« L’amour, la haine, la colère, la vie, la mort… Tout est dedans ! » nous disait Lajon Witherspoon, chanteur de Sevendust, en juillet dernier, à propos du nouvel album Blood & Stone qui, à ce moment-là, n’était pas encore officiellement annoncé. Et c’est précisément tout ce dont nous avons parlé, quelques mois plus tard, avec le guitariste Clint Lowery qui, en peu de temps, a enchaîné escapades solos et ce nouvel album.
Il faut dire que la vie d’un groupe comme Sevendust – à l’image de sa musique – a tout d’un ascenseur émotionnel. Il suffit de voir ces deux dernières années, où Clint est passé de la naissance galvanisante de deux albums au décès de sa mère, juste avant l’explosion d’une pandémie… Une pandémie qu’il prend avec positivisme, puisque cela lui permet de profiter de sa famille, chose rare quand on passe son temps sur les routes ou en studio. C’est aussi ce qui ressort de ses propos : sans non plus s’apitoyer sur son sort, la vie d’un groupe n’est pas toujours aussi glamour que ce qu’on pourrait croire, notamment quand on est en proie à des addictions. C’est ainsi que les sujets de notre échange alternent entre le nouvel album, le vécu personnel de Clint et l’histoire de Sevendust.
« Nous n’avions jamais imaginé que nous serions encore là après deux ou trois albums. Donc chaque tournée, chaque album que nous sortons, chaque personne qui a envie de l’écouter est une victoire. »
Radio Metal : Tu as sorti ton premier album solo ainsi qu’un EP solo cette année, et maintenant tu sors avec Sevendust le nouvel album Blood & Stone. Ça a été une période très productive pour toi. Comment es-tu parvenu à faire et sortir autant de musique le temps, environ, d’une année ?
Clint Lowery (guitare) : En fait, j’ai sorti mon premier album solo God Bless The Renegades au tout début de l’année, en janvier, et ensuite, quand la pandémie a frappé et que je ne pouvais donc pas tourner, j’ai sorti l’EP. J’ai juste enregistré quelques trucs chez moi en confinement, juste pour sortir quelque chose, pour occuper mon temps. L’album de Sevendust a été enregistré à l’automne l’année dernière, donc ça, c’était déjà fait. Les deux dernières années ont été bien chargées mais il y a eu du temps entre chaque projet, entre chaque sortie et chaque enregistrement, donc ça a l’air plus chargé que ça ne l’a vraiment été. Beaucoup de temps a été passé à faire ces choses et beaucoup de temps à prendre du recul entre chacune afin de ne pas être complètement enlisé dans la créativité. Je trouve ça cool, j’aime être occupé, j’aime aller de l’avant, je trouve que ça aide le processus quand on est constamment sur quelque chose et en train de travailler. Plus j’en fais… je n’ai pas envie de dire mieux c’est, parce que j’ai besoin de faire une pause de temps en temps, donc je m’arrête quand je commence à fatiguer, mais j’adore être tout le temps en train de composer des chansons. Ce n’est pas vraiment du travail si c’est ce que tu aimes faire.
Ces derniers mois ont été difficiles pour toi : en plus de la pandémie, tu as perdu ta mère en mars dernier ; l’EP Grief & Distance lui était d’ailleurs dédié. Est-ce que la musique est ce qui te permet de tenir dans les temps difficiles ?
Oui, la perte de ma mère juste avant que n’arrive la pandémie était probablement la chose la plus dure que j’ai jamais traversée. Je n’ai commencé le processus de deuil qu’environ un mois plus tard. Je suis encore aujourd’hui en train de le digérer. J’étais très proche de ma mère. C’était un énorme soutien musical, elle était musicienne, chanteuse, compositrice, et ne plus l’avoir pour parler de ces projets… C’était elle qui m’a poussé à faire mon premier EP, c’était elle qui m’a toujours soutenu et poussé à chanter et faire différentes choses comme ça. Ca a donc été dur. L’EP lui était dédié mais ça ne parlait pas seulement d’elle, ça parlait de la pandémie et des épreuves que ça a générées, mais il y a une chanson dessus dont je me suis servi pour parler un peu de notre histoire. Perdre quelqu’un, c’est dur, et c’est encore dur aujourd’hui, mais il faut aller de l’avant.
