Les vertus régénératrices de l’art trouvent en John Baizley un écho éloquent : accompagné de son ami au long cours Pete Adams, il a réussi à remettre à flot l’embarcation Baroness après une tempête qui aurait pu mettre non seulement fin à l’aventure, mais également aux vies des quatre membres de l’époque. Un terrible accident de tour bus, la peur de perdre un bras, la base rythmique du groupe qui ne trouve plus la force de continuer le périple, et c’est tout un monde à reconstruire, une entité à reformer et des bases créatives à retrouver. Baroness avait écrit Yellow & Green, le précédent bucolique et langoureux double album, juste avant le crash dont ils ont été victimes. Il l’a tout de même défendu, dans une tournée remarquée, seulement peu de temps après l’événement qui aurait pu mettre fin à tout, se replongeant corps et âme dans le travail à la fois musical et graphique, puisque Baizley œuvre également dans la peinture et le dessin, signant au passage un certain nombre d’artworks pour divers groupes dont le sien, avec un trait remarquable et un style immédiatement reconnaissable.
Les amis John et Pete se sont-ils inconsciemment ou volontairement dégagés des affres voluptueuses de Yellow & Green pour retrouver la route tracée par les albums Red et Blue ? La volonté du groupe de se renouveler à chaque album pour faire quelque chose de différent a en tout cas incontestablement tiré ce changement, et dans le rendu, on voit aujourd’hui aisément Yellow & Green comme une parenthèse, Purple signant un retour du groupe tout en énergie aux affaires mélodiques d’un rock à tendance sludge plus que jamais ouvert et accrocheur. John Baizley croit en l’influence d’un producteur sur le son d’un album, et il a ici voulu faire confiance à Dave Fridman ayant notamment travaillé sur « The Soft Bulletin » des Flaming Lips ou avec les MGMT, qui apporte une patte différente des productions précédentes de Baroness, l’incrémentant d’une richesse particulière à travers nombre de subtilités d’arrangements, de choix de sons et d’effets détonants (« The Iron Bell », « Shock Me », « Desperation Burns », …).
Baroness ne cède pourtant pas aux sirènes d’un rock facile d’accès et édulcoré. On retrouve une aisance et une agressivité dans les riffs (« Morning Star », « Desperation Burns ») digne des meilleurs moments de Red et le soutien d’un ensemble rythmique puissant qui pousse le groupe à sortir sur ce Purple parmi les titres les plus intéressants de sa discographie. Un mélange de délicatesses (la ballade de fin « If I Have To Wake Up (Would You Stop The Rain) ») et d’une dynamique retrouvée à travers des morceaux énergiques comme « Kérosène » ou le très radiophonique « Shock Me », tout en gardant des compositions suffisamment complexes pour garder un intérêt musical important, voilà le mariage approprié trouvé par Baroness et Fridman pour que le groupe poursuive son ascension aux confins d’un univers alternatif un brin métallique, et possédant désormais une dimension sophistiquée dont il ne pouvait se targuer auparavant.
Un autre point d’orgue du contenu de l’album et de l’évolution du groupe réside dans la voix de John Baizley, qui outre le fait de conserver une part non-négligeable de l’intensité des débuts, réussit le pari de mélodies avisées, nouvelles et accrocheuses sans linéarité enquiquinante, et en allant chercher des gammes nouvelles. Ne ressemblant à la fois à aucun autre album de Baroness, Purple réalise tout de même avec brio un rappel significatif des arguments mélodiques et musicaux des trois précédents en apportant des avancées éclatantes (« Chlorine And Wine », « Shock Me »). En tendant vers la lumière, Baizley et ses acolytes ont tiré Baroness de ce qui aurait pu être un abîme sans fond. Ils ont même fait de cette ascension un album brillant de toutes parts.
Ecouter l’album en intégralité :
Voir le clip de « Chlorine And Wine » :
Album Purple, sorti le 18 décembre 2015 via Abraxan Hymns.