« Décennie noire ». « Années de plomb ». « Années de braise ». Autant d’expressions à la limite du poétique pour décrire dix ans de conflit armé entre le gouvernement algérien et divers groupes islamistes. Dix ans de violences qui ont fait des milliers de morts, de disparus et de déplacés. Une guerre dont on parle peu dans les manuels scolaires et dont beaucoup de Français seront sans doute surpris d’apprendre qu’elle s’est officiellement terminée en 2002 – autant dire hier.
Pour Samir Remila et Mus El Kamal, respectivement bassiste et guitariste d’Arkan, la guerre civile algérienne, c’est du vécu. Une enfance et une adolescence passées sur fond d’ultra-violence, cela laisse forcément des traces… mais pas nécessairement celles que l’on attendrait. En bons artistes, Samir et Mus ont exorcisé ce passé « complètement taré » en musique, et développé avec leurs compères un album concept qui permet de (re)découvrir la décennie noire de l’intérieur, à l’échelle humaine ; à la fois une ode à la résilience et un avertissement on ne peut plus en phase avec l’actualité.
On en parle ci-après avec quatre des cinq membres d’Arkan, restés positifs et souriants malgré le sujet grave de leur nouvelle galette – et malgré le contexte actuel, pas vraiment favorable aux musiciens.
« Ce qui est un peu tragique dans l’affaire, c’est que nous, en tant qu’enfants, en tant qu’adolescents, nous vivions très bien, parce que tu ne vois pas la dangerosité et le chaos qui t’entoure. C’est la normalité, car tu n’as connu que ça. […] C’est un ensemble d’événements qui font qu’un jour, tu te dis : ‘Mais en fait, ce n’était pas tout à fait normal ce qu’on a vécu !’ [Rires]. »
Radio Metal : Lila H sort quatre ans après Kelem : à quoi ont ressemblé ces quatre années pour Arkan ?
Mus El Kamal (guitare) : Ces quatre années ont été un peu un moment où nous nous sommes concentrés sur cet album-là. Ça a duré longtemps. Si on enlève la dernière année, où il y a eu à la fois le Covid-19 et des moments où nous nous sommes attelés à l’organisation de la sortie, nous avons mis pas mal de temps à composer cet album. Nous sommes passés par plusieurs phases de recherche, nous avons exploré des sons différents, nous sommes partis sur des pistes complètement différentes, nous sommes partis dans du rock, du prog, des titres qui duraient douze minutes, des trucs complètement tarés… Après, nous avons eu une phase où nous avons carrément exploré des trucs beaucoup plus rentre-dedans, en mode death metal, années 1990… Ça a été une période d’expérimentation intense, qui nous a permis d’arriver à un son, à des titres où nous avons dit : « Voilà ce qu’on veut faire ! On veut que ça ressemble à ça, et que ça soit comme ça ! » Et ça a mis quand même beaucoup de temps, c’était un processus assez long.
En décembre, Manuel, tu nous disais que Lila H était enregistré. Finalement il sort presque un an plus tard. C’est, comme pour beaucoup, l’un des effets de la pandémie ?
Manuel Munoz (chant & guitare) : Bien sûr, cette histoire a mis tout le monde par terre. Il y a eu beaucoup de frustration. C’était une grande frustration de se dire que nous avons repoussé la sortie de cet album pour éviter le Covid-19, et finalement, la situation a peu évolué ! D’un côté, nous sommes libérés, parce que ça y est, nous pouvons présenter notre bébé à tout le monde, au public, et nous espérons que les fans vont s’y retrouver. Pour l’instant, les retours des médias sont excellents, donc nous sommes assez confiants. Et d’un autre côté, nous savons que nous ne sommes pas près de mettre un pied sur scène pour pouvoir le défendre. Nous ne sommes pas les plus à plaindre, mais c’est quand même une drôle de période.
Vous avez choisi d’aborder sur ce disque un sujet qui vous touche personnellement toi, Mus, et Samir, à savoir la guerre civile algérienne qui s’est déroulée durant votre enfance. Comment en êtes-vous venus à vous confier là-dessus avec le reste du groupe ? Y a-t-il une raison qui vous a poussés à en parler aujourd’hui ?
L’abus d’alcool ?
Mus : Oui, ça aide toujours [petits rires]. En fait, ça s’est fait d’une manière assez naturelle. C’était un sujet que nous avions un peu mis de côté, en considérant que ce n’était pas aussi important d’en parler, que ça faisait partie de notre histoire, mais que ce n’était pas grave. Mais au fur et à mesure, nous nous rendions compte qu’au final, nous en parlions souvent, même si nous l’avions un peu enfoui en nous. A certains moments, nous en discutions, et nous cherchions aussi un thème fort pour parler des événements qui se passent dans le monde. Tous les albums d’Arkan sont liés à des événements géopolitiques ou historiques concernant le monde arabo-musulman, et à la façon dont les choses sont vues par l’Occident. C’est ce mélange des deux qui est intéressant. Un jour, nous nous sommes dit : « Et si on parlait de la décennie noire ? », donc tous les événements qui se sont passés en Algérie entre 1989 et 2000. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit que nous allions juste raconter des anecdotes entre nous. Nous avons passé des soirées entières à parler des anecdotes, des événements importants, de nos proches, de nos amis, etc. Ce qui a donné un ensemble de thèmes assez varié. Après ces soirées où nous avons discuté de toutes ces histoires, il a fallu les raconter, et c’est Manu et Florent qui pourront mieux en parler, parce que ce sont eux qui ont écrit les textes.