Quel genre d’impact a-t-elle eu sur ton éducation musicale ?
Quand j’étais très jeune, je reproduisais toujours ce que je la voyais faire. Mon père était aussi musicien, il tournait et jouait, mais avec elle, je pouvais lui parler et avoir des conversations intelligentes sur les structures de chansons, ce qui fait qu’un chanteur est bon, etc. Elle maîtrisait ça. Son QI musical était très élevé, donc c’était une personne sympa avec qui en parler. Elle a recommandé la reprise que Sevendust a faite, « Inner City Blues » de Marvin Gaye, c’est elle qui m’a dit de faire ça. Elle avait des idées comme ça parfois. Parfois c’étaient des idées bizarres, parfois c’étaient de super idées. Elle a toujours été bienveillante avec moi et c’était vraiment cool.
Vu que tes deux parents étaient musiciens, penses-tu que tu étais destiné à devenir musicien toi-même ?
Oui, c’était un peu une malédiction familiale, et une bénédiction. Mes frères jouaient, tout le monde faisait de la musique, mais nos parents ne voulaient pas forcément que nous ayons cette vie, ils voulaient que nous essayions des choses différentes car c’est une vie difficile. Peu de gens arrivent à en vivre, mais nous sommes restés sur cette voie et quand ils ont réalisé que nous étions vraiment passionnés par ça, que nous étions sérieux, ils nous ont totalement soutenus.
Tu as terminé les enregistrements du treizième album de Sevendust en janvier dernier. Qu’est-ce que ça te fait de le sortir enfin ?
Nous savions que nous allions attendre longtemps la sortie de cet album, même si nous ne pensions pas que ce serait aussi long. Le plan originel était que j’allais tourner pour mon album solo pendant un temps, et ensuite faire des concerts tout au long de l’année avec Sevendust ; nous allions faire quelques concerts à partir de juin. Donc ce qui devait être une année très chargée s’est transformé en une année très relax, mais c’est cool. Ça a été vraiment unique parce que généralement, nous enregistrons l’album, nous commençons à faire la presse, nous partons en tournée et nous n’avons pas énormément de temps pour vraiment écouter l’album et le digérer. Or maintenant, ça fait des mois que nous l’écoutons. Nous sommes fiers de cet album ! C’était vraiment sympa de pouvoir terminer l’album et ensuite se reposer un peu, et pouvoir se rafraîchir les idées au lieu d’aller directement en tournée après le processus d’enregistrement qui peut être très épuisant. Là, quand nous allons enfin tourner, nous aurons l’esprit frais, nous connaîtrons très bien les chansons, nous aurons les retours du public, des gens, nous saurons quelles sont leurs chansons préférées, ce qui nous donnera des données supplémentaires pour mettre en place le concert, plutôt que de devoir deviner : « Je pense qu’ils aimeront cette chanson, je pense qu’ils aimeront celle-là. » Là, les gens auront écouté l’album pendant des mois avant de nous voir en concert, donc ce sera sympa d’entendre quels sont leurs morceaux préférés.
« On sacrifie et perd énormément de temps qu’on aurait pu passer physiquement auprès de sa famille. Ce sont des années qu’on ne peut pas rattraper, on manque des anniversaires, des vacances, des récitals, toutes ces choses différentes. C’est une énorme perte, les gens ne réalisent pas ça. »
As-tu espoir que les tournées pourront bientôt reprendre ?
Oui, je ne suis pas aussi… Ce n’est pas une urgence pour moi de repartir sur la route. Je tourne depuis mes dix-huit ans, depuis le début des années 90, non-stop. Donc, pour moi, élever les enfants, être à la maison… Je sais que nous finirons par repartir sur la route, je sais que quand ce sera sûr et que ce sera le bon moment, ça reprendra, et je serai content. Mais là maintenant, je profite de ce temps, je fais des choses pour me tenir occupé, j’apprends de nouvelles compétences, je lis de nouveaux livres. J’essaye juste d’accepter qu’aujourd’hui c’est comme ça, au lieu de m’angoisser de la situation. Il n’y a rien que je puisse faire pour ça et il se trouve que j’apprécie les moments passés à la maison. Donc quand ça reprendra, je serai prêt, mais là maintenant, ça ne me pose aucun problème d’être à la maison. Au contraire, j’apprécie.
