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Interview   

Auri a plus d’un tour dans sa manche


Si la pandémie a eu un avantage, c’est d’offrir à bon nombre de gens des quantités inespérées de temps. Vous en avez peut-être profité pour terminer ce livre qui traînait sur votre table de nuit depuis l’été 2019, ou pour binger une série qui vous faisait de l’œil depuis longtemps. Les musiciens, eux, ont fait ce qu’ils font le mieux : écrire et enregistrer de la musique. Pour les trois membres d’Auri, habitués à échanger leurs idées par e-mails interposés, l’isolement et la fermeture des frontières n’auront eu presque aucun impact sur le processus créatif – mais sur les modes de locomotion de Troy Donockley, c’est une autre histoire.

Véritable homme-orchestre touche-à-tout, le musicien britannique, également figure incontournable de Nightwish, est revenu pour nous, avec son humour caractéristique, sur la genèse de ce nouvel opus d’Auri, toujours à mi-chemin entre folk celtique et bande originale de film, l’art d’apprendre mille instruments et ses premiers contacts avec le monde du metal.

« Nous adorons nous envoyer de la musique à travers l’éther et nous inspirer mutuellement. C’est une façon de faire assez rare, mais c’est comme ça que nous fonctionnons. »

Radio Metal : Ce nouvel album d’Auri sort à la fin (croisons les doigts…) d’une des périodes les plus bizarres de l’histoire récente. Comment votre trio est-il parvenu à écrire et enregistrer cet album dans ces circonstances si particulières ?

Troy Donockley (guitare, claviers, flûtes…) : Des circonstances particulières ! Quoi, il s’est passé quelque chose ? Ah oui, une histoire de vilain rhume, ou quelque chose comme ça. Ça me revient ! [Rires] Tu connais l’expression : « À quelque chose, malheur est bon. » Aussi horrible qu’ait été la pandémie, ç’a été une bonne chose pour nous, car grâce à ce temps perdu et à ces plans tombés à l’eau, nous avons pu avoir l’espace nécessaire pour faire un nouvel album d’Auri. Nous avions prévu d’attaquer Auri II après la tournée mondiale de Nightwish pour Human. :||: Nature. Nous savons tous comment ça s’est terminé ! Mais nous avons trouvé le temps et nous avons décidé que c’était le bon moment pour le faire. Nous nous sommes plongés dedans et nous y voilà aujourd’hui.

Les chansons ont-elles été écrites à partir de rien ou aviez-vous déjà un peu de matériel ?

Nous avions quelques éléments, parce que nous avions prévu d’enregistrer le nouvel album fin 2021. C’était l’idée d’origine. Nous avions déjà travaillé sur quelques pistes. J’avais trois chansons presque terminées, de même que Tuomas et Johanna. Nous avions une longueur d’avance.

Auri est ce que l’on peut qualifier de « musique d’évasion ». Le fait d’être enfermé dans une bulle Auri pendant cette drôle de période était-il également une forme d’escapisme ? Cela vous a-t-il aidés à supporter la morosité ambiante ?

C’est une merveilleuse question, parce que c’est exactement ce qui s’est passé. Ça m’a complètement régénéré. Ça nous a tous régénérés, après les déceptions liées à notre année gâchée, à toutes les annulations et à nos plans tombés à l’eau. Ça nous a vraiment aidés, et ça nous a permis de nous concentrer sur ce qui est important – pas seulement d’un point de vue musical, mais pour tout le reste. Ça nous a vraiment aéré l’esprit. Une fois le yacht Auri lancé, c’était bon. Pour nous, le temps a changé : nous avions un objectif vers lequel naviguer. Ç’a vraiment été d’une grande aide.

Lorsque nous avons discuté avec Tuomas à Helsinki en septembre dernier, il nous a dit que tu devais te rendre en Finlande pour mixer l’album, et il craignait que tu n’aies des problèmes à la frontière. Comment cela s’est-il passé, au final ?

Et ce n’est pas fini ! Je dois aller en Finlande dans une quinzaine de jours, mais tout peut encore changer. Mais aller là-bas pour le mix… Nous avons mixé l’album dans l’est de la Finlande. Je n’avais plus qu’à croiser les doigts ! [Rires] Finalement, je me suis simplement acheté une montgolfière et j’ai pu passer la frontière sans problème. J’ai posé la montgolfière à côté du studio et je n’ai pas eu à me soucier de la douane et de toutes ces bêtises ! [Rires]

Those We Don’t Speak Of est bien plus mélancolique que son prédécesseur. Cette atmosphère plus sombre était-elle délibérée ou est-ce un résultat du désastre qu’a été 2020 ?

