Certes, on connaît surtout Arjen Lucassen pour son space opera prog Ayreon ainsi que le plus metal Star One, mais le Néerlandais n’est jamais à court d’idées pour de nouveaux projets. Une nouvelle preuve est faite avec Supersonic Revolution et son premier album Golden Age Of Music. Plus qu’un projet, il s’agit là d’un véritable groupe monté… en vingt minutes pour répondre à une commande de reprise pour la compilation d’un magazine. Une genèse improbable mais signe d’une alchimie qui s’est imposée d’elle-même et d’un groupe « passion ». Et de passion il est effectivement question dans un album dont le concept est ni plus ni moins les années 70, celles qui ont embrasé l’imagination d’Arjen et qui lui ont donné envie de lui-même prendre une guitare et de monter sur scène, comme ses idoles. Mais attention, pas de « revival » ici, mais une modernisation de ce qu’étaient les années 70, à la sauce Lucassen et avec l’aide de musiciens qui ne les ont jamais connues.
Nous discutons de tout ceci avec le maestro qui, bien qu’étant relégué ici au poste de bassiste, reste le maître à penser du projet. Nous revenons évidemment sur cet âge d’or que représentent pour lui les années 70 et ses premiers pas dans la musique, en tant que musicien, mais aussi en tant que simple fan, toujours aussi fasciné par The Sweet, Alice Cooper, Rainbow, Deep Purple, David Bowie et consorts, sans pour autant complètement idéaliser cette époque.
« Je voulais m’inspirer des années 70, je voulais utiliser des sons issus des années 70, mais je voulais que ça sonne comme aujourd’hui, ce qui est facile car les gars dans le groupe sont tous plus jeunes que moi, et ils ne savent même pas faire la différence entre les années 70 et 80. »
Radio Metal : Supersonic Revolution tire son origine dans un morceau enregistré pour le CD de reprises du magazine musical allemand Eclipsed. Comment ce morceau a-t-il finalement engendré un groupe ?
Arjen Lucassen (basse) : Je n’en ai aucune idée ! [Rires] Tout était très spontané. Généralement, je réfléchis pendant des mois, puis je n’arrête pas de changer d’idées, encore et encore. Rien n’est spontané chez moi. Je ne suis pas doué pour la spontanéité. C’est Eclipsed qui m’a contacté : « As-tu une reprise d’un de ces groupes ? » J’étais là : « Non, désolé. » Ils ont dit : « Oh, c’est dommage ! Car tu étais sur les deux précédents » – j’avais des reprises dessus. J’ai dit : « Vous avez toujours été bons avec moi. Je vais vous en enregistrer une. » J’ai donc opté pour le morceau de ZZ Top et je me suis dit : « Je ne peux pas reprendre du ZZ Top sur ordinateur, ce ne serait pas cool, il faut que ce soit un vrai groupe. Allons voir sur WhatsApp. » Encore une fois, tout était très spontané. Tout s’est passé en moins de vingt minutes et les gens que j’ai sollicités étaient très excités ! Ils étaient tous là : « Ouais, pas de problème, mec ! » « Mais il faut que ce soit prêt d’ici une semaine, ce sera possible ? » « Bien sûr. Tu auras ma partie demain ! » J’ai ensuite reçu leurs contributions et tout était parfait. C’était tellement bon et ce sont des musiciens tellement géniaux que j’avais l’impression que ce n’était pas suffisant. Ça avait un goût d’inachevé. Au départ, c’était : « Faisons d’autres reprises ! » Mais j’ai dit : « Ouais, des reprises, je ne sais pas… Pourquoi pas faire des chansons à nous ? » Puis : « Pourquoi ne pas faire tout un album ? » Ce sont des musiciens tellement bons, tellement meilleurs que moi techniquement parlant, que c’était inspirant d’essayer de les impressionner. Je veux dire que ce guitariste a tellement de talent. C’était inspirant de lui envoyer un riff de guitare en disant : « Peux-tu faire quelque chose avec ça ? » Et il était là : « Ouais, super riff, je peux travailler dessus ! » L’alchimie était là dès le début et c’était une expérience très plaisante, surtout après le troisième album de Star One, car, comme je te l’ai dit la dernière fois, c’était compliqué. Il y avait tellement de chanteurs et de guitaristes, et ensuite tu reçois le solo d’un des guitaristes, mais ce n’est pas à cent pour cent ce que tu voulais, alors tu dois lui demander de changer, ou tu reçois des trucs que tu n’aimes pas du tout, etc. Ça me fait toujours peur, mais cette fois, ce n’était pas le cas. Je lui envoyais juste la partie et je savais que ce que recevrais en retour serait bon. C’était une expérience très différente.
Comment as-tu pensé à ces musiciens en particulier en seulement vingt minutes ?
Bien sûr, il fallait que ce soit prêt en une semaine, donc je ne pouvais pas faire appel à Ed Warby car il n’a pas son propre studio. Il aurait fallu que je réserve d’abord un studio, que je lui envoie la chanson, qu’il enregistre dans le studio… Ça aurait pris des semaines de faire ça. Il fallait donc que je trouve un batteur qui avait un studio chez lui. J’avais déjà travaillé avec Koen [Herfst] et c’est aussi le batteur de Vandenberg maintenant. Il a fait quelques autres travaux pour moi, et c’était formidable. C’était la première raison pour faire appel à lui : il était capable d’enregistrer sa partie le jour même, et il me l’a envoyé le lendemain. Mais je ne savais pas qu’il était aussi bon que ça et je ne savais pas qu’il serait aussi excité par le projet et qu’il s’investirait autant. Le choix de Joost [van den Broek] était une évidence. Ça fait maintenant vingt ans que je travaille avec lui, et il participe à chaque projet que je fais. Non seulement ça, mais je trouve aussi que c’est le meilleur joueur d’orgue Hammond que je connais, depuis que Keith Emerson n’est plus parmi nous. J’ai dû te le dire la dernière fois, mais Jaycee [Cuijpers] a chanté des pistes témoins pour l’album de Star One, on peut les entendre sur le second CD, et il a vraiment assuré. Enfin, si tu dois chanter des pistes témoins pour Russell Allen, qui est le meilleur chanteur du monde, tu as intérêt à être bon [rires]. Russell a été impressionné, il était là : « Qui est ce gars ? » Donc Jaycee était un choix évident aussi. Timo Somers a aussi joué un solo dans l’album de Star One et c’était, à mon avis, le meilleur de l’album. Il devait rivaliser avec Steve Vai, Michael Romeo et Bumblefoot, qui ont fait des solos parfaits également, mais Timo m’a mis les larmes aux yeux. Ils ont tous immédiatement réagi et dit : « Pas de problème, je vais le faire ! »
Tu as choisi d’être le bassiste dans ce groupe. Est-ce l’instrument avec lequel tu es le plus à l’aise ?