Penses-tu que ta première expérience solo avec God Bless The Renegades a eu le moindre impact sur ta manière d’aborder Blood & Stone ?
Absolument. J’ai enregistré mon album en juin 2019 et nous avons fait l’album de Sevendust en octobre 2019. Il y avait des chansons que j’étais en train de composer pour mon projet solo lorsque je travaillais avec Elvis, le producteur, et nous nous disions : « Mettons ça de côté pour Sevendust, ça sonne plus comme une chanson de Sevendust. » Nous savions que l’album de Sevendust allait bientôt arriver. D’une certaine façon, j’ai pu purger un paquet de musique de mon côté, des choses que, d’ordinaire, je n’aurais pas pu faire avec Sevendust. Ça m’a donné envie de me remettre sur Sevendust, car lorsque tu fais un album pour toi, c’est beaucoup de boulot et de pression. Sevendust, c’est beaucoup de travail pour moi, mais je peux aussi me reposer sur les autres gars. J’étais très content de me remettre sur le groupe et de les retrouver, après avoir traversé le processus seul pour mon projet solo. Il y a un confort avec Sevendust aujourd’hui, après avoir fait ce groupe pendant tant d’années, nous sommes à l’aise ensemble, nous connaissons le processus, nous savons comment être professionnels entre nous sans posture, et sans que des histoires d’ego interfèrent, nous savons comment faire ça. Je pense, en fait, que l’album solo m’a aidé à composer de meilleures chansons pour Sevendust. En plus, j’étais sur une bonne lancée, c’était le même producteur, donc il y avait déjà une bonne dynamique. Nous nous sommes éclatés à enregistrer cet album, c’était vraiment amusant. Il n’y avait pas de tension ou quoi que ce soit, nous étions une machine bien huilée à ce stade.
Tu as déclaré que Blood & Stone était « un peu la combinaison d’Animosity et de Seasons ». Qu’est-ce que ces deux albums passés de Sevendust représentent pour toi aujourd’hui ?
Je pense qu’Animosity, c’est là que nous avons vraiment trouvé notre niche et notre son. Nous avons embrassé le côté mélodique de notre groupe. Nous savions que nous avions un côté mélodique dans ce groupe, mais avant, nous appréhendions un peu, genre : « On ne veut pas être trop mélodiques. On ne veut pas faire une chanson type ‘Angel’s Son’. On ne veut pas partir dans un côté très mélodique. » C’était vraiment une limitation, car Lajon [Witherspoon] chante super bien par-dessus ce genre de chose. Donc avec Animosity et Seasons, nous y avons été à fond pour exprimer le côté mélodique de notre groupe au lieu de rester exclusivement sur le côté heavy. C’est un peu ce que nous ressentions. Ces deux albums, c’est là que nous avons arrêté d’essayer de faire semblant et essayé d’être le groupe que nous pensions être, et nous en avons fait une force.
Ces albums représentent clairement une période particulière, d’autant plus que tu as quitté le groupe après Seasons. Comment comparerais-tu cette période du groupe à la période actuelle ?
Je dirais que c’était simplement de l’expérience, c’est la vie, il n’y a pas une tonne de différences. Pour ma part, personnellement, je suis dans un meilleur état d’esprit, je suis en meilleure santé, je suis sobre maintenant, alors que je ne l’étais pas à l’époque de ces albums, donc même si je pense que j’avais encore une force créative, elle était très dévoyée par mes galères avec l’alcool. Ça n’était pas un carburant, ça ne me rendait pas plus créatif, ça me mettait dans une mauvaise position. Je suis sobre maintenant, je suis plus focalisé. J’ai l’impression que ça joue énormément. Ma contribution à Sevendust est meilleure parce que ça se passe mieux dans ma tête. Je peux mieux servir mon groupe, je suis plus facile à vivre, enfin j’espère. Quand l’alcoolisme était dans ma vie, ça compliquait grandement mes relations. Je pense que, de manière générale, la maturité de tous les membres du groupe est une énorme différence entre ce que nous étions à l’époque et ce que nous sommes aujourd’hui. Nous comprenons mieux le business qu’avant. Nous étions très naïfs avec le côté business, alors que maintenant tout le monde est pas mal instruit sur cet aspect et sur ce qu’est la marque Sevendust. C’est vrai pour n’importe quel groupe, on finit par gagner en maturité et devenir une version plus focalisée de soi-même.
