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Interview   

Auri ou le triangle magique


Nightwish a pris une pause bien méritée et sans doute nécessaire en 2017. L’occasion de contempler le passé avec la compilation Decades et surtout prendre un bol d’air frais en allant vaquer à d’autres occupations pour ses membres. En particulier la tête pensante du combo, Tuomas Holopainen, vidé par l’album Endless Forms Most Beautiful et sa tournée, qui a profité de cette année pour mener à bien un projet de longue date qui lui tenait à cœur, en compagnie de son épouse Johanna Kurkela et du multi-instrumentiste de Nightwish Troy Donockley. Le nom du projet : Auri. Et un premier album à paraître dans quelques jours qui a eu pour conséquence heureuse de rebooster sa créativité.

Parti à sa rencontre, de passage à la capitale, le trio nous explique la genèse de cette musique et la force de leur lien artistique et humain, dépassant jusque les individus qu’ils sont. Des rêveurs – à moins que ce ne soit l’effet du vin à leur disposition pendant l’entretien – n’hésitant pas à user des métaphores poétiques. Une musique qui se veut à la fois cinématographique et « magique », loin du metal, quoi que…

« J’ai travaillé dans le milieu de la musique pendant des décennies, et je n’ai jamais vu un processus si facile et profondément beau se dérouler sous mes yeux. »

Radio Metal : Les origines d’Auri remontent à 2011 ; vous avez déclaré que former un projet ensemble était une chose évidente car vous êtes des artistes aux goûts et valeurs similaires, et ce de beaucoup de manières différentes. Comment décririez-vous vos liens artistiques ?

Tuomas Holopainen (claviers) : Il est rare, sur cette planète, de trouver des personnes dont les goûts et les valeurs correspondent de la sorte, pas seulement en matière de musique, mais aussi en ce qui concerne la philosophie de vie et la façon dont nous voyons le monde. Ces deux personnes sont vraiment spéciales. Puisque nous sommes tous des musiciens, ce n’était qu’une question de temps avant que nous fassions quelque chose ensemble. C’était présent depuis que nous nous sommes rencontrés : « Ok, on a un projet de groupe, il suffit juste de trouver le bon moment et le bon endroit pour le réaliser. » Cela s’est d’abord réalisé avec le titre « Aphrodite Rising », en 2011. C’était une chanson que Troy avait écrit à l’époque pour l’album solo de Johanna, mais il n’a jamais vu le jour. Depuis cette chanson, l’idée que nous devions, à un moment donné, réaliser ce projet était toujours présente. Et, en 2016, quand nous avons décidé de prendre une année de repos avec Nightwish, nous nous sommes rendu compte que nous n’avions rien de prévu pour 2017, Johanna avait également l’année de libre. Alors, pourquoi pas maintenant ? Nous pouvions enfin réaliser ce rêve que nous avions toujours eu et nous avons tout simplement décidé de le faire. Je tiens à insister sur le fait que la décision de faire un break d’un an avec Nightwish n’a rien à voir avec ce projet ; nous avons décidé de mener le projet Auri à bien après avoir choisi de faire une pause.

Six années ont passées entre la première démo du titre « Aphrodite Rising » et la réalisation de l’album en 2017. Est-ce que vous pensez que cette longue période a permis au projet de murir ?

Troy Donockley (guitare, claviers, flûtes…) : Je pense que nous avons toujours su, depuis le premier jour, quelle maturité la musique atteindrait. La difficulté pour nous… Enfin, je ne pense pas que « difficulté » soit le bon mot, mais nous savions que nous avions beaucoup d’autres engagements envers Nightwish ou nos carrières solos. « Aphrodite Rising » était comme un plan d’avenir pour nous mais qui paraissait éloigné. C’était en suspens, gelé, il fallait la chaleur de notre direction pour amener « Aphrodite » à la vie, symboliquement [petits rires]. Il y avait toujours ce murmure qui nous arrivait de loin, peu importe où nous étions, parce que nous avons toujours su que nous le ferions un jour. Nous n’avons jamais oublié Auri. Même si le projet n’avait pas de nom à l’époque, il nous soufflait toujours à l’oreille qu’il fallait qu’il soit mené à bien, par notre intermédiaire. Je sais que ce que je dis a l’air un peu cosmique mais c’est vrai, c’est vraiment ce qu’il s’est passé. Ça ne nous a jamais quitté, nous en avons toujours parlé, toutes ces années, nous en parlions déjà des années auparavant, avant « Aphrodite Rising », et nous avons toujours su que cela serait la direction que nous allions prendre.