Encore une excellente question. Je ne suis pas vraiment sûr. Nous nous appuyons simplement sur ce qui sort du laboratoire Auri. Nous travaillons sur la musique de façon chronologique. Il n’y a ni plan ni concept. Nous laissons le processus démarrer, et nous continuons jusqu’à ce que nous ayons fini. Je pense que Those We Don’t Speak Of est un développement intéressant, et je suis d’accord sur le fait que l’atmosphère de l’album est légèrement différente de celle du précédent. Le premier album était très… pas expérimental, mais il s’agissait de tester ce que nous pouvions faire. Ç’a été un énorme succès pour nous. Pas d’un point de vue commercial, évidemment [rires], mais dans le sens où les expériences que nous avons réalisées nous ont permis de réaliser que nous voulions continuer à faire de la musique avec Auri. Nous n’avons jamais considéré ça comme un événement isolé, de toute façon. Nous savions que nous étions sur la bonne voie rien qu’en parlant du projet, il y a une éternité. Il n’y a jamais eu de plan quant au son de l’album, mais je suis convaincu qu’un peu de la mélancolie ambiante s’est glissée dedans. L’album comporte plusieurs passages particulièrement pensifs.

« Nous sommes tous impressionnés par la façon dont la musique se crée à travers le musicien ; elle est filtrée par le musicien, ressort de l’autre côté et affecte le reste de l’humanité en provoquant une réponse émotionnelle. Je dirais que c’est de la magie. »

Tu viens de sous-entendre que l’album n’a pas eu un grand succès commercial. Cela veut-il dire que les fans de Nightwish ne vous ont pas suivis dans cette nouvelle aventure ?

Je parlais de façon relative, en comparaison de Beyoncé [rires]. Non, en fait, la réponse des fans de Nightwish a été incroyable. Cela prouve bien ce que nous avons essayé de faire comprendre aux gens lors de notre dernière tournée promo en Europe : que les fans de Nightwish – et, de façon plus générale, les fans de metal – sont très ouverts d’esprit et que leur réaction face à la musique n’est pas restreinte. Nous avons été ravis par la réponse des fans. Et bien sûr, des gens de tous horizons ont acheté l’album, pas seulement des metalleux ou des fans de Nightwish. La réaction a vraiment été formidable. Ça nous encourage. Mais nous n’avons pas fait le premier album d’Auri, ni le deuxième, pour atteindre le succès commercial. Nous l’avons fait pour nous, et si les gens ont aimé et ont décidé de nous suivre, alors plus on est de fous, plus on rit. C’est formidable. Le premier album s’est vraiment bien vendu. Mais, plus important encore, ça nous a inspirés pour continuer l’aventure.

Penses-tu que le travail purement orchestral réalisé sur All The Works Of Nature Which Adorn The World ait inspiré ou déteint sur les pistes instrumentales de ce nouvel album ? Je pense en particulier à la chanson « Light And Flood », qui, selon moi, ne dépareillerait pas sur All The Works Of Nature.

Oui, « Light And Flood » est à quatre-vingts pour cent orchestrale ; c’est un titre mené par un quatuor à cordes et un piano. Il y a aussi quelques guitares électriques, du low whistle, ce genre de chose. Mais non, ce n’était pas du tout en réaction à cela. « Light And Flood » est un bon exemple des mécanismes désintéressés à l’œuvre au sein d’Auri et au cœur de la façon dont nous travaillons. J’ai composé ce titre à l’origine pour quatuor à cordes, piano et voix sans paroles. Avec la latitude que nous nous autorisons chez Auri, la façon dont nous travaillons et contribuons à la musique des uns et des autres, je m’attendais à recevoir des contributions, mais pendant le mixage, Tuomas et Johanna m’ont aidé à réaliser que l’histoire de « Light And Flood » était terminée et qu’il n’était pas nécessaire de changer la chanson. Ce titre précis est donc très similaire à ce qu’il était sur la démo d’origine, mais les ajouts apportés en Finlande sont sublimes. Les arpèges déchaînés au piano et le chant de Johanna, qui m’évoque une libellule en train de danser, sont exquis. Un autre exemple de la façon dont nous travaillons est que ce titre a influencé le suivant. La réaction de Tuomas à « Light And Flood » a été : « Ça me fait voyager », ce qui nous a donné le titre de la chanson suivante [« It Takes Me Places »]. Mais nous sommes tous d’énormes fans de musique orchestrale. Je l’ai toujours été, et tout ce que j’ai fait sur mes albums solos depuis 1996 est très orienté quatuor à cordes.

