Dix-neuf ans, ça fait tout de même un sacré bout de chemin à l’échelle d’une vie, et c’est pourtant le temps qui sépare le dernier album d’At The Gates en date Slaughter Of The Soul et le nouveau At War With Reality. Entre temps le chanteur Tomas Lindberg a multiplié les projets et participations, idem pour le batteur Adrian Erlandsson qui est passé par Cradle Of Filth et officie encore aujourd’hui dans deux autre groupes majeurs, Paradise Lost et The Haunted, les jumeaux Björler ont fait une nouvelle carrière au sein de The Haunted, seul l’autre guitariste Martin Larsson s’est montré plutôt discret au cours de ces longues années. Et, surtout, entre temps, toute une scène s’est développée dans les traces d’At The Gates et la vieille scène de Göteborg qu’il a contribué à bâtir.
C’est donc dans un nouveau monde que les Suédois reprennent leur carrière, où toute une jeune génération les découvrent, peut-être, pour la première fois. Et c’est, à l’instar de Carcass, en patron qu’At The Gates revient, se réappropriant son propre héritage. C’est à la fois de Tomas Lindberg et d’Anders Björler que nous nous sommes rapprochés pour comprendre d’où vient la musique d’At War With Reality. L’occasion également de dévier sur d’autres sujets, la politique pour Lindberg et un retour sur The Haunted pour Björler, histoire d’avoir sa vision des événements – dont son propre départ – qui ont ébranlé le groupe il n’y a encore pas si longtemps, après en avoir déjà longuement parlé avec le guitariste Patrick Jensen il y a quelques semaines.
« Nous ne prenons plus ceci autant au sérieux. […] A l’époque, c’était : ‘Oh, on va être le plus gros groupe au monde !’ Mais ce n’est plus comme ça. »
Radio Metal : At The Gates s’est séparé en 1996 après ton départ, Anders. Quelle était la situation du groupe à l’époque ?
Anders Björler (guitare) : On avait beaucoup tourné, il y avait beaucoup d’alcool et nous étions très jeunes et inexpérimentés – nous avions genre 22 ans. A cette époque, j’avais envie de faire autre chose, comme retourner à l’école. C’était ça mon état d’esprit à l’époque, et seulement quelques mois plus tard j’ai rejoint The Haunted. Le désir de refaire de la musique était trop fort, tu vois. Nous n’étions plus de très bons amis, dans la mesure où la situation s’est un peu mal terminée lorsque je suis parti, mais je pensais que j’en avais plus ou moins fini avec le death metal. Je suis quelqu’un de très impulsif. Ça s’est passé comme ça avec The Haunted aussi lorsque j’ai quitté le groupe.
Tomas Lindberg (chant) : Je dirais qu’il y avait beaucoup de confusion liée à notre jeune âge et il y avait sans doute un peu de pression à laquelle nous n’étions pas habitués, venant des maisons de disque, de promoteurs et d’agences de promotion. Nous n’étions pas préparés à l’époque à ce qui s’est passé avec Slaughter Of The Soul. Si nous avions été les personnes que nous sommes aujourd’hui, nous ne nous serions jamais séparés. Quand bien même, si nous ne nous étions pas séparés, nous ne serions pas là où nous sommes aujourd’hui, je suppose donc que ça va dans les deux sens.
Tomas, tu as participé à de nombreux projets et groupes, la liste est assez impressionnante. Etait-ce une façon pour toi de remplir le vide laissé par At The Gates ? Comment as-tu vécu cette période entre la séparation et la reformation d’At The Gates ?
Comme tu l’as dit, j’ai été impliqué dans de nombreux projets musicaux entre les deux périodes du groupe, mais en même temps, c’était une période de ma vie où mon « autre » vie a débuté : j’ai fondé une famille, j’ai été à l’université, j’ai eu un diplôme, j’ai eu des enfants… Et je suppose que tous ces projets étaient là pour remplir un vide créatif. C’est avec toutes ces choses différentes que tu te développes en tant que personne.
Qu’est-ce qui a motivé le groupe à se reformer en 2007 ? Qu’est-ce qui a déclenché cette reformation ?
