Arkan n’est certes pas l’inventeur du metal oriental mais en en faisant l’expérience par elle-même la bande fondée par Foued Moukid est sans doute de celles qui a le mieux compris comment opérer la greffe d’un style ô combien occidental à la musique arabe. Maîtrise démontrée sur deux albums, deux hybrides dans lesquels chaque espèce le constituant étaient parfaitement discernables, d’abord quand s’effaçaient les grosses guitares, laissant voir le canevas oriental, puis à travers un death metal de mieux en mieux ambiancé, aux atmosphères qui ne doivent pas tout au décor créé par les instruments folkloriques, prenant plus un rôle d’appui supplémentaire aux outils traditionnels du metal. Une avancée qui ne laissait pourtant pas présager l’évolution vers Sofia, un troisième album qui fera la différence par l’important recul du death (au moins côté chant) pour laisser s’exprimer l’émotion à travers la voix de Sarah Layssac, devenant plus qu’une sirène parmi les dunes, pour traiter de la façon la plus appropriée le thème de cette œuvre : le deuil.
Mais si sur Sofia Arkan inverse radicalement ses habitudes, le chant death occupant désormais des proportions bien moindres (seuls un quart des morceaux ont droit à leur part de grunt), au profit du chant clair, il montre aussi à quel point il maîtrise maintenant sa création : la fusion opérée, la soudure s’efface. Les instruments arabes sont là pour souligner plus que pour déterminer, par exemple, la délicatesse d’un « Leaving Us », la mandoline apparaissant quand la voix voluptueuse de Sarah s’éteint, prenant le relais pour transporter l’émotion. En outre, ce qui caractérise le plus Sofia n’est pas que c’est un album de plus d’artistes connus pour leur style extrême évoluant (au moins le temps d’un album) vers plus de douceur mais, en se servant de son émotion comme moteur, Arkan développe aussi un style plus personnel et en devient presque un autre groupe avec son propre univers gothique méditerranéen.
Arkan a changé de peau, ou plutôt a gardé la même, l’a retournée comme un gant… et ça lui va bien. Après avoir créé l’architecture de son monde musical avec ses premières œuvres, Arkan y construit finalement une ville pour y loger son âme, peut-être une nécropole, pas faite pour que quiconque y vive, mais assez ouverte pour qu’on puisse la visiter, admirer la beauté des harmonies, de ses monuments dont on ne voit pas les arêtes ou ce qui les sépare. Les morceaux s’enchaînent avec une sublime fluidité, des deux premiers (« Hayati », « My Reverence ») à la longue conclusion formée par « Beauty Asleep », « Scars Of Sadness », « Cold Night’s Dream » et « Dark Epilogue ». Sofia n’est pas une suite de pièces aux portes fermées entre elles mais un album pensé comme œuvre entière, où l’agressivité parsemée du death sert surtout à doubler l’émotion (le grunt et la batterie heavy sur « Scars Of Sadness »), prenant une teinte solennelle dans « Cold Night’s Dream » s’ouvrant sur un énorme battement de cœur venu des profondeurs qui s’éteindra dans l’instrumental « Dark Epilogue », avec une grosse caisse ralentissant, jusqu’à s’éteindre dans un dernier coup, une dernière vibration.
Comme Foued Moukid (batteur) nous le confiait récemment en interview, le troisième album représentait pour lui un démon face auquel un groupe peut remporter une victoire décisive ou tomber. Si Sofia ne doit pas nécessairement déterminer la suite de l’œuvre d’Arkan, leur art en sort au moins certainement grandi.
Ci-dessous les titres « Hayati » et « Wingless Angels » :
Album Sofia, sortie le 23 mai 2014 chez Season Of Mist.