Pour l’album précédent, vous aviez réalisé les photos du groupe et des paysages qui apparaissent dans le livret avant d’avoir enregistré la moindre note, afin de tirer votre inspiration de la nature. J’imagine que ça n’a pas été possible en raison du confinement. Comment vous êtes-vous mis dans le bon état d’esprit pour ce nouvel album ?

[Rires] Tout à fait. Des photos de ma salle de bains et de ma cuisine n’auraient pas été très inspirantes, pas plus que du côté finlandais ! Cette fois, nous avons dû internaliser. Nous avons dû plonger dans notre imagination d’une façon typiquement Auri. Notre mode opératoire consiste à nous exciter mutuellement avec de la musique. Nous adorons nous envoyer de la musique à travers l’éther et nous inspirer mutuellement. C’est une façon de faire assez rare, mais c’est comme ça que nous fonctionnons. Pendant le confinement, qui malheureusement se poursuit, nous n’avons pas eu l’occasion de [faire les photos avant]. Nous avions vraiment aimé cet aspect du processus créatif, faire les choses à l’envers, prendre les photos puis travailler sur le mix. Nous n’avons pas pu faire ça cette fois-ci, mais je suis allé [en Finlande] pour le mix et nous avons fait une séance photos à ce moment-là. Le résultat est très bon. Nous en sommes ravis, mais la musique est venue en premier, parce que nous n’avions pas le choix. Peut-être que pour le prochain album, nous reviendrons à l’idée d’origine et prendrons les photos avant de nous occuper de la musique.

Le premier album d’Auri a vu le jour suite à une pause chez Nightwish, et aujourd’hui, le deuxième album sort grâce à la « pause pandémie ». Il semblerait qu’Auri soit le genre de projet qui vous occupe lorsque votre planning le permet. Cela rend-il le processus plus spontané et instinctif ?

Absolument. C’est une très bonne observation, parce que c’est exactement comme ça que ça se passe. Nous prenons tous les trois Auri très au sérieux, parce que cela fait partie intégrante de notre amitié, de la façon dont nous concevons notre relation amicale. Mais évidemment, comme je l’ai dit tout à l’heure, Nightwish est un énorme pétrolier, et Auri est un petit yacht de luxe. C’est comme ça que nous le voyons. Quand le pétrolier apparaît à l’horizon, nous partons pour le pays de Nightwish. Et Johanna fait autre chose, elle aussi ; elle a une carrière complètement différente en Finlande avec une amie. Nous reprenons le chemin d’Auri dès que possible. Nous avons bien l’intention de ne jamais nous arrêter. Nous alternons entre Nightwish, temps libre, Auri, Nightwish, temps libre, Auri… C’est la situation idéale, mais qui sait ? Il faut juste se laisser porter.

« On essaie de l’expliquer, mais la musique ne peut pas être expliquée. […] Il faudrait qu’on se pose tous les deux avec une bonne bouteille de vin et qu’on en discute pendant six heures ! »

Lors de notre dernière conversation, tu nous disais que tu n’avais « jamais vu un processus si facile et profondément beau se dérouler sous [tes] yeux ». Comment le processus créatif d’Auri II a-t-il évolué après l’expérience du premier album ?

Je ne sais pas trop. Je dirais que la direction que nous avons prise s’est solidifiée. Le premier album comptait des éléments expérimentaux, mais il restait cohérent. Notre vision pour Auri se développe. Encore une fois, nous écrivons tous les trois la musique pour Auri ; nous nous envoyons des démos, nous sommes excités et inspirés par la musique des autres. C’est gravé dans le marbre, désormais. C’est comme ça que nous travaillons, et cet environnement de travail est un bijou, même s’il se fait à distance. C’est merveilleux.

Le premier album comportait plusieurs chansons sans paroles, avec uniquement des vocalises. Je n’ai pas compté exactement, mais ce nouveau disque semble en compter encore plus. Y a-t-il une raison à ce choix ?

Non. Encore une fois, c’est juste la façon dont les chansons se sont construites et ont évolué. Si je me souviens bien, je crois que seule « Light And Flood » n’a pas de paroles, seulement des vocalises de Johanna. Les autres chansons sont assez lyriques. Je crois que c’est minimal dans « Scattered To The Four Winds », il n’y a qu’un couplet qui se répète. Mais non, c’est simplement arrivé. Nous ne planifions rien jusqu’à tard dans le processus. Nous échangeons des idées en termes de direction, et nous suivons ces idées, nous flottons sur l’onde jusqu’à la destination où elle choisit de nous emmener.

