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Interview   

Baroness : une palette sans limite


Gold & Grey a beau être le dernier album du cycle conceptuel chromatique initié par Baroness en 2007 avec le Red Album, on se rend vite compte à son écoute et à entendre John Baizley – le chanteur-guitariste, tête pensante et dernier membre originel encore en activité du groupe – qu’il a également tout d’un point de départ vers des horizons beaucoup plus vastes encore que ce qu’on a connu dans sa discographie passée. Album kaléidoscopique, album playlist, album idiosyncratique, album psychothérapeutique… Les qualificatifs ne manquent pas dans la bouche de Baizley pour évoquer dans de longues tirades passionnées la singularité d’un album dont il n’a lui-même, semble-t-il, pas toujours contrôlé ou compris la réalisation.

L’étape Purple, qui fut si cruciale pour démontrer que l’accident de bus de 2012 n’avait pas eu raison du groupe et de son enthousiasme créatif (bien au contraire !), étant passée, fort d’une nouvelle recrue de choix en la personne de Gina Gleason et d’une expérience de tournée sans batteur ayant servi de déclic (à commencer par leur prestation au Hellfest), Baroness est prêt à redéfinir son art à l’envi et à voguer sans limite vers son avenir. John Baizley nous raconte.

« Nous essayons vraiment de nous prouver à nous-mêmes que nos limites ne sont qu’un concept que nous devons défoncer et briser. »

Radio Metal : Gold & Grey est un album très différent de Purple. Purple était un album plus direct et immédiat, alors que Gold & Grey est plus aventureux, avec beaucoup de variété, de textures et d’ambiances sonores, y compris avec des interludes. Il se trouve que tu as déclaré vouloir « créer quelque chose de plus kaléidoscopique ». Peux-tu nous parler de ce terme « kaléidoscopique » que tu as employé et de l’état d’esprit avec lequel vous avez abordé cet album ?

John Baizley (chant & guitare) : C’est marrant parce que lorsqu’on décrit de la musique, on a tendance à employer des termes visuels. Donc je comprends que c’est un peu bizarre [petits rires]. Ce terme m’est venu très tôt durant le processus d’écriture, quand nous discutions de ce que nous ferions. Je pense que je cherchais un terme qui ne serait pas trop spécifique au point de nous mener dans une direction définitive. J’essayais de trouver une sorte de langage qui aiderait à décrire aux autres membres du groupe le cadre de ce que j’essayais de faire. Je trouvais que musicalement, nous étions en position de pouvoir créer un album qui contenait, comme tu l’as dit, énormément de variété et de diversité. Pour moi, l’idée kaléidoscopique, c’est celle d’avoir différents éclats, différentes couleurs, différentes textures, différents niveaux d’attention, de la même façon que lorsqu’on regarde dans un kaléidoscope, on voit des fragments d’images, dont certaines qu’on comprend, d’autres qui ont l’air cool, d’autres qui sont petites, d’autres qui sont grandes, c’est parfois embrumé, parfois clair… Après avoir fait un album comme Purple, qui était aussi direct que possible et j’espère contenait des chansons qui étaient tellement immédiates que notre public ne pouvait que le remarquer… Car à l’époque, je me remettais personnellement d’un accident de bus assez intense dans lequel le groupe avait été impliqué et je ressentais que notre public devait savoir que nous étions en vie, que nous allions bien et que nous pouvions être toujours aussi combatifs. Nous devions nous prouver à nous-mêmes que notre conviction et notre passion étaient là. Ce n’était plus autant une préoccupation avec ce nouvel album, car pour moi Purple avait prouvé ça. D’une certaine façon, nous retournions à l’élan créatif initié lorsque nous avions enregistré Yellow & Green. C’était une histoire d’approche ouverte d’esprit, quelque chose qui nécessitait que nous, en tant que groupe de musiciens, puissions établir des défis internes mais aussi pour nos auditeurs, afin de questionner et revoir la définition que nous avions de nous-mêmes et peut-être notre perception de nous-mêmes.

Désolé pour la réponse interminable, mais ce qui a toujours été le plus intéressant dans ce groupe est que nous pouvons faire tout ce que nous voulons et que nos limites n’ont rien à voir avec quel genre de musique que nous faisons – parfois elles n’ont même pas à voir avec nos capacités techniques, que nous pouvons constamment améliorer. Nos limites sont seulement définies par le cadre de nos activités. Ce que ça signifie, dans un sens plus immédiat, est que j’ai toujours eu le sentiment que la trajectoire de ce groupe est celle qui consiste à grandir, évoluer, s’adapter, changer, continuellement apporter de nouveaux éléments et continuellement redéfinir qui nous sommes et la façon dont nous faisons les choses, nous prouver à nous-mêmes, et peut-être par extension à notre public, que l’idée de jouer de la musique heavy ou quelque chose qui, ces dernières années, a pu me paraître clair doit être remis en question. Je pense que le format dans lequel nous jouons – deux guitaristes, quelques chanteurs, un batteur et un bassiste –, l’idée d’être un quatuor et de jouer du rock est, de façon générale, en train de devenir moins adéquate avec le temps, car ce qu’on appelle aujourd’hui le classic rock vient d’une époque où il n’y avait aucune règle. Black Sabbath, Led Zeppelin, les Rolling Stones ou les Beatles, par exemple, à chaque fois qu’ils sortaient un album, ils définissaient un style, ils définissaient ce dont ils étaient capables, et j’ai l’impression que cette idée, ce message, s’est perdu avec le temps, au point où l’on devient tellement spécifique avec les genres musicaux et tellement obsédé par les styles que si on a un groupe de punk et qu’on joue une chanson de jazz, tout le monde sera dans la confusion la plus totale et personne ne va aimer. Eh bien, je ne pense pas que ce soit bien.

Je pense que le devoir des musiciens qui jouent de la musique avec des guitares, à fort volume et avec beaucoup d’énergie comme nous, c’est de constamment remettre en question le statu quo et constamment se demander si on répète des formes qu’on a entendues en essayant simplement d’en faire des versions modernisées ou bien si on regarde vers l’avenir en essayant, pas seulement de redéfinir quelque chose, mais redéfinir qui nous sommes en tant que groupe – Baroness, dans notre cas –, et se dire qu’on ne doit pas être limité par des choses telles que le style ou l’idée des genres musicaux. Donc, avec Gold & Grey, j’ai le sentiment que le line-up est devenu suffisamment stable et nos capacités techniques ont augmenté au fil des années de telle façon qu’aujourd’hui nous ne devrions pas être limités par ce que nous faisons. Nous devons vraiment explorer vers l’extérieur à partir de ce point central qu’est notre son et voir jusqu’où nous pouvons aller avant de commencer à écrire des choses qui ne sont pas sincères. Pour moi, Purple manquait de certaines choses. Par exemple, il n’avait pas de chanson vraiment acoustique. La plupart des chansons sont relativement bruyantes, courtes et directes. Si on écoute Gold & Grey, on remarque qu’il y a toute une partie de l’album qui, à dessein, est assez calme et douce. En outre, quand nous jouons des chansons plus aventureuses, assez bruyantes et pleines d’énergie, nous essayons de rendre le côté extrême de notre musique encore plus extrême et le côté doux encore plus doux. Nous essayons vraiment de nous prouver à nous-mêmes que nos limites ne sont qu’un concept que nous devons défoncer et briser.

Ceci étant dit, on n’a pas vraiment ce genre de discussion en tant que groupe quand on écrit des chansons. C’est une mentalité. Donc, une grande partie de la terminologie que j’utilisais avait pour but d’expliquer à Sebastian [Thomson], Nick [Jost] et Gina [Gleason] qu’il n’y a pas de mauvaise idée. Tout ce que nous pouvions faire fonctionner était une bonne idée. Dans ce but, je pense que nous devions écrire un album qui possédait des chansons et des idées qui attireraient l’attention des gens, au risque peut-être même d’écrire une chanson que les gens n’aimeraient pas. En tant que groupe, nous devons constamment aborder nos faiblesses et essayer autant que nous le pouvons d’en faire des forces, et nous devons constamment regarder nos forces et nous demander si oui ou non nous devons encore nous en soucier. Quand j’en aurai fini avec la musique ou quand je serai mort ou plus vieux, peu importe, je veux pouvoir repenser à tout ce que j’ai fait et me dire qu’avec chaque album, à chaque tournant, nous avons repoussé l’objectif encore plus loin ou que nous avons établi un standard à chaque fois plus élevé. Nous ne sommes jamais complètement à l’aise avec ce que nous avons fait, nous voyons toujours une marge d’amélioration et d’évolution. Je pense, et je le crois, que ce dernier album, Gold & Grey, est l’exemple le plus irréfutable de la capacité de ce groupe à fléchir ses capacités créatives, et à étirer et remettre en question les choses que nous avons faites par le passé, de façon à pouvoir connaître une progression et une amélioration en tant que compositeurs et en tant que groupe en général.