Manuel : Nous avions chacun nos petits carnés, nous prenions des notes pendant qu’ils nous racontaient ces histoires. Et c’est vrai qu’une fois que nous nous sommes retrouvés avec ce matériau brut, extrêmement sensible, il a fallu aussi faire des choix pour savoir ce qui était transposable, ce que nous allions pouvoir raconter, etc. Nous ne pouvions pas prendre des faits, simplement, et dire : « Une bombe a explosé là », ce n’est pas très intéressant. Il faut donc réussir à faire de ces faits bruts des chansons. C’était la deuxième phase du travail, qui était hyper intéressante. Et en même temps, c’est un petit peu casse-gueule, car il ne faut pas trahir l’histoire que nous ont racontée Sam et Mus. Il faut en faire quelque chose que nous allons faire écouter à des gens comme nous, des Européens qui n’ont pas du tout vécu ça dans leur chair, mais qui l’ont vu de loin. Il faut pouvoir le raconter à un fan américain qui, lui, ne sait même pas où est l’Algérie sur la carte, et en même temps à un fan algérien d’Arkan qui ne doit pas se sentir trahi en entendant ces histoires-là, et qui ne doit pas se dire : « Ils nous ont piqué notre truc et ils ont fait n’importe quoi. » Donc c’était compliqué, mais c’était hyper intéressant comme phase de travail, et il fallait que ça sonne. En tout cas, nous sommes vraiment très heureux du résultat.
Samir a dit que vous aviez essayé, malgré le contexte de l’époque, d’avoir une enfance et une adolescence « normales ». Comment faisiez-vous ? Peux-tu nous parler de cette enfance et adolescence, Mus ?
Mus : À l’époque, nous ne comprenions pas trop ce qu’il se passait. Tu te retrouves dans une situation où tu réagis par rapport à ce que disent les parents, les adultes. Tout ce que tu sais, c’est que ça se passe mal, et que ce qu’il se passe n’est pas tout à fait normal, mais en tant qu’enfant, tu vas toujours trouver des solutions pour t’amuser, quelles que soient les circonstances. Ce qui est un peu tragique dans l’affaire, c’est que nous, en tant qu’enfants, en tant qu’adolescents, nous vivions très bien, parce que tu ne vois pas la dangerosité et le chaos qui t’entoure. C’est la normalité, car tu n’as connu que ça. Ce sont surtout les parents qui ont pris cher pendant cette période-là – tous les parents algériens de l’époque, pas seulement les miens ou ceux de Samir. Eux étaient dans le stress absolu, avec une vision un peu obscure de l’avenir, avec des crises économiques qui étaient aussi très dures. En tant qu’enfant, tu t’en fous s’il n’y a que du riz dans ton assiette, mais ta mère, quand elle ne donne que du riz à ses enfants, elle se met à pleurer, elle ne s’en fout pas. C’est un ensemble d’événements qui font qu’un jour, tu te dis : « Mais en fait, ce n’était pas tout à fait normal ce qu’on a vécu ! » [Rires] Tu te rends compte que ceux qui ont le plus souffert, ce sont nos parents.
« Moi, à trente ans, quand j’entends parler de ce que des potes ont vécu et vu de leurs propres yeux, je suis anéanti, sur le plan émotif, et eux, ils en parlent en rigolant. Cette fausse légèreté permettait de rendre les choses moins cruelles, moins horribles que de la façon dont ils l’ont réellement ressentie, j’imagine, mais moi, je n’étais pas prêt à ça. »
Quand on te rencontre et qu’on te fréquente un peu, ce qui ressort rapidement c’est ton humour. Sans faire de la psychologie de comptoir, à quel point ton côté bon vivant et ton humour se sont construits en réaction à ces événements traumatiques ?
Bonne question ! Je ne sais pas. Peut-être que les choses sont liées. Justement, quand tu es gamin et que tu n’as pas grand-chose pour t’amuser, tu trouves des solutions pour t’amuser. C’est ce que nous disions tout à l’heure. En réalité, avec un rien, on peut passer une bonne soirée, on peut rigoler, on peut jouer… Et on peut le faire avec tout le monde, parce qu’il y a du bon en tout le monde, et si tu cherches la bonté chez quelqu’un, déjà, tu passes une bonne soirée avec cette personne-là ! Et ça peut être avec un inconnu ou une inconnue. Peut-être que c’est aussi une conséquence de notre enfance qui était complètement tarée, on va dire, mais ça m’a formé à aller vers les autres.
Les autres : Comment vous êtes-vous sentis lorsque Mus et Samir vous ont inclus dans cette démarche très personnelle ? Et quel effet leur histoire a-t-il eu sur vous ?