Penses-tu que les paroles peuvent distraire l’auditeur de la musique elle-même ?

Oh oui. C’est un vrai souci pour nous. C’est une vraie grosse question, et c’est la raison pour laquelle nous n’aimons pas trop aborder la signification des chansons. Nous aimons injecter de l’ambiguïté dans les textes. Nous préférons que les gens créent leurs propres histoires. C’est valable pour toute la musique que nous aimons, et cela s’applique également à l’approche de Nightwish en termes de paroles. Je trouve ça beaucoup plus intéressant. Je suis sûr que c’est la même chose pour toi que pour moi : la plupart de mes chansons préférées peuvent se lire exactement de la façon dont j’ai envie de les lire, et ce n’est pas nécessairement ce que l’auteur du texte avait en tête. En fait, je pense que c’est plus intéressant quand on se fait sa propre idée. Il y a plusieurs exemples de cela sur ce nouvel album, comme tu l’as probablement deviné.

En parlant d’ambiguïté et de se faire sa propre idée, je vais tout de même poser la question : qui sont « ceux dont on ne parle pas » auquel le titre de l’album fait référence ?

Écoute, c’est une question délicate ! [Rires] Parce que ceux dont on ne parle pas, par définition, on ne peut pas en parler ! On ne peut pas, c’est trop secret ! Il faudra que tu fasses tourner ton imagination à trois heures du matin. Tu vas devoir te réveiller très tôt et essayer d’imaginer qui « ceux dont on ne parle pas » peuvent bien être ! Quand Johanna nous a présenté cette chanson, elle nous a sidérés par son atmosphère. Je sais que c’est un titre d’ouverture très peu orthodoxe, mais nous nous sommes dit qu’il devait absolument se trouver en premier. Généralement, on ouvre un album avec un titre qui a du punch, mais nous avons pensé que celui-ci posait très bien le décor du reste de l’album. Et puis nous nous sommes dit que cela ferait un très bon sous-titre pour l’album : « Auri II – Those We Don’t Speak Of ». Très mystérieux !

Votre trio a été rejoint par Kai Hahto aux percussions. À quel point l’avez-vous inclus dans votre dynamique ? Quel a été son niveau d’implication ?

Kai est le genre de garçon qui sait exactement quoi faire dès que tu lui joues les chansons. Il n’a pas vraiment besoin qu’on lui donne une direction. En plus, c’est un musicien très éclectique ; il peut jouer n’importe quel style. Pour moi, c’est l’un des plus grands batteurs au monde. Nous lui avons simplement envoyé la musique, du genre : « Voilà. » Nous avions quelques guides pour les percussions pour certaines chansons, mais bien sûr, il les a largement améliorées. Quand nous avons entendu ce qu’il avait fait, nous nous sommes dit : « C’est ça. Il n’y a rien à ajouter. » Il s’est chargé de toute la batterie. Il a même ajouté quelques petites percussions, ce qui était formidable. Il a beaucoup de goût dans sa façon de jouer. Nous étions absolument ravis de ce qu’il a fait.

« [Avec Nightwish,] il y a eu de sacrées ornières sur la route et quelques roues sont même tombées. Nous avons perdu beaucoup d’énergie au cours des dix dernières années, mais à l’heure actuelle, nous sommes tous revigorés. Nous avons tous une vision optimiste de l’avenir. »

La dernière fois que nous t’avons interrogé, tu avouais n’avoir pas lu les romans de Patrick Rothfuss dont est partiellement tiré le nom d’Auri, et tu as dit : « Tant que je n’aurai pas lu les livres de Patrick Rothfuss, je choisirai Auri comme une émanation et une atmosphère. » As-tu eu l’occasion de lire les livres depuis ?

Étant donné que nous sommes confinés depuis quinze mois… non, je ne les ai pas lus ! [Rires] C’est vraiment de la paresse de ma part, je sais. J’aurais dû. Tuomas et Johanna m’ont envoyé un exemplaire de La Musique Du Silence, mais pour moi, ça n’avait aucun sens ! C’est là qu’ils m’ont dit : « Tu devrais te plonger dans les Chroniques avant, parce que ce livre-ci est une espèce d’appendice. » J’ai essayé de le lire et je me demandais : « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Je n’y comprenais rien ! Mais j’ai bien l’intention de lire les Chroniques à un moment ou un autre. Quand on se parlera à nouveau dans trente-sept ans, je me serai peut-être lancé !

Et peut-être que d’ici trente-sept ans, le tome 3 sera sorti !

[Rires] Oui, j’ai entendu parler de ça !