« L’atmosphère ou l’énergie de la performance sont devenues encore plus importantes maintenant, plutôt que de savoir si c’est bien joué ou pas. Si, à la base, tu ne sais pas vraiment ce que tu es censé faire, comment sais-tu que tu ne le fais pas comme il faut ? »

Je sais que ça sonne prétentieux et peut-être exagérément ambitieux, mais ce type de mentalité, pour moi… Peut-être que je devrais clarifier ça : personnellement, si je n’adopte pas ce type de mentalité, j’en viens à éprouver beaucoup de difficultés à faire quelque chose d’excitant. Il s’agit aussi d’entretenir un niveau de passion et d’enthousiasme pour notre art. Les résultats les plus aventureux et gratifiants viennent lorsqu’on fait quelque chose qui est peut-être un petit peu difficile ou désorientant, ça peut même parfois être effrayant de faire des types de chansons qu’on n’a jamais enregistrées avant – il y a plein de types de chansons sur cet album. Nous essayions vraiment de nous bousculer autant que possible durant tout le temps que nous composions ces chansons. Tout ça dans le seul but de faire quelque chose d’unique et de revendiquer notre droit en tant que groupe de faire quelque chose que nous n’avons pas encore fait, a minima, et avec un peu de chance, que personne n’a fait et que nous faisons découvrir. Je pense que c’est le but. Je ne sais pas à quel point nous y parvenons, mais j’ai le sentiment que nous étions de plus en plus proches de développer un son unique, qu’on n’a encore jamais entendu, et de peut-être enregistrer un album que nous n’aurions pas pu enregistrer dans le passé et que peut-être nous ne pourrions jamais enregistrer à nouveau dans le futur. C’est facile de dire : « Ecrivons quelque chose qu’on n’a jamais entendu avant. » Mais c’est très difficile à faire. Ça requiert beaucoup de prises de risque. A cet égard, je suis très content de la façon dont cet album a été fait. Le produit fini, le résultat, est quelque chose en lequel je crois fermement. C’était vraiment une très longue réponse [rires].

L’été dernier, Sebastian a dû s’éclipser de la tournée européenne, et au lieu d’annuler cette tournée, vous avez choisi de faire le restant des concerts à trois, avec un synthétiseur, un Fender Rhodes et une guitare acoustique, ce qui a créé une atmosphère toute particulière, surtout durant le concert du Hellfest. Comment avez-vous pris la décision de faire ça, comment vous êtes-vous préparés à ça, vu le peu de temps que vous aviez, et au final, quel type de marque est-ce que cette expérience a laissé sur le nouvel album ?

Laisse-moi dire en préambule que quand nous étions sur la tournée européenne, nous avions enregistré tout juste un peu plus que la moitié de l’album. Donc l’expérience a vraiment eu un profond effet sur l’album. Nous étions quelque part en Italie, ou en Allemagne, ou en Autriche quand Sebastian a reçu son appel. Pour des raisons personnelles, familiales, il a dû quitter la tournée et retourner chez lui, mais il était très inquiet que ça nous force à annuler la tournée, il ne voulait pas que ça se produise, presque au point où il se demandait s’il devait oui ou non rentrer chez lui. Mais c’était important pour nous qu’il sache que la situation familiale est prioritaire. Nous avons donc parlé avec lui et avons décidé que, comme nous l’avions déjà fait par le passé, nous jouerions quand même. Nous n’annulons pas les concerts et les rares cas où nous avons dû en annuler, en gros à cause d’un accident de bus, de blessures et ce genre de choses, nous avons toujours essayé de les reporter. Nous étions capables de faire un concert, c’est juste que nous savions que ce ne serait pas l’expérience Baroness au complet. Nous jouons des instruments acoustiques, et nous composons très fréquemment sur des instruments acoustiques. Donc, plutôt que d’annuler, nous avons parlé aux tourneurs et tout, et tant que ça leur convenait que nous fassions une prestation épurée ou acoustique, nous allions essayer de faire en sorte que cette expérience vaille le coup pour le public.

Ceci étant dit, nous n’avions vraiment que deux ou trois heures pour nous y préparer. C’était une tâche très intimidante, car nous devions réécrire et réexaminer une grande partie de la musique que nous avions. Si nous avions eu des semaines pour travailler dessus, ça n’aurait pas été aussi stressant, car il s’agissait simplement de changer la tonalité d’une chanson, ou de comprendre comment la jouer dans un registre légèrement plus grave ou ce genre de choses, mais quand tu es obligé de gérer ça en ayant que quelques heures de préparation, c’est très insuffisant. Nous avons dû rapidement comprendre la tonalité dans laquelle nous allions jouer les chansons, et quand nous sommes montés sur scène, nous n’avions aucune idée de ce qui allait se passer. Le plus intéressant dans cette prestation était que, d’une certaine façon, nous l’improvisions presque au fur et à mesure. Le concert est vraiment devenu, pour nous en tant que groupe, un truc bizarre et spécial, et nous voyions ce que nous étions en train de faire avoir un effet sur notre public. Les gens réagissaient positivement, presque trop positivement, car c’est devenu très étrange, très émotionnel, d’une façon à laquelle nous n’étions pas vraiment habitués. A la fin du concert, tout le monde était en larmes ! C’était un moment très puissant pour nous.

Donc, repartant après cette expérience, nous avions élevé notre niveau de confiance en nos propres capacités à improviser et agir intuitivement sur les chansons que nous étions en train de composer. Lorsque nous sommes retournés au studio, où nous avions déjà été très relâchés avant, c’est presque devenu un simple système de réactions. Il y a des chansons dans cet album qui sont à cent pour cent improvisées. Le morceau de fin de l’album, « Pale Sun », est un jam musical que nous avons fait. Nous l’avons enregistré et avons trouvé une façon d’en faire une chanson avec du chant, une direction et un arc narratif. C’était assez étrange, car ce ne sont que deux notes et un groove. Les défis de ce genre sont devenus très importants dans notre collaboration pendant que nous faisions l’album. Je pense ça nous a aussi donné l’idée que nous n’avions pas besoin d’être aussi précieux dans notre façon de jouer ; nous n’avons de toute façon jamais été trop soucieux de ça, mais l’atmosphère ou l’énergie de la performance sont devenues encore plus importantes maintenant, plutôt que de savoir si c’est bien joué ou pas. Et c’était étayé par le fait que si, à la base, tu ne sais pas vraiment ce que tu es censé faire, comment sais-tu que tu ne le fais pas comme il faut ? Donc, comme je l’ai dit, ça nous a donné confiance pour retourner en studio, être plus audacieux et, dans certains cas, épurer la musique, avoir des chansons sans batterie, sans guitare électrique, qui soient entièrement calmes, douces, mais peut-être aussi plus lourdes émotionnellement.