Johanna Kurkela (chant) : Depuis que j’ai entendu la musique créée par ces deux-là pour la toute première fois, j’ai découvert l’album The Madness Of Crowds de Troy qui a eu un énorme impact sur moi, et ce sentiment que tu as quand tu rencontres quelqu’un au travers de la musique, comme une âme sœur avec laquelle tu es instantanément en harmonie, tu n’as pas à t’expliquer, c’est ce genre de sentiment qui est aussi transmis par la musique, ainsi que notre manière d’être, c’est…

Troy : Absolument. C’est la définition d’Auri, cette liberté et cette notion d’âme sœur, de ne pas avoir à s’expliquer. Nous n’avons jamais besoin d’expliquer nos motivations aux autres, ce qui est rare, c’est une chose très rare dans ce monde, se déconnecter de son propre désir, de son besoin personnel de faire quelque chose, se déconnecter de tout ça et écrire quelque chose de pur ; quelque chose dont, heureusement, nous faisons profondément partie. C’est tellement rafraîchissant de travailler sur de la musique avec des personnes auprès desquelles tu n’as pas à t’expliquer. A aucun moment nous n’avons eu besoin d’expliquer quoi que ce soit sur cet album.

Tuomas : Durant le processus, c’est devenu bien plus qu’un projet. Personnellement, j’ai pensé à Auri comme plus ou moins un projet il y a deux ans, mais par la suite, quand nous avons commencé à travailler dessus, à composer la musique et que nous avons fini l’album, je me suis rendu compte que cela méritait un titre, que c’était quelque chose de complètement différent d’un projet. Il s’agit d’une entité à part entière, d’un groupe, qui continuera pendant longtemps. Donc ce n’est pas quelque chose qui restera unique, il y aura d’autres albums, il y aura des tournées à un moment donné. Moi-même, je ne me rendais pas compte de ça à l’époque.

Troy : Aucun de nous ne s’en était rendu compte. Au fur et à mesure que la chose prenait forme, qu’elle murissait et est devenue ce qu’elle est maintenant, nous apprenions constamment ce qu’elle nous disait – encore une fois, je ne veux pas faire trop dans la philosophie -, ce qu’Auri nous disait à propos de notre motivation à le faire. Nous avons tous appris des choses grâce à ça, à quel point il est important d’être aussi honnête et pur et ouvert que possible en ce qui concerne la musique, avec des gens qui savent exactement de quoi tu parles. Nous sommes très privilégiés de pouvoir faire ça. J’ai travaillé dans le milieu de la musique pendant des décennies, et je n’ai jamais vu un processus si facile et profondément beau se dérouler sous mes yeux. C’est comme ça que j’ai toujours voulu que la musique, et travailler avec des gens, soient. Et nous y voilà. Nous n’avons jamais et nous n’aurons jamais de conflit entre nous. C’est impossible. Quand nous étions en train de créer cet album, nous ne nous sommes jamais retrouvés dans des situations où l’un de nous disait « Non, je ne veux pas… Non, je ne suis pas… Je n’aime pas cette chanson. » « Je la veux sur l’album… » « Non, sinon je m’en vais. » Ce genre de choses n’arrivait jamais. Tout était excitant. Nous étions toujours excités à l’idée d’entendre ce que les autres avaient à contribuer. C’était incroyable de découvrir un nouvel élément de musique : « Ecoute ça ! » « Wow, c’est tout simplement parfait. » Ça en donnait des frissons dans la nuque, c’était quelque chose qui faisait partie du tout mais sans que nous en ayons conscience. Encore une fois, je donne dans la philosophie, j’ai peut-être besoin d’un peu plus de vin [petits rires].