La dernière fois, nous avions évoqué l’idée de la magie, et aujourd’hui, le communiqué de presse précise que « Auri possède les clés d’une dimension merveilleuse que personne d’autre ne peut percevoir ». Certains artistes pensent que l’inspiration vient d’une autre dimension, qu’il s’agit d’une manifestation de cette dimension ou d’une fenêtre ouverte sur celle-ci. Entretiens-tu ce genre de relation spirituelle à la musique ? D’où penses-tu que vient l’inspiration ?

Oh, merveilleuse question. Merveilleuse question ! De tous les arts, la musique est le plus intangible. C’est comme ça. Ce n’est pas immédiat. Tout dépend bien sûr de la musique que tu écoutes, mais de façon générale, pour moi, la musique instrumentale est un portail. C’est très subjectif, mais un sentiment courant parmi les musiciens, et en particulier ceux qui écrivent de la musique, est qu’une sorte de muse est à l’œuvre. Je pense que cette muse est nourrie par ta propre personnalité et ta propre culture. Mais à un niveau plus profond, je dirais que, parce que la musique est tellement intangible – une fois qu’elle est sortie, elle reste suspendue dans l’air –, elle ne peut qu’être traduite à travers toi, à travers la compréhension et l’approche que tu en as. C’est presque mystique. C’est le seul mot qui me vient – mais il faut détacher le mot « mystique » de toute connotation religieuse. Le terme que tu as utilisé était « spirituel », et le mysticisme spirituel de la musique est quelque chose que je ressens de façon très profonde. Ç’a toujours été le cas, depuis que je suis enfant. Donc oui, c’est quelque chose qui influence Auri, parce que nous avons tous les trois le même ressenti à ce sujet. Nous sommes tous impressionnés par la façon dont la musique se crée à travers le musicien ; elle est filtrée par le musicien, ressort de l’autre côté et affecte le reste de l’humanité en provoquant une réponse émotionnelle. Je dirais que c’est de la magie.

La façon dont cette magie fonctionne, dont nous l’approchons, la traduisons et la ressentons, est un autre aspect de la philosophie d’Auri. Nous avons eu tellement de discussions autour d’un feu de camp, tard le soir, à ce sujet, à propos de la façon dont la musique nous affecte et peut être perçue comme de la magie. Notre musique elle-même est également assez proche d’un tour de magie. Quand tu vois le résultat d’un tour de magie, tu es transporté dans un autre monde. Avant que ton esprit rationnel ne se mette en route et te dise : « Il a dû cacher l’objet dans sa manche », il y a un moment où la liberté et l’émerveillement enfantin occupent l’espace entre ces deux états. Et puis la rationalité revient et te dit : « Ah, l’objet était dans sa manche ! » C’est la même chose avec la musique. On entend un changement d’accord, on se dit : « Oh ! », et ça provoque quelque chose en nous à un niveau très profond. Puis on essaie de l’expliquer. On essaie d’y poser des étiquettes – religieuses, politiques, des histoires d’amour, ce genre de chose. On essaie de l’expliquer, mais la musique ne peut pas être expliquée. Comme je l’ai dit, c’est intangible. En fait, c’est vraiment difficile d’en parler. Il faudrait qu’on se pose tous les deux avec une bonne bouteille de vin et qu’on en discute pendant six heures !

« Ça ne me gêne pas d’être qualifié de multi-instrumentaliste, pas du tout, mais je ne me vois même pas comme ça. Je suis un expressionniste avant tout. »

J’aime beaucoup ta comparaison, car j’ai entendu dire que tu étais toi-même magicien. Il paraît que tu passes ton temps à faire des tours de magie.

Effectivement ! Je suis un fervent amateur. Je ne fais de la magie que pour ma famille et mes amis, mais c’est un hobby génial à avoir dans ma profession. Je passe tellement de temps dans des chambres d’hôtel, je peux m’entraîner devant le miroir. Et j’ai toujours un public consentant de musiciens et de techniciens. Lorsque nous sommes en tournée avec Nightwish, c’est le festival de la magie et j’ai toujours des tonnes de nouveaux tours à présenter. Je passe mon temps à faire léviter les gens, à les couper en deux, ce genre de chose.

Du moment que tu les rattaches avant le concert, tout va bien !

Il m’est arrivé d’oublier, ce qui peut poser des problèmes pour notre ingénieur du son. Une fois, je l’ai enfermé dans un bloc de glace et j’ai oublié de le décongeler !

Ça peut être problématique !

Je sais, il faut que j’arrête de faire ça ! [Rires]

Si vous voulez garder votre équipe technique, c’est sans doute une bonne idée !