« Je ne crois pas qu’on vende un album en faisant ce qui est attendu. Je ne crois pas qu’on vende un album en offrant au public ce qu’il veut. Le succès viendra quand nous montrerons aux gens une autre façon de faire les choses et quand nous détonnerons dans le paysage. »

Le fait de ressentir ce genre liberté et de confiance en soi et en ses collègues, au sein d’un environnement d’enregistrement tendu, était très déterminant pour Gold & Grey ; c’est quelque chose que j’ai toujours voulu connaître. Cet album est peut-être devenu ce qu’il est devenu en très grande partie grâce à cette prestation au Hellfest. Enfin, c’est dur pour moi de déterminer son importance, car nous ne nous rendions pas compte de ce qui était en train de se passer pendant que nous jouions, mais avec le recul, et ayant déjà un peu parlé à la presse pour cet album, il me semble que c’est quelque chose qui a un véritable impact sur les quelques personnes qui ont déjà entendu l’album. Je ne pourrais pas être plus fier car, en tant que compositeurs, nous recherchons toujours une manière d’accéder de façon encore plus authentique à l’esprit de nos chansons, que ce soit leur noyau émotionnel, un angle d’approche dans les paroles ou simplement avec le côté spontané et immédiat d’une prestation. J’avais l’impression que tout se passait de manière très efficace et très bien d’abord, et très surprenante ensuite. Quand nous commencions une chanson, à l’enregistrer ou à la composer, nous n’avions aucune idée où ça allait, mais au moment où nous avions fini et où nous écoutions le mix complet, nous nous surprenions nous-mêmes. Être dans le groupe depuis si longtemps et pourtant trouver encore le moyen de se développer et être surpris, je trouve ça vraiment génial !

Tu as déclaré que lorsque vous écoutiez vos enregistrements, « il y avait un sentiment général de confusion ». Tu ne comprenais « pas comment Gina faisait tel son. [Tu] ne compren[ais] pas comment le rythme que Nick et Sebastian jouaient fonctionnait avec ce que [tu] fais[ais]. » On dirait que cet album était hors de ton contrôle ou de ta compréhension. Du coup, comment savais-tu que toutes ces choses que tu ne comprenais pas fonctionnaient ? Ou bien étiez-vous prêts à prendre le risque que cet album soit un échec artistique ?

Je ne pense pas que nous nous préparions à ce que ce soit un échec artistique. Nous essayions de garder nos esprits suffisamment ouverts. Parfois, nous allions vite ou alors nous n’avions pas l’occasion de remettre en question certains éléments de notre jeu ou de notre composition, mais tant que les chansons étaient cool et sonnaient bien, c’est ce que nous recherchions. L’expérience de l’enregistrement de Purple était tellement contrôlée, car nous avions très minutieusement travaillé les musiques avant de les enregistrer, que c’est par la suite devenu une sorte de nécessité – et quelque chose dont nous voulions tous – de travailler sur un album où tout n’était pas planifié, car ça nous laissait plus de marge pour les surprises et les découvertes. De mon point de vue, étant dans le groupe depuis très longtemps, c’était très bien de s’engager là-dedans pour cet album. Peut-être que le point le plus important est que je ne suis pas sûr de quel niveau de contrôle nous avons réellement eu par le passé à cet égard. Ce n’était pas que nous étions en roue libre, ce n’était pas un manque de contrôle parce que nous ne savions pas ce que nous faisions. C’était intentionnel que ce soit plus ou moins ouvert, afin que nous puissions découvrir de nouveaux types de chansons ou qu’il y ait de la fraîcheur, une forme de relâchement que, d’après ce que j’ai remarqué, nous avons sur scène et qui devient trop contrôlé ou tendu sur album. Il s’agissait de nous rapprocher de l’expérience live ou des mécanismes de réponse intuitifs que nous avons. Nous étions déjà dans cet état d’esprit. C’était donc une confusion positive. Fréquemment, nous assemblions simultanément tant d’idées rythmiques ou sonores différentes que je pouvais littéralement uniquement comprendre les choses que je faisais et avais faites. Très souvent, il semblait que Gina, Sebastian et Nick étaient dans la même situation. Mais parce que nous avions une très bonne alchimie, nous n’avions pas à nous soucier des autres. Il y a un niveau de confiance intrinsèque qui s’est accru au cours des deux ou trois dernières années, au point où nous sommes désormais capables de composer un tel album.

Tu as dit attribuer les « nombreuses décisions spontanées et les étranges idées qui ont été utilisées » au producteur Dave Fridmann. Penses-tu que c’est précisément ce dont Baroness a besoin pour s’épanouir, un producteur qui suit et encourage vos instincts et vous incite à vous développer dans diverses directions un peu folles ?

J’ai l’impression que nous avons toujours choisi des producteurs disposés à prendre ces risques. En dehors du premier album, nous avons fait appel à John Congleton pour Blue et Yellow & Green, et nous avons travaillé avec Dave Fridmann sur Purple et Gold & Grey. Ce sont des producteurs dont, en premier lieu, j’apprécie beaucoup les réalisations et qui ont un style et une éthique de travail en phase avec moi. Aussi, ce sont des producteurs qui ne travaillent pas typiquement avec des groupes qui sonnent comme nous. Plus important encore, Dave et John sont des producteurs qui se fichent des techniques de production standard commercialement viables. Ils sont davantage désireux d’aller à la découverte de territoires inexplorés. Je pense que c’est très important. Nous n’essayons pas de sonner comme d’autres gens et de faire la même chose que tout le monde. Nous essayons vraiment d’être originaux et je ne crois pas qu’on puisse être original sans prendre ce genre de risque. Ce n’est pas classique de monter le chant aussi fort ou de distordre la batterie ou d’empiler les pistes de guitares malgré leurs dissonances. Ce ne sont pas des choses normales mais telles sont les idées que nous avons eues. C’est le genre de choses que nous avons voulu faire, au risque de peut-être contrarier des gens. Ça nous pousse vers des territoires de composition idiosyncratiques à chaque fois plus profonds et uniques.

Quelles sont les idées les plus étranges qui ont été utilisées ?

Aucune n’est étrange pour moi ! Je pense qu’elles sont étranges dans une vue globale. Il pourrait sembler que, pour un groupe tel que Baroness, les guitares doivent être ce qu’il y a de plus bruyant et de plus présent dans les chansons, ou que si nous jouons une chanson avec beaucoup de démonstration technique, nous opterions pour une production très propre afin de pouvoir entendre tous les détails de tous les trucs dingues que nous faisons. Parfois nous faisons des enregistrements densément stratifiés et embellis de détails, mais en raison de la façon dont nous voulons que ça sonne, rien de tout ça n’a de grande importance. Tout est au service de la chanson. Peu importe ce que c’est, même si ça va à l’encontre des techniques de production heavy metal et rock conventionnelles. Ce qui importe, c’est de trouver la manière de faire la plus intéressante, ce qui convient le mieux à notre musique, ce qui correspond le mieux à notre mentalité en tant que groupe, mais aussi ce qui, avec un peu de chance, mène à des sons qui n’ont pas été utilisés avant ou, au moins, qui n’ont pas été usés jusqu’à la corde dans notre style de musique. Donc parfois ça peut devenir bordélique, parfois des trucs sont distordus, parfois il y a tellement de delay, de reverb et d’effets qui tourbillonnent qu’on ne peut pas vraiment entendre les choses avec clarté, mais j’ai toujours trouvé intéressante l’idée d’utiliser des techniques de production qui ne suivent pas les attentes des gens. Des choses comme le fait de totalement détruire un son clair ou de déformer complètement quelque chose qu’on voudrait traditionnellement mettre en valeur. En faisant ça, j’ai appris ce qui était réellement important dans nos enregistrements et dans nos chansons, mais ça nous a également forcés à réexaminer les choses sous un autre angle, avec une ouverture d’esprit que nous n’aurions pas forcément eue au départ. Je suis sûr qu’il existe des producteurs qui auraient gardé leurs distances avec certaines des idées que nous avons eues, car sur le papier ça ne semble pas être une bonne manière de vendre un album. Or je ne crois pas qu’on vende un album en faisant ce qui est attendu. Je ne crois pas qu’on vende un album en offrant au public ce qu’il veut. Je pense que, pour un groupe comme celui-ci, le succès viendra quand nous montrerons aux gens une autre façon de faire les choses et quand nous détonnerons dans le paysage. Au bout du compte, ce que d’autres gens ont fait avant nous ne devrait pas entièrement façonner ce que nous faisons. Il s’agit plus de mener la discussion plutôt que de la suivre.