Florent Jannier (chant & guitare) : Moi, évidemment, je connais Samir et Mus depuis quinze ans, donc moi comme Foued, nous n’avons pas véritablement découvert cette histoire spécifiquement pour cet album-là. Nous entendions beaucoup d’anecdotes assez régulièrement là-dessus. Je me suis pas mal renseigné, et je pense que Manu aussi, quand nous avons écrit les paroles, pour essayer de comprendre le contexte de ces anecdotes. Donc pour moi, ça s’est fait de manière assez naturelle, parce que j’ai toujours été, depuis quinze ans, immergé dans ces histoires-là. Je pense que ça a été un exercice différent pour Manu qui a dû découvrir le contexte de l’époque…
Manuel : Ça te fait relativiser tous les mauvais coups qui te sont arrivés quand tu étais gamin ! [Rires] Tu te rends compte à quel point nous avons eu une jeunesse privilégiée ici. J’ai eu droit à quelques petites anecdotes avant que l’idée se développe, et à chaque fois, je les entendais raconter des choses atroces, avec un air un peu détaché, comme si c’était une panne de voiture. On relativise énormément. J’étais vraiment remué par ces histoires-là, et j’essayais de les retranscrire dans ma manière d’écrire.
Foued Moukid (batterie) : Comme Florent, j’ai découvert ces histoires très vite dans nos relations extra-musicales. Nous prenions des pots, nous discutions, etc. et comme Manu, j’avais eu comme un choc de civilisation. Ils nous racontaient des choses qu’ils avaient vues avec leurs yeux d’enfants, ils y mettaient la symbolique d’adultes qu’ils étaient devenus, mais avec une espèce de légèreté, sans donner de détails parce que c’était réellement insoutenable avec mon ressenti du moment. Moi, à trente ans, quand j’entends parler de ce que des potes ont vécu et vu de leurs propres yeux, je suis anéanti, sur le plan émotif, et eux, ils en parlent en rigolant. Cette fausse légèreté permettait de rendre les choses moins cruelles, moins horribles que de la façon dont ils l’ont réellement ressentie, j’imagine, mais moi, je n’étais pas prêt à ça. Il y a des anecdotes qui ont été racontées sur des choses qu’ils ont pu voir, et ils n’ont pas vécu au même endroit mais ils ont vécu la même chose. Tu vis avec ça, et tu te dis : « Il faudra qu’on en parle un jour, mais est-ce que nous, Florent, Manu et moi, sommes prêts à entendre et porter ce message-là ? Et surtout, sont-ils prêts à le dire ? » Ca ne s’est pas fait tout de suite. Et la façon dont les choses ont été amenées, si ça n’a pas été dit lors du premier album ou du deuxième, c’est qu’ils n’étaient pas prêts à en parler, et je pense que nous ne nous sentions pas la capacité de mettre de la musique autour de ces histoires poignantes.
Florent : Et je pense que l’initiative ne devait pas venir de nous. Vu que c’étaient des expériences très personnelles, je pense que c’était plutôt à eux de nous montrer qu’ils étaient prêts à ce que l’on raconte leur histoire. Je n’aurais pas de moi-même lancé le sujet comme ça, parce que c’est trop personnel.
A quoi fait référence ce titre, Lila H, par rapport à ce concept et ce vécu ?
Mus : Le titre de l’album est une sorte de stratification de symboles différents et de lectures différentes. Lila H est un prénom, celui d’une jeune fille ou d’une dame. C’est aussi la nuit en arabe, et ça veut aussi dire « adieu » et « au nom de Dieu ». C’est un peu le thème de l’album qui parle de cette décennie noire et de l’obscurantisme, de tous ceux qui ont cru obéir à une religion, alors qu’en réalité, ils étaient manipulés. On parle aussi du concept d’adieu, de l’acceptation de la mort, d’une certaine façon. C’est un peu un résumé de tous les thèmes abordés dans chaque titre. Chaque titre est basé sur une anecdote précise et il y a toujours cette dualité entre l’obscurité et la lumière. Dans l’album, il y a une progression, au début c’est très sombre, très agressif, très brutal, et au fur et à mesure que l’album avance, on a l’impression qu’il y a un lever du soleil qui arrive, avec une note d’espoir et qui exprime la résilience des peuples. Au final, c’est toujours l’espoir qui gagne.
Manuel : Comme chez les Avengers ! [Rires]
« C’est aussi important, en tant que Français et Occidental, de se pencher sur l’histoire algérienne et de la connaître pour ne pas commettre les mêmes erreurs et ne pas laisser les mêmes choses se produire en France. »
Est-ce que ce vécu et ce conflit entre le pouvoir algérien de l’époque et des groupes islamistes trouvent à vos yeux une résonance aujourd’hui, dans une France qui semble divisée sur la question de l’islam et de l’islamisme ou considérez-vous ça comme des contextes déconnectés ?