Oui. C’est ça. Surtout, Timo est un guitariste si extraordinaire que je ne lui arrive vraiment pas à la cheville. Je ne voudrais pas jouer de la guitare sur un même album où lui aussi joue [rires]. Et j’adore jouer de la basse. Les gens s’étonnent souvent : « Tu joues de la basse ?! » Mais ça fait quarante ans que j’en joue. C’était déjà le cas dans mon premier groupe Bodine. Ce n’est pas mentionné dans le livret, mais j’ai déjà joué de la basse sur l’album sorti en 1981. J’ai toujours adoré jouer de cet instrument, parce qu’avec la guitare, il faut être… Je ne sais pas, c’est six ou sept cordes, alors que la basse, tu peux la marteler ! Je m’amuse toujours à jouer de la basse et je me disais que je pouvais être au niveau de ces gars sur cet instrument.
« C’est plus dur de faire quelque chose que tout le monde comprend et qui soit quand même bon que de faire quelque chose de très énigmatique. Quand un artiste dit : ‘Je pense que chacun devrait en faire sa propre interprétation’, neuf fois sur dix, ça veut dire : ‘Je n’ai aucune idée de quoi ça parle. J’ai juste écrit des mots, maintenant à vous de voir’ [rires]. »
Comme tu l’as dit, dans cette seule semaine, tu as monté tout un groupe et enregistré une chanson, donc tout était très rapide et, j’imagine, très intuitif. Avez-vous conservé cet état d’esprit comme base du groupe ? Etant le perfectionniste que tu es, était-ce là tout le défi que tu t’es donné avec ce groupe : mettre le maniaque du contrôle au placard ?
Oui et non. Comme ils assuraient et que ce que je recevais était vraiment très bon, ça n’avait rien d’un défi. Le défi était de différencier ce groupe au maximum de mes autres projets, ce qui, de façon générale, impliquait que je voulais que ça reste aussi simple que possible. Avec Ayreon, je vais dans toutes les directions et j’utilise tous les instruments au monde, alors que là, je voulais vraiment que ça reste batterie, basse, Hammond, guitare et chant. C’est tout. Je voulais quelque chose qui pouvait être reproduit à l’identique en live, sans aucun sample ou autre, comme dans les années 70, comme c’était le cas sur Made In Japan, Strangers In The Night d’UFO et tous albums live classiques. Ça impliquait aussi que je voulais faire un album avec une seule guitare. C’était un grand défi pour moi, parce que je n’avais jamais fait ça avant. Jusqu’à présent, il y avait toujours un mur de guitares et si un solo était joué, c’était par-dessus celui-ci, alors que maintenant, quand Timo joue un solo, il ne peut pas jouer la rythmique, donc il n’y a pas de guitare dessous, juste de l’orgue Hammond. Au début, je me disais quand même : « Non, doublons ça ! » Et Timo était là : « Non, restons sur une seule guitare. » Si tu écoutes le premier album de Van Halen, il n’y a qu’une guitare, une basse et une batterie, et bien sûr, David Lee Roth. Van Halen était tellement bon qu’on peut entendre chacune des notes qu’il joue et doubler ça aurait retiré toute la spontanéité. Ceci était le plus grand défi pour moi.
Est-ce que la simplicité de ce genre de groupe t’avait manqué, vu à quel point Ayreon et Star One peuvent être très complexes à arranger et à organiser ?
Apparemment, oui. Je ne savais pas que ça me manquait, parce que j’adore être un maniaque du contrôle ! Là, il a fallu que je lâche prise et j’avais oublié à quel point ça pouvait être amusant, surtout avec ces gars. Si tu regardes les photos promo, nous sommes tous en train de rire et tout est très spontané. Nous avons aussi un groupe WhatsApp, et je ne sais pas si c’est un humour typiquement néerlandais, mais nous sommes toujours en train de nous insulter [rires]. C’est notre genre d’humour et nous nous éclatons vraiment sur WhatsApp. C’est un groupe de gens vraiment cool et tout le monde est excité par le projet. Je dois avouer que ce sentiment de groupe m’avait manqué. Même sans tourner ou jouer live, nous avons quand même ce côté groupe – par exemple, si je vois une bonne chronique, je prends mon téléphone, je la prends en photo, et je l’envoie aux autres et tout le monde réagit. Ça m’inspire et c’est plaisant.
Est-ce que ça t’a parfois rappelé l’époque Vengeance ?
Heureusement pas, parce qu’il y avait beaucoup de problèmes dans Vengeance [rires]. Tu sais comment ça se passe, quand on repense au passé, les mauvais moments nous marquent plus que les bons. Il y a eu plein de bonnes choses et bien sûr, c’était une super époque, mais il y avait aussi énormément de conneries avec l’agressivité, l’alcool, les drogues et ce genre de trucs. C’est la raison pour laquelle je n’ai plus voulu faire de concerts, à cause de toutes ces merdes que nous avons dû traverser au sein de Vengeance. C’est grosso modo la raison pour laquelle j’ai créé Ayreon en disant : « Je vais faire un simple projet où je serai seul en studio, sans tournées, sans conneries. » Donc non, ça ne m’a pas vraiment rappelé cette époque.
D’un autre côté, le maniaque du contrôle n’était-il pas frustré par moments ?
Je n’avais pas à l’être, car je n’étais pas vraiment obligé de contrôler les choses avec des musiciens aussi géniaux. C’est comme quand j’avais demandé à Steve Vai de faire un solo de guitare : ce que je j’allais obtenir allait forcément être bon. Je n’ai rien à contrôler. J’ai juste fait appel à l’un des meilleurs guitaristes au monde et j’ai reçu l’un des meilleurs solos au monde. C’était pareil avec ce groupe. C’était même plutôt l’opposé, c’était inspirant de travailler ainsi. Enfin, j’ai quand même composé la majorité des chansons et, au final, c’est moi qui décide de ce qui se passe ou de l’ordre des chansons, de ce que sera l’artwork, etc. Donc en fin de compte, j’étais quand même le maniaque du contrôle !
« Le glam rock dans les années 70, c’était un package complet. Ce n’était pas comme dans les années 80, où il n’y avait que l’apparence qui comptait. Il fallait qu’il y ait une forme d’intelligence derrière. »
D’ailleurs, même si c’est un groupe, ta marque de fabrique est partout sur cet album, dans certains sons de claviers, le riffing heavy, même les lignes de chant et les arrangements de chœurs. Dirais-tu que ton identité artistique est si forte que, même en tant que bassiste parmi quatre autres musiciens, tu finis toujours par prendre le contrôle du son de n’importe quel projet dans lequel tu es impliqué ?