Oui, il faut que j’apprenne !

Penses-tu qu’avoir un projet comme Auri, qui est globalement affranchi de toute attente de la part du public, aide à atténuer la pression qu’un groupe comme Nightwish peut générer et à prendre un peu de distance ?

Oui, jusqu’à un certain point. Dans un pétrolier comme Nightwish, il y a beaucoup de rouages qui font tourner la machine correctement, ce qui s’accompagne de beaucoup de problèmes potentiels. C’est simplement la façon dont les grosses organisations fonctionnent. Pour nous, Auri est davantage une petite entreprise familiale. Le gros pétrolier vend de l’essence au monde entier, tandis que nous vendons de petits pots de confiture. Nous sommes une toute petite entreprise, gérée par des amis qui produisent de petits morceaux d’art délicieux et tout aussi importants que les plus gros. De ce point de vue, il n’y a pas de différence. Nightwish est incroyablement important pour nous tous, tout comme Auri. En ce moment, Nightwish connaît énormément de changements, mais cela nous a redonné des forces et renforcé notre désir de voir Nightwish continuer aussi longtemps que possible, parce que nous adorons tous ce groupe. Nightwish a encore de beaux jours devant lui. Il y a eu de sacrées ornières sur la route et quelques roues sont même tombées. Nous avons perdu beaucoup d’énergie au cours des dix dernières années, mais à l’heure actuelle, nous sommes tous revigorés. Nous avons tous une vision optimiste de l’avenir. Le fait de ne pas pouvoir partir en tournée ne nous a pas aidés. Mais une chose rare chez Nightwish est que nous sommes tous amis. Personne dans le groupe ne cherche à éviter les autres. Beaucoup de groupes sont en proie à une terrible animosité et des frustrations entre les membres, mais il n’y a pas de ça chez nous. Nous sommes sûrs de pouvoir créer un autre album génial, et un autre après ça, et un autre après ça.

Tu joues d’un certain nombre d’instruments très différents, en plus d’être chanteur. Comment as-tu acquis cette polyvalence ? Penses-tu que tu avais des prédispositions pour apprendre tous ces instruments, ou est-ce simplement que, plus on en apprend, plus il devient facile d’en ajouter ?

Encore une excellente question ! Plus on en apprend et plus c’est facile, c’est très vrai. Les musiciens ont tendance à se limiter à une seule discipline. Tu peux jouer des instruments à cordes, ou des percussions, ou des instruments à vent – tu peux te consacrer à une discipline. Mais j’ai toujours pensé que, selon ce que je veux exprimer, il me faut l’instrument adapté. Enfant, j’ai commencé en tant que guitariste. C’était mon mode d’expression à l’époque, mais ce n’était pas suffisant pour moi. Plutôt que de me cantonner à la guitare, j’ai écouté d’autres instruments et je me suis dit : « Je veux utiliser ce mode d’expression. » On m’a laissé entendre que ce n’était pas possible, qu’on ne pouvait pas passer d’un instrument à l’autre, qu’il fallait que je me limite à la guitare. Mais cette façon de faire ne m’a jamais intéressé. Pas parce que je voulais absolument devenir multi-instrumentaliste, mais parce que je brûlais de m’exprimer à travers la musique, et qu’il me fallait plus d’un outil. J’ai eu la chance que mon père repère cette facilité chez moi et m’encourage. Il ne m’a jamais poussé, mais il m’a encouragé. J’ai eu beaucoup de chance à ce niveau.

« Aujourd’hui, je ne suis pas seulement un disciple de l’attitude metal, mais j’en suis un grand défenseur. J’adore orienter les gens vers des choses sur lesquelles ils ont une opinion bien arrêtée et les surprendre. Nightwish a été une de ces surprises pour moi. »

Avec le temps, les choses ont un peu dérapé et j’ai commence à jouer de beaucoup de types d’instruments différents et à me lancer dans des directions très variées. C’est difficile de jongler entre tant d’instruments, alors j’ai fini par me limiter à ceux que je joue aujourd’hui, mais c’est un bon échantillon. J’ai des vents, des cordes, des claviers… Encore une fois, c’est venu d’un désir d’avoir toute cette armurerie à ma disposition, mais je ne me considère pas comme jouant d’un instrument particulier. Je ne dirais jamais : « Je suis sonneur », ou « Je suis guitariste », ou « Je suis chanteur ou claviériste ». Je n’envisage pas ma vie musicale en ces termes ; je ne vois pas les choses comme ça. Ça ne me gêne pas d’être qualifié de multi-instrumentaliste, pas du tout, mais je ne me vois même pas comme ça. Je suis un expressionniste avant tout. J’aime regrouper autant de choses que possible dans ma musique. Ma vraie passion, c’est la composition. J’adore écrire. Les cordes comptent parmi mes instruments préférés. Le quatuor à cordes est l’un de mes grands modes d’expression. Ça et la cornemuse irlandaise, la guitare électrique et le low whistle. Je dirais que ce sont mes quatre grands modes d’expression. J’adore utiliser le quatuor à cordes en tant que voix.