La reformation en 2007 et 2008 était l’idée d’Anders, car c’est lui aussi qui a poussé le groupe à se dissoudre en 1996 avec son départ. Il voulait une sorte de conclusion, une conclusion que nous n’avions pas eue à l’époque. Mais c’était son idée de revenir et aussi d’enregistrer de nouvelles choses, car c’est lui le compositeur principal. Il faut un point de départ, et son point de départ c’était les deux premières chansons qu’il a composé.
Anders : Ce n’était pas seulement mon idée. Nous sommes à nouveau redevenus de meilleurs amis vers 2000 et 2001, et nous parlions constamment d’une reformation, je suppose que c’est Adrian qui a mentionné ça après quelques bières, au cours de différentes soirées. On en est arrivé à une situation où nous avions du temps entre deux albums de The Haunted, The Dead Eye et Versus. Du coup, Jonas et moi avons décidé que c’était le bon moment pour At The Gates. C’est ainsi qu’est née l’idée de faire une reformation, et bien sûr, il y avait le fait t’entendre les gens déçus par notre séparation, y compris certaines personnes qui n’ont jamais eu la chance de nous voir jouer. C’était donc aussi l’opportunité de tourner dans des pays où nous n’avions jamais été car, à l’époque, nous n’avions fait que des tournées Européennes et Américaines.
Qu’est-ce qui te fait dire que les problèmes qui t’ont poussé à partir en 1996 ne surviendront plus ?
Le fait que nous soyons plus matures aujourd’hui. Nous avons grandi, certains d’entre nous ont des enfants et une famille. Nous sommes dans un état d’esprit plus relax ; nous ne prenons plus ceci autant au sérieux. Nous nous amusons, c’est ce qui est le plus important. Lorsque nous nous sommes réunis ça donnait l’impression d’une réunion de classe, nous nous retrouvons et nous nous amusons à voyager dans le monde et à rencontrer les fans. C’est super ce que nous faisons aujourd’hui. Nous n’avons plus le sentiment de devoir accomplir quelque chose ou de devoir faire quoi que ce soit, nous ne faisons que ce que nous voulons et nous décidons collectivement ce que nous voulons faire. Les choix sont faits de manière démocratique. C’est donc plus relax et pas aussi impulsif que ça l’était à l’époque. A l’époque, c’était : « Oh, on va être le plus gros groupe au monde ! » Mais ce n’est plus comme ça.
On se souvient que le groupe avait dit qu’il n’y aurait pas de nouvel album, mais au final, vous vous êtes retrouvés pour en faire un. Comment avez-vous changé d’avis ?
Ouais, les déclarations radicales comme celle-là… La citation de fin sur le DVD était en fait là pour donner une bonne fin bien dramatique au film, c’était donc plus un truc stratégique. Nous n’y pensions pas à cette époque, mais quelques années après, nous nous sommes rendu compte que les concerts de reformation étaient supers, et nous passions de bons moments, mais quelque chose manquait, et c’était la part créative, le fait de composer ensemble de la musique. C’était une part importante de nos jeunes années qui nous manquait. En tant qu’artiste c’est une part importante de ton côté artistique : tu à besoin de créer de la musique, tu composes sans arrêt de la musique, donc pourquoi ne pas le faire aussi dans At The Gates ?
« Mon souci principal avec cet album c’était qu’il n’y ait pas de retenue, je ne voulais pas essayer de sonner ‘gentil’ ou faire plaisir aux radios [rires]. «
Est-ce que vous avez ressenti une quelconque pression à faire un album après presque vingt ans d’absence, avec les attentes des fans ?
Peut-être au début. Après mon premier album solo, l’année dernière, j’ai commencé à composer vers le mois de mai et j’ai envoyé une chanson à Jonas et Tomas pour voir leur réaction. Après avoir obtenu deux ou trois chansons, toute la pression est retombée, et nous avions le sentiment d’avoir un bon album. Tomas et moi avons retrouvé notre vieille collaboration créative. Nous nous inspirons beaucoup l’un et l’autre.
