quand j’ai auditionné pour le groupe. Mais au fond de moi, quand j’y ai été, c’était comme lorsqu’on a le diable sur une épaule et un ange sur l’autre épaule. Un côté disait : « Ouais, vas-y. » L’autre côté disait : « Je ne sais pas si j’en ai envie… » Et ça n’arrêtait pas de balancer d’un côté et de l’autre [rires]. L’audition était cool. C’était sympa de traîner pendant un moment avec ces gars. Nous avons été dans une salle de répétition, j’ai commencé à chanter, ils ont commencé à jouer des trucs. Je crois qu’il y a une cassette qui traîne quelque part. ça faisait des mois que je n’avais pas chanté et ils ont commencé à jouer « The Apparition », et oh mon Dieu, c’était tellement fort que je n’arrivais pas à m’entendre ! Je ne sais pas si j’ai chanté autre chose mais ils ont enregistré quelque chose ; Mike enregistre tout ! [Rires]. Ça a dû se retrouver quelque part sur internet. Je me souviens aussi de m’être assis à côté du piano. Kevin Moore était au piano et il était… J’ai l’habitude de travailler en emportant la musique chez moi et en l’écoutant encore et encore jusqu’à ce que je trouve quelque chose qui m’inspire, mais je crois qu’ils étaient en plein processus de composition d’Images And Words, et il a joué une séquence de piano, et a dit : « D’accord, donc qu’est-ce que tu chanterais là-dessus ? » C’était une ligne de piano vraiment dingue et dissonante, et je suis là : « Je ne sais pas ! » [Rires] J’ai dit qu’il faudrait que je réécoute ça plusieurs fois pour trouver quelque chose qui aille bien. J’avais donc un peu la pression, à devoir écouter un passage de piano très dissonant et trouver tout de suite quelque chose au chant, car je ne fonctionne pas comme ça. Je me souviens m’être senti un petit peu mal à l’aise à ce moment-là. Et ensuite nous avons laissé tomber ça et nous avons commencé à glander. Ce sont de bons souvenirs. C’était très marrant.
Mon souvenir le plus clair, c’est quand après que nous ayons fait la répétition, Mike Portnoy et moi sommes retournés chez lui, et évidemment… Tu sais, j’ai l’habitude de me lever à six heures du matin pour aller au boulot. Donc je suis quelqu’un de matinal, alors que ces gars ne sortent pas du lit avant quatre heures de l’après-midi, c’est à ce moment-là que la vie commence pour eux ! Donc j’étais chez Mike, il dormait et moi j’étais levé dès six heures du matin. J’ai traîné, je me suis fait un café et puis mon téléphone a sonné et c’était ma femme, et elle me dit : « Bon, je ne veux pas te déranger mais je me suis dit que je devais te tenir au courant qu’on attend un bébé. » Je pense qu’à ce stade j’étais un peu bouleversé. J’ai juste suivi mon intuition, j’ai réveillé Mike et j’ai dit : « Mec, je suis désolé de te réveiller, mais tu sais quoi ? Je rentre chez moi. » Je lui ai expliqué. Il a dit : « Oh mec, aucun problème. Je comprends. Tu dois faire ce que tu as à faire. » Il a dit : « Bon, on n’a pas de chanteur mais au moins nous avons une salle de répétition. » C’est la dernière chose qu’il m’a dite [rires], et ensuite je suis rentré à la maison ! C’était le brève parenthèse avec Dream Theater. Au final, ça a très bien marché pour eux. James est un super chanteur. Il est là pour eux. Il est fait pour ce style de vie.
Au bout du compte, qu’est-ce qui te motive encore aujourd’hui à continuer dans la musique, même si tu n’en vis évidemment pas ? Est-ce que tu as un désir créatif qui se réveille de temps en temps ou bien est-ce les fans qui te suivent et en redemandent ?
[Rires] C’est marrant parce que pendant que tu me posais la question, j’étais là et je me secouais la tête en me disant : « Je ne sais pas ! Je ne peux même pas te dire ! » Mais tu sais quoi ? Je suis content que tu aies fini ta phrase, parce que je pense, vraiment… Evidemment, on a tous des objectifs personnels et des choses qu’on veut accomplir… Tout commence avec une pensée qui plante une graine en nous, et parfois elle se met à germer et parfois pas. Cette fois, c’était plus dur pour moi, même si c’est moi qui ai fait la démarche d’aller vers Jim. Je crois que la raison pour laquelle j’ai été vers lui est parce que je me sentais créatif à ce moment-là, j’avais quelque chose d’autre à offrir. Mais vraiment, tu as mis en plein dans le mille. Pour des raisons évidentes, ce n’est pas une question d’argent. C’est une question d’accomplissement personnel, mais c’est aussi par rapport aux fans. Il y a eu énormément de demande après Sympathetic Resonance pour faire un successeur. J’y ai réfléchi et à un moment donné j’ai eu un déclic, et les éloges des fans sont très importants pour moi. Je ne sais pas pourquoi, mais il n’y a rien de plus gratifiant que lorsqu’on essaye de faire quelque chose et d’être bon là-dedans, même si on ne le fait pas à plein temps et qu’on sait qu’on pourrait être meilleur, et que finalement plein de gens apprécient le résultat. J’en tire une forme de satisfaction. Je sais qu’il y a une satisfaction chez les fans également, mais ça me revient en boomerang. C’est probablement une des choses les plus gratifiantes que j’ai faites, car ça te donne un sentiment d’importance. Tu ressens une sorte de raison d’être, quand quelqu’un apprécie ce que tu fais, et tu as l’impression de faire quelque chose de bien, en dehors de ton boulot normal.
Je pense qu’on est tous comme ça, pas seulement moi. La majorité d’entre nous travaille de neuf à cinq, ou peu importe les heures, mais ce n’est pas là l’histoire de notre vie. L’histoire de notre vie, c’est ce qu’on fait en dehors nos boulots normaux, je suppose, car plein de gens ont des dons créatifs de bien des façons, qu’ils peignent ou autre. Tout le monde est bon dans un domaine. Ça peut prendre du temps à trouver, mais tout le monde est bon dans quelque chose. Quand quelqu’un trouve la chose dans laquelle il est doué et qui lui donne de la satisfaction, que ce soit en lui apportant la paix, la tranquillité ou une gratification, via les éloges des auditeurs par exemple, peu importe quoi, ça lui donne un sentiment d’accomplissement. Je pense que tout ceci a joué un rôle pour me motiver à revenir et essayer de créer d’autres musiques. On essaye toujours de s’améliorer aussi. Je veux dire que la musique, c’est un summum : tout le monde a envie de revenir et écrire un « Stairway To Heaven » [rires]. Je ne suis pas en train de dire que nous y sommes parvenus, en aucun cas. Je dis juste que cet espoir est ce qui nous motive à aller dans cette direction. Et puis, quand on a perdu ça, on perd toute motivation de ne serait-ce qu’essayer. Quand on a un minimum une âme de rêveur, on y va, on essaye et on voit ce qui se passe. Je ne prends rien pour acquis. Je suis juste reconnaissant que nous ayons pu réaliser un autre album et j’espère que les fans l’apprécient.
Interview réalisée par téléphone le 5 juin 2019 par Nicolas Gricourt.
Transcription & traduction : Nicolas Gricourt.
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