Je pense avoir effectivement développé mon propre son. Musicalement parlant, j’aime plein de musiques différentes. Je n’ai peut-être pas autant de disques que toi là-derrière, mais si tu regardes ma collection ici, le prog et le metal en représentent peut-être à peine dix pour cent. Il y a plein de choses différentes stylistiquement. J’ai donc la possibilité de piocher parmi plein de styles de musique différents. Je me suis donc développé et j’ai mes préférences en matière de sons. Je n’aime pas le son numérique des années 80 ; j’aime le vrai son de l’orgue Hammond et des vrais synthétiseurs des années 70. C’est juste que je les utilise de façon différente. Si je fais un album de Gentle Storm, ce sera folk et classique. Si je fais un album d’Ambeon, ce sera très électronique et ambient. Si je fais un album de Star One, ce sera metal. Mais étrangement, les sons de base que j’utilise restent toujours les mêmes, comme l’Hammond, c’est toujours un vrai Hammond avec une vraie Leslie. Donc je pense que c’est très reconnaissable en termes sonores, et peut-être même niveau composition. Je pense qu’à un moment donné, tu te trouves un style dont il est difficile de se défaire. J’essaye, pourtant ! Je suis en train de travailler sur un nouveau projet et j’essaye de m’éloigner de mon style, genre : « Oh, je viens de faire quelque chose de vraiment différent ! » Puis je fais écouter ça à ma copine Lori [Von Linstruth], et elle est là : « Eh bien, pas vraiment. C’est typiquement toi. » Je me dis : « Eh merde ! » [Rires] Donc j’essaye vraiment, mais ça finit toujours par être reconnaissable.
C’est drôle parce que, généralement, quand un artiste démarre sa carrière, il galère à trouver son identité…
Exact, alors que moi j’essaye de m’en débarrasser ! [Rires] Eh bien, tu n’as pas non plus envie de devenir ennuyeux, pour toi-même et pour le public. Encore une fois, je suis actuellement sur un nouveau projet et je passe en revue tous les plugins modernes que j’ai. En temps normal, je laisse tomber, genre : « Ah, je vais revenir sur mon bon vieux synthétiseur. » Mais maintenant, j’essaye vraiment de me concentrer dessus, genre : « D’accord, essayons de nouveaux sons, travaillons avec ça. » Mais c’est dur, quand on est un vieux chnoque de soixante-trois ans, de mettre ses vieux sons de côté. Même si j’utilise de nouveaux sons, ils finissent par sonner comme les vieux. C’est généralement ce qui se passe [rires].
Tu as déclaré : « Je voulais avoir un projet enjoué et positif. Ayreon peut être assez sombre, mais si vous voyez des interviews de moi, je suis toujours en train de rire et de m’amuser. Je voulais que le groupe reflète ça. » Penses-tu que les gens se font parfois une mauvaise image de toi ?
Oui, vraiment. Peut-être qu’ils me voient rire en interview et ensuite, ils écoutent Ayreon et tout le monde meurt [rires]. Après, ce que j’entends souvent surtout, c’est que ce que je fais est kitsch. Mais je pense que dès qu’on s’attaque à la science-fiction, au voyage dans le temps et ce genre de thématiques, tout de suite les gens disent que c’est kitsch. Ou si on écrit des paroles que les gens peuvent comprendre : « Oh, t’es tellement kitsch. » C’est déjà arrivé dans les années 70 avec Andrew Lloyd Webber et des trucs comme Jesus Christ Superstar, que tout le monde peut comprendre, parce que c’est facile à saisir. On est qualifié de kitsch, et je trouve ça dommage. C’est plus dur de faire quelque chose que tout le monde comprend et qui soit quand même bon que de faire quelque chose de très énigmatique, où l’intervieweur demande à l’artiste : « De quoi ça parle ? » Et il répond : « Je pense que chacun devrait en faire sa propre interprétation. » Neuf fois sur dix, ça veut dire : « Je n’ai aucune idée de quoi ça parle. J’ai juste écrit des mots, maintenant à vous de voir » [rires]. Je crois que c’est difficile de raconter une histoire que tout le monde comprend en essayant de faire en sorte que ce ne soit pas kitsch, car je vois plein de trucs kitsch. Aujourd’hui, il y a ces lyrics videos et moi aussi, il m’arrive de tomber sur des paroles qui me font dire : « Oh mon Dieu, c’est tellement stupide, c’est tellement kitsch ! » Donc c’est dur de raconter une histoire que tout le monde comprend sans être catalogué comme étant kitsch.
Supersonic Revolution est donc un hommage à la musique des années 70. Le titre de ce premier album est assez explicite : qu’est-ce qui, selon toi, faisait de cette décennie « l’âge d’or de la musique » ?
Ce titre est hyper subjectif, car si tu as grandi dans les années 80, ceux-ci seront ton âge d’or de la musique. Tu écouteras Europe, Whitesnake, Iron Maiden, etc. Si tu as grandi dans les années 90, ce sera Soundgarden et Alice In Chains. Donc, c’est purement subjectif, c’est mon âge d’or. Je veux que ce soit clair, je ne suis pas en train de dire que c’était vraiment, objectivement, l’âge d’or de la musique. Je crois que la musique qu’on écoute quand on a entre dix et vingt ans est celle qui nous marque le plus, dans toute notre vie. Je suis né en 1960, donc j’avais dix ans en 1970. C’était mes années formatrices et, pour moi, personnellement, c’est l’âge d’or de la musique. Ceci étant dit, si vous regardez aujourd’hui quelles sont les têtes d’affiche de festivals, c’est principalement de vieux groupes, pour une bonne part issus des années 70. Ou si vous achetez des magazines papier, vous verrez Led Zeppelin, Deep Purple, Pink Floyd, les Beatles et autres sur la couverture, parce que c’est ce qui vend. Donc je suppose que c’est un avis un peu plus objectif que subjectif. Je pense que les années 70 étaient réellement très inspirantes pour plein de groupes et le sont toujours.
« Je me souviens encore d’un article paru dans le plus gros magazine néerlandais, Aardschok, le gros titre était : ‘Arjen Lucassen est un Hilter’ [rires]. Dans le temps, quand je devais faire des concessions avec d’autres gens, je n’étais pas quelqu’un de très sympa. J’aurais pu devenir un gros con si je n’avais pas eu de succès. »
Comment classerais-tu les diverses décennies, d’un point de vue musical, en commençant aux années 60 quand tu es né jusqu’à aujourd’hui ?
Il est clair que les années 70, c’est la numéro un. Les années 60 sont en seconde position – j’adore les années 60. J’ai découvert les années 60 plus tard ; j’ai fait un projet qui s’appelait Strange Hobby avec lequel j’ai fait des reprises heavy de chansons des années 60. C’est là que j’ai vraiment plongé dans cette décennie et les Kinks, les Beatles, Donovan, etc. J’adore aussi le grunge des années 90. Ils ont passé un coup de balai sur tout ce qu’il y a eu dans les années 80 – je ne suis pas un fan des années 80. Il y avait Nirvana, Alice In Chains… Ils ont apporté un vent de fraîcheur et j’aime ça. J’avais même aimé le punk dans les années 70 – en 1976 – qui a dégagé tous les dinosaures, il était temps que ça arrive, donc je suis ouvert à tout ça. Je dirais donc que les années 90 sont en troisième position. Après ça, ça devient difficile. Ceci serait mon top trois.