Tomas : Nous avons choisi de travailler sans subir la pression de quiconque excepté nous-mêmes, en ce sens que nous n’avons dit à personne que nous étions en train de composer avant d’avoir cinq chansons avec lesquelles nous étions contents et d’avoir quelque chose à présenter. Aucun label n’était impliqué. A ce stade, il n’y avait que nous cinq et c’était efficace pour nous permettre d’être créatifs, de manière positive, sans barrière, sans que rien ne nous retienne, aucun compte à rendre. Si ça nous satisfaisait, alors c’est ce que nous retenions.
At The Gates et Carcass sont deux groupes qui semblent avoir une histoire parallèle. Les deux sont considérés être des pionniers dans le genre death metal, les deux se sont séparés en 1996, les deux se sont reformés en 2007 et les deux ont réalisé un nouvel album plus de quinze ans après leur précédent. Vous sentez-vous proche de Carcass et leur histoire pour ces raisons ?
Nous sommes bons amis avec Carcass. Nous avons grandi côte à côte, même dans les premiers jours, tu sais, en étant copains de labels sur Earache et tout. Ça a été un parcours assez intéressant, car lorsqu’ils ont décidé de se reformer, nous avons décidé au même moment de reformer At The Gates sans même savoir, vraiment [rires]. Je plaisantais en 2008 avec Jeff [Walker, chanteur-bassiste de Carcass], en disant : « Les gars, si vous faites un nouvel album, si vous continuez à faire ça, on arrête le groupe ! » Et ils ont continué… Lorsqu’ils ont fait l’album, j’étais l’un des premiers à savoir et ensuite, plus tard, lorsque nous avons décidé de faire le nôtre, j’en ai parlé à Jeff avant n’importe qui d’autre, vraiment [petits rires]. C’est très drôle mais c’est aussi une grosse coïncidence. Peut-être qu’inconsciemment, le fait de les voir faire ça et survivre nous a aidé à dire : « Faisons-le aussi. »
At The Gates a influencé toute la scène death metal suédoise actuelle. Quel sentiment cela procure donc de revenir dans cette scène que vous avez participé à construire, avec tous ces groupes qui n’étaient même pas là il y a dix-neuf ans ? Est-ce que c’était un challenge de revenir tout en restant pertinent ?
Anders : Bien sûr, mais c’était un album très important pour nous rien que pour cette raison : c’était un album de retour et presque vingt ans se sont écoulés. Donc, tout cette fois-ci était très important. On avait besoin de caler les dates de studio après avoir terminé d’écrire l’album, je veux dire que l’album était terminé en janvier ou février mais nous ne sommes pas entrés en studio avant juin, simplement par sécurité. Tout était donc très minutieusement planifié. Nous n’avions pas peur, nous étions juste très prudents pour ne pas prendre de mauvaise décision.
Tu as composé de la musique avec The Haunted depuis la séparation d’At The Gates jusqu’à 2011. Comment t’es-tu mis en mode de composition At The Gates après près de vingt ans de The Haunted ?
Ce n’était pas difficile. D’une certaine façon, c’est le même type de mélancolie, le même genre de style, simplement adapté au groupe. Même certaines choses dans mon album solo sont dans le même style ; ce n’est simplement pas joué [de la même manière]. Tout est une question de manière de jouer, dans quel contexte et avec quels membres. Mon style reste le même, c’est une question d’expression. Je dirais qu’une bonne partie de la musique de The Haunted est quelque peu similaire à At The Gates. Mais, évidemment, tu es dans un autre état d’esprit lorsque tu composes et tu penses au chant de Tomas, tu écris d’une manière plus dédiée. C’était la même chose pour The Haunted lorsque j’écrivais pour Peter Dolving, j’avais sa voix dans ma tête lorsque j’écrivais la musique. Mais je dirais que les styles ne sont pas si éloignés. C’est juste une question de savoir ce qui fonctionne dans un contexte donné.
N’y a-t-il pas de riffs ou de musiques qui ne se soient pas retrouvés sur un album de The Haunted et que tu as réutilisés pour At War With Reality ?
Non, j’ai démarré avec une page blanche. Il est bon, également, de ne rien sortir de vieux, simplement pour voir où nous en sommes aujourd’hui, en 2014.