« Après avoir fini le dernier album de Nightwish, Endless Forms Most Beautiful, je me sentais complètement vide. Satisfait, mais vide. Pendant un an et demi, je n’avais pas du tout envie d’écrire de la musique […]. Faire cet album avec Auri m’a vraiment aidé à me remettre sur la bonne voie avec Nightwish. Donc, à l’intention de tous les septiques qui pensent qu’Auri va retirer quelque chose à Nightwish, c’est en fait tout à fait le contraire. »

Tuomas, tu as déclaré à propos de ce nouveau projet, Auri, qu’un « monde complètement nouveau s’ouvrait à toi » et que « travailler avec Auri t’a beaucoup apporté et que tu as retrouvé l’inspiration ». Qu’est-ce que travailler avec Auri t’a apporté et comment peux-tu expliquer ce regain d’inspiration ?

Tuomas : Je ne saurais expliquer ce qu’il s’est passé. Vraiment, je ne peux pas. Mais après avoir fini le dernier album de Nightwish, Endless Forms Most Beautiful, je me sentais complètement vide. Satisfait, mais vide. Pendant un an et demi, je n’avais pas du tout envie d’écrire de la musique, l’envie n’était simplement pas là. Les histoires, la passion, l’inspiration n’étaient pas là. Je ne ressentais pas l’envie de jouer du clavier. Ensuite, Auri a pris forme, nous avons commencé à écrire l’album et, de nouveau, ça me procurait de bonnes sensations. Puis, après le processus et quasiment jusqu’à ce que l’album soit fini, j’ai eu une révélation, comme un regain d’une énergie étrange. Je me suis placé devant mon clavier et je me suis mis à composer de nouvelles choses pour Nightwish. Toutes les vannes se sont ouvertes. Depuis ce moment, fin septembre ou début octobre l’année dernière, j’ai été immergé dans Nightwish, et ça fait vraiment du bien. Faire cet album avec Auri m’a vraiment aidé à me remettre sur la bonne voie avec Nightwish. Donc, à l’intention de tous les septiques qui pensent qu’Auri va, d’une certaine manière, retirer quelque chose à Nightwish, c’est en fait tout à fait le contraire.

Troy : Très bien dit !

L’album a été créé au cours de l’année 2017. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus d’écriture des chansons et la façon dont vous avez travaillé ensemble ?

Johanna : Nous avons tous plongés profondément à l’intérieur de nous-mêmes et nous en avons ressorti nos meilleures gemmes, les choses qui semblaient contemporaines et intenses – je ne sais pas si c’est le bon mot mais… Ensuite, nous avons échangé nos idées, nous envoyions un morceau, « voilà quelque chose sur lequel j’ai travaillé », et l’autre personne, pleine d’enthousiasme à propos de la chanson, l’emmenait encore plus loin. C’était comme placer les pièces d’un puzzle, comme assembler un puzzle.

Troy : Oui, tout à fait. Et c’est amusant parce que c’est la première fois que j’ai, personnellement, travaillé de cette manière. Quand je jouais sur les albums d’amis, j’enregistrais ma partie et l’envoyais par internet, mais je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation auparavant, avec cet esprit, et c’était merveilleux.

Johanna : En gros, chacun de nous travaillait à la maison, dans nos studios privés.