Dans la chanson éponyme tu mentionnes toutes les innovations de l’époque. Trouves-tu qu’il n’y en a plus tant que ça ?
C’est tellement dur d’être original maintenant. Comme je l’ai dit, essayer de trouver de nouveaux sons que j’aime ou de faire quelque chose de neuf, c’est vraiment dur. Enfin, on peut faire quelque chose de neuf, mais ce sera merdique. C’est très dur de faire du neuf qui soit vraiment bien. Donc oui, c’est de plus en plus dur d’être original, clairement. Mais tous les soirs, avant d’aller me coucher, je vais sur YouTube pour écouter toutes les nouveautés, et même si ce n’est pas toujours à mon goût, c’est sacrément bon ! Si vous regardez tous ces nouveaux groupes dans la scène prog metal, les Haken, Leprous, etc. ils sont incroyablement doués. Techniquement et en termes de production, c’est bien meilleur que ce qu’il y avait dans les années 70, mais malgré tout, ça reste la source. Aujourd’hui, les groupes, même s’ils ont le talent pour, ce n’est plus possible d’atteindre le statut qu’ont atteint Led Zeppelin et Deep Purple. Je trouve vraiment qu’il y a encore énormément de bonne musique qui sort, mais c’est difficile d’être original.
Justement, on a vu l’émergence d’un important mouvement revival des années 70 ces dix à quinze dernières années. Quel est ton sentiment par rapport à ça ? Y adhères-tu ou trouves-tu ça vain parce que c’est justement une époque que l’on ne peut recréer ?
Ça ne m’intéresse pas du tout. Surtout s’ils cherchent à sonner comme dans les années 70, parce que ça a été fait et qu’on ne peut pas faire une meilleure chanson que « Kashmir ». Des groupes ont essayé depuis, mais ça relève de la magie. Ou « Stargazer », personne ne sera jamais capable de créer une chanson aussi bonne que ça, car ça a été fait. Donc, je trouve que ce n’est pas intéressant d’essayer de recréer ce son. Enfin, si un groupe a envie de le faire, super, c’est toujours mieux que d’utiliser l’intelligence artificielle pour faire de la musique. Mais je n’avais pas envie de faire ça sur cet album, je ne voulais pas qu’il sonne comme dans les années 70. Je voulais m’inspirer des années 70, je voulais utiliser des sons issus des années 70, mais je voulais que ça sonne comme aujourd’hui, ce qui est facile car les gars dans le groupe sont tous plus jeunes que moi, et ils ne savent même pas faire la différence entre les années 70 et 80, ils croient sans doute qu’Europe c’est les années 70… Donc heureusement, ils remettent ça au goût du jour. C’est très important pour moi.
D’un autre côté, la plupart de tes œuvres, si ce n’est toutes, empruntent à cette époque, même si c’en est une version modernisée et personnalisée. Est-ce que ça n’a pas été ton but inavoué de revivre les sensations de ta jeunesse ?
C’est très dur de revivre ça, parce que ce ne sera jamais pareil et je déteste regarder en arrière, ce qui peut paraître étrange. Si vous écoutez ma musique, vous pourriez dire que je vis dans le passé, mais pas du tout, c’est pourquoi j’ai dit que je regarde plein de nouveaux groupes sur YouTube tous les soirs, car j’ai envie d’être inspiré par de la nouveauté, pas que par des vieux trucs. Le fait de repenser aux vieilles musiques m’attriste toujours, car quand c’est vraiment bon, je me dis : « Oh mon Dieu, je ne vais jamais revivre la musique comme je l’ai vécu dans le temps. » Donc non, je n’essaye pas du tout de revivre ça, mais je veux le célébrer. Evidemment, tout ceci a commencé avec une reprise de ZZ Top, donc je pense que c’est aussi ce qui m’a fait décider d’utiliser les années 70 comme concept. De même, c’est très facile pour moi, car je sais tout des années 70. Les paroles sont très authentiques, je n’ai pas eu à beaucoup y réfléchir. C’était juste : « Ok, qu’est-ce qui était important pour moi dans les années 70 ? Qu’est-ce qui m’a marqué ? Faisons-en des paroles. » De même, si tu regardes bien, nombre des textes sont écrits au présent, pas au passé, comme pour dire que tout n’était pas mieux à l’époque. J’essaye de rester dans le présent, comme dans « Golden Age Of Music » : « Ceci est l’âge d’or de la musique. » Et pas : « Ceci était l’âge d’or de la musique. » Car l’époque que l’on vit aujourd’hui est toujours un âge d’or de la musique pour beaucoup de gens.
« J’étais trop flemmard pour apprendre à jouer d’un instrument, donc j’ai commencé dans un groupe de playback, qui mimait des chansons de glam rock, et nous tournions dans pas mal d’écoles. Je portais une perruque de ma mère et j’avais un morceau de bois en guise de microphone. »
Tu as mentionné que tu « voulais que ça sonne comme aujourd’hui, ce qui est facile car les gars dans le groupe sont tous plus jeunes que [t]oi ». En effet, aucun d’entre eux n’a vécu les années 70. Trouves-tu que ça a créé un équilibre à cet égard ?
J’espère vraiment, parce que commercialement parlant, si je suis coincé avec le public des années 70, ça limite sacrément mon audience ! Car ils ont maintenant tous plus de soixante ans, voire ils sont morts [rires]. Je veux que les gosses aiment aussi cette musique. Timo a complètement ce style de nouveau guitare hero en lui. Même Joost ne joue pas de l’orgue Hammond de la même façon que Jon Lord dans les années 70. C’est plus proche de ce qui se fait actuellement. C’est juste que c’est fait avec un vrai son d’orgue Hammond des années 70 qu’on n’entend plus. Si cet album permet à des jeunes de découvrir les années 70, c’est génial, mais je trouve que pas mal de musiques des années 70 n’ont pas résisté à l’épreuve du temps. Même si tu prends les super chansons que je viens de mentionner et les compares aux productions actuelles, ça ne sonne pas très bien. Il n’y a pas assez de basse… Les productions n’étaient pas très bonnes. Donc, je peux imaginer que quand ils écoutent de la musique des années 70, les jeunes d’aujourd’hui se disent : « Oh, c’est horrible ! » C’est comme quand moi j’écoutais de la musique des années 50 en mono, sans basse, etc. Tu te dis : « Oh bon sang, j’aime bien la chanson, mais je déteste la production. » C’est super de prendre la musique des années 70 et de lui donner une vraie grosse production moderne.
C’est d’ailleurs une réflexion que je me suis faite récemment en réécoutant la version originale de « Black Night » de Deep Purple : le son est vraiment pas terrible ! Les versions live sorties après étaient bien meilleures.