Avec le recul, comment vois-tu ton départ en 2004 – qui a été le seul changement que ce groupe ait jamais connu ?
J’ai quitté le groupe pour rejoindre un autre groupe avec mes frères aînés et d’autres gars avec qui j’avais une longue histoire. Je crois que Sevendust a fait trois albums pendant que j’étais parti, les uns après les autres, et j’adore ces albums, je trouve qu’ils ont fait du super boulot ! Ils sonnent un peu différemment parce que les ingrédients étaient différents. John [Connolly] et Morgan [Rose] ont dû surmonter une montagne supplémentaire. Une chose dont nous nous enorgueillissons est que nous avons aujourd’hui les membres d’origine. Je suis parti pendant quelques années, mais si je n’étais pas parti, je serais peut-être mort ou je serais parti de manière permanente. J’avais besoin de partir pendant quelque temps pour moi-même, ce n’était pas que lié à Sevendust et au fait que je voulais essayer un autre groupe. C’était aussi par rapport à l’environnement et au fait que je devais remettre de l’ordre dans ma tête, il fallait que je sorte de ce groupe pour me retrouver, et ça m’a fait revenir avec une nouvelle appréciation pour Sevendust, les gars et le groupe.
« Ecrire des chansons sur le fait d’être content d’être dans un groupe ensemble, c’est un peu un genre de police d’assurance, donc quand tu joues les chansons en live, tu retrouves ta joie. »
A l’époque d’All I See Is War, le producteur Michael « Elvis » Baskette a dit que son but était de recréer l’impact du son créé sur Home. Vu que tu compares Blood & Stone à Animosity et Seasons, as-tu l’impression que le groupe est sur une progression ou une dynamique similaire à ce que vous avez connu entre 1999 et 2003 ?
Je ne sais pas. J’adore l’album Home, je trouve qu’il y a des trucs sympas dessus. Si Elvis a dit que c’était son but, c’est un secret, c’est la première fois que je l’entends, je n’en savais rien. C’est un fan de Sevendust, il savait ce que nous étions. Il voulait que nous fassions un album que lui, en tant que fan du groupe, voulait entendre. C’est un producteur, d’accord, mais c’était aussi un fan du groupe et il était là : « Je vais faire l’album de Sevendust que je veux entendre en tant que fan ! » Il a compris ce que nous faisions et c’était vraiment cool parce qu’il connaissait l’histoire du groupe et il savait dans quelle direction nous voulions aller. Je pense que sa plus grande contribution, en dehors de l’ajustement des chansons et la production, c’était le son. Il a bossé comme un dingue sur le mix de l’album, ça sonne super bien, il y a de la puissance. Il est super quand il s’agit de mettre à exécution les choses dont nous avons besoin pour obtenir notre son.
Tu as déclaré que la chanson « Blood From Stone », qui est un peu la chanson éponyme de l’album, était « inspirée par l’endurance et les limites de [votre] groupe, les victoires et les pertes, les bonnes et les mauvaises années ». Les gens ont tendance à idéaliser les groupes et le fait de jouer de la musique, mais qu’est-ce que ça implique de faire perdurer un groupe comme Sevendust ?
Les choses qui nous font avancer ont changé au fil des années. Tout d’abord, je mentirais si je ne disais pas que c’est notre gagne-pain, c’est grâce à ça que nous survivons, nous nourrissons nos familles, payons nos factures et ainsi de suite, c’est déjà un élément de réponse. Ensuite, il y a le lien avec les fans. Nous avons une très bonne relation avec les gens qui ont soutenu le groupe pendant de nombreuses années. Ça fait presque vingt-cinq ans que nous jouons, tu vois certains visages et tu crées des liens avec ces gens. Si vous êtes un groupe avenant comme nous le sommes, vous apprenez à connaître plein de gens, des centaines et des milliers de visages que vous rencontrez au fil des années à divers endroits, dans divers pays, diverses villes tous les soirs. Donc vous nouez ces relations. Je pense que nous avons un lien avec ces gens, ainsi qu’entre nous, et nous avons une famille à nourrir à la maison. Toutes ces choses, tous ces liens, c’est ça qui nous fait avancer. Si l’un d’entre nous partait, je ne pense pas que nous réussirions à retrouver ce que nous avons aujourd’hui. Quand on cherche un groupe, la vie et la culture de groupe, Sevendust est probablement l’option la plus confortable pour chacun d’entre nous.