Troy : C’est intéressant parce que, que ce soit Tuomas ou moi, nous avons tous les deux, au cours de nos carrières, travaillé seul. Tout le travail que j’ai fait… Bon, je n’ai fait que trois albums solos, mais à chaque fois, j’étais seul, absolument chaque note de musique était de moi, et c’est pareil pour Tuomas. Donc, à se retrouver dans cette situation, dans la collaboration la plus éveillée que tu puisses vouloir, c’était une évidence qu’Auri sonnerait de la façon dont il sonne parce qu’il n’y avait aucun doute, il n’y avait rien à prouver. Nous n’avons rien à prouver à qui que ce soit. C’était une expérience vraiment incroyable. Aucun de nous ne disait : « Tu peux augmenter le son ? Ma guitare n’est pas assez forte, je veux que ce soit fort ! Diminue la voix, je m’en fiche ! » Il n’y avait rien de tout ça. Comme nous l’avons dit, personne n’a produit la musique, ça s’est fait tout seul, en quelque sorte.

Tuomas : Nous faisons tout ce que nous voulons faire. Il n’y a pas de leader, de producteur, rien de tout ça. Seulement une chose.

Combien de temps est-ce que l’enregistrement de l’album a pris ?

Depuis que nous avons commencé à écrire les chansons jusqu’à la finalisation de l’album mastérisé, six à huit mois. C’était très rapide. Evidemment, c’était déjà présent depuis des années, de façon inconsciente.

Troy : Oui, c’était déjà là, c’est certain. Nous savions ce que nous voulions faire donc ça a été rapide.

Quelques musiciens ont été invités à participer à l’album. Qui sont-ils et quelle a été leur implication ?

Le solo de saxophone est par Katy Perry [rires]. Non, nous avons eu un homme du nom de Frank Van Essen, il vient des Pays-Bas et est un fantastique violoniste. Il est aussi un batteur phénoménal, ce qui est très rare – il utilise ce kit violon-batterie. Il a joué toutes les parties de violons et de batterie. Une personne a joué de la basse sur une chanson. Mais d’une manière générale, l’enregistrement de l’album, la structure des chansons, ce n’était que nous trois. Il n’y a que quatre invités sur l’album et seulement sur une chanson chacun, sauf Frank qui a joué sur toutes les chansons. Une personne, Michael Gill, a joué sur la dernière chanson, et je crois que c’est tout, non ?

Tuomas : En gros, oui. Il faut préserver un peu de mystère.

« Pendant un petit moment tu t’imagines assis sur les anneaux de Saturne ; de là-haut, tu regardes tes problèmes, l’humanité et toutes ces choses triviales à propos desquelles on s’inquiète et pour lesquelles on dépense toute notre énergie vitale. »

Le nom du groupe vient du personnage féminin Auri de l’auteur Patrick Rothfuss…

Troy : Ah ! Tu te trompes là-dessus ! Bon, c’est en partie ça. Ça fait partie de l’histoire de comment Tuomas et Johanna ont trouvé le nom. Mais pour moi, puisque je n’ai pas lu les livres de Patrick Rothfuss, ce nom m’a fait réagir parce que c’est un joli mot. Je ne savais pas du tout que ça avait un lien avec Patrick Rothfuss. Et même si j’avais su, ça aurait été pareil, c’est toujours un joli mot. Mais ça vient également de « aurora », qui est le mot latin pour « émanation » et « atmosphère », ce qui correspond parfaitement à la musique d’Auri. C’est également un nom en finnois, et ça fait aussi partie du nom de Johanna. Il y a donc trois interprétations différentes de notre nom et tu peux choisir celle qui te plait. Tant que je n’aurais pas lu les livres de Patrick Rothfuss, je choisirai Auri comme une émanation et une atmosphère. Mais quand je les aurais lus, ce que je vais faire à un moment, probablement quand nous serons en tournée… Pour l’instant, je vais garder aurora comme interprétation d’Auri. Mais oui, ça vient en partie des livres de Patrick Rothfuss que Tuomas et Johanna ont lu.

Johanna : Oui, en partie. C’est difficile de se souvenir comment tout est arrivé.

Tuomas : Pour être tout à fait honnête, nous ne nous souvenons plus de l’exacte origine du nom.

Troy : Je me souviens simplement que le mot était très beau, et qu’il sonnait merveilleusement bien. J’ai pensé qu’il allait parfaitement bien avec la musique, et c’est toujours le cas.