« Notre prochain album pourrait être entièrement acoustique, ça pourrait un album de thrash metal, ça pourrait être un album de noise rock, ça pourrait être de l’électronique, et aucune de ces idées ne serait incongrue, car avec Gold & Grey, nous avons fait une déclaration qui nous permettra dans les années à venir une certaine ouverture musicale. »

En fait, la façon dont vous avez travaillé sur cet album n’est pas sans rappeler certains groupes psychédéliques de la fin des années 60 et des années 70, comme Pink Floyd et leurs expérimentations de début de carrière. Te sens-tu proche de ce feeling et de cette époque ?

Ouais, enfin, plus le feeling que l’époque. Je ne pense pas que nous essayons de faire un truc façon années 60 ou 70, mais nous nous alignons sur l’ouverture d’esprit et la liberté de la musique de cette époque. Je n’étais pas né à cette époque, donc je ne peux pas prétendre à la vérité, mais il semblerait que, quand le rock était à un stade plus basique et qu’il y avait bien moins d’albums, les gens ne cherchaient pas vraiment à faire les choses d’une manière spécifique. Un groupe comme Pink Floyd semblait vraiment ouvrir la marche avec ce qu’ils faisaient. A priori, ils n’essayaient jamais de sonner comme quelqu’un d’autre, mais aussi, ils essayaient de repousser les limites un peu plus loin. C’est important pour nous également. Je pense que c’est important pour plein de gens. Je ne crois pas que nous ayons une démarche super originale de ce point de vue, mais il est clair que nous tentons de faire et de découvrir des choses nouvelles.

Ceci est le premier album réalisé avec Gina Gleason. Parmi ses expériences, elle a joué avec le Cirque Du Soleil à Las Vegas, ce qui donne un background assez intéressant. Qu’a-t-elle apporté à Baroness ?

Enormément ! Vu qu’elle a eu un choix de carrière très orienté sur le spectacle, avec le Cirque Du Soleil, à un très jeune âge, elle a accumulé autant d’heures de scène que moi après une période de temps bien plus longue. Sa semaine de travail normale, c’était dix spectacles par semaine et chacun durait deux ou trois heures. Elle sait comment se produire sur scène. En plus de ça, et qui n’est pas aussi évident à travers son expérience en tant que performeuse au Cirque Du Soleil, c’est une compositrice. Elle sait composer une chanson, elle a une super voix, mais elle a également très vite compris, et sans effort, de façon fluide, quel était son style dans le contexte de Baroness, et où ça pourrait potentiellement être dangereux d’amener un style trop différent. Elle semblait instinctivement comprendre quels éléments de son style et de sa technique seraient les plus bénéfiques à mettre en avant dans Baroness. A partir de là, elle et moi avons beaucoup travaillé pour définir, d’une certaine façon, une nouvelle personnalité, à la fois pour elle et pour moi ainsi que pour le groupe dans son ensemble, et qui collerait quand même à la part inflexible de notre base sonore. En d’autres termes, elle, Nick et Sebastian sont tous les trois compétents et doués lorsqu’il s’agit d’avoir une personnalité distincte. Ce ne sont pas des anciens membres, ce sont des membres actuels, et leur personnalité est une part critique et essentielle de notre composition. Nous avons un beau respect et une belle compréhension musicale. En gros, nous n’en parlons même pas car tout le monde comprend, et lorsque la compréhension est là, lorsque l’alchimie est intacte, plus cette personnalité transparaît, plus on peut distinguer les parties de Gina des miennes, et celles de Nick de celles de Seb, pour le meilleur.

Ça n’a pas d’importance si je suis le seul à avoir été dans le groupe depuis le premier jour. Ça a toujours une histoire de personnalités impliquées qui se combinaient et formaient une somme musicale plus grande que les parties individuelles. Je suis vraiment fou de joie d’avoir Gina, Nick et Seb à mes côtés, parce que nous nous sommes immédiatement entendus en tant que groupe. Nos idées fusent à toute allure. Nous sommes très flexibles et nous n’avons pas besoin de sur-analyser les choses quand nous les faisons. C’est la vraie magie. Par le passé, il y a pu y avoir des disputes musicales ou, au moins, de longues discussions sur ce qui est bien, pas bien, acceptable, ce qui marche, ne marche pas, or aujourd’hui il semblerait que nous dépassions tout ça pour discuter de quelle est la meilleure idée parmi la variété de bonnes idées que nous trouvons, plutôt que de dire « on a deux idées, l’une est bonne, l’autre est mauvaise ». C’est une simple différence de sémantique mais c’est énorme quand il s’agit de composer. C’est merveilleux de pouvoir écrire des chansons sans constamment discuter de théorie ou de technique. Ça permet d’avancer rapidement dans nos réflexions et de devenir plus intuitifs et de davantage improviser. Encore une fois, c’est un élément essentiel de cet album.

Peter Adams a amicalement quitté le groupe pour concentrer son énergie à la maison et non sur la route. A quel moment est-ce que son désintérêt pour les tournées est apparu ? L’as-tu vu venir durant la tournée de Purple ?

Nous l’avons tous vu venir en même temps. Pete a fait cette découverte personnelle avec nous et avec notre bénédiction. Il n’a pas voulu attendre d’être dans le groupe depuis trop longtemps, d’en arriver à un point où ça serait trop éreintant pour lui. Car c’est quand on en arrive à ce stade que les gens commencent à développer du ressentiment et que les choses deviennent moches. Pete se connaissait suffisamment bien, et lorsqu’il a senti que ça pouvait devenir un problème, lui et moi en avons discuté en toute transparence. Une fois qu’il a officialisé son départ, il a pensé que ce serait important d’honorer ses engagements et les concerts que nous avions programmés. Ça nous a donné le temps de trouver Gina et de réfléchir à la direction que prendrait le groupe. Sur le long terme, parce que c’était très amical et parce que nous avons été particulièrement transparents, malgré la difficulté que peut représenter le départ d’un membre… Car on peut avoir l’impression qu’il a laissé tout le monde tomber ou je ne sais ce qui se passe de dramatique habituellement quand des gens quittent des groupes, mais Pete et moi avions vécu suffisamment de choses pour ne pas laisser ceci se produire dans ce groupe. Il se souciait trop du groupe pour que quelque chose de moche se produise. Nous avons travaillé trop dur là-dessus, pendant trop longtemps pour que son départ détruise ou nuise au groupe. C’était une expérience vraiment unique pour moi, car la plupart des départs de membres passés étaient accompagnés au moins d’un peu de drame. Quand tout le monde est parti après l’accident de bus, c’était parce qu’ils étaient blessés. C’est plus difficile quand c’est une situation où quelqu’un n’a tout simplement pas l’envie ou la capacité de mettre toute son attention et son engagement dans le groupe pour que celui-ci avance. Pete a abordé ça de manière très adulte : il est venu me voir et nous en avons discuté. Nous avons pu reformer le groupe si rapidement qu’après seulement quelques tournées avec Gina nous avions déjà bien avancé sur la composition de Gold & Grey.

« Ça a toujours été important pour ce groupe d’ignorer ce qui a déjà très bien fonctionné, afin de pouvoir identifier quelque chose qu’on croit être inefficace ou faible sur un ancien album et le transformer en force sur les albums suivants. »

Tu as déclaré que Gold & Grey reflète comment tu gères les effets à plus long terme des horribles choses que tu as vécues. Je suis sûr que parmi ces « horribles choses », tu fais référence à l’accident de bus de 2012…

En majeure partie, oui.

Du coup, quels sont ces effets à plus long terme et comment les as-tu traités dans cet album ?

Je ne crois pas que ce soit hyper dramatique. A titre personnel, j’ai traversé une période de rééducation et de récupération à la suite de cet accident, et c’était toujours en cours pendant que nous composions Purple. L’album, pour moi, traitait vraiment de ce processus, mais aussi l’écriture de cet album en tant que telle était une forme de rééducation pour moi, alors qu’évidemment, je ne peux pas vraiment dire que ça a été le cas de ce nouvel album. Après, une grande partie des chansons et peut-être la direction même de l’album étaient un petit peu plus songeuses. Nous n’avions plus à prouver que le groupe existait toujours. Nous n’avions pas connu un changement de line-up aussi dramatique que celui que nous avons connu avant Purple. L’un des aspects les plus importants de l’album était que Nick et Sebastian ont peut-être ressenti un peu plus de liberté, individuellement, en tant que musiciens pour exprimer des idées dans leur propre style. Je pense que l’effet que ça a eu est que ça m’a aidé à écrire des textes dans un cadre d’idées plus étendu. Ça m’a permis d’écrire des paroles et de traiter les choses de façon plus nuancée, peut-être moins évidente, moins concernée par cet incident spécifique et plus par tout ce que j’ai vécu après.