Comment quelqu’un d’aussi imprégné de musique celtique et jouant des instruments comme la cornemuse irlandaise, le tin whistle ou le bouzouki a-t-il échoué dans le metal ? Quel a été ton premier contact avec le genre ?

[Rires] Ç’a été le baptême du feu quand j’ai rencontré Nightwish. Un monde nouveau s’est ouvert à moi. Mais je ne viens pas du folk. Les gens le pensent souvent, mais à tort. Je viens en fait du rock progressif : Pink Floyd, Genesis et Yes, et des groupes obscurs comme Gentle Giant et Camel, voilà ce que j’écoutais en grandissant. J’étais obsédé par ces groupes. Le folk est venu plus tard. Étant britannique, j’ai été exposé à beaucoup de folk rock britannique dans les années 70. Quand j’avais neuf ans, j’écoutais des groupes de folk rock comme Steeleye Span, mais c’était toujours la fusion du folk avec autre chose qui m’attirait, ce mélange d’instruments traditionnels et d’instruments électriques. Je n’ai jamais vraiment été très loin du metal, mais cet aspect n’a pris de l’ampleur que lorsque j’ai rencontré le groupe en 2007. Avant ça, ma connaissance du metal était en gros limitée à la New Wave Of British Heavy Metal. J’avais vu plusieurs de ces groupes, comme Diamond Head, quand j’étais enfant, et je connaissais évidemment Iron Maiden, Def Leppard et Saxon. Tous ces groupes étaient très présents quand j’étais gamin. Je connaissais cet aspect du metal, mais je n’avais aucune idée du nombre spectaculaire de sous-genres que compte le metal ; c’est quelque chose que je viens de découvrir.

Aujourd’hui, je ne suis pas seulement un disciple de l’attitude metal, mais j’en suis un grand défenseur. J’adore orienter les gens vers des choses sur lesquelles ils ont une opinion bien arrêtée et les surprendre. Nightwish a été une de ces surprises pour moi. C’est mon ami Pip Williams, qui fait tous les arrangements orchestraux pour Nightwish, qui m’a envoyé Once en 2007. Il m’a dit : « Il faut que tu écoutes ça. Je viens de travailler avec ces Finlandais, un groupe qui s’appelle Nightwish. » Je lui ai répondu : « Jamais entendu parler. » Et lui : « Ça ne m’étonne pas. Voilà le CD, il faut que tu écoutes. Je me suis occupé des orchestrations. » « Très bien, super, j’y jetterai une oreille ! » Il m’a dit : « Tu aimes le rock progressif, c’est ça ? Écoute ça. C’est du metal. » « Je ne sais pas trop… » Je me disais : « Du metal ? Ça va être du genre Slayer, Anthrax ou Metallica », et ça ne m’intéressait pas particulièrement. J’apprécie ces groupes, mais ça ne faisait pas vraiment partie de mon monde. Et puis j’ai lancé le CD et je me suis dit : « Quoi ?! Ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais ! » [Rires] Il était évident que j’étais en train d’écouter quelque chose de très éloigné de tous les préjugés concernant le metal. J’ai absolument adoré.

À partir de là, les choses se sont emballées. Le groupe est entré en contact avec moi pour que je joue sur Dark Passion Play. C’est drôle parce que je l’avais un peu oublié. J’écoutais Once de temps en temps, mais Pip m’a appelé et m’a dit : « Tu te souviens de ce fameux groupe ? » « Oh oui, Nightwish ! » « Eh bien ils veulent que tu viennes jouer pour eux. Tu es motivé ? » Je lui ai dit : « Bien sûr, j’adorerais ! » Je suis très éclectique en matière de musique. Tout me va – sauf le jazz, je ne suis pas fan de jazz, mais n’importe quoi d’autre me va. Je suis prêt à tremper mes orteils dans n’importe quel océan musical. Je me suis dit que ça pourrait être très sympa. Au final, ça a absolument tout changé. Plus j’en découvrais, et plus je suis tombé amoureux de ce véhicule de l’esprit qu’on appelle Nightwish et de son évolution au fil de mes années avec le groupe. Ç’a été merveilleux et très excitant. J’ai écouté le dernier album, Human. :||: Nature., comme si ni moi ni aucun de nous n’y avait participé, et j’en ai été renversé. Certains passages sont tellement magnifiques. Par la suite, je me suis dit : « Mais c’est nous ! C’est nous qui avons fait ça ! » [Rires] C’était très étrange, mais je pense que se déconnecter de son propre travail est une bonne chose pour l’ego.