D’après vous, comment ce personnage et l’idée d’« aurora » incarnent le projet ? Quels sont les symboles que vous y associez ?

Johanna : C’est tellement impalpable… J’adore les livres, et bien entendu, nous sommes ce que nous aimons et ce que nous aimons nous sommes. Par exemple, choisir le nom Auri… J’adore le personnage dans le livre, mais maintenant que je pense au groupe que nous sommes, c’en est une part tellement ambiguë et vague, c’en est une fraction tellement minime. Si je devais les comparer… Le personnage des livres vit dans ce monde souterrain, et nous avons qualifié notre musique de « rabbit hole music » (« musique de terrier de lapin », en référence à Alice Au Pays Des Merveilles, NDLR), cela vient de…

Tuomas : D’une réalité différente.

Johanna : Oui, comme si tu te tiens à l’extérieur et que tu regardes à l’intérieur et que tu en fais partie mais en même temps pas vraiment. Ça a un rapport avec quand les choses ne vont pas, comme les problèmes bassement matériels du monde, et pendant un petit moment tu t’imagines assis sur les anneaux de Saturne ; de là-haut, tu regardes tes problèmes, l’humanité et toutes ces choses triviales à propos desquelles on s’inquiète et pour lesquelles on dépense toute notre énergie vitale. C’est un peu comme trouver ce nouveau concept, une nouvelle perspective, un nouveau point de vue… Je ne sais pas ce que je suis en train de raconter, mais c’est comme une façon de voir la vie. En allant juste un peu plus loin, en prenant de la distance pour regarder toutes les choses qui nous entourent.

Tuomas : Je vois ce que tu veux dire.

Troy : C’est tout à fait ça. C’est l’essence du projet. C’est pour cette raison que le personnage Auri est si important dans le nom, tout autant que « émanation » ou « atmosphère », ils font tous partie de la même sphère.

La musique d’Auri est très visuelle. Certaines chansons comme « Aphrodite Rising » pourrait très bien être utilisée comme bande son d’un film Walt Disney – et je sais que tu es un grand fan de Walt Disney Tuomas. Est-ce que l’album a été composé visuellement, avec des images à l’esprit ?

Johanna : Nous adorons les films et nous en tirons de l’inspiration. Et quand j’entends de la musique, je vois des images ; pour moi, tout est combiné. Et nous aimons tous les bandes originales, la musique que nous entendons dans les films, d’une manière, tout est entrelacé, bien que nous n’ayons pas de concept ou de film pour complémenter cet album. Mais je peux facilement imaginer la musique d’Auri dans un film. A vrai dire, c’est un de nos plus grand rêve, d’un jour pouvoir collaborer pour un film.

Tuomas : Ou même auditionner pour un film.

Johanna : Oui.

Troy : Un film Disney, certainement. S’ils se reprennent en main [rires].

Tuomas : C’est une des choses qui se produit quand tu grandis – peu importe ce que ça veut dire. Tu vis plus longtemps et tu te rends compte que tout n’est pas toujours noir et blanc. Les choses que tu adores quand tu es enfant, en ce qui concerne Disney, tu les regardes maintenant et tu te dis « Oh, merde. » Tu vois ce que je veux dire ? Tu ne voyais pas l’aspect niais ou l’autre aspect avant.

« Pourquoi est-ce que certaines ondes sonores te font ressentir tant de choses ? Il n’y a pas de réponse à cette question, et ça, c’est de la magie. »

Troy : C’est horrible quand tu as un invité, et tu lui dis « tu n’as jamais vu ce film ? Il faut que tu le vois ! » et tu lui montres et là tu penses « Oh mon dieu », et tu te rappelles [rires].

Tuomas : Exactement.