C’est vrai. C’est ce qui se passait dans les années 70. C’est pourquoi j’aimais tellement les albums live, car le son original était vraiment merdique. Je veux dire que si tu écoutes « Smoke On The Water », le son de cette guitare au début, c’est affreux ! Alors que les albums live étaient tellement authentiques et sonnaient bien plus gros que les albums studio, ce qui n’est plus le cas maintenant. Aujourd’hui, on a la chance de pouvoir faire des albums studio qui sonnent vraiment bien. Pour moi, tout l’intérêt des albums live s’est un peu dissipé. Il n’y a plus la magie qu’il y avait dans les années 70. Thin Lizzy est un bon exemple. Tous les albums de Thin Lizzy avaient un son de merde, ils sonnaient trop maigres, puis tout d’un coup, tu avais un album live. Je voulais capturer ce feeling live. Même si nous n’avons pas enregistré live et que nous n’étions pas tous ensemble en studio, j’ai voulu obtenir cette impression. C’est aussi pourquoi j’ai utilisé une seule guitare.
En parlant de Deep Purple, tu as dit que « Burn It Down » est « entièrement basé sur ‘Smoke On The Water’ mais écrit du point de vue de ‘l’idiot avec le pistolet lance-fusées’ mentionné dans les paroles ». Comment as-tu eu l’idée de faire ça ?
Bonne question. Encore une fois, j’étais en train de regarder YouTube. Je vieillis, donc au bout d’une demi-heure, je m’endors et les vidéos continuent de tourner en donnant des suggestions. Quand je me suis réveillé, c’était sur « Smoke On The Water » et je me demandais : « Oh mon Dieu, pourquoi ce morceau est-il un tel classique ? Pourquoi est-il si bon ? Ce riff est tellement débile, pourquoi est-il si bon ? Pourquoi ne suis-je pas capable de faire ça ? Pourquoi dois-je toujours faire des choses aussi complexes ? » J’ai donc pris ma guitare en disant : « Je veux écrire une chanson comme ça. » J’étais en train de gratouiller et à un moment donné, j’ai eu un riff, et je me suis dit : « Oh, c’est tellement cool, mais ça ressemble beaucoup à ‘Smoke On The Water’, je ne peux pas l’utiliser. » Je l’ai enregistré et le lendemain matin, je l’ai réécouté et je me suis dit : « Mais j’ai quand même envie de faire quelque chose avec. Et si je ne cachais pas le fait que ça ressemble à ‘Smoke On The Water’ ? Pourquoi est-ce que je n’écrirais pas des paroles qui parlent de ‘Smoke On The Water’ ? » Je ne sais pas si tu connais l’histoire de « Smoke On The Water ». Ça parle d’un casino [à Montreux] où Frank Zappa a joué et un imbécile avec un pistolet lance-fusées a tout incendié. Deep Purple était dans un hôtel quelque part et ils pouvaient voir sur l’eau la fumée du casino en feu. J’étais là : « Ce serait cool d’expliquer l’histoire et de répondre aux questions : Qui a mis le feu ? Qui était le gars avec le pistolet lance-fusées ? Pourquoi a-t-il fait ça ? Et où est-il maintenant ? » En gros, j’explique avec mes paroles qui a fait ça, pourquoi il l’a fait et ce qui lui est arrivé. Ça peut paraître arrogant, mais je trouve que c’est l’un des trucs les plus cool que j’ai jamais faits. J’ai trouvé ça super de l’aborder sous cet angle, car maintenant quand on me dira que ça ressemble à « Smoke On The Water », je pourrais dire : « Oui, bien sûr, parce que ça parle de ‘Smoke On The Water’ ! » [Rires].
« Les gens sont si facilement offensés aujourd’hui ! C’est fatigant, il faut faire très attention à ce qu’on dit. Donc, en gros, je ne dis rien. Donne ton opinion aujourd’hui et tu te mettras toujours à dos des gens, et c’est la dernière chose dont j’ai envie. »
« The Glamattack » parle de l’arrivée du glam rock, qui a fait passer un cap supplémentaire en termes de spectacle, de costumes, d’attitude, notamment en comparaison des années 60. Ces aspects visuels et vestimentaires étaient-ils pour toi aussi attrayants et fascinants que la musique ?
Oui, vraiment. C’est un package complet. Mais ce n’était pas comme dans les années 80, où il n’y avait que l’apparence qui comptait. Il fallait qu’il y ait une forme d’intelligence derrière. Encore une fois, je ne veux pas donner des noms, mais quand on parle de groupes kitsch des années 80, tu sais bien qui j’ai en tête [rires], et il n’y avait rien derrière. Alors que si tu prends David Bowie, c’était cool, c’était un type intelligent, ses paroles étaient intelligentes, ses chansons étaient géniales, les compositions étaient superbes, mais il avait un look extravagant, avec son maquillage, ses cheveux étranges, ses habits bizarres. Pareil pour Alice Cooper, Sweet et Slade. J’adorais ce genre de look et c’était très important pour moi, mais il fallait que ce soit appuyé par la musique, parce qu’il y avait aussi plein de trucs merdiques dans les années 70, des groupes comme Mud ou Gary Glitter. Il y avait plein de groupes de glam rock qui étaient atroces. Mais ceux que j’ai mentionnés, Alice Cooper, David Bowie, Sweet, Slade, avaient de très bonnes chansons et écrivaient leur propre musique – en tout cas, Sweet l’a fait à un moment donné. J’adore toute cette esthétique. Pour moi, ça élève la musique. C’était une dimension supplémentaire. Soit dit en passant, dans la chanson, je ne parle pas des « sixties », mais de « sixteens », ce qui renvoie à une chanson de The Sweet. J’imagine qu’ils parlaient de gens qui avaient seize ans, je ne sais pas. Encore une fois, c’est plein de références. Mais j’adore aussi les années 60, et ça avait déjà un peu commencé dans les années 60, il y avait des gens comme Arthur Brown, qui en gros était l’exemple qui a inspiré Alice Cooper. Il avait déjà du maquillage autour des yeux entre autres. Mais oui, les années 70, surtout à partir de 71, c’est là que j’ai acheté tout ce qui était glam, j’adorais ça.
D’ailleurs, Andy Scott de Sweet a fait un commentaire sympa sur la chanson « The Glamattack ». Il a dit que tu devais « sûrement déjà être une rockstar en Hollande ». Es-tu donc considéré comme tel dans ton pays ?
Qu’est-ce qu’une rockstar ? Je ne suis qu’un vieil ermite dans son studio, donc je ne me sens pas du tout comme une rockstar. Peut-être que dans les années 80, j’étais un peu arrogant, je me sentais comme une rockstar, mais aujourd’hui, non, pas du tout. Je ne crois même pas être connu dans le mainstream. Enfin, quand je marche dans la rue, il y a toujours quelqu’un qui me connaît, mais ce n’est pas comme si je ne pouvais pas sortir de chez moi et que les gens venaient tout le temps me voir. Je ne suis pas du tout populaire ici, même si mes albums finissent toujours à la première place, mais c’est juste grâce à une communauté de fans fidèles qui me connaît.