As-tu le sentiment, Tomas, d’avoir évolué en tant que chanteur de death metal entre temps ? Ta voix sonne en fait un peu différemment sur le nouvel album d’At The Gates…
Tomas : Je dirais que si tu écoutes les différents albums d’At The Gates et tous les projets dans lesquels j’ai été impliqué, ma voix sonne un peu différente à chaque fois, suivant la situation ou ce que la chanson réclame. Si tu écoutes les deux premiers albums d’At The Gates, la voix est assez grave et brut. C’est devenu un peu plus aigüe sur With Fear I Kiss The Burning Darkness et les albums d’après. Je dirais que tu te développes en tant que personne et tu grandi en tant qu’être humain, et la voix devient plus profonde avec l’âge. Ceci dit, mon souci principal avec cet album c’était qu’il n’y ait pas de retenue, je ne voulais pas essayer de sonner « gentil » ou faire plaisir aux radios [rires]. C’est la performance vocale la plus intense que j’ai faite, j’en suis très fier.
« Slaughter Of The Soul n’est en fait pas le son que nous voulions. […] Ce sont juste des erreurs et malgré tout les gens semblent aimer ça. »
Votre dernier album, Slaughter Of The Soul, est perçu comme un classique du death metal suédois. Mais At War With Reality n’est pas vraiment une copie de Slaughter Of The Soul. Etait-ce important pour vous d’aller de l’avant à partir de là ? Quel était votre état d’esprit ?
Anders : Si tu écoutes les albums d’At The Gates, tu peux clairement entendre que nous ne faisons jamais deux fois le même album. Chaque album sonne individuellement très différent. Ca fait juste naturellement partie de l’histoire d’At The Gates. Et bien sûr, vingt ans sont passés, nous sommes des personnes différentes aujourd’hui et tout le monde a été très actifs et a joué dans différents groupes, ce n’est donc pas si étrange [qu’au bout du compte ça sonne différemment]. Je dirais que c’est mieux joué et mieux exécuté.
Tomas : Nous voulions juste nous exprimer naturellement, comme nous l’avons toujours fait. Nous avons toujours changé entre les albums pour pouvoir avancer, sans vraiment regarder en arrière, et c’est ce que nous avons fait une fois de plus. Après avoir fait Slaughter Of The Soul, nous nous sommes dits qu’il lui manquait des parties importantes de notre début de carrière, tu sais, les parties plus mélodiques et mélancoliques et le côté sombre qui faisait partie de notre musique à cette époque. Il nous manquait ça dans Slaughter Of The Soul, voilà pourquoi nous avons voulu en ramener un peu. Nous avons continué après Slaughter Of The Soul avec une progression naturelle mais avons aussi ajouté des choses empruntées à nos premiers albums, nous voulions que ça fasse partie du groupe en 2014.
Comme tu l’as dit, At War With Reality est certainement plus mélodique et plus sombre que ne l’était Slaughter Of The Soul. D’où provenaient ces émotions ?
Encore une fois, tout a commencé avec Anders qui écrivait des chansons, et Jonas également mais Anders étant le compositeur principal, et ceci est ce qui est ressorti de lui aujourd’hui, cette musique plus sombre et mélancolique. J’imagine que, d’une certaine façon, les chansons sont là, [nous savons comment] les chansons d’At The Gates doivent se faire et désormais nous canalisons ça à travers cet album et le groupe. Mais je crois qu’Anders a ressenti ça comme étant une étape naturelle pour nous.
Anders : Je pense que ça a toujours été un peu sombre et je veux dire que nous aimons Slaughter Of The Soul et Terminal Spirit Disease, mais nous aimons aussi le vieux style tordu et mélancolique d’Alf Svensson, notre ancien guitariste. Peut-être qu’At War With Reality est plus comme un mélange de toute la discographie d’At The Gates, à essayer de s’inspirer de toutes les périodes. Je dirais que du point de vue des structures de chansons et des arrangements, nous sommes plus proches de Terminal Spirit Disease, mais nous aimons les mélodies des albums plus anciens encore. Je dirais que c’est plus dynamique et qu’il y a plus de couches que Slaughter Of The Soul, qui était plus direct et droit au but. Voilà l’album ce que nous avons essayé de faire.