Troy : Et l’invité te dit « Ouais, c’est pas mal mais… » En tout cas, oui nous adorons les films et la musique de film, suivant ce que c’est. Je suppose qu’une bonne analogie serait … Prenons un réalisateur comme Martin Scorsese et Citizen Kane, un des meilleurs films jamais réalisés. Juste parce que Citizen Kane est un de ses films préférés, ça ne veut pas dire que Martin Scorsese va faire des films qui lui ressemblent, même si ces films sont imprégnés de cette influence. C’est invisible mais c’est présent, tu peux le sentir. Comme la scène de poursuite au début de Les Affranchis : ça ressemble à la scène d’ouverture de Citizen Kane, tout est là, c’est nouveau mais c’est imprégné de ces influences. Et ça nous affecte tous, ça affecte tous les artistes. Ça ne veut pas dire que tu n’es pas original, tout ce que ça veut dire c’est que tu es honnête envers toi-même. Et si tu le fais pour les bonnes raisons, alors il n’y a pas d’échec. Simplement un énorme succès personnel et spirituel. Si tu restes fidèle à ce qu’est la musique et l’art au fond de toi, si tu te souviens et que tu vois comment ça s’est construit au travers de notre histoire, alors tu ne peux pas te tromper, tu ne peux pas te tromper. Peut-être [rires]. Imbécile.

J’ai remarqué qu’un mot a été associé à votre musique à plusieurs reprises : magique. Est-ce que vous croyez en la magie ? Qu’est-ce que c’est pour vous ?

Il y a différentes interprétations.

Tuomas : Oui, c’est vrai. Il y a de la très mauvaise magie dans ce monde, et il y a aussi de la magie positive et intéressante. Cette dernière s’applique sans aucun doute à notre musique. Pourquoi est-ce que certaines ondes sonores te font ressentir tant de choses ? Il n’y a pas de réponse à cette question, et ça, c’est de la magie.

Troy : Ça l’est vraiment. Ce n’est pas une question habituelle avec laquelle on grandit, mais si tu te poses cette question, ça veut dire que tu es passé à travers un mur, qu’une porte s’est ouverte. Si tu peux te demander pourquoi est-ce que ce son… Pas de mots, pas de sens exprimé par les mots, mais de la musique universelle, de la musique instrumentale, quelques accords, pas de chant, rien ; pourquoi est-ce que ça te procure une sensation tragique ? Pourquoi est-ce que ça te donne envie de pleurer ? Pourquoi est-ce que ça te donne envie de rire ? Comment ça fonctionne ? C’est une question profonde qu’il te faut poursuivre en tant qu’artiste, il faut que tu t’aventures sur ce chemin avant de pouvoir être totalement libre et de pouvoir vraiment t’exprimer par la musique, il faut que tu y ailles, sinon tu ne seras qu’une imitation. Il faut que tu sois éveillé et conscient de la vérité de l’influence, de la sonorité et de la manière dont ça affecte nos émotions, la manière dont ça te fait t’évanouir quand tu entends la plus merveilleuse des musiques ; tu n’es plus là, tu disparais, tout ce qui fait toi n’est plus là pendant un moment, et ensuite « Je suis de retour ! C’était vraiment bien ! Super, fantastique ! » Mais pour un court instant tu es…

Tuomas & Troy : Libre !

Tuomas : Complètement libre.

Troy : Toi et ton identité avez disparus.

Tuomas : Tu es libre, dans le sens le plus ultime du mot. Quelle sensation extraordinaire !

Troy : Absolument ! Je pense que dans le temps, ils auraient appelé ça un éveil spirituel ou un moment de clarté. L’autre chose importante c’est de ne pas chercher à le trouver ; c’est un paradoxe [petits ires], mais tu ne dois pas le chercher. Il faut que tu te retrouves dans un état tellement vide, il faut que tu te vides de ce que tu penses être et que tu le laisses venir à toi et te remplir, comme une grotte qui serait remplie par la mer montante. C’est comme sur la chanson « Aphrodite Rising », tu as le son de la mer, tu peux l’entendre sur la vague de la voix de Johanna. Pour moi, c’est magique. Ça donne l’impression d’une mer de la transcendance, qui remplit ma grotte vide, ce genre de chose. Non pas que ma grotte soit vide ! Elle est remplie de tout un tas de choses [rires]. Ça peut fonctionner ! Et si on se resservait ? [Troy ressert du vin à tout le monde]. Est-ce que je divaguais encore ?