Mus : C’est déconnecté, ce sont deux situations différentes, même si l’une est liée à l’autre, d’une certaine manière. Tous les mouvements islamistes des années 90 ont infiltré l’Europe peu de temps après. Ce sont souvent les mêmes, les instigateurs qui étaient Algérie, du Front Islamique du Salut, du GIA, etc. qui sont venus s’installer en France. C’est donc aussi important, en tant que Français et Occidental, de se pencher sur l’histoire algérienne et de la connaître pour ne pas commettre les mêmes erreurs et ne pas laisser les mêmes choses se produire en France.
De façon plus générale, quel message voulez-vous faire passer, non pas en tant que Mus ou Samir, mais en tant qu’Arkan, à travers ce disque ?
Foued : Comme le disait Mus, le nom de l’album a plusieurs significations et, comme toujours dans la musique d’Arkan, nous ne venons pas juste proposer une musique, nous venons aussi proposer un concept, une idée, quelque chose que nous avons envie de défendre, des messages forts, et nous utilisons la musique pour faire passer des messages autant que faire se peut, avec beaucoup d’humilité. Nous estimons qu’on nous donne la possibilité de nous exprimer et nous voulons l’utiliser pour faire le bien, ou en tout cas le mieux. Dans cet album, il y a énormément de choses, auxquelles tu fais référence et dont Mus vient de te parler, avec notamment un coup d’éclairage sur quelque chose qui a été une monstruosité dans les années 90 et des liens qu’on peut assez facilement faire – et tu l’as notamment fait dans ta dernière question – avec ce qu’on vit aujourd’hui, que ce soit en Europe ou dans des pays arabes. Dans notre histoire, on essaie systématiquement de faire des parallèles avec ce qu’on vit, avec notre quotidien, avec un volet plus positif et optimiste, en s’appuyant sur ce qui semble être pourri pour finalement visualiser quelque chose de beaucoup plus éclairé à terme. Evidemment, nous parlons d’espoir parce que nous sommes des humanistes, mais c’est ainsi que nous voyons la vie. Malgré les difficultés, ce que nous avons pu décrire dans Kelem, nous y avons accordé autant que possible une note d’optimisme, et ça s’est moins mal fini que ça aurait pu, même si on n’a pas encore vu le bout du tunnel. Encore aujourd’hui, avec ce que l’on vit, on parle de séparatisme ou de communautarisme, et c’est compliqué de voir le bout du tunnel, parce qu’on est encore en plein dedans, mais comme toujours, nous essayons à notre façon de donner un élan positif à un quotidien qui n’est pas toujours très [réjouissant]. J’ai l’impression que c’est le même type de réponse que je donne à chaque album, parce qu’à chaque fois, nous décrivons quelque chose de difficile, et nous y mettons systématiquement le même éclairage, le plus optimiste possible. Mus et Samir sont des exemples extraordinaires de la résilience, via leur humour, leur légèreté : on peut survivre et on peut vivre très bien après.
Les thématiques que vous abordez sont généralement assez difficiles, parfois sociétales – Kelem qui était un peu une photographie du printemps arabe et de ses conséquences – ou personnelles – Sofia. Est-ce que vous avez forcément besoin de cette gravité émotionnelle pour créer de la musique ? Ou bien est-ce la musique qui est nécessaire pour exorciser ces émotions qui vous habitent ?
Florent : en tout cas, en tant que chanteur, c’est sûr que c’est plus facile de dégager de l’émotion sur un thème très porteur et grave que sur une thématique moins chargée en émotion. Forcément, je ne peux pas appliquer mon chant growl sur des thématiques qui ne s’y prêtent pas.
Foued : Oui. Le premier EP, c’était les histoires d’un terroriste, et après les thèmes abordés par Arkan sont systématiquement graves. Car ce vecteur de communication, nous voulons l’utiliser pour dire des choses qui nous tiennent à cœur ou qui nous portent, que ce soit le thème qu’on traite dans Lila H ou tous les thèmes que nous avons traités au travers de nos précédents albums.
Etant donné la dimension très personnelle de l’album, est-ce que l’écriture a été différente ?
Manuel : Le fait est que la force créatrice principale d’Arkan, c’est Mus. C’est une espèce de volcan créatif qui fait des éruptions de riffs. Pour un album qui va te rester entre les mains, il y en a peut-être quatre qui vont être composés en tout. Il a produit énormément de musique. Tout était toujours bien, à mon sens, mais il jetait quand même tout à la poubelle ! Il a donc fait un énorme tri dans sa production pour arriver aux riffs et aux morceaux que tu vas ensuite retrouver sur l’album. Nous l’avons accompagné individuellement, Florent ou moi, dans sa création, et je n’ai pas senti que tu cherchais à aller vers quelque part, mais au contraire que tu laissais les choses sortir telles qu’elles sortaient. Je pense que c’est la manière la plus naturelle de créer de la musique, c’est-à-dire juste de s’écouter. Ça peut être un challenge intéressant de se dire qu’on va faire un album de tel type exactement, mais là c’était vraiment quelque chose de très pur, et nous, derrière, la « difficulté » était justement de prendre ces choses pures et d’essayer maintenant de dire que nous, par contre, nous avons un message, un objectif de ce que nous voulons raconter et comment nous voulons le raconter, comment nous allons pouvoir nous adapter à cette musique et quels changements nous pourrions proposer pour que ça colle un peu plus. Ce sont donc des ajustements qui sont arrivés par la suite, mais l’âme de cet album, c’est Mus.