Tomas, tu as été cité affirmant : « Ce que nous avons voulu faire, c’était être de vieille école mais en s’assurant que tout était au goût du jour. » Comment avez-vous fait pour être à la fois au goût du jour et sonner vieille école ? Peux-tu développer ce que tu voulais dire ?
Tomas : Beaucoup de groupes de nos jours sont considérés de la vieille école, il y a une grosse scène pour ça, tu sais. Je dirais qu’il y a toujours pas mal de groupes qui possèdent ce côté death metal « old school » mais en même temps progressent en faisant de nouvelles choses, comme Morbus Crohn, Obliteration ou Tribulation, tous ces groupes qui repoussent les limites du death metal mais tout en restant fidèles au format d’origine. Et c’est ce que nous voulions faire aussi. Nous sommes un groupe de death metal mais nous voulons aller de l’avant au sein même du genre et de notre son.
Vous avez une nouvelle fois travaillé avec Fredrik Nordström, comme pour Terminal Spirit Disease et Slaughter Of The Soul. Est-ce parce que vous le connaissiez et lui faisiez confiance ou bien était-ce pour faire preuve de continuité ?
Pour les deux raisons. Nous avons enregistré avec Fredrik pour trouver un endroit où nous pouvions être nous-mêmes et entourés de personnes en qui nous avions confiance et avec qui nous nous sentions à l’aise ; presque comme à la maison.
Anders : Bien sûr que nous voulions à nouveau travailler avec Fredrik parce que nous aimons ce qu’il a fait, mais nous voulions aussi un endroit situé à Göteborg et il a l’un des rares studios restants. C’était donc un choix naturel pour nous.
Tomas : Mais nous avons aussi choisi de laisser Jens Brogren se charger du mix pour lui faire passer un cap, car je suis un grand fan de ses productions ; il fait ressortir la véritable essence de chacun des groupes qu’il mixe.
Anders : Nous aimons vraiment sa manière de mixer. Il est unique, je n’ai jamais entendu ça, c’est easy-listening mais en même temps c’est agressif et brutal. C’est le mélange parfait entre un son qui cogne et un son moelleux. Nous nous sommes retrouvés avec un son confortable, tout en étant toujours, à la fois, agressif.
Le son de guitare du death metal suédois est très caractéristique et bien représenté dans un album comme Slaughter Of The Soul en l’occurrence, mais At War With Reality semble s’éloigner un peu de ce type de son. Comment cela se fait-il ?
Les gros amplificateurs de guitares ont beaucoup changé avec les années. A l’époque nous avions besoin de pédales de distorsions parce que les amplis n’étaient pas assez bons. Voilà pourquoi sur Slaughter Or The Soul nous avons utilisé une pédale heavy metal branchée dans une autre pédale, ce qui a donné ce son caractéristique. A l’époque nous n’avions pas d’amplis capables de rendre le son que nous voulions. Donc Slaughter Of The Soul n’est en fait pas le son que nous voulions, mais c’était le son sur lequel nous avons dû nous mettre d’accord pour avancer. Donc At War With Reality a davantage le son de guitare qui nous satisfait ; il a une bonne couleur, n’est pas aussi frontalement brutal et donne un côté plus relax.
C’est amusant qu’un son de guitare dont vous ne vouliez pas vraiment au départ soit devenu en quelque sorte une référence pour toute une scène…
Ouais, mais c’est toujours des coïncidences comme celle-ci… Tu ne peux jamais prévoir. Tu sais, il y a des gens qui aiment le son de guitare sur nos premiers albums, et c’est un son de guitare que nous n’aimions même pas. Ce sont juste des erreurs et malgré tout les gens semblent aimer ça. Ce n’est donc qu’une question de coïncidences.
« Nous sommes en guerre contre le concept de réalité unique, l’idée selon laquelle il n’y aurait qu’une manière d’expliquer le monde. »
Il y a un thème dans cet album, c’est le Réalisme Magique. Tomas, peux-tu expliquer ce que c’est et comment cela s’insère dans l’album ?