Tu es surtout connu pour ta musique et pour les gens, tu as justement un peu cette image d’ermite qui travaille toute la journée sur de la musique. N’as-tu jamais voulu développer davantage ton image, sur le plan visuel comme dans le glam ?
J’étais un peu un poseur dans les années 80. Si tu regardes les vieux albums de Bodine, c’était moi le gars avec les cheveux totalement teints en blond, j’avais toujours du maquillage aux yeux, je portais toujours des pantalons en élasthanne, etc. J’étais un pur glam rockeur dans les années 80. Seulement, le reste du groupe n’en était pas. Si les autres avaient été aussi dingues que moi, ça aurait été encore plus fou. J’aurais aussi aimé que Vengeance soit plus glam, mais ils étaient plus comme AC/DC, ils n’aimaient pas le maquillage et ce genre de connerie. Je pense que ça aurait été plus extrême si j’avais été dans un groupe qui pensait comme moi. Evidemment, maintenant, si vous voyez ce que nous faisons lors des concerts d’Ayreon, c’est assez extravagant. Lors des concerts d’Electric Castle, j’étais le hippie, avec tout le maquillage, etc. Je vais probablement trouver encore quelque chose de bizarre pour les prochains spectacles. J’ai toujours aimé ça.
A un moment donné, dans les paroles, ça dit : « Personne vers qui se tourner, pas un ami dans le monde, rien que moi et mon ombre, ignoré par les filles, je mets mon casque et je rêve toute la journée. Un jour, ce sera moi qui brillerai sur cette scène. » Dans quelle mesure est-ce le jeune Arjen qui a écrit ce passage ?
Joost a écrit la musique de la partie centrale, et il disait : « Il y a cette partie lente ici qui doit être un peu triste. » J’ai dit : « Je peux trouver des paroles pour ça. » J’étais un vrai intello à cette époque et je voulais être sur scène, donc cette partie est vraie. Je n’étais pas vraiment ignoré par les filles, heureusement [rires]. Donc cette partie n’est pas exacte. Mais oui, clairement, je regardais The Sweet et ce genre de chose, et c’est ce que je voulais faire. Je voulais être sur cette scène, ça c’est vrai.
« Je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans le monde, c’est terrible et je suis content que tout le monde ne soit pas comme moi, parce que ce serait affreux. Je ne sais même pas à quoi ressemble le président des Etats-Unis, c’est horrible [rires]. »
Comme tu l’as dit, tu avais dix ans en 1970. Comment était le jeune Arjen Lucassen ?
C’était un peu un connard [rires]. Je n’étais pas un gars facile, y compris dans les groupes. Je savais ce que je voulais et ça agaçait les autres, car je voulais que les choses soient faites à ma façon. En tout cas, je pensais que je savais ce que je voulais, car je n’avais pas encore la technique et les capacités. J’ai développé ça seulement quand j’ai commencé Ayreon, quand j’avais la trentaine. Je pense donc que j’étais un peu casse-couille. Comme je l’ai dit, je voulais être sur cette scène. Si quelqu’un dans le groupe n’était pas suffisamment bon, peu importe s’il était sympa, je disais : « On a intérêt à se débarrasser de lui et à trouver quelqu’un de meilleur. » Je pense que beaucoup de gens de cette époque n’ont pas un souvenir très affectueux de moi. D’ailleurs, je me souviens encore d’un article paru dans le plus gros magazine néerlandais, Aardschok (tremblement de terre). J’avais viré le guitariste parce qu’il n’était pas assez fanatique pour moi, il ne travaillait pas suffisamment dur, et il me comparait à Hitler. Le gros titre était : « Arjen Lucassen est un Hilter » [rires]. Maintenant j’ai l’air d’un gars sympa, mais c’est juste parce que j’obtiens ce que je veux. Je suis arrivé là où je voulais et le maniaque du contrôle peut faire exactement ce qu’il veut, et c’est bien. Mais dans le temps, quand je devais faire des concessions avec d’autres gens, je n’étais pas quelqu’un de très sympa. J’aurais pu devenir un gros con si je n’avais pas eu de succès. Mais bien sûr, il faudrait poser la question à des gens de cette époque.
Ce qu’il y a de bien, c’est que j’ai toujours été honnête. C’est le plus important pour moi. J’ai travaillé avec plein de musiciens maintenant, peut-être entre deux cents et trois cents dans Ayreon, et certains sont très difficiles, mais ils ne s’en cachent pas, on le sait d’avance. Ce que je ne supporte pas, c’est quand on ne peut pas faire confiance aux gens, quand ils font des choses derrière ton dos. J’ai aussi connu ça, une ou deux fois, et c’est vraiment merdique. Je déteste ça. Je n’ai jamais été comme ça, personnellement. J’ai toujours été franc et juste avec les gens. Je pense que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je réussis maintenant et peux travailler avec autant de gens, car je n’ai jamais été malhonnête. Je peux aussi compter sur plein de gens de la vieille époque. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé Ayreon. Je ne pouvais pas encore faire appel à de grands noms, donc je travaillais avec pas mal de gens du temps de Bodine et de Vengeance pour pouvoir enregistrer les premiers albums d’Ayreon.
Qu’est-ce que penserait le jeune Arjen en voyant ce qu’est devenu le vieil Arjen ? Est-ce qu’il serait à la hauteur de ses espérances ?
J’y pense très souvent ! Je me souviens quand j’ai regardé les Monsters Of Rock à la télé avec un ami, je voyais Iron Maiden et Bruce Diskinson qui courait sur scène, je me disais : « Oh mon Dieu, regarde-moi ça ! C’est tellement cool ! Bruce Diskinson a rejoint Iron Maiden ! » Car j’étais déjà un de ses fans quand il faisait partie de Samson. Si tu avais dit au petit Arjen qui regardait les Monsters Of Rock à la télé avec son copain que ce gars allait être dans son studio, qu’il allait chanter sa chanson, qu’il allait vouloir faire un album solo avec lui, j’aurais été là : « Ouais, bien sûr… » Ou je regardais Steve Vai avec David Lee Roth, genre : « Oh mon Dieu, ce gars est aussi bon que Van Halen ! C’est un vrai hero et en plus, il a une sacrée allure ! », il avait le pur look glam rock à l’époque. Si tu avais dit au petit Arjen à ce moment-là : « Ce gars va jouer un solo de guitare de trois minutes sur ton album, il va travailler dessus pendant des mois et ce sera parfait, et tu vas parler avec lui et il dira des choses sympas sur toi en interview », je ne l’aurais pas cru. Donc oui, je pense qu’il aurait été très fier de moi.
Quelle était ta première sensation musicale ?