« La force créatrice principale d’Arkan, c’est Mus. C’est une espèce de volcan créatif qui fait des éruptions de riffs. Pour un album qui va te rester entre les mains, il y en a peut-être quatre qui vont être composés en tout. »
Au-delà des textes, est-ce que les morceaux eux-mêmes ont été consciemment façonnés dans l’idée de matérialiser musicalement ces histoires, ces anecdotes, ces douleurs, etc. ?
Ça s’est fait par la suite. Nous savions tous déjà dans quelle direction nous allions au niveau du thème, donc ça a forcément dû avoir une influence sur le riffing, sur la manière de faire…
Mus : Il y a eu aussi plein d’allers-retours. Parfois, nous avons composé des choses, nous avons mis des voix, après nous nous sommes dit que finalement nous allions revoir toutes les voix et même la musique, et revenir sur une étape précédente. Il y a eu énormément d’allers-retours entre nous, nous avons beaucoup répété, nous avons beaucoup travaillé sur les logiciels, sur les fréquences, sur les sons, sur les leads, sur les mélodies – beaucoup de mélodies. Il y a eu un travail d’aller-retour entre les textes et les compositions à certains moments. Il y avait par exemple un titre qui va être ultra-rentre-dedans, donc nous allons dire « on va parler de ça », vu que c’est intense et violent, nous allons parler d’un thème violent. Puis nous nous rendons compte que non, au final, nous allons essayer d’alléger le titre et de le rendre plus calme pour que ça colle mieux à d’autres paroles. Du coup, tu as commencé avec un titre death metal et ça devient presque une ballade, pour au final revenir sur la version death metal !
Manuel : Si l’enregistrement était arrivé un mois plus tard, il y a peut-être deux morceaux qui ne seraient pas sur l’album ou qui seraient complètement différents.
Florent : C’est surtout la composition du chant qui, évidemment, a été influencée par le concept. Le but était de faire ressortir certains sentiments, à la fois de colère et de révolte – là, naturellement, c’est plutôt un chant assez agressif qui va ressortir –, et de les mettre en contraste avec des passages plus calmes et donc un chant un peu plus classique. Je dirais que le concept en lui-même n’a pas forcément énormément influencé la musique, mais la façon dont nous avons composé le chant et surtout la façon dont nous avons ajusté nos deux types de chant, pour le coup, ont été beaucoup influencées par le concept.
Justement, même si Mus et Samir vous ont raconté leur histoire, vous n’avez pas vécu ce qu’ils ont vécu. Comment êtes-vous parvenus à traduire ce vécu ?
L’axe que nous avons choisi, c’est vraiment les anecdotes qu’ils sont venus nous raconter. Nous aurions pu choisir un angle plus général pour parler du contexte de l’histoire, mais ce n’est pas le parti pris que nous avons choisi, parce que les anecdotes nous semblaient suffisamment intéressantes pour pouvoir s’attacher. Forcément, nous avons essayé de nous mettre à leur place, même si ce n’est pas évident parce que nous n’avons pas du tout le même passé. Nous avons aussi pas mal étudié le contexte de l’époque. Et il y a un moment où il faut se lancer dans l’écriture, donc nous nous sommes lancés et nous avons commencé à faire lire les paroles à Mus et à Samir, pour voir quel était leur ressenti.
Manuel, Lila H est ton second album avec Arkan. J’imagine qu’en quatre ans tu as pu mieux t’intégrer à l’univers particulier d’Arkan. Surtout, je sais que tu n’étais « que moyennement satisfait de [t]es performances vocales sur Kelem, car [tu] étais un peu malade pendant l’enregistrement ». Du coup, quelle évolution vois-tu entre Kelem et Lila H dans ton approche de la musique d’Arkan, de ton intégration dans celle-ci, de ton chant, etc. ? Penses-tu t’être plus lâché dans ton interprétation et sur un plan créatif ?
Manuel : Déjà, je n’étais pas malade ! [Rires] C’est déjà plus facile. Ensuite, évidemment, j’étais en terrain connu, puisque maintenant je connaissais très bien tous les membres du groupe, alors qu’en arrivant en 2016, je ne connaissais réellement que Foued. La grande différence aussi, c’est que quand je suis arrivé en 2016, nous étions sur le point d’entrer en studio. J’avais même demandé à ce que nous repoussions la date parce que c’était trop juste pour terminer. Tout avait été fait très vite, avec cette deadline qu’il fallait absolument respecter, donc c’était beaucoup moins naturel. Cette fois, nous avons eu plus de temps pour préparer, avec Florent il y avait une petite relation de confiance qui s’était créée, donc c’était beaucoup plus facile de s’aider et de se critiquer mutuellement, de dire : « Tu l’as fait comme ça, mais je serais toi, j’essaierais comme ça. » C’était beaucoup plus équilibré et naturel d’enregistrer et préparer le chant pour cet album. D’ailleurs, nous avions tout maquetté avant d’arriver, ce qui fait que toutes les lignes de chant avaient déjà été enregistrées au moins une fois. Au niveau préparation, nous savions exactement où nous allions. Je ne sais plus sur quel refrain, il y a seize chœurs, les seize chœurs avaient déjà été enregistrés ; Fredrik Nordström n’en a gardé que quatre, mais ce n’est pas grave [rires].