Tomas : Je dirais que c’est un genre de thème ou de concept qui s’exprime à différent niveaux, mais les deux principaux niveaux que l’on retrouve dans les paroles sont, tout d’abord, que c’est écrit dans le même style que la littérature que l’on appelle le Réalisme Magique. C’est un genre littéraire né dans les pays d’Amérique du Sud pendant les années 50 et 60. C’est un genre qui contient différents sous-niveaux, avec des genres de ce que l’on pourrait qualifier de nouvelles abstraites, très post modernes très interrogatrices, très sceptiques. J’étais inspiré par ce style d’écriture. Ça m’a aussi amené à l’idée du concept principal, qui est la remise en question de ces modèles uniques pour tout expliquer dans le monde, comme le fait d’essayer d’expliquer ça par la religion ou la politique. Il existe plus d’un modèle d’explication, car tout dépend du contexte dans lequel tu te trouves et quel genre de personne tu es. Nous ne sommes pas en guerre contre la réalité (NDT : « at war with reality », le nom de l’album) ; nous sommes en guerre contre le concept de réalité unique, l’idée selon laquelle il n’y aurait qu’une manière d’expliquer le monde. Ici, au sein de notre civilisation occidentale, nous avons notre propre manière d’expliquer le monde. Si tu prends par exemple la démocratie et l’ultra-capitalisme, les deux choses ont existé côte à côte dans notre société occidentale, et dans notre civilisation, pour certaines personnes, ce serait comme la fin de l’histoire, d’ailleurs c’est comme ça qu’on appelle ça, car ils croient que l’on a atteint le plus au niveau de développement, ce avec quoi je ne suis pas d’accord car il y a toujours des moyens d’avancer. Il nous manque une part importante de développement, avec plus de solidarité, de valeurs humaines et des choses de ce genre qui nous fait défaut dans cette manière de vivre particulière que nous avons dans le monde occidental. C’est assez profond, je sais ! [Rires] Je pourrais en parler pendant une demi-heure mais on n’a pas assez de temps…
D’ailleurs, tu te considères comme une personne politique. N’as-tu jamais été tenté de mettre davantage en avant tes vues politiques dans At The Gates ?
Je dirais qu’At The Gates n’est pas un groupe politique. C’est aussi pourquoi le Réalisme Magique est une bonne façon d’écrire les paroles, car il pourrait y avoir – et en fait il y a – des arrières pensés politiques cachées au sein des chansons. Tu n’as pas à les écouter si tu ne veux pas les écouter mais elles peuvent être comprises de différentes manières. Si tu as l’habitude de lire ce genre de littérature, tu troueras les clefs pour défaire les mystères [rires] de la part politique de mes paroles. Mais je ne veux pas qu’At The Gates soit un groupe qui parle de nos vues politiques au nez des gens. Nous ne sommes pas ce type de groupe.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta manière de penser d’un point de vue politique ?
C’est une idée un peu personnelle, je dirais. Je me considèrerais toujours comme un Maxiste, plus à gauche. Je vote toujours à gauche. Mais durant les cinq ou six dernières années, j’ai aussi étudié quelques philosophes post modernes. Car le Marxisme est aussi une explication pour tout et je crois que c’est en grande partie un modèle juste, mais il faut le développer encore plus loin.
As-tu déjà envisagé de t’engager dans une carrière politique ?
Non, jamais. Je veux dire qu’il y a d’autres personnes pour ça, tu sais. Je peux juste répandre mes idées et travailler avec ce que j’ai. Je ne suis pas très loquace pour ça. Je suis plus quelqu’un de théorique.
Anders, tu as affirmé avoir quitté The Haunted pour poursuivre d’autres intérêts. Mais The Haunted a prouvé avec l’album Unseen être très ouvert en terme d’intérêts artistiques. Donc, plus précisément, qu’est-ce qui t’a fait perdre ton intérêt dans le groupe ?