Quelles ont été les victoires et les pertes pour Sevendust ?
Chaque année que nous passons ensemble est une victoire. Nous n’avions jamais imaginé que nous serions encore là après deux ou trois albums. Donc chaque tournée, chaque album que nous sortons, chaque personne qui a envie de l’écouter est une victoire. La plus grande perte, pour moi, ça a été le temps que je n’ai pas pu passer auprès de ma famille, avec mes amis, à dormir dans le même lit chaque soir. On sacrifie et perd énormément de temps qu’on aurait pu passer physiquement auprès de sa famille. Ce sont des années qu’on ne peut pas rattraper, on manque des anniversaires, des vacances, des récitals, toutes ces choses différentes. C’est une énorme perte, les gens ne réalisent pas ça. Tu disperses ton âme. C’est dur parce que si tu t’en plains, alors t’es un pleurnichard, tu n’es pas reconnaissant, or ça n’est jamais le cas, c’est juste que parfois, ça peut être difficile d’être prêt à sourire et à délivrer un concert quand il y a des problèmes à la maison ou que quelqu’un décède et que tu n’es pas là. C’est une vie difficile, ce n’est pas pour tout le monde. Les gens croient que c’est simple, mais ça ne l’est pas du tout.
Est-ce que la vie du groupe en soi et ce qu’il traverse devient une source d’inspiration en elle-même ?
Oui. Tu as mentionné « Blood From Stone », cette chanson et quelques autres dans l’album, certains sujets sur lesquels j’écris, parlent de la dynamique au sein du groupe, de la fraternité de notre groupe, des bons et mauvais moments au sein de notre organisation. Il y a une part d’observation de nous-mêmes dans les paroles, de nos relations et des choses que nous voyons entre nous, parce qu’on écrit sur ce qu’on vit et nous vivons ensemble, nous sommes tout le temps ensemble [petits rires], alors on finit par se dire : « Oh, ce serait sympa d’écrire à ce sujet ! » En plus, quand vous vous irritez mutuellement ou quand tu es fatigué, tu joues en concert ces chansons qui parlent du groupe et ça t’aide à te rappeler pourquoi tu es là. Ecrire des chansons sur le fait d’être content d’être dans un groupe ensemble, c’est un peu un genre de police d’assurance, donc quand tu joues les chansons en live, tu retrouves ta joie.
L’expression « blood from stone » fait référence à quelque chose qui ne peut pas être obtenu, peu importe la force ou la persuasion utilisée. Quelles sont les choses que tu t’es efforcé d’atteindre personnellement et avec ce groupe que tu n’es encore jamais parvenu à obtenir ?
Il y a plusieurs choses, des jalons qui seraient sympas à atteindre, comme avoir une chanson numéro un à la radio ou faire une tournée des arènes en tête d’affiche ; nous avons fait de gros concerts mais nous n’avons jamais fait ça. Nous ne sommes pas aussi gros que les groupes qui font ce genre de concerts. Nous avons déjà accompli plus que je l’aurais jamais pensé. Ce serait sympa de remporter un Grammy ou quelque chose comme ça, mais ça ne me contrarie pas vraiment que ça ne soit pas arrivé, ce serait juste cool d’ajouter ça à notre palmarès. Ma mère et mon père étaient à fond sur les récompenses et tout, donc ça aurait été sympa de vivre ça de leur vivant, mais nous avons fait plus que j’aurais jamais pu l’imaginer.
« Peut-être que la raison pour laquelle nous ne sommes pas un énorme groupe, [c’est que] nous ne sommes pas suffisamment heavy pour le public heavy et nous ne sommes pas suffisamment mélodiques pour la pop, le rock léger ou je ne sais quoi. Nous avons un peu le cul entre deux chaises. »
L’album se conclut sur la reprise de « The Day I Tried To Live » de Soundgarden, qui est la première chanson que vous avez sortie. Nous avons discuté de ce choix il y a quelques mois avec Lajon, mais quelle a été l’importance de Soundgarden pour toi ?