Ça devait être dans les années 60, sans doute les Beatles. Ma grande sœur avec l’album Revolver et, bien sûr, Sgt. Pepper, et ce genre de choses. La chanson « I’m The Walrus » m’a vraiment marqué. J’en avais tellement peur, avec tous ces sons étranges, et ça reste ma chanson préférée de tous les temps. En tant qu’auditeur, c’était donc les Beatles. Puis, quand j’ai commencé à acheter des disques, c’était la période glam rock, donc ça a commencé avec The Sweet et Alice Cooper. Puis, à un moment donné, quand j’ai commencé à jouer dans un groupe, c’était entièrement à cause de Deep Purple et leur live Made In Japan. « Stargazer » de Rainbow reste la chanson de rock ultime pour moi. Je veux dire qu’il n’y aura jamais rien de mieux pour moi, personnellement. Mais c’était en 76, je crois, et j’avais déjà commencé à jouer de la musique, donc ça doit être Made In Japan de Deep Purple qui m’a donné envie de moi-même jouer de la musique.
« Quand David Bowie est mort, je n’arrivais pas à le croire. Bowie ne meurt pas, Bowie est éternel, Bowie est un extraterrestre. Ça ne peut être vrai. Ça m’a profondément marqué quand il est mort, c’était juste impossible. »
Quel était ton premier instrument ?
Une guitare acoustique vraiment merdique avec une seule corde. Donc tout ce que je pouvais jouer dessus était « Smoke On The Water ». J’étais trop flemmard pour apprendre à jouer d’un instrument, donc j’ai commencé dans un groupe de playback, qui mimait des chansons de glam rock, et nous tournions dans pas mal d’écoles. Je portais une perruque de ma mère et j’avais un morceau de bois en guise de microphone. C’était comme ça jusqu’à ce que j’entende Deep Purple et là, j’ai acheté une imitation merdique d’une imitation de Fender [rires].
J’imagine que c’est pour ça que des chansons comme « Smoke On The Water » sont devenues si influentes : elles sont très faciles à jouer pour les jeunes guitaristes.
Absolument, oui. Tu commences par jouer des reprises de chansons que tu es capable de jouer. C’est la plaisanterie récurrente avec « Stairway To Heaven ». Tu commences à jouer ça dans un magasin de musique et tous ces panneaux « Pas de Stairway To Heaven ! » s’allumeront [rires].
Il y avait aussi cette idée d’être étrange et de choquer dans les années 70. Nous avons eu une discussion à ce sujet avec Alice Cooper et il a dit qu’« on ne peut plus choquer un public, car CNN est plus choquant que Slipknot, Alice Cooper ou Rob Zombie » et qu’« aujourd’hui, le shock rock est mort ». Qu’en penses-tu ?
C’est vrai. Enfin, pas juste CNN, mais aussi la série The Walking Dead et tous les trucs de zombie. Il faut y mettre de l’humour maintenant, et Alice Cooper l’a très bien compris. C’est mon plus grand héros de tous les temps – tu peux voir, il y a Billion Dollar Babies accroché là. C’est mon plus grand héros parce qu’il y met de l’humour ; il fait dans l’horreur et il choque mais avec ironie. J’adore ça. Pour la plupart de ceux qui essayent maintenant d’impressionner les gens avec de l’horreur, ça ne marche plus, mais si vous essayez d’y mettre un peu d’humour, ça peut le faire.
D’un autre côté, on dirait qu’on entend parler tous les jours des gens sur les réseaux sociaux qui se sentent offensés. N’est-ce pas paradoxal ?
Absolument. Les gens sont si facilement offensés aujourd’hui ! C’est fatigant, il faut faire très attention à ce qu’on dit. Donc, en gros, je ne dis rien. Je me contente de parler de ma propre musique, j’essaye de promouvoir mes nouveaux albums et je fais ces jeux de devinettes idiots, « Qui est ce chanteur ? », « De quoi parle ces paroles ? » et ce genre de choses. Je n’ai pas du tout envie de faire partie de ça. Donne ton opinion aujourd’hui et tu te mettras toujours à dos des gens, et c’est la dernière chose dont j’ai envie. Je veux offrir de l’évasion, ce qui ne veut pas dire que je n’ai aucun avis, car j’en ai. Lori et moi rions parfois en nous disant que si on mettait une petite caméra chez nous et que les gens entendaient ce que nous disions, ils nous détesteraient, car j’ai des opinions bien arrêtées sur tout ça, les réseaux sociaux, ce que les gens disent, tout le mouvement woke et ce genre de choses. Mais je suis un musicien, donc je n’ai pas envie d’embêter les gens avec mes opinions là-dessus. Je n’ai même pas envie de les influencer, parce que je suis un musicien, ce n’est pas mon rôle de faire ça. Je n’ai même pas envie d’en entendre parler. On peut avoir l’impression que je suis très actif sur les réseaux sociaux, mais pas du tout. Je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans le monde, c’est terrible et je suis content que tout le monde ne soit pas comme moi, parce que ce serait affreux. Je ne sais même pas à quoi ressemble le président des Etats-Unis, c’est horrible [rires].
« The Rise Of The Starman” parle à la fois de David Bowie et de son personnage extraterrestre fictionnel Ziggy Stardust. Est-ce en partie eux qui t’ont motivé à créer tes propres personnages dans tes space operas ?
En fait, j’ai créé mon propre personnage pour Ziggy ici. En gros, j’ai fait comme pour « Burn It Down » et les paroles sur « Smoke On The Water ». J’ai donné ma vision de qui est Ziggy. On qualifie [The Rise And Fall Of] Ziggy Stardust [And The Spiders From Mars] d’album conceptuel, mais ce n’en est pas vraiment un, il n’y a pas de véritable histoire compréhensible sur ce que c’est. Personnellement, je trouvais juste ça cool, visuellement et musicalement, mais je n’avais aucune idée de quoi ça parlait. De façon générale, si on ne m’expliquait pas clairement, je ne cherchais pas le sens derrière les choses. Peut-être étais-je superficiel quand j’étais gamin, je ne sais pas. Peut-être est-ce pourquoi j’aimais Alice Cooper, car ses textes étaient très clairs, genre « Elected » – c’est la chanson qui me vient en tête parce que j’ai Billion Dollar Babies là : « Je veux être élu, je veux être le président des Etats-Unis d’Amérique. » C’est juste cool. C’est d’ailleurs la première chanson que j’ai entendue d’Alice Cooper. Il y avait beaucoup d’humour dans ses paroles et elles étaient très faciles à suivre. Alors que Ziggy Stardust n’était pas facile à suivre, je n’avais aucune idée à l’époque de quoi ça parlait. Ce que j’ai donc essayé de faire ici, c’est de découvrir qui était le personnage de Ziggy, pourquoi il est venu sur Terre et ce qui lui est arrivé. C’est comme avec les reprises : je veux en donner ma propre interprétation. Je ne ferais jamais une reprise pour copier l’original à l’identique, ce serait parfaitement ennuyeux.