Johanna : Non, c’était adorable !

Même si, techniquement, on ne peut pas vraiment appeler ça du metal, est-ce que vous pensez tout de même qu’il y a quelque chose de metal à propos d’Auri ? Est-ce que vous pensez que le metal est plus que de la guitare saturée et un son puissant ?

Tuomas : Je pense que c’est une question de sémantique ; les gens ont des interprétations différentes. Si tu es un metalhead puriste, il ne faudrait jamais de clavier ou de chant féminin. Donc ça dépend simplement de l’endroit où tu poses les limites.

Troy : Bien vu [rires].

Tuomas : Pour moi, Auri n’est pas très loin du metal. Tu peux facilement imaginer les chansons avec quelques guitares saturées, de la batterie et de la basse et les arranger en chansons metal. Et déjà telles qu’elles sont maintenant, par exemple, je pense que la chanson « Savant » a déjà quelque chose de metal, si on se réfère à la façon dont je vois le metal. C’est très subjectif.

Troy : Absolument, c’est vraiment une question de sémantique.

« J’aime beaucoup le death metal, mais je ne peux pas en écouter [rires]. Je ne peux pas. J’apprécie ce genre de musique, j’aime vraiment ça, je pense que c’est fantastique, tant que je n’ai pas à en écouter. »

Tuomas : De la façon dont j’envisage le terme « metal », Auri est quelque part par-là, sur les mêmes eaux. Mais si tu vas dans un magasin de disques, tu ne trouveras pas Auri dans le rayon metal, mais plutôt dans le rayon musique du monde ou musique alternative.

Troy : Oui, tu n’arriverais pas à toucher un fan de Cannibal Corpse… enfin, tu pourrais ! C’est une autre chose que j’ai découverte : le metal est le genre musical le plus ouvert d’esprit et libre-penseur. Les fans de metal, je l’ai dit à maintes reprises… J’ai rencontré un fan de Cradle Of Filth qui adorait la musique très douce, ambiante. Ils écoutent ce genre de musique et après ils écoutent du Cradle Of Filth, et pourquoi pas ? C’est ma réponse. Pourquoi pas ! J’adore le metal. Tuomas et moi avons vu Cannibal Corpse en concert et c’était superbe ! C’était sur une croisière, et juste après My Dying Bride jouait ; c’était totalement différent et pourtant sublime. Ensuite tu peux entendre la Symphonie n°9 de Bruckner et c’est époustouflant ! On ne devrait pas se fermer à la musique. Encore une fois, ça dépend de ton approche.

Tuomas : Nous sommes tous les deux de grands fans de metal, nous l’avons toujours été, même de metal extrême si on peut appeler ça comme ça. J’écoute Enslaved, Dimmu Borgir, j’écoute ces groupes et apprécie leur musique. Et nous écoutons aussi de la musique de film, de la musique folk, country, des vieux classiques des années 60, The Carpenters, et j’en passe.

Johanna : De la pop des années 90.

Tuomas : Oui, même ça.

Troy : Il est important de ne pas se fermer. Encore une fois, c’est un des principes d’Auri, un principe de base pour nous, qui est que nous croyions fermement que la musique et l’effet qu’elle a sont intemporels et que nous sommes des antennes qui la relaient. Il faut faire la connexion avec l’antenne. C’est pourquoi cet album n’est pas un album solo de moi ou Johanna ou Tuomas. Nous sommes trois antennes qui se dressent. Sans devenir trop spirituel, nous avons reçu la musique parce que nous l’avons attirée. Nous la construisons et en même temps nous ne le faisons pas. Nous sommes ouverts à la musique, à l’influence, à nos influences. Je viens d’un passé rock, mais pas metal. J’aimais beaucoup le metal classique, la New Wave Of British Heavy Metal, ce genre de choses, ça me plaisait. Mais je n’ai découvert de façon sérieuse du metal intéressant que via Tuomas et Johanna, et ça m’a ouvert à un monde d’attitude complètement honnête et inspirante envers la musique. Le metal… c’est une musique tellement honnête et ça me fascine, et je ne suis pas triste mais j’aurais aimé m’y intéresser plus tôt, j’aurais aimé entendre certaines choses plus tôt. Des choses comme The 3rd And The Mortal, j’étais en train d’écouter ça dans le train tout à l’heure, c’était… superbe ! Quelle chanson c’était ? « Magma » ?