Anders : Ce n’était pas vraiment une question de vision musicale. J’en étais arrivé à un stade dans ma vie où j’avais le sentiment d’avoir tenté tout ce que je voulais et tout découvert au sein de The Haunted. J’avais le sentiment que le voyage était arrivé à son terme. Lorsque Peter est parti, c’était terminé pour moi. Je n’avais pas vraiment envie de partir encore une fois à la recherche d’un nouveau chanteur. Ce n’étais pas vraiment une question de musique ; c’était plus la manière dont les choses se sont terminées avec Peter lorsqu’il est parti et les questions [que l’on se posait à propos du futur du groupe]. Ensuite j’ai fait mon album solo, qui était plus atmosphérique et après ça je me suis senti à nouveau prêt pour faire du metal. Je veux dire que tu dois constamment te diversifier et composer des musiques différentes pour maintenir ton originalité. Je trouve que c’est important. J’avais le sentiment à cette époque que The Haunted ne faisait pas partie de mon futur. Mais ensuite ils ont trouvé Ole, et Marco et Adrian sont revenus, donc ils sont toujours dans la course et c’est super. Un seul groupe de metal c’est assez pour moi, ce sera donc At The Gates pour le moment.
Patrick Jensen a mentionné la frustration dû au manque de succès d’Unseen et au fait que les membres du groupe aient dû se trouver des boulots comme la raison numéro un expliquant les trois départs du groupe, dont le tien. T’es-tu donc senti frustré par cette situation ?
D’une certaine façon, peut-être, mais la frustration était plus dans le fait que les gens ne semblaient pas comprendre ce que nous faisions. Je veux dire que nous avons eu de très bonnes critiques mais nous en avons aussi eu de très mauvaises. Mais j’ai été un jeune fan qui a grandi en écoutant Slayer en permanence, je sais donc exactement ce que les gens ressentent, je sais ce qu’ils veulent dire lorsqu’ils disent quelque chose. Donc, évidemment, si tu aimes The Haunted uniquement pour son côté agressif, Unseen te décevra. Ce n’est pas difficile à comprendre, et c’est ainsi que vont les choses. C’était plus un album destiné à des personnes ouvertes d’esprit ; ces gens qui aiment différents styles de musique apprécient beaucoup Unseen. Mais dans n’importe quel groupe il est difficile de faire fonctionner l’aspect économique, tu sais, si tu es un groupe de metal underground. C’est la même chose pour At The Gates. C’est pourquoi nous avons choisi de faire uniquement les choses que nous voulons faire et avoir à côté des boulots normaux. Nous faisons donc ça pendant notre temps libre. Ça peut paraître étrange pour certains, mais prendre la décision d’essayer de vivre du groupe, c’est difficile, et nous l’avons appris à nos dépens avec The Haunted. Tu te retrouves dans une situation où tout pourrait ne pas fonctionner et à côté de ça tu dois toujours payer ton loyer et les choses de ce genre, et tu te retrouves à devoir faire des choix que tu ne veux pas vraiment faire et ceci mène à de mauvaises décisions. Nous en sommes donc arrivés à un point où nous avons décidé de conserver nos emplois principaux et tirer le meilleur parti de la situation.
« Prendre la décision d’essayer de vivre du groupe, c’est difficile, et nous l’avons appris à nos dépens avec The Haunted. »
Unseen était un album osé et risqué. Le groupe s’y est permis beaucoup de libertés. Penses-tu qu’At The Gates pourrait se permettre ce genre de libertés également ? Verrais-tu le groupe faire un album aussi ouvert d’esprit ?
Ouais, bien sûr. Il se pourrait bien qu’on emprunte une voie plus progressive mais je ne crois pas que nous ferons quelque chose d’aussi calme, peut-être plus dissonant et étrange. C’est certain que nous considérerons ceci pour notre prochain album. Mais ceci [NDLR : le nouvel album At War With Reality] n’était pas une précaution mais un lien entre Slaughter Of The Soul et là où nous en sommes aujourd’hui. Je crois donc qu’At War With Reality est un bon album de reformation et que nous allons peut-être expérimenter encore plus avec notre prochain album.
Peter Dolving a rédigé un long communiqué où il profère des accusations à ton encore et à celui de ton frère Jonas. Comment as-tu accueilli ses mots ? Les comprends-tu ?