Malgré ton insatisfaction, est-ce que tu arrives à retirer quelque chose de positif de ta session sur Kelem ?
Oui, bien sûr ! L’album est vraiment très bien, il me plaît énormément, mais – il n’y a peut-être que moi qui les entends – il y a toujours des endroits où j’entends mes petits tressautements de voix sur certaines notes qui doivent tenir très longtemps et ça me fait toujours tiquer. Mais c’est une preuve d’investissement [rires].
Foued : Alors c’est ça les tressautements ? Je croyais que c’était un effet ! [Rires]
Mus : Tu viens de me gâcher l’album ! [Rires]
« Si tu n’arrives pas en sachant ce que tu vaux et en ayant un minimum confiance en toi… Nordström ne te met pas en confiance ! […] L’apport de Nordström dans Arkan vient aussi de sa dureté. C’est un type qui est en angles droits, et il vient par sa dureté pondérer Mus qui est un latin pur et dur et qui part dans tous les sens. Quand on arrive au studio, on va droit dedans et on obtient un truc incroyable. »
La violence dont on parlait est pleinement incarnée par le rôle que tu tiens, Florent, qui est très présent dans l’album, alors qu’il avait peut-être tendance à être un petit peu plus en retrait sur Kelem et surtout Sofia. C’est particulièrement prégnant sur « Dusk To Dawn » et les growls monstrueux à la fin de « Shameless Lies ». Manuel, ça n’a pas été difficile parfois de te faire une place dans cette déferlante ? Comment la dynamique entre ta voix émotionnelle et sensible et la voix massive voire monstrueuse de Florent s’est-elle construite ?
Manuel : Comme tu l’as dit toi-même, Florent est assez monstrueux comme garçon [rires], donc dans ce sens-là je suis très impressionné. Si tu veux, tout le choix qui a été fait au niveau du chant, nous l’avons fait à deux. Nous avons travaillé à deux sur le chant de Florent tout comme sur le mien, et ensuite c’est la musique et le thème qui vont dicter les besoins. Il y a aussi des titres où il n’y a que du chant clair. C’est vrai que la production de Fredrik Nordström a fait de Florent une espèce d’être mythique, un ancien dieu grec, je ne sais pas, qui fait que sa voix est incroyablement puissante sur cet album, donc ça ressort encore plus, mais je ne me sens absolument pas lésé dans la répartition du chant sur cet album, car ce sont vraiment des choix que nous avons faits à deux – peut-être validés ou des fois retirés par le groupe.
Florent : Il n’y a surtout pas eu de volonté de vouloir tirer la couverture d’un côté plutôt que de l’autre. Le but était d’avoir une vision globale de l’album. Le but de Manu n’était pas de placer plus de chant clair et le mien n’était pas de placer plus de chant metal, c’était de trouver un équilibre qui faisait sens par lui-même.
Manuel : Mais maintenant que tu le dis, ça me dérange peut-être un petit peu… [Rires]
L’album se termine une nouvelle fois sur un long morceau en plusieurs parties, c’est vraiment une tradition chez Arkan. Comment se pense un tel morceau ? J’imagine que, peut-être contrairement à d’autres morceaux, ça vient moins spontanément ?
Foued : C’est plutôt le contraire !
Manuel : Mus a écrit ce morceau deux semaines avant qu’on entre en studio, donc il a été fait très spontanément ! [Rires]
Foued : C’est une machine à riff. En fait, le plus dur avec Mus c’est de l’arrêter. Donc la problématique ne s’est pas posée dans la durée… Après, il fallait que ça ait du sens et que ce soit travaillé, mais je pense que plus il a de place, plus il s’exprime. Ça s’est vu sur chaque dernier titre de chacun de nos albums. Plus Mus a de place, plus ça se propage.
Mus : C’est plus simple d’écrire un titre de douze ou quinze minutes que de faire un titre de trois minutes – ce qui est paradoxal –, car tu as le temps de laisser les choses se poser, laisser les mélodies arriver, faire des arrangements, des montées en puissance, des descentes, etc. Alors que quand tu n’as que trois minutes pour composer un titre, il faut aller directement à l’essentiel, et là ça devient plus compliqué ; pour le coup, je ne suis vraiment pas à l’aise, je ne sais pas faire ça. Le format radio, c’est une spécialité. Je pense que c’est un challenge en tant que compositeur, ça doit être très compliqué à faire. Ce titre était beaucoup plus long au départ, il était aux alentours de quinze minutes ; c’était même quasiment deux titres de dix minutes à un moment, c’était juste insupportable. Il a donc fallu nettoyer encore et encore, et au final nous sommes arrivés à quelque chose de cohérent.
