Insaisissable et imprévisible, le groupe suédois Avatar démontre en quinze années d’existence un cheminement des plus intéressants. Réinventant sa musique album après album, et ce au carrefour des genres, oscillant entre death mélodique, nu-metal ou metal industriel, ce quintet de Göteborg étrenne également un univers artistique singulier qui émerge en grande partie de la pensée de son leader Johannes Eckerström, chanteur, producteur, et véritable curiosité d’expression scénique. Au terme d’un long bail chez le label Gain Music Entertainment, Avatar a souhaité donner à ce sixième opus une saveur particulière et différente. Et pour cause, le groupe a réalisé ici un véritable concept album sur fond de quête ; celle d’une chouette candide qui part en guerre pour tenter d’empêcher le soleil de se lever, signifiant la fin de la vie nocturne, le tout traversé de péripéties et autant de rencontres avec d’autres créatures de la nuit. Il faut voir dans ce récit une fable animalière servant de métaphore de la société humaine, à l’instar en leur temps de La Ferme Des Animaux de George Orwell, des contes d’Andersen ou des fables de Jean De La Fontaine, le tout enserré ici dans un concept théâtral et musical plutôt approfondi. Avatar pousse le luxe jusqu’à proposer avec l’édition spéciale et limitée de l’album un livre épais de plus de cent neuf pages non avare en poèmes et illustrations, pour enrichir son concept.
Sur le papier, tout cela a de quoi paraître étrange, naïf et enfantin. Pourtant la musique complexe d’Avatar donne un vrai relief à l’histoire – d’ailleurs pas si joyeuse que cela, avec une conclusion tragique sur « Sky Burial » –, tant le groupe se démultiplie dans sa palette musicale. Avatar démontre une maturité musicale implacable et une nature polymorphe à évoluer simultanément sur tous les registres. Il en découle des morceaux originaux avec des signatures propres – chacun d’eux s’avérant à chaque fois une nouvelle aventure – en somme les différentes attractions d’un parc dont les Suédois conserveraient jalousement le trousseau de clefs. « House Of Eternal Hunt » est un exercice de style en la matière où le groupe s’amuse à rebattre les cartes avec de savoureux passages speed mélodiques et heavy.
On frise même l’Avant-Garde sur certains morceaux à l’instar de « Tooth, Beak & Claw » s’ouvrant sur un délire vocal calqué sur le « Sweating Bullets » de Megadeth façon cartoon (on peut notamment penser à Les Claypool de Primus), puis alternant des gammes de guitare de surf-music et d’accords psychédéliques. Un parallèle peut être dressé avec l’atmosphère gothique et bucolique qui émerge des films de Tim Burton grâce à la musique grandiloquente de Danny Elfman. Ceci est particulièrement évident sur « The Eagle Has Landed » où le chant vient fanfaronner sur un rythme de musique de cirque. Le court « For The Swarm » qui symbolise dans le récit le moment où la chouette rencontre une ruche d’abeilles surprendra aussi l’auditeur avec sa cadence incisive, ses guitares bourdonnantes et ses superpositions de voix qui sont censées représenter la conscience collective de la ruche.
Ce qui au départ devait s’appréhender comme un conte, semble gagner en gravité jusqu’à s’enfoncer dans l’obscurité, un sommet étant atteint sur « Black Waters », morceau anxiogène qui suggère une lutte contre les éléments. Comme si la chouette se débattait au milieu d’une tempête océanique. Tout cela sublimé par le numéro de polyvalence d’Eckerström pouvant faire dans le registre stoner sur les couplets puis chantant dans le vent à la manière d’un Jonathan Davis (Korn) sur les refrains. Preuve s’il en est qu’Avatar a clairement un grain de folie, le morceau suivant, « Night Ever Ending » renoue avec la lumière et rompt carrément avec le registre de « Black Waters », dans un hard-rock très britannique qui s’avère un appel du pied non innocent à Queen. Le groove a aussi sa place sur « Pray The Sun Away » et sa ligne de basse roulante.
Hail To The Apocalypse (2014) était un album varié bien que profondément marqué du sceau du death mélodique et du nu-metal cher à des artistes comme Marilyn Manson ou Rob Zombie. Feathers & Flesh prend d’avantage de risque et emmènera l’auditeur encore plus loin dans l’univers impénétrable d’Avatar. Car à force de creuser des tunnels dans toutes les directions et dans tous les différents sols, le groupe a réussi à s’emménager une tanière imperméable aux interactions avec le monde réel et global, pour y exercer en toute quiétude son art. Aujourd’hui et plus que jamais, Avatar excelle à jouer du Avatar.
Les chansons « For The Swarm », « The Eagle Has Landed », « Tooth, Beak & Claw », « Regret » et « House Of Eternal Hunt » :
Album Feathers & Flesh sortie le 13 mai 2016 via Another Century.
Un album que j’irai acheter le jour de sa sortie 🙂
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