Pour moi, personnellement, Soundgarden est probablement dans mon top cinq des meilleurs groupes de tous les temps. Chris Cornell, surtout, en tant que compositeur et chanteur, est l’un de mes préférés. Il a écrit des chansons incroyables, des chansons qui ont véritablement inspiré ma manière d’écrire du chant. Les chansons de Sevendust pour lesquelles j’ai écrit le chant sont toutes inspirées par Chris Cornell. Je ne peux même pas l’exprimer. Il y a peu de groupes que je considère parfaits et Soundgarden est l’un d’entre eux. Il est arrivé dans ma vie à un moment où j’avais vraiment besoin de changement et de quelque chose de rafraîchissant. Je n’ai plus regardé en arrière après ça, j’ai embarqué dans cette aventure avec Soundgarden, je suis un énorme fan. Ça a été très triste de perdre Chris Cornell mais je suis reconnaissant pour ce qu’a été sa contribution à la musique, pour la manière dont il m’a inspiré ainsi que d’innombrables autres personnes.
Je ne sais pas si tu l’avais réalisé, mais « The Day I Tried To Live » de Soundgarden est à l’origine sorti en 1994, précisément l’année où Sevendust a été créé…
Oui, ça passait constamment à la radio quand nous étions en voiture et quand nous enregistrions le premier album. Je m’en souviens. Je me souviens écouter cette chanson à l’époque comme si c’était hier. Ce n’était pas la raison pour laquelle nous avons choisi cette chanson, mais ça a coïncidé. C’est intéressant que tu aies remarqué ça. J’aurais aimé l’avoir relevé et l’avoir dit avant parce que c’est plutôt cool ! Car effectivement, nous conduisions tout le temps en écoutant des chansons de Soundgarden à cette époque. Je me souviens quand j’écoutais Superunknown et plein de trucs différents au studio avec Lajon. Lajon et moi avons été voir Soundgarden cette année, sur cette tournée. C’était tout bonnement fantastique. Pour être honnête avec toi, c’est à l’époque où je fumais de la marijuana et Lajon et moi étions affalés dans notre siège, l’esprit embrumé, défoncés, à écouter Chris Cornell [rires]. Je me souviens penser que… Chris Cornell était peut-être dans un mauvais jour ce soir-là parce qu’il changeait un peu les mélodies. Je connaissais toutes ces musiques, je connaissais la moindre note, et il les changeait et en fait, c’était plutôt cool. Il chantait certaines parties plus graves parce qu’il essayait d’assurer et j’avais trouvé que c’était très professionnel, mais même quand il changeait les notes, ça restait sympa. Ce n’était pas comme l’original mais ça faisait une version différente, c’était malin. J’aimais bien les notes qu’il choisissait et sa manière d’interpréter. C’était un concert génial !
Plus généralement, quels sont tes souvenirs de cette année et de vos premiers pas en tant que groupe ?
Nous adorions répéter. Nous faisions tous ces petits boulots puis nous allions à notre salle de répétition et nous buvions de la bière, jouions et riions, en étant emballés par ce que nous faisions. C’était tout sale et poussiéreux, il y avait un paquet d’autres groupes qui répétaient dans le même espace de répétition où nous étions, il y avait toute une communauté musicale. C’était parmi les meilleures années. Nous étions loin d’être blasés, nous étions de jeunes musiciens heureux et reconnaissants. On ne peut jamais retrouver cette époque. Les gens sont toujours là : « Pourquoi ne pouvez-vous pas recréer votre premier album ? » C’est impossible parce qu’on n’est plus cette personne, il n’y a qu’une fois dans notre vie où tout est neuf et frais. De même, j’étais le dernier à rejoindre le groupe, donc j’étais le petit nouveau dans Sevendust et j’essayais d’apprendre à les connaître. Tout d’un coup, je vivais avec eux, j’ai quitté mon groupe pour les rejoindre, donc j’essayais de m’intégrer avec eux. C’était le groupe le plus fou que j’avais jamais rejoint à ce stade. Nous étions en mission pour conquérir le monde. C’est une belle aventure que j’ai vécue avec ces gars.
Tu as déclaré que vous n’étiez pas le groupe le plus heavy du monde mais pas non plus un groupe de pop-rock. Toute l’idée de votre musique est-elle de trouver le bon équilibre entre la puissance et la mélodie ?