Compte tenu du sujet de l’album, qui est très lourd, vous avez dit qu’il vous fallait enregistrer dans un studio où vous vous sentiez chez vous. Ca fait depuis votre premier album, Hilal, que vous enregistrez au studio Fredman, chez Fredrik Nordström. Comment décririez-vous la relation que vous avez nouée avec ce studio et ce producteur en douze ans ?
Foued : C’est un producteur, donc quand on va le voir, il faut le réserver, il faut le payer, mais c’est bizarre, parce que nous ne le voyons plus comme un producteur. C’est vraiment un ami, et un ami qui nous emmerde quand on enregistre, un ami qui est très exigeant et qui est capable de nous pousser dans nos retranchements. Nous avions absolument besoin d’aller chez lui pour cet album-là pour les raisons que tu viens d’évoquer, et il y avait aussi le souhait de faire partager avec Manu la relation privilégiée que nous avons avec Fredrik, et de lui montrer que, certes, Manu sait très bien chanter mais que ce n’est pas parce qu’il sait très bien chanter qu’il n’allait pas se faire emmerder par Fredrik qui est une vraie plaie ! Il a donc testé le Suédois. Il a été très dur avec nous sur le premier album parce qu’il ne nous connaissait pas et qu’il ne savait où nous voulions aller, mais il a vu que nous étions aussi perfectionnistes que lui et que nous étions surtout de bons soldats ; il est très martial dans sa façon de s’exprimer, dans la recherche de la perfection, et nous nous sommes appliqués à faire ce qu’il nous demandait en lui disant que nous le payions pour ça. Le résultat a été tellement bon dès le premier album que la relation qui s’est créée avec lui a été systématiquement simplifiée avec les albums suivants, à tel point qu’à la fin, il nous demandait ce que nous voulions et ce n’est plus lui qui imposait la patte Nordström. Dès le deuxième album, comme pour le troisième jusqu’au cinquième, c’était : « Ok, où est-ce que vous voulez arriver ? Comment vous voulez qu’on y aille ? Quel est le niveau d’exigence que vous attendez de moi ? » Sur une échelle de zéro à cent, nous étions à peu près à cent douze ou cent treize avec lui, et il nous a poussés dans nos retranchements, comme toujours. Nous nous y attendions, mais c’est toujours intense, avec un résultat qui est extraordinaire. La voix de Manu qui était déjà extraordinaire, il l’a vraiment poussée plus loin – je ne dis pas ça parce qu’il est là, enfin si je dis ça parce qu’il est là [rires]. La voix de Florent qui est d’une puissance monumentale indépendamment de Nordström, et qui surprend systématiquement Fredrik… Pour la petite histoire, quand il voit Florent renter, il se rappelle rarement que c’est le chanteur – il sait qu’il est guitariste, il s’ait qu’il est chanteur, mais il oublie, parce que la carrure de Florent ne présume pas de sa puissance vocale, et pourtant quand il prend le micro, sans effet, sans rien, c’est monstrueux – et à chaque fois, la première fois qu’il est de nouveau confronté à la voix de Florent, il a un geste de recul ! Mais bref c’est une relation d’amitié et de confiance, et de manière très anecdotique, une relation pécuniaire [rires].
« La façon dont nous voulions défendre cet album est que nous voulions pouvoir maîtriser la totalité des étapes, et c’est compliqué à faire quand tu es sur un label. Quand tu es sur un label, tu rentres dans un moule, même si tu peux négocier tel ou tel élément, ce n’est jamais simple. Nous avons démarché des labels pour trouver quelque chose qui serait un peu comme Fredrik, qui ferait du sur-mesure, mais c’est impossible. »
Travailler avec cette exigence, en plus de la charge émotionnelle du disque, ça ne vous a pas fait peur ?
Non. Par contre, il y a eu des tensions.
Manuel : Si je peux intervenir, j’avoue que je suis content d’avoir enregistré avec Nordström à l’âge que j’ai aujourd’hui et de ne pas avoir fait comme eux l’ont fait, le premier album avec Nordström, parce que je pense que la marche était gigantesque. Si tu n’arrives pas en sachant ce que tu vaux et en ayant un minimum confiance en toi… Nordström ne te met pas en confiance ! Il y a des producteurs qui ont un côté psychologue, et en tant que chanteur je trouve que c’est important parfois, quand on a un coup de mou, on se dit qu’on ne va pas y arriver, d’avoir le gars qui te met la main sur l’épaule et t’emmène prendre un café, on parle de la vie, il te dit que c’est incroyable ce que tu fais, il te remet en selle et hop, t’es reparti. Nordström, non. T’es là en train de mettre tes trippes sur le comptoir, tu n’as plus voix, ça coupe d’un coup : « Refaits la prise. » C’est reparti, tu n’as pas le temps de reprendre ton souffle, tu n’as même pas eu le temps de boire une gorgée d’eau et il faut quand même y retourner ! Il est dur. Je pense que l’apport de Nordström dans Arkan vient aussi de sa dureté. C’est un type qui est en angles droits, et il vient par sa dureté pondérer Mus qui est un latin pur et dur et qui part dans tous les sens. Quand on arrive au studio, on va droit dans le truc et on obtient un truc incroyable. Mais ça fait peur… Ça ne fait plus peur d’aller chez Nordström ?