« Je sais déjà que cet album n’aura pas la reconnaissance qu’il mérite, et c’est très frustrant, car j’en suis très fier et j’aimerais que des tas de gens l’entendent, mais comment faire ? On peut aller tous les jours sur Facebook et dire : ‘Cet album est super bon !’ A un moment, les gens seront là : ‘Allez, donne-nous un album d’Ayreon !' »
Après, oui, c’est aussi la raison pour laquelle je crée mes propres personnages dans mes histoires, comme les Forever et, bien sûr, dans Electric Castle, avec le barbare, le hippie, etc., et les Alphans dans The Source. Les gens me demandent souvent : « Pourquoi n’écris-tu pas sur une histoire qui existe déjà, comme Dracula ? » Parce que ça a été fait ! C’est très important pour moi de faire mes propres trucs. C’est aussi toute la discussion sur l’intelligence artificielle : pourquoi ne pas simplement dire à une I.A. d’écrire des textes pour toi ? Créer moi-même et trouver mes propres idées et paroles est ce qui me procure du plaisir.
Ziggy Stardust se décrit comme n’étant pas genré et David Bowie était lui-même très androgyne. Aujourd’hui, on voit toutes ces problématiques de genre. Dirais-tu que Bowie était en avance sur son temps sur ces questions ?
De toute évidence ! Il était en avance sur son temps sur plein de plans. Quand il est mort, je n’arrivais pas à le croire. Bowie ne meurt pas, Bowie est éternel, Bowie est un extraterrestre. Ça ne peut être vrai. Ça m’a profondément marqué quand il est mort, c’était juste impossible, car c’était un tel innovateur, et il savait tellement de choses. Il me semblait vraiment être un extraterrestre. Mais oui, il a clairement vu tout ça venir.
Vous avez une chanson baptisée « Odyssey » et une autre « Fight Of The Century » où vous mentionnez un choc des Titans, donc les deux utilisant des termes issus de la mythologie grecque. Finalement, le rock serait-il la mythologie de notre ère moderne ?
Je le pense, oui, et mon frère serait d’accord avec ça, car il enseigne le latin et le grec. J’adore ces mythologies, c’est extraordinaire. Il est clair aussi qu’on trouve de nombreuses références à tout ça dans le rock, le metal et le prog. Ceci dit, « Odyssey » dans cette chanson vient du nom d’Apollo 13, donc ce n’est pas vraiment une référence à la mythologie grecque. Et bien sûr, le combat du siècle, c’était entre Mohamed Ali et Joe Frazier.
L’artwork présente un logo très arrondi dans la veine de celui de Yes, des couleurs vives et même un arc-en-ciel. Est-ce aussi une manière de contraster avec l’époque morose que l’on vit ?
Tout le projet est comme ça ! Avec ça, je veux offrir de l’évasion. Je lis beaucoup de magazines, et nombre de groupes parlent de l’état actuel des choses, ce qui n’est pas un souci, mais ce n’est pas pour moi. Si j’écoute de la musique, je veux m’évader. J’ai voulu ça toute ma vie et c’est probablement pourquoi j’aimais le glam rock et Alice Cooper. C’était de la pure évasion, c’était : « Evadons-nous de ce monde en musique. » C’est clairement ce que je veux offrir, ce qui est étrange, parce que certains de mes albums traitent clairement de l’état du monde, mais j’essaye d’éviter. Donc, sur l’artwork, je voulais avoir des couleurs criardes et quelque chose de très positif, contrastant clairement avec la sombre époque actuelle et tous ces groupes qui sortent des albums obscurs. Je voulais que ça saute au visage avec ces couleurs vives. Le logo était drôle aussi. C’est en effet dans la veine de Yes, parce que je suis un énorme fan de Roger Dean. Je l’ai d’ailleurs contacté pour faire le logo, car il a fait celui de Yes et, bien sûr, ça traite des années 70, donc je me disais que ce serait cool. Quand je l’ai contacté, j’ai découvert qu’il était fan. Il m’a dit qu’il avait acheté le dernier album de Star One. Il a quatre-vingts ans maintenant, j’étais là : « Oh mon Dieu, mon héros achète ma musique ! » Ensuite, il a promis de faire le logo, mais finalement, ça ne s’est pas fait. Toutes les semaines, j’étais là : « Où en es-tu ? » « Oui, désolé, je suis très occupé. Peux-tu attendre encore quelques mois ? » J’étais là : « Non, je ne peux pas. » Alors j’ai fait mon propre logo. Je me suis dit que j’allais essayer. Je n’avais jamais fait ça avant – enfin, j’ai aussi fait le logo d’Ayreon. J’étais sous la douche et je l’ai dessiné sur le mur de la douche, et j’étais là : « Ouah ! » Je suis sorti et je l’ai travaillé moi-même. J’en suis très fier.
Les gens savent à quoi s’attendre de ta part quand tu fais Ayreon ou Star One, mais es-tu anxieux quand tu présentes un nouveau projet comme celui-ci ?
Oui, vraiment. J’ai très peur qu’il n’obtienne pas la reconnaissance qu’il mérite, et d’ailleurs, je sais que ce sera le cas. Je n’ai donc aucun espoir que ceci devienne énorme et plus gros qu’Ayreon. Ça n’arrivera pas. De même, le concept, c’est les années 70, donc ce sera dur de toucher les plus jeunes. Je sais déjà qu’il n’aura pas la reconnaissance qu’il mérite, et c’est très frustrant, car j’en suis très fier et j’aimerais que des tas de gens l’entendent, mais comment faire ? On peut aller tous les jours sur Facebook et dire : « Cet album est super bon ! » A un moment, les gens seront là : « Allez, donne-nous un album d’Ayreon ! » C’est vraiment effrayant de faire quelque chose comme ça, donc autant ne pas y penser. Je me suis juste dit : « Je voulais faire ce projet, j’ai passé une superbe année avec ces gars à travailler là-dessus, et je suis très fier du résultat final. » Certaines personnes vont aimer et beaucoup ne vont pas y prêter attention. C’est comme ça. Je dois juste l’accepter.
Tu as dit être en train de travailler sur un nouveau projet. Qu’est-ce que c’est ?
Je ne suis pas sûr d’avoir le droit d’en parler. Ce n’est pas pour moi. Autrement, je te l’aurais dit. C’est pour quelqu’un d’autre, donc ce sera aussi sous le nom de cette personne, mais tout est très basique et nous ne faisons qu’essayer des choses. On saura dans quelques mois si ça va marcher.
Interview réalisée par téléphone le 7 avril 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emma Hodapp.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Lori Linstruth.
Site officiel d’Arjen Lucassen : www.arjenlucassen.com
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« l’intervieweur demande à l’artiste : « De quoi ça parle ? » Et il répond : « Je pense que chacun devrait en faire sa propre interprétation. » Neuf fois sur dix, ça veut dire : « Je n’ai aucune idée de quoi ça parle. J’ai juste écrit des mots, maintenant à vous de voir » [rires] »
Bordel c’est tellement vrai ! 🤣
Excellente interview, comme d’habitude sur RM. A chaque fois je commence à lire en me disant « Pfff c’est beaucoup trop long », et quand j’arrive à la fin je dis « Merde, déjà ? »
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Merci à Arjen de nous faire revivre l essence du hard rock des années 70 avec de très bons titres de l album
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