Voilà l’histoire. Voilà où a fini le petit garçon de Cumbria qui était obsédé par Dark Side Of The Moon et Wish You Were Here de Pink Floyd ! [Rires] Mais encore une fois, à mes yeux, ce n’est pas si éloigné. Je suppose que certaines personnes peuvent se dire : « Ça n’a absolument rien à voir… », mais pour moi, si. Tout ça vient d’une même source. Toute la bonne musique vient de la même source.

« J’ai écouté le dernier album, Human. :||: Nature., comme si ni moi ni aucun de nous n’y avait participé, et j’en ai été renversé. Certains passages sont tellement magnifiques. Par la suite, je me suis dit : ‘Mais c’est nous ! C’est nous qui avons fait ça !’ [Rires] C’était très étrange, mais je pense que se déconnecter de son propre travail est une bonne chose pour l’ego. »

Ce deuxième album d’Auri prouve que le groupe est là pour durer. Quelle est ta vision à long terme pour Auri ?

Comme je l’ai déjà dit, nous ferons des albums avec Auri aussi longtemps que possible. Mais ce que nous voulons vraiment, c’est continuer à jongler entre la production d’albums pour Auri et nos autres projets. Nous avons l’intention de tourner, si possible, sans doute fin 2022. Nous en avons beaucoup discuté. Nous sommes très enthousiastes à l’idée de prendre la route avec Auri, de mettre un groupe en place et de jouer dans des lieux très ciblés en Europe – des châteaux, des cathédrales, ce genre de chose. Nous pensons que la musique prendra vie dans ce type d’environnement. Voilà notre objectif. Et bien sûr, tu seras sur la guest list !

Génial, tu peux compter sur moi ! Et si jamais vous avez besoin d’une harpiste, je suis là !

Oh, tu joues de la harpe ? Formidable ! Je suis un grand fan de harpe !

C’est pour ça que j’étais si enthousiaste quand tu as officiellement rejoint Nightwish en 2013. Je me suis dit : « Vous avez vu ce gars ? C’est la preuve qu’on peut jouer d’un instrument celtique et être fan de metal ! Ce n’est pas bizarre ! »

[Rires] Ravi d’avoir pu t’aider ! Je vois ce que tu veux dire. Quand les gens voient des instruments un peu décalés comme la harpe ou la cornemuse irlandaise, ils se disent : « Qu’est-ce que c’est que ça ?! » Mais c’est génial que tu joues de la harpe. Depuis combien de temps ?

Depuis mes sept ans. J’ai joué très sérieusement pendant seize ans, puis j’ai dû arrêter car je n’avais plus le temps.

Tu fais de la harpe celtique ?

Oui.

Excellent. Tu connais Alan Stivell ?

Bien sûr. Je l’ai même rencontré plusieurs fois. C’est un de mes héros.

J’ai joué sur un de ses albums, Mist Of Avalon, et j’ai fait plusieurs concerts avec lui.

Oh mon Dieu, pourquoi est-ce que je l’ignorais ? J’ai honte !

[Rires] Je l’adore. Nous avons fait d’excellentes scènes ensemble, Alan et moi. Nous avons fait quelques concerts ensemble, et sa façon de travailler… Il faudra que je t’en parle un de ces jours. Quand on se verra, je te raconterai mon expérience avec Stivell. Je suis un grand fan. J’ai joué sur plusieurs chansons sur Mist Of Avalon, en 1988 ou 1989, quelque chose comme ça.

La musique celtique est un tout petit monde !

Interview réalisée par téléphone le 7 juillet 2021 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription & traduction : Tiphaine Lombardelli.

Facebook officiel d’Auri : www.facebook.com/AURlband

Acheter l’album II – Those We Don’t Speak Of.



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  • Radio Metal, vos interviews, c’est du caviar à chaque fois!
    Je devrais avoir l’habitude depuis que je vous lis, mais je suis chaque fois surpris par la pertinence des questions. Bravo!
    [C’était mon petit moment « cirage de pompes ». 😁]

    [Reply]

    Tiphaine

    Mais cire, très cher, cire, c’est apprécié ! 😀

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