Tu as failli mourir dans cet accident, et dans la chanson « I’d Do Anything », tu chantes que tu ferais n’importe quoi pour te sentir à nouveau vivant. Dirais-tu qu’une partie de toi est quand même morte dans cet accident ? Le fait d’y survivre ne t’a pas fait te sentir plus vivant, justement ?

Oui, c’est certain. Je ne pense pas qu’une quelconque partie de moi-même est morte dans cet accident. Il est clair que je ne dis pas ça dans la chanson de façon hyper littérale. C’est plus une expression par rapport à ce qu’on peut ressentir. Quel que soit le moment ou les circonstances, je pense qu’en tant que personnes on cherche constamment à améliorer notre situation. Il semblerait que les textes de cet album aient pris un tournant légèrement plus mélancolique. Je dois préciser que Gina et moi avons écrit les paroles de cette chanson ensemble, donc je ne peux pas trop en détailler les contours, mais j’ai pensé que le message était universel. On vit des moments dans notre existence où l’on recherche plus que ce qu’on a, on cherche à se revigorer ou à redevenir vivants. Je pense que ça résume de façon un peu exagérée et romantique de quoi traitent les chansons. Mais pour répondre à la question, je n’ai jamais considéré qu’une partie de moi était morte dans cet accident. En fait, j’ai vraiment l’impression que c’était quelque chose qui m’a fait renaître. En tant que compositeur, il est clair que ça m’a donné une direction, quelque chose d’authentique, d’immédiat sur lequel écrire. J’imagine que oui, je me suis senti plus vivant. C’est dur à dire parce que si je dis que je me sens plus vivant aujourd’hui, alors ça voudrait probablement dire que si je pouvais revenir en arrière, je ne changerais rien, or ce n’est pas le cas. Si je pouvais remonter le temps, j’adorerais ne pas avoir vécu cet accident, malgré toute l’inspiration musicale que ça m’a offerte. Je n’envierais personne qui traverserait ça. Peut-être qu’une meilleure façon de voir ça serait de dire que ça a réaffirmé mon enthousiasme et ma passion d’être en vie et de faire partie de ce groupe, d’avoir cet exutoire pour ma créativité, etc.

Il se trouve que tu as toujours utilisé la musique comme une thérapie pour affronter des problèmes d’ordre psychologique. Mais au final, dans quelle mesure est-ce que ça t’a aidé à aller mieux de traiter ces problèmes en musique ?

Ça m’offre une plateforme ou un endroit où je peux exprimer ces idées sans avoir à les articuler verbalement, sans avoir à prendre part à ces longues discussions dramatiques chez un psy. En particulier avec l’accident ou ses répercussions que j’ai vécues, la douleur résiduelle, le facteur mental et tout, parfois c’est bien de pouvoir exprimer ses sentiments et ses opinions quelque part. Ce n’est pas tant une conversation avec quelqu’un auprès de qui tu recherches une aide qu’une conversation intérieure lors de laquelle tu essayes de définir les choses y répondant. Dans le cas de nombreuses chansons que j’écris, parce que la chanson existe et parce que j’ai pu mettre des paroles dessus, je ne suis plus obligé de porter ça toute la journée comme un fardeau dans mon esprit. Le plus important est que je sens que, aussi dramatique ait été cet accident, il n’a pas fait de moi quelqu’un de différent d’autrui ou de qui j’étais avant. J’écris ces chansons pour des raisons personnelles mais j’essaye de les relater de façon à ce qu’elles aient une universalité telle que notre public peut y trouver quelque chose se rapportant à sa propre expérience. Si tu regardes le récit personnel de chacun, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit d’intrinsèquement différent entre moi, toi et tous les autres. Je pense que nous subissons les mêmes choses. Les spécificités et les variables sont juste légèrement différentes. De façon intéressante, le fait de relayer de telles pensées graves et de telles émotions personnelles au travers de nos chansons m’aide à communiquer avec notre public, qu’en majorité je n’ai jamais rencontré ou que je ne connais pas. Donc, le fait de pouvoir parler sur scène, à un public, de quelque chose à quoi ils peuvent s’identifier m’aide à communiquer avec les gens.

Au final, la musique n’est qu’une forme de communication. Il me semble, surtout après Purple, que la réaction de notre public était plus forte, plus directe et plus émotionnelle. Il y a un niveau de participation bien plus élevé entre le public et le groupe. Je mets ça sur le compte des chansons que les gens voient comme étant authentiques ou bien du fait qu’ils y trouvent une part de leur propre vécu. C’est quelque chose que j’ai toujours remarqué dans les musiques qui m’ont affecté. Je ne me mets pas dans la peau du compositeur, j’applique mon propre filtre sur les paroles et les chansons qui me semblent importantes. C’est vraiment tout ce que j’espère pouvoir dégager de nos chansons, auprès des gens qui prêtent attention aux paroles ou viennent à un concert. C’est de la musique, donc c’est censé être joué face à un public. Ça fonctionne mieux quand il y a une participation. Ces dernières années, le fait de s’ouvrir un peu sur les sujets et d’essayer de parler de circonstances plus précises et particulières de façon plus directe a eu, semble-t-il, cet étrange effet inverse de parler à plus de gens. Plus c’est spécifique, plus c’est personnel, plus les gens s’intéressent à notre musique. Je trouve ça cool. Donc, sur Gold & Grey, j’y suis allé à fond. Au risque de sur-dramatiser ou de paraître exagérément émotionnel, je sais que ces chansons traitent toutes de choses importantes à mes yeux. Ce que j’espère seulement, c’est que ça s’étende à notre public, quand ils vivent des expériences similaires.

« Afin de faire quelque chose de convaincant pour notre public et d’être respectueux de notre public, c’est important que nous n’écrivions pas notre musique pour lui. »

J’imagine que c’est aussi une façon d’extraire une forme de beauté dans quelque chose de sombre…

Oui, ma situation peut parfois vraiment s’assombrir, comme pour n’importe qui, je suppose. La plupart des musiques qui traitent de sujets graves parlent de ruptures, de peines de cœur, de perte, de confusion, d’anxiété, de stress, de frustration… Ceux-ci ont toujours été pour moi les sujets les plus naturels à traiter en musique, car ce sont ceux que j’ai le plus de mal à traiter dans le monde normal et qui provoquent en moi les émotions les plus sensibles, et ils correspondent aussi à des sentiments que j’ai en commun avec d’autres gens, j’en suis convaincu. Et je trouve ça extraordinaire qu’on puisse transformer ces émotions négatives en quelque chose de positif à travers l’art ou qu’on puisse tirer des leçons de façon indirecte grâce à cette forme d’expression. Ça a toujours été, pour moi, une particularité géniale de la musique. Quand on parle de la nature cathartique de la musique, on frise l’un des plus gros clichés et l’une des plus grosses platitudes qu’on puisse entendre de la part d’un chanteur dans un groupe, mais j’ai appris via notre musique que peut-être ces clichés ont plus qu’une once de vérité, car c’est clairement ce que je ressens après avoir écrit une chanson où nous creusons profondément à un niveau émotionnel. Ces chansons me donnent la sensation d’être importantes pour moi. On doit prendre ce qu’il y a d’authentique en nous en tant que musiciens et compositeurs, et trouver une façon de relayer ces idées qui nous est propre. Dans tous les cas, le but de Baroness a toujours été de se creuser sa propre niche. J’espère qu’à un moment donné dans notre carrière les gens reconnaîtront la musique que nous jouons avant même de voir le nom du compositeur. J’aimerais croire qu’avec l’âge, à mesure que nous progressons en tant que groupe, nous devenons de plus en plus singuliers, au lieu d’être plus en plus répétitifs ou autre.

L’album s’intitule Gold & Grey. La dernière fois que vous avez employé deux couleurs pour intituler un album, il s’agissait de Yellow & Green, un double album. Pourquoi alors employer deux couleurs pour un seul disque cette fois ?

