Greg Graffin est l’un de ces Hommes qui n’a jamais su choisir entre ses passions, à tel point, qu’il a réussi à mêler deux domaines qu’on n’associerait pas forcément dans un premier temps, science de l’évolution et Punk-Rock. Mais dans la Californie du début des années 80, tout semble possible. Trente-deux ans après et seize albums plus tard, Gregory Walter Graffin est devenu Docteur Graffin, anthropologue, spécialiste de la théorie de l’évolution et accessoirement à la tête d’un des groupes les plus mythiques de la scène Punk Rock US. Trente-deux années d’existence pour un groupe de Punk Rock, cela pourrait bien être contraire à une des théories de l’évolution du Rock qui consiste à dire que les groupes de Punk sont voués à une existence courte et intense, à l’image des morceaux du style. Mais Bad Religion, en plus du Docteur Graffin, a des atouts dont peu d’autres groupes peuvent se targuer. Trois guitaristes aujourd’hui, dont un ancien Circle Jerks (Greg Hetson) et un autre (Brett Gurewitz) fondateur d’Epitaph, le label coupable d’avoir fait ressortir au grand jour le venin Punk Rock US dans les années 90. Et surtout, des titres imparables, et des mélodies uniques qui donnent un écho profond aux thèses naturalistes et anticléricales du Révérend Graffin.
Quand Bad Religion fait une tournée pour célébrer ses trente ans de carrière en 2010, étrangement, aucun des nombreux spectateurs qui assistent notamment au concert du Bataclan à Paris ou des divers grands festivals européens dans lesquels ils sont présents, ne voit cela comme un baroud d’honneur. Peut-être parce que l’énergie Punk des débuts est intacte. Peut-être parce que le groupe joue techniquement mieux que jamais, avec un batteur là depuis 2002, ex-Suicidal Tendencies, qui donne un cadre rythmique idéal aux innombrables (environ trois cents) titres du catalogue. Peut-être également parce que le dernier album du groupe (The Dissent Of Man) est à la hauteur des espérances et garde le combo américain dans l’excellence du Punk Rock mélodique. Alors quand Greg Graffin jette un pavé dans la mare en avril 2011 lors d’un show à Boston en annonçant que le groupe va faire un dernier album puis arrêter pour enfin trouver un « boulot convenable », peu de gens y croient vraiment. Et à raison, car le Docteur avait fait de l’humour, comme il l’avoue ce mois-ci dans une interview à Billboard. Un début d’explication pour une longévité telle ? « C’est le fait que tout le monde dans le groupe fait d’autres choses dans la vie. » Comme Brett Gurewitz, qui continue de gérer Epitaph, l’un des labels indépendants connaissant la plus grande réussite à l’échelle mondiale. Quand les membres de Bad Religion se retrouvent, « c’est comme une célébration, un peu comme des vacances. Tu te retrouves et tu t’amuses, et après chacun part de son côté, ce qui rend ces rassemblements vacanciers si particuliers. » Voilà en partie pourquoi la spontanéité et la sincérité des débuts est conservée. Par le plaisir d’être et de jouer ensemble, ce qui transparaît évidemment sur True North.
Alors que le précédent opus, The Dissent Of Man, privilégiait les mélodies et des tempos un peu plus lents qu’à l’accoutumée (les titres « Won’t Somebody » ou « Cyanide », par exemple), True North voit le retour des recettes des glorieux albums aînés Suffer et No Control sortis en 1988 et 1989, des albums qui firent la réputation du groupe et qui ne dépassaient pas la demi-heure pour une quinzaine de titres. Alors voir cet album contenir un titre, intitulé « Fuck You » et durant à peine deux minutes, pourrait-il traduire une certaine nostalgie adolescente un peu puérile du groupe ? Apparemment, pas du tout : « Cela m’a pris trente-deux ans en tant que song-writer pour enfin être capable d’écrire ce que je ressens. » Tout n’est pas perdu, la fibre Punk est donc toujours bien vivante, derrière une justification, toujours rationnelle, bien évidemment: « C’est une chanson à propos du réflexe de Pavlov que nous obtenons quand nous sortons ces mots, tu finis souvent avec plus de problèmes que si tu ne les avais pas dit. » C’est là-dessus que repose le naturalisme, comme Greg Graffin l’explique dans son dernier livre, Anarchy Evolution: observation, expérimentation et vérification. Le tout en total osmose avec l’esprit Punk-Rock. Et c’est la base de bien des titres du nouvel opus, dont certains feront sans problème partie des classiques du groupe, comme le sombre et dramatique « Dharma And The Bomb » ou le non-moins grave « Hello Cruel World » dont l’intro replonge forcément l’auditeur vers « Infected », un des titres phares du groupe présent sur l’album Stranger Than Fiction (1994), à ce jour l’album le plus vendu du groupe.
Si les compositions de ce True North possèdent une maturité si manifeste, c’est que les Américains semblent avoir assimilé et réuni un certain nombre d’éléments de leurs disques passés pour les retranscrire dans un nouvel album, réflexion qui pouvait déjà être faite avec le précédent The Dissent Of Man. Et les deux producteurs de cet album n’y sont pas étrangers. L’un est bien sûr « Mr Brett » (Gurewitz) comme il est surnommé, caution du son si particulier de Bad Religion dans la superposition du jeu à trois guitares ou l’utilisation caractéristique de chœurs en décalage sur les refrains (connus également sous le nom de oozin’ aahs), l’autre Joe Baresi, l’épique producteur de Tool, Isis ou Queens Of The Stone Age, notamment, qui travaille avec le groupe depuis 2007, et qui n’en est peut-être pas à sa dernière collaboration avec ceux que personne n’oserait appeler les vétérans du Punk-Rock tant la formule semble inappropriée. Comme l’explique clairement Greg Graffin: « Quand je serais mort, il n’y en aura plus (d’albums). Mais aussi longtemps que je peux le faire […], pourquoi arrêterais-je ? […] Dans dix ans, j’aurais 58 ans, et il se pourrait que j’aie toujours envie de faire un album Punk. C’est comme cela que ça marche. » Et si la qualité est la même que celle contenue dans True North, il se pourrait que le public ait toujours envie qu’ils en fassent…
Album True North, sortie le 22 janvier 2013 chez Epitaph Records.
Il est excellent cet album, quelle peche! vivement le 25 juin au transbo!