Je pense que le contraste a toujours été ce qui faisait de nous qui nous sommes, le fait que nous ayons ces chansons très mélodiques et ces passages avec du chant très agressif et de la musique heavy. Ça a toujours été le contraste. Peut-être que c’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas un énorme groupe, car nous ne sommes pas suffisamment heavy pour le public heavy et nous ne sommes pas suffisamment mélodiques pour la pop, le rock léger ou je ne sais quoi. Nous avons un peu le cul entre deux chaises. Ça peut dérouter certaines personnes. Mais je pense que ça a engendré une communauté de fans unique, où on trouve le genre de personne qui aime les deux aspects. Si tu n’aimes pas le côté heavy de notre groupe, tu dois te taper certains trucs comme ça avant d’arriver aux morceaux mélodiques. Nos fans sont ouverts d’esprit à cet égard.
C’est d’ailleurs dur de définir dans quel genre musical Sevendust réside…
C’est une bonne chose ! [Rires] Je sais que les étiquettes sont là pour que les gens puissent ranger les groupes dans des catégories et que ce soit plus facile de les trouver. Si c’est un groupe de metal ou ce qu’on considère être du metal, on le met dans ce type de playlist et les gens peuvent les découvrir. Mais dans l’ensemble, j’adore le fait que nous soyons un peu le vilain petit canard, genre : « C’est quoi ça ? » C’est ce qui nous rend uniques. Je préfère sortir du lot de cette manière plutôt que d’entendre les gens dire : « C’est un groupe de metalcore ! » Ces groupes sont limités, ils vont et viennent. On nous a longtemps qualifiés de nu metal. Nous sommes apparus à l’époque du nu metal, mais je ne… Je n’ai pas d’aversion particulière pour cette étiquette parce qu’elle est ce qu’elle est, mais je ne qualifierais pas notre groupe comme tel. C’est juste que c’est ce qui marchait à l’époque. Je ne considère pas Deftones comme étant du nu metal non plus, mais ils sont apparus à cette époque, donc c’est l’étiquette que les gens leur ont donnée.
« [Les fans] méritent que leur avis soit un minimum pris en compte, ce sont eux qui vont venir nous voir, mais on ne peut pas non plus contenter tout le monde. Si tu penses pouvoir, t’es dans le mauvais business. »
Je me souviens aussi que tu as dit écouter ce que les fans aiment et n’aiment pas concernant le groupe et t’en servir. Considères-tu que faire un album ne devrait pas être une entreprise égoïste, contrairement à ce que beaucoup de groupes pensent ?
Je me sers de ça comme d’un avis. Je ne suis pas en désaccord avec certaines des choses qu’ils réclament, parfois j’entends : « Bon sang, j’aimerais que vous fassiez un album plus heavy ! J’aimerais que vous fassiez ce type de chanson ! » Je ne vais pas tout de suite partir en courant pour aller essayer de faire ce qu’ils disent, parce que c’est impossible, mais j’aime effectivement écouter ce que les gens veulent. S’ils généralisent et disent : « J’adore quand vous faites des trucs mélodiques, j’adore l’album Seasons, j’adore ça », je me dis : « C’est cool, d’accord. Je peux comprendre, car j’aime bien aussi. En fait, je ressens moi-même un peu la même chose, donc je vais écrire une chanson comme ça. » Je ne suis pas du genre : « On n’écoute personne ! On fait juste ce qu’on veut faire ! » Enfin, c’est cool aussi. Il y a des chansons pour lesquelles je me fiche de ce que les gens pensent, je les fais, c’est tout, mais je ne suis pas non plus complètement déconnecté. Je suis plus ou moins en phase avec ce que globalement les gens veulent de la part de notre groupe. Ils méritent que leur avis soit un minimum pris en compte, ce sont eux qui vont venir nous voir, mais on ne peut pas non plus contenter tout le monde. Si tu penses pouvoir, t’es dans le mauvais business.
As-tu le sentiment que Blood & Stone est le genre d’album que les gens veulent ?