Tout d’abord, nous avons toujours essayé de trouver un moyen d’éviter d’appeler l’album Orange. Si tu regardais toutes les démos que nous avons faites pour l’album et toutes les sessions d’enregistrement, il s’appelait Orange jusqu’à trois jours avant de l’envoyer au mastering. Et ensuite, nous avons trouvé des paroles qui… Il y a une phrase dans l’album qui utilise les termes « gold » et « grey », mais aussi j’avais l’impression que l’esprit de l’album était similaire à celui de Yellow & Green. Puis c’était aussi une façon d’embrouiller les gens. Ce n’est pas un double album mais en intitulant cet album Gold & Grey, vu que nous avons sorti un double album qui s’appelle Yellow & Green, ça donne un peu l’impression que ce pourrait là encore être un double album. C’est une manière pour nous d’essayer d’emmerder les gens. Mais c’est un long album et sa philosophie est vraiment en phase avec le titre.

Qu’as-tu contre la couleur orange ?

Ce n’est pas un nom qui sonne très bien [petits rires]. Ce n’est pas un nom très excitant pour album, selon moi. Il faut suivre son instinct. J’essayais tout le temps de trouver une manière de… Car j’ai fait un tas d’interviews après la sortie de Purple et les gens voulaient savoir comment le prochain album allait s’appeler. J’en avais vraiment marre que les gens me demandent ça alors que Purple venait à peine de sortir et que ces histoires de titres étaient le cadet de mes soucis, et j’en avais aussi un peu marre des titres chromatiques, donc je disais aux gens à droite à gauche : « Non, on ne va pas l’appeler Orange. » C’est le nom que la plupart des gens pensaient que l’album aurait, car l’idée de ces titres d’album est basée sur la roue chromatique de l’artiste, qui contient six couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet ou pourpre. Donc, d’une certaine façon, nous essayions de suivre ce concept et la seule couleur restante était l’orange, or cette couleur n’est pas vraiment cool ! A quoi pense-t-on quand on pense à l’orange ? On pense à des cônes de chantier sur les autoroutes ou à des panneaux d’avertissements… Rien que niveau sémantique, ce n’est pas une couleur aussi poétique que l’or et le gris, mais ce n’est pas non plus aussi poétique ou évocateur que le violet, le jaune, le vert, le bleu et le rouge, selon moi. J’ai donc trouvé cette phrase dans l’album qui contenait les mots « gold » et « grey » et puis il y en a une autre qui rime avec ça, et mon approche de l’illustration allait toujours être entre l’orange et le gris, donc le doré, pour ma part, est une façon légèrement plus poétique de dire orange. La question ne se posait même pas, car ça m’aidait à établir le lien thématique avec l’illustration que j’allais réaliser. Ça résolvait le problème de trouver un substitut au titre Orange, car ça reste cohérent. Si tu regardes la pochette ou le packaging, qui n’est pas encore disponible, il y a un tas de private jokes ou de références au fait que l’album était censé s’appeler Orange, sauf que… L’orange est partout sauf dans le nom. Donc, c’est en partie une réaction aux attentes, en partie une réaction à l’album lui-même, en partie une réaction à la façon dont il a été fait ou à l’esprit avec lequel l’album a été conçu, et en partie parce que ça sonne cool, tout simplement !

A propos de cette peinture, tu as déclaré qu’elle « est née d’une réflexion profondément personnelle sur les douze dernières années de l’histoire du groupe, et elle sera la sixième et dernière œuvre de [votre] série d’albums chromatiques ». Vois-tu cet album comme la fin d’un cycle ?

C’est au moins la fin du cycle durant lequel nous savions comment nous allions appeler les albums. Pour certains albums, c’est un détail, pour d’autres, c’est une partie essentielle, mais je pense qu’à ce stade, l’idée n’avait que six parties et nous sommes arrivés au bout. Si nous poursuivons ce concept, nous allons devoir casser l’idée originale et, en outre, je trouve ça excitant que, désormais, pour notre prochain album, nous commencions avec moins de paramètres connus qui pourraient influer sur la direction que nous allons prendre. Le temps nous dira si oui ou non nous avons fini un cycle et si nous allons en commencer un nouveau. Dans tous les cas, nous avons fini cette idée et nous sommes libres de faire tout ce que nous voulons à l’avenir. Nous pouvons rester sur les couleurs ou totalement abandonner ça, tout dépend de nous. Il n’y a aucune raison pour que nous soyons obligés de commencer le prochain album en pensant à la couleur à laquelle il sera associé. Si nous le faisons, nous le faisons. Sinon, nous avons la liberté de prendre cette décision désormais.

« On ne peut jouer qu’un nombre limité de notes. Donc personne ne vole véritablement la musique de quelqu’un d’autre. Si quelqu’un a une bonne idée, je veux l’entendre pour pouvoir l’utiliser à ma façon. »

Est-ce que tu veux dire que ce cycle de six couleurs était un plan que vous aviez dès le départ ?

Oui, mais seulement pour blaguer. Quand nous avons signé chez Relapse Records en 2006, notre batteur a plaisanté… Car je ne voulais pas de longs titres d’albums, je trouvais qu’il était important que nous ne donnions pas plus d’informations que nécessaire avec un titre d’album. Quand nous sommes apparus, nous sortions des EP, et les EP étaient First, Second et Third. Je voulais donc continuer sur ce type de concept pure et simple, et sachant que j’allais réaliser l’illustration, notre batteur a suggéré que si nous utilisions des couleurs, au moins ça me faciliterait un peu la tâche au moment de commencer l’illustration. Mais je crois que la blague était, comme il le dit : « Imagine, si on arrive au bout, la gueule qu’aura notre table de merch ! » C’était un argument suffisant pour suivre cette idée à partir de laquelle nous avons construit un concept qui s’est étalé sur douze ans. Ce n’est pas comme un concept de science-fiction façon rock progressif. Ce n’est qu’une simple façon d’exprimer certains de nos objectifs créatifs et de sortir des albums sans que les gens aient une idée bien précise de ce qui se passe à l’intérieur rien qu’en lisant le titre, et j’ai toujours trouvé ça génial. Si tu dis « cet album s’appelle Kicking Christ In The Balls ! », eh bien, on sait pertinemment que ce ne sera pas un album de reggae, ce sera probablement un album de metal. Mais avec Orange, Red, Blue, Purple, Gold, Grey, etc., ça pourrait être tout et n’importe quoi.

Notre mentalité de groupe veut que nous n’essayions pas de restreindre notre public, nous n’essayons même pas de définir notre public ou de jouer pour un public particulier. Nous invitons tous ceux qui ont bien envie d’écouter ce que nous jouons et nous les laissons décider. Donc ça soutient l’idée d’être légèrement vague, mais en proposant des titres suffisamment évocateurs pour rendre les gens curieux et qu’ils s’y intéressent. En outre, l’une des choses les plus intéressantes et qui a maintenu l’intérêt de cette idée est le fait que notre public cherche une signification dans ces titres, et très souvent, une grande partie des idées qu’ils trouvent sont différentes des miennes. En fait, nous avons vraiment réussi à créer des albums qui laissent l’auditeur tirer ses propres conclusions. L’idée était justifiée à bien des égards. Mais douze ans, c’est long ! Et ça fait beaucoup de bien désormais de ne plus rien avoir à faire de spécifique. C’est un autre truc, en ce qui concerne notre façon d’écrire ces albums ; chaque album est écrit de telle manière que, peu importe comment il est reçu, nous avons l’impression d’être face à une toile vierge pour l’album suivant. Nous n’avons pas encore joué toutes les chansons en concert, mais notre prochain album pourrait être entièrement acoustique, ça pourrait un album de thrash metal, ça pourrait être un album de noise rock, ça pourrait être de l’électronique, et aucune de ces idées ne serait incongrue, car avec Gold & Grey, nous avons fait une déclaration qui nous permettra dans les années à venir une certaine ouverture musicale.

Quand vous avez démarré avec la couleur rouge, connaissais-tu les couleurs et l’ordre dans lequel vous les utiliseriez sur les albums suivants ?