Tuomas : « Magma » est la première, oui.

Troy : Bon, ce n’est pas vraiment du metal. Mais en tant que fan de metal, tu peux être ouvert à… Si moi je peux être ouvert au metal, au metal extrême même… J’aime beaucoup le death metal, mais je ne peux pas en écouter [rires]. Je ne peux pas. J’apprécie ce genre de musique, j’aime vraiment ça, je pense que c’est fantastique, tant que je n’ai pas à en écouter. C’est dur à expliquer. C’est brillant, mais ce n’est pas quelque chose que j’écouterais.

Tuomas : Je comprends ce que tu veux dire. Je suis pareil mais avec le jazz. J’ai énormément de respect pour le jazz et j’apprécie ça parce que c’est une musique qui est tellement libre ; je pense qu’avec le metal, c’est la forme de musique la plus honnête qui soit.

Troy : Absolument.

Tuomas : Mais je peux pas en écouter. C’est un peu la même chose.

Troy : Oui, mais ça dépend des circonstances. Si nous étions sur un bateau de croisière en ce moment même, et que Cannibal Corpse était en train de jouer, c’est super ! Par contre, si nous étions dans un club de jazz à New York, c’est la meilleure chose que tu puisses imaginer. Dans un club enfumé du centre-ville de Manhattan – parfait. Mais je ne l’écouterais pas du tout. C’est une expérience viscérale pour moi, mais pas une expérience cérébrale, ce n’est pas quelque chose qui me donne quoi que ce soit. Alors qu’il y a beaucoup de metal moderne que je trouve spectaculairement bon. Beaucoup de choses. Il suffit de l’apprécier en se détachant de la vision puriste du metal. Tuomas a mentionné ça tout à l’heure : pour les puristes, il ne devrait pas y avoir de clavier du tout dans le metal, ils sont là : « Oh, il y a du clavier… » C’est pareil avec la musique folk, « Oh non, il y a de la guitare électrique. De la batterie… Non, tu ne peux pas avoir de la batterie dans la musique folk, tu ne peux pas avoir d’instruments électriques, tu ne peux pas avoir de l’électricité avec de la musique folk ! » N’importe quoi. Tu peux faire ce que tu veux. C’est ce qui est bien avec le metal, il y a tellement de sous-genres différents de metal, il y en a un pour absolument chaque connotation et c’est ce qui fait la beauté du metal.

Il faut garder son esprit ouvert à toutes les musiques.

Absolument, tant que c’est de la bonne musique et pas de la musique pourrie [rires].

Qu’est-ce que tu considères comme de la mauvaise musique ?

Oh, je ne te le dirai pas [petits rires]. Je ne veux pas être poursuivi par des fans en colère. A vrai dire, je ne pense pas qu’il existe vraiment de la mauvaise musique ; si ça a été fait avec le bon état d’esprit, si ça a été fait de façon honnête et que ça vient du cœur, alors c’est splendide. Mais si ça a été fait de façon cynique, pour essayer d’être célèbre et gagner de l’argent, alors, pour moi, c’est de la merde. Je n’aime pas ça. Ça doit être honnête, ça doit être pur.

Interview réalisée en face à face le 30 janvier 2018 par Matthis Van Der Meulen.
Fiche de questions & introduction : Nicolas Gricourt.
Retranscription : Matthis Van Der Meulen & Lison Carlier.
Traduction : Lison Carlier.

Page Facebook officielle d’Auri : www.facebook.com/AuriProject.

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