Je ne sais pas ! Je pense qu’il est beaucoup plus mélodique que ce que certains fans voudront. Pas de problème. A chaque album que nous faisons, il y a des gens qui disent : « Je ne l’aime pas ! Il ne sonne pas comme le premier ou le second album. Il ne sonne pas comme Home. Il ne sonne pas comme Animosity. » Encore une fois, on ne peut pas contenter tout le monde, mais je pense que c’est un super album qui représente bien qui nous sommes aujourd’hui et ce qui nous branche à notre âge, ce qui nous inspire. Au bout du compte, si vous n’aimez pas cet album, attendez le suivant [rires], car nous en ferons un autre !
Plus on avance dans une carrière, plus les gens ont de matière pour comparer…
Oui, et puis arrive un moment où rien que le fait d’être encore vivant devient une belle réussite. Le fait que tu sois encore là à faire de la musique, c’est cool. Je n’ai simplement pas envie d’être un de ces vieux groupes qui sortent des albums dont tout le monde se fiche parce que les gens veulent seulement entendre les vieilles chansons. Si ça devenait le cas, je ne voudrais pas faire de nouvelle musique dont gens se fichent, je me contenterais de jouer les vieilles chansons. Nous sommes toujours inspirés, j’ai le sentiment que nous faisions encore de la musique plutôt sympa. Je ne suis pas fatigué. Certains de ces groupes qui font des albums à un âge avancé, ils commencent à dériver, ils commencent à composer bizarrement et tout. Ce n’est pas génial.
Blood & Stone est en fait votre treizième album : es-tu superstitieux ?
Je n’y avais même pas pensé. Je pense que ce sera cool. Enfin, nous avons été assez malchanceux, donc peut-être que cette fois ça sera de la bonne chance [rires]. Nous devrions jouer dessus, ce serait un bon argument marketing : « Le treizième album ! » Je suis sûr qu’il y a des gens qui diront : « C’est le treizième ? C’est le pire ! »
En dehors de Sevendust, tu as passé huit mois avec Korn, un groupe qui a été fondé à peu près à la même période que Sevendust – ça s’est passé juste avant que tu réintègres Sevendust. C’était une expérience assez courte, mais qu’en as-tu retenu ?
J’en ai retenu que j’adore jouer avec Sevendust. J’adore faire partie d’un groupe. Être un mercenaire n’était pas ce dont j’avais besoin, mais je vais te dire, c’était l’une des expériences les plus cool de ma vie. Ces gars m’ont super bien traité, j’adorais leur musique, j’adorais leurs concerts, je les respecte. J’étais content que Brian « Head » Welch soit revenu de plein droit à son poste, mais c’était un véritable honneur de jouer avec ces gars. J’adore les voir quand je les croise. C’est un super groupe, mais j’avais toujours l’impression d’être extérieur, probablement parce que j’étais dans une mauvaise passe quand je jouais avec eux. Je buvais beaucoup et je traversais plein de problèmes personnels à l’époque. Ils ont vraiment essayé de surmonter ça avec moi et finalement, ils ont dû me renvoyer chez moi parce que j’étais d’une humeur massacrante ; ça n’avait à voir avec rien d’autre que ça. Ils devaient protéger leur groupe et il fallait que je me remette sur pied, et en faisant ça, ils m’ont sauvé la vie. Mais ils étaient toujours super sympas et bienveillants avec moi et je donnerai toujours tout mon amour et mon respect à Korn. Je suis très reconnaissant envers eux, pour ce que j’ai vécu, surtout en Europe, nous avons vécu de super moments. C’était fou mais c’était une belle expérience.
Tu fais aussi partie de Dark New Day avec ton frère Corey de Stuck Mojo : des nouvelles sur ce front ?
Je ne dirais jamais jamais mais je ne vois pas ce groupe refaire surface. J’ai adoré cette expérience également, c’était super et ces gars sont des gens fantastiques mais je doute très sérieusement que ça reprendra de sitôt, mais sait-on jamais ! J’ai adoré joué les chansons, mais on verra.
Comment c’est de jouer avec ton frère ?
C’était cool, nous nous sommes bien amusés. Nous sommes frères, donc nous sommes très soudés et, à la fois, très compétitifs. C’est cool mais nous nous portons mieux quand nous sommes juste frères, quand nous nous soucions juste l’un de l’autre. Jouer ensemble peut être très difficile.
Interview réalisée par téléphone les 29 septembre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Floriane Wittner.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Sevendust : sevendust.com
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