Pas l’ordre, non. Je savais que ça allait être rouge, orange, jaune, vert et bleu, mais nous ne pensions pas que nous allions faire plus d’un album à ce stade. C’est presque comme si chaque album que nous avons fait était potentiellement le dernier que nous ferions. Aujourd’hui, je sais que ça fait suffisamment longtemps que nous existons pour que nous puissions continuer à exister, mais quand nous avons démarré, tout le monde était si jeune que nous n’imaginions pas que nous jouerions de la musique vingt ans plus tard, d’ailleurs personne d’autre ne l’imaginait [petits rires]. Le line-up est différent aujourd’hui de ce qu’il était quand nous avons débuté. J’espère que nous avons enfin trouvé un bon line-up stable, c’est en tout cas l’impression que j’en ai. Pour ce qui est de planifier les choses en avance, ce n’est pas mon genre, je suis trop névrosé. Ma vie est trop chaotique pour dire que je pourrais ne serait-ce que commencer à expliquer quelque chose que je voudrais faire dans un an. Je peux parler de ce que je pense que nous allons faire sur notre prochain album, mais à chaque fois que je dis que je vais faire un truc, je finis par faire totalement l’opposé. Ce n’était qu’un vague concept et je ne pensais pas que nous allions nous y tenir. D’ailleurs, j’ai essayé de le changer à quelques occasions. Je ne voulais pas que Purple ait une couleur pour titre, mais ça n’avait aucun sens que ce ne soit pas le cas. L’idée de la couleur violette était très importante pour l’album en lui-même. Nous prenons nos décisions sur la base des faits au moment où nous prenons la décision. Dire que quand nous avons commencé je pensais que nous nous y tiendrions jusqu’au bout serait un peu absurde, car et s’il y avait une bonne raison de ne pas nommer un de ces albums d’après une couleur ? Alors j’aurais été coincé. Tu élabores les choses au fur et à mesure, mais nous nous assurons toujours que nos idées aient une raison d’être. Pour tout ce que nous faisons, nous pouvons au moins répondre au pourquoi ça a été fait, mais nous n’essayons pas de réfléchir trop en avance, car les choses ont tendance à changer si vite et de façon si dramatique dans ce groupe que ça paraît inutile d’essayer de contrôler ce qui est incontrôlable.

Autant ceci est le dernier d’une série de six albums, autant tu as aussi déclaré que l’illustration de Gold & Grey « n’est que la première pièce d’un plus grand puzzle ». Que voulais-tu dire ?

Ce groupe n’est pas défini par un album ou un autre, c’est un continuum. Le concept fondamental du groupe reste le même mais le résultat doit changer. Pour tout ce qui est gravé dans le marbre, il y a en contrepartie quelque chose de tout autant flexible. Artistiquement, moralement, éthiquement, nous sommes intransigeants et il n’y a aucune flexibilité quant à nos ancrage et objectif créatifs, mais comment nous y parvenons, comment nous sonnons et tous les autres détails, c’est comme on veut. En fait, il est nécessaire que nous ne nous répétions pas. Je pense qu’il est impossible de ne pas écrire des chansons qui sonnent comme ou rappellent d’autres chansons, mais nous faisons de notre mieux pour éviter ça. Nous faisons de notre mieux pour nous assurer que, lorsque nous avons réussi quelque chose avec une chanson, ce soit le seul exemple de ce type, et ensuite, pour tout le reste, nous devons changer quelque chose pour rester souples et sur le qui-vive, et faire que le son évolue. Ça a toujours été important pour ce groupe d’ignorer ce qui a déjà très bien fonctionné, ou d’ignorer ce qui de toute évidence fonctionne bien, afin de pouvoir identifier quelque chose qu’on croit être inefficace ou faible sur un ancien album et le transformer en force sur les albums suivants, et ainsi, sur une longue période de temps, on affine et améliorer constamment les choses. Je ne sais pas, j’ai l’impression de ne pas avoir vraiment répondu à la question mais voilà [petits rires].

« L’accent est bien plus mis sur la compétence technique que dans les années 90, lorsque je faisais mes premières grandes découvertes musicales. Ce n’est pas un problème mais c’est une épée à double tranchant. Je ne pense pas qu’être le meilleur musicien au monde fera qu’il te sera plus facile de composer. »

Gold & Grey est un véritable patchwork de styles et tu as même comparé cet album à une playlist. C’est plutôt bien vu comme analogie : cet album représente-t-il ta playlist idéale ?

Au moment où nous l’avons écrit, oui. Ceci était l’album que j’aurais aimé que quelqu’un d’autre ait écrit et enregistré, car j’aurais vraiment voulu entendre quelque chose comme ça sur disque. Je pense que c’est la mentalité que nous appliquons à chaque album. Encore une fois, je pense qu’afin de faire quelque chose de convaincant pour notre public et d’être respectueux de notre public, c’est important que nous n’écrivions pas notre musique pour lui. Nous avons toujours écrit la musique que nous voulions entendre. Parfois ça sonne plus direct, parfois ça sonne moins direct, mais l’idée est toujours que nous essayons de créer de la musique que nous aurions vraiment souhaité que quelqu’un ait créée avant nous, car c’est ce que nous voulons entendre, c’est ce qui nous intéresse, ce sont des idées qui nous excitent. La conviction du groupe est ce qui génère l’intérêt du public.

Toute l’histoire des playlists, j’entends constamment les gens en discuter : ceux qui étaient là avant la révolution du MP3 de se plaignent plus facilement que les gens n’écoutent plus la musique de la même manière et patati et patata, YouTube, Spotify et ainsi de suite. Je m’en fiche. Je veux dire que je trouve ça génial ! Mais c’est différent. D’une certaine façon, c’est excitant parce que ça uniformise les règles du jeu. Ça a remanié toutes les préoccupations classiques associées aux albums. La différence dans la façon dont on découvre et assimile la musique a changé la façon dont la musique est jouée et composée. Je ne voudrais jamais être un de ces groupes qui regardent la musique dans le rétroviseur. Pour nous, il s’agit de regarder l’avenir et de comprendre la façon dont les choses se déroulent dans le contexte moderne. Le fait de réaliser que les gens se soucient généralement plus des chansons individuelles et de cette idée de playlist – qui, selon moi, n’est que la manière moderne de s’intéresser à chaque morceau de musique ayant jamais été enregistré, accessible au bout de nos doigts à n’importe quel instant – fait qu’il est indéniablement important pour des artistes comme nous de s’assurer que tout ait une raison d’être, ou s’accorde avec le concept qu’on est en train d’élaborer. L’idée que nous puissions écrire un album contenant tous les rebondissements et toute la variété sonore que pourrait contenir une playlist compilant différents artistes était un défi. C’était un vrai casse-tête à résoudre, et c’est pourquoi c’était important, c’est pourquoi nous l’avons fait. Je ne sais pas si nous avons réussi, car quand je l’écoute, tout sonne comme faisant partie du même album, mais il est clair que nous nous sommes assurés qu’il y ait suffisamment de diversité dans cet album pour maintenir l’attention de l’auditeur d’un bout à l’autre.

A quel point la diversité de styles que tu écoutes est-elle vaste ?

C’est énorme ! J’écoute du grindcore, du jazz, du classique, de la country, de l’électronique, du hip-hop… Tout ce que tu veux ! J’écoute les bons artistes. J’écoute les artistes qui m’inspirent. Pour moi, le style n’a jamais été un critère pour expliquer pourquoi j’aime un groupe. J’aime les groupes qui font des choses intéressantes. J’aime les bonnes chansons. Si je devais restreindre ce que j’écoute à un type de musique, j’aurais le sentiment de manquer trop de choses. Il n’y a aucun style que je n’écoute pas, pas à ma connaissance en tout cas, et si j’entends parler de quelque chose que je n’ai pas écouté, j’essaye de l’écouter. Je crois que l’autre rôle des musiciens à notre époque est de se tenir informés. C’est presque crucial qu’on écoute le monde qui nous entoure et ceci implique d’écouter les nouveaux styles de musique, comme les anciens. J’essaye d’aller voir des concerts dès que je peux, car j’ai envie de savoir ce qui se passe, si quelqu’un a une bonne idée. C’est de la musique après tout. On ne peut jouer qu’un nombre limité de notes. Donc personne ne vole véritablement la musique de quelqu’un d’autre. Si quelqu’un a une bonne idée, je veux l’entendre pour pouvoir l’utiliser à ma façon. Je pense que ça se prête bien à la diversité des textures et des idées qu’on retrouve sur cet album.