Foued : Non, mais ce n’est jamais agréable d’aller en studio. Quel que soit le niveau du musicien dans le groupe, c’est un plaisir d’aller le voir, de vivre cette expérience-là, mais être confronté à l’exigence d’un producteur, même quand c’est quelqu’un…
Mus : Tu as aussi la fatigue…
Foued : Il y a la fatigue de la composition, la fatigue du voyage, la fatigue de la vie qui fait qu’au moment où tu arrives, tu n’es pas forcément toujours au meilleur de ta forme, et quand lui arrive et te dit que ce n’est pas bon et qu’il faut le refaire, il ne dit pas « s’il te plaît » et il arrête. Que tu sois batteur, chanteur ou guitariste, c’est toujours un peu brutal.
Quels ont été les principaux challenges de cet enregistrement et sur quoi vous a-t-il le plus poussés ?
Je pense que c’est sur les deux chanteurs que ça s’est joué.
Florent : Moi, j’ai eu personnellement un challenge, parce que j’étais malade pendant l’enregistrement – c’était mon tour ! Honnêtement, ça a été assez compliqué. Pendant un moment, j’ai pensé que je n’allais pas être capable d’assurer. Pour moi, le challenge, c’est d’avoir réussi à faire le job dans les conditions dans lesquelles j’étais à ce moment-là.
Manuel : Pour le reste, au chant, il y a un ou deux titres qui sont plus difficiles que d’autres, mais l’album est peut-être un petit peu moins exigeant que Kelem, étonnamment. Et puis comme j’étais à peu près en forme à ce moment-là, c’était peut-être moins difficile à enregistrer. Après, on se retrouve devant un grand monsieur, dans tous les sens du terme, donc il faut être à la hauteur.
Cet album sort sans label, donc en indépendant : pourquoi ce choix ? Est-ce un choix d’ailleurs ?
Foued : Oui ! La relation avec notre ancien label [Overpowered Records] était excellente, nous sommes amis avec Arnaud [Bondelu], mais la façon dont nous voulions défendre cet album est que nous voulions pouvoir maîtriser la totalité des étapes, et c’est compliqué à faire quand tu es sur un label. Quand tu es sur un label, tu rentres dans un moule, même si tu peux négocier tel ou tel élément, ce n’est jamais simple. Nous avons démarché des labels pour trouver quelque chose qui serait un peu comme Fredrik, qui ferait du sur-mesure, mais c’est impossible, d’autant plus à un moment où la musique n’est pas forcément la mieux portante. Nos exigences étaient très élevées, en face il n’y avait pas forcément les solutions que nous recherchions. L’indépendance, nous nous étions déjà penchés dessus pour l’album Kelem, mais nous n’avions pas donné suite parce que la relation avec Arnaud nous semblait convenable et nous pensions que ça pouvait répondre parfaitement à ce que nous voulions ; pour cet album-là c’était satisfaisant. Pour Lila H, nous voulions quelque chose de « maîtrisé », avec chaque pan choisi par nous.
Mus, si on prend l’exemple d’un musicien comme Ibrahim Maalouf qui a développé une trompette à quatre pistons pour pouvoir jouer les quarts de ton utilisés dans la musique arabe, est-ce que tu as toi-même développé une approche particulière de la guitare, héritée de ta culture algérienne ?
Mus : Tout à fait. La guitare électrique, avec les quarts de ton, ça peut être compliqué à faire sonner, mais tu peux très bien faire un bend, mais le quart de ton est très peu utilisé dans Arkan, mis à part dans deux ou trois passages acoustiques où on utilise un instrument traditionnel ; ça peut être un oud où il n’y a quasiment pas de fret, donc tu as naturellement des notes en quart de ton, mais nous utilisons très peu ça. C’est plus dans les mélodies et les gammes. Globalement, dans tous nos albums, il y a une gamme qui revient systématiquement, c’est un peu une gamme « arkanienne », c’est un mélange de deux gammes mélodiques. On la retrouve dans tout ce qui est lead, les solos, les mélodies, parfois dans certaines progressions, etc. C’est plus cette gamme qui fait notre sonorité, inspirée à la fois de la musique classique et du chaâbi. C’est un mélange de gamme mineure harmonique et d’une gamme un peu plus majeure. Effectivement, tu es obligé d’adapter un petit peu ton jeu de guitare, même si les riffs restent assez classiques, tout ce qu’il y a autour tombe dans des mélodies un peu arabesques ou un mélange de gammes classiques avec des modes un peu arabes.
Interview réalisée en face à face le 9 octobre 2020 par Tiphaine Lombardelli.
Fiche de questions : Philippe Sliwa & Nicolas Gricourt.
Retranscription : Robin Collas & Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Arkan : www.arkan.fr
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