Il ne les a pas écrits d’une manière directe ; il utilisait des mots pour décrire autre chose. Je veux dire qu’une bonne part de ceci se base, en fait, sur d’autres choses mais il l’a écrit d’une manière qui nous fait passer pour les méchants garçons. Ca parlait de situations dans lesquelles nous nous sommes retrouvés ces dernières années avec The Haunted. Je t’ai parlé de l’aspect économique et tout, c’est difficile ! C’est difficile d’essayer de vivre d’un groupe qui n’est pas très gros. Et c’était, je suppose, un problème, particulièrement pour Peter qui possède une maison et tout. Ca a donc été écrit [sous l’influence des émotions] et de la frustration. Je comprends les problèmes qu’il a traversés mais tu peux l’écrire d’une autre manière. Il essayait en quelque sorte de nous renvoyer la faute… Je veux dire qu’il a tenu At The Gates pour responsable de ce qui est arrivé à The Haunted, mais ce sont deux groupes différents.
Et cela t’a-t-il blessé ?
Au début je l’étais mais ensuite j’ai lu entre les lignes ce que ça voulait dire. Je connais très bien Peter ; nous avons été dans le même groupe pendant des années et nous avons tourné ensemble. Nous étions d’ailleurs de bons amis. Je veux dire que tout se passait super bien jusqu’à, environ, la dernière année. Je n’y pense plus trop aujourd’hui mais ça m’a pas mal blessé lorsque s’est survenu. Mais après quelques semaines j’ai compris qu’il était frustré par quelque chose d’autre.
As-tu entendu le nouvel album de The Haunted, Exit Wounds ?
J’ai entendu quelques chansons mais pas tout l’album. Je vais voir ce qu’ils donnent en concert. Ils viennent dans ma ville dans quelque chose comme une semaine, alors je vais aller les voir !
Que ce soit avec At The Gates ou The Haunted, tu joues avec ton frère jumeau depuis de très nombreuses années. Il est dit que les jumeaux ont un lien fort. Est-ce quelque chose que tu ressens d’un point de vue créatif ?
C’est comme avoir ton meilleur ami tout le temps avec toi. Mais c’est plus lorsque nous grandissions, parce qu’aujourd’hui il vit dans une autre ville, donc nous ne nous voyons plus tellement en dehors du groupe. Mais c’était le cas dans le passé, lorsque nous grandissions, dans la salle de répète, à essayer de s’enrichir mutuellement. Parfois nous n’avions même pas à parler, nous savions tous les deux ce qu’il y avait à faire avec certaines parties dans les chansons ou certains arrangements. Donc ouais, c’est assez spécial.
Tu as réalisé un album solo l’année dernière intitulé Antikythera et tu as dit que tu voulais qu’il sonne comme une sorte de bande originale de film. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai commencé un jour avec un thème de film inspiré par Goblin, comme un [thème de musique de film] d’horreur italien. Je regarde beaucoup de films, beaucoup de classiques des années 60 et 70. Donc évidemment c’est toujours quelque part dans mon esprit. Je n’essaie pas vraiment de copier des choses mais c’est quelque part en moi après avoir visionné tant de film au cours de ma vie. C’est une énorme source d’inspiration, comme les [bandes originales de] films italiens de Bruno Nicolai et Ennio Morricone. Je me suis retrouvé à écrire une nouvelle section [pour l’album] chaque matin en me levant, donc en deux semaines j’avais l’album complet. C’est quelque chose que j’ai voulu faire après avoir quitté The Haunted. C’était très différent pour moi et une super expérience de jouer avec Morgan Ågren à la batterie, Dick Lövgren à la basse et quelques amis et de découvrir d’autres genres musicaux.
Interview de Tomas Lindberg réalisée par téléphone le 1er octobre 2014 par Metal’O Phil.
Interview d’Anders Björler réalisée par téléphone le 2 octobre 2014 par Spaceman.
Retranscription, traduction, fiches de questions et introduction : Spaceman.
Photos : Daniel Falk (1 & 2), Ester Segarra (5) & Andy Hayball (3 & 6).
Site internet officiel d’At The Gates : atthegates.se.