Ce n’est pas un souci si certains groupes jouent en restant cantonnés à la musique à laquelle on les associe. Si tu t’identifies comme un bluesman, alors ouais, tu joues selon les règles du blues, mais si tu n’adhères à aucun style en particulier, alors tu es libre d’emprunter et de voler à chaque style de musique. C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous avons toujours fait. Ce n’est pas comme si nous intégrions un style extérieur à notre propre style : nous pouvons potentiellement jouer tous les styles de musique. Il n’y a aucune raison de ne pas faire quelque chose qui sonne bien ou qui exprime nos idées musicales plus efficacement que les méthodes que nous avons utilisées par le passé. Nous pouvons utiliser de nouvelles choses, de vieilles choses, nous pouvons faire tout ce que nous voulons, parce qu’au bout du compte, c’est de la musique. Donc, quand il s’agit de composer, je ne m’identifie à rien. Tout m’est disponible. Ce n’est vraiment qu’un problème de capacité. Si tu veux être à la pointe de quelque chose, il faut regarder à l’extérieur. Il faut constamment regarder dans les endroits les plus inattendus, ce sont ceux qui ont le plus de chances de te donner de l’inspiration fraîche.

« Nous sommes sûrs que même dans l’éventualité où ça ne marche pas, même face à un échec relatif, nous apprenons quand même quelque chose, nous faisons quelque chose qui a de la valeur. Nous n’essayons pas de tout réussir à cent pour cent, car je n’ai pas l’impression que ça produise des résultats, mais plus de la déception qu’autre chose. »

Que recherches-tu en priorité dans une chanson, indépendamment du type de chanson ?

En tant que compositeur, ça dépend vraiment de la chanson. Il y a certaines chansons où j’essaye d’accomplir quelque chose et d’autres où je me dis que ce serait une erreur d’essayer quoi que ce soit, car ça irait à l’encontre de l’objectif de ce type spécifique de chanson que nous écrivons. Mais, de façon générale, nous essayons simplement de composer de meilleures chansons et nous essayons d’être clairs dans nos intentions et plus efficaces dans l’utilisation de nos techniques. C’est un fil directeur pour moi : la technique peut être une béquille, mais on peut utiliser la technique pour soutenir une idée de chanson particulière ; tout ce qu’on fait doit servir la chanson. Donc peu importe comment on le fait, tant que ça améliore l’efficacité, la créativité ou le contenu émotionnel, tant que ça aide la chanson, c’est une bonne chose. De façon générale, les gens nous voient comme un groupe de rock ou un groupe qui fait des trucs heavy ou je ne sais quoi, mais ce n’est pas comme ça que je nous vois. C’est amusant de composer de la musique heavy mais c’est aussi amusant de composer une chanson calme qui n’a qu’un couplet et un refrain. Pour moi, il n’y a aucune règle, je ne prête attention à rien, il n’y a pas de mentalité générique pour quoi que ce soit. Tant que la chanson sonne comme nous et tant qu’elle donne le sentiment que nous améliorons nos compétences de compositeurs, alors nous enregistrerons cette chanson et la sortirons.

En tant que qu’auditeur, je cherche juste à réagir. Je réponds le plus favorablement aux chansons qui me font ressentir quelque chose ; sur un petit nuage, introspectif, joyeux, triste… Tout ce que tu veux ! Enfin, je suppose que j’ai un penchant pour les sources musicales plus dépressives, mais ce n’est pas exclusif. L’art et la musique sont là pour nous permettre de ressentir des choses d’une nouvelle manière. C’est ce que je recherche. Je veux ressentir des choses d’une nouvelle manière, constamment. C’est beaucoup demander. Ça fait qu’il est très difficile de découvrir quelque chose d’extraordinaire, mais parce que je recherche des réponses émotionnelles puissantes, parce que je veux ressentir quelque chose de profond en écoutant de la musique, ça me force à écouter une tonne de musique ! Je suis constamment à l’affût pour découvrir des nouveautés. J’ai envie de trouver des artistes, des chansons et des albums que je peux écouter sans cesse tout en vivant une expérience évolutive à chaque écoute. J’apprécie beaucoup entendre des groupes qui procèdent à des changements à chaque fois qu’ils sortent un album, qui visent un développement personnel. C’est pourquoi je parle souvent de Pink Floyd en interview, car ils ont tellement changé au fil de leur carrière que ça devient magnifique et palpitant à écouter. J’ai vraiment l’impression, ces derniers temps, qu’il y a occasionnellement cette attente qui… Tu sais, la première chose que tu sors doit être la meilleure chose que tu sortiras jamais, tout doit être parfait tout le temps. Les gens sont de plus en plus compétents, l’accent est bien plus mis sur la compétence technique que dans les années 90, lorsque je faisais mes premières grandes découvertes musicales. Ce n’est pas un problème mais c’est une épée à double tranchant. Je ne pense pas qu’être le meilleur musicien au monde fera qu’il te sera plus facile de composer. A la fois, je n’écoute pas que du rock n’ roll basique. Tout est super ; si c’est super, c’est super.

Je ne sais pas si mon opinion est différence de celle de la majorité des gens. Peut-être que je dis ce que tout le monde ressent. C’est ma vision. Ça devient un peu plus difficile de joindre le geste à la parole quand on dit ce genre de choses, car ça donne l’impression qu’il serait très facile de mettre en place une méthode et un système pour la composition, et quand tu as compris ce système qui fonctionne, tu t’y tiens parce que c’est le système qui te fera gagner de l’argent et des fans, mais je ne crois pas en une telle méthode. Je dois avoir le respect de mes collègues dans le groupe et je dois gagner leur confiance, au point de pouvoir faire quelque chose qui pourrait ne pas marcher. Nous sommes sûrs que même dans l’éventualité où ça ne marche pas, même face à un échec relatif, nous apprenons quand même quelque chose, nous faisons quelque chose qui a de la valeur. Nous n’essayons pas de tout réussir à cent pour cent, car je n’ai pas l’impression que ça produise des résultats, mais plus de la déception qu’autre chose.

Pourquoi penses-tu avoir plutôt un penchant pour la musique dépressive ?

Je ne suis pas seulement attiré par les atmosphères dépressives. C’est juste que j’aime ça parce que ça provoque en moi une réaction émotionnelle. Je ne sais pas trop pourquoi. J’ai toujours adoré la musique agressive également. Ça ne me rend pas plus ou moins dépressif ou agressif que d’autres gens. C’est juste quelque chose que j’aime dans la musique, car afin d’exprimer ces émotions, il faut les ressentir. Je ne connais pas beaucoup de groupes qui ont un son extraordinairement furieux et qui n’ont pas un certain niveau de colère intrinsèque. Je ne connais pas de groupe qui aborde sérieusement des sujets sérieux sans les ressentir. Je pense que c’est un peu plus facile de simuler l’enthousiasme que ce type de sentiment. D’un autre côté, ce n’est pas non plus la raison pour laquelle j’écoute ça. C’est que ça me provoque une réaction émotionnelle. J’aurais aimé savoir pourquoi ! Tu sais, j’ai des amis qui ont écouté cet album et ils m’ont demandé si j’allais bien [petits rires]. Et je leur ai répondu : « Ouais, bien sûr que ça va ! » En fait, écrire ce genre de musique plus mélancolique me permet d’être plus content et heureux au quotidien, car j’ai cet exutoire pour exprimer le côté plus sombre de la vie. Il y a aussi des gens qui ne comprennent pas trop, mais c’est aussi ce qu’il y a de beau dans la musique : il y a quelque chose pour tout le monde. Ce qui est beau pour une personne peut être horrifiant pour une autre. Ça fait partie de la grande diversité de la vie.

Interview réalisée par téléphone le 10 mai 2018 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Pam Strohm (2, 7), Jimmy Hubbard (3, 4), Dana Distortion (5, 8, 10) & Ross Halfin (9).

Site officiel de Baroness : yourbaroness.com.

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