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Interview   

Betraying The Martyrs mûrit son art


Parmi les groupes français qui montent, et qui s’exportent, Betraying The Martyrs fait partie des premiers noms à venir en tête. En neuf ans d’existence, les parisiens ont su trouver leur place dans une scène deathcore pas toujours facile à aborder. Ils nous proposent à présent un troisième album, Resilient, plus aéré et efficace mais en même temps plus riche et travaillé, qui confirme le statut du groupe.

Nous avons rencontré Victor, chanteur et claviériste du groupe, pour analyser avec lui le parcours, l’état d’esprit et les ambitions de la formation, mais aussi sa résilience, comme pourrait l’annoncer le titre de leur dernier opus, et sa capacité de remise en question.

« Depuis que nous sommes formés, nous avons toujours eu un rythme assez effréné, nous sommes jeunes, nous avions des rêves plein la tête et ça fait quelques années que nous les réalisons tous. »

Radio Metal : L’écriture de cet album a commencé le jour même de la sortie du disque précédent, Phantom. Qu’est-ce qui a enclenché ce dynamisme dans votre créativité ?

Victor Guillet (clavier & chant) : Le jour où Phantom est sorti, nous avions même déjà deux ou trois chansons bien avancées. Il se passe tellement de temps maintenant entre le moment où l’album est terminé et le moment où il sort qu’évidemment, nous avons le temps de composer des choses pour la suite. Depuis que nous sommes formés, nous avons toujours eu un rythme assez effréné, nous sommes jeunes, nous avions des rêves plein la tête et ça fait quelques années que nous les réalisons tous. Du coup, tout ça nous porte énormément et ça ne nous donne pas du tout envie de nous arrêter là. Même en tournée, dès que nous avons cinq minutes, nous nous posons dans un coin, nous écrivons un riff de guitare, nous essayons les mélodies au piano… Donc c’est un peu constant. Nous sommes vraiment dans un rythme continu où nous avons tout le temps envie de créer, tout le temps envie d’apporter de nouvelles idées, d’améliorer nos performances live, d’améliorer nos chansons… Nous y réfléchissons tout le temps. Nous avons une discussion Facebook entre membres du groupe qui sonne toute la journée, c’est insupportable ! [Petits rires] Même quand moi, je ne parle pas, il y en a forcément plusieurs qui se parlent dessus, donc ça tourne toute la journée ! Donc il n’y a pas forcément un truc qui a fait que nous avons voulu écrire cet album. Ça a été dans la continuité de continuer à créer.

Tu parles de composer en tournée, et je sais qu’il vous est arrivé d’écrire des morceaux dans le cadre de sessions compo improvisées dans le van en plein milieu du Texas. Est-ce que ce genre de cadre influence l’écriture ?

Bien sûr ! Après, pour tout te dire, c’est vrai que nous avons eu plusieurs anecdotes où nous avons beaucoup écrit en tournée, au fin fond du Texas, et ça, pour le coup, c’était plutôt pour l’album Phantom, justement, qui est sorti avant. Pour cet album-là, nous avons vraiment décidé de prendre du temps off, à la maison. En 2016, nous n’avons pas fait énormément de concerts – ça doit déjà être une centaine, bien sûr, mais c’est peu pour nous –, nous voulions prendre le temps de nous asseoir, tous ensemble, de construire des chansons et de faire les choses comme il faut. Notamment, au niveau de la façon dont nous avons enregistré, c’est la première fois que nous partons à l’étranger, nous sommes allés en Angleterre, avec un producteur que nous avions choisi à l’avance, avec lequel nous nous sommes enfermés pendant un mois, dans un trou paumé en Angleterre, à ne faire que réfléchir à l’album, à de nouveaux moyens de le faire mieux sonner, tout le temps. Pendant un mois, nous ne pensions à rien d’autre qu’à ça, et c’est une expérience nouvelle pour nous. Nous avons toujours enregistré les trucs nous-mêmes, par-ci, par-là, dès que nous avions le temps, et là, nous ressentions vraiment le besoin de vivre cette expérience-là, et ça a été extrêmement enrichissant.

Les voyages de tournée peuvent souvent se faire dans des conditions plutôt spartiates. Dirais-tu que ces conditions sont plus inspirantes que le confort d’une salle de répétition spacieuse ?

[Petits rires] C’est une très bonne question ! [Réfléchit] En gros, ce qui est bien, c’est d’écrire des riffs en tournée, avec le vécu qui va avec et l’ambiance, c’est vachement bien. Genre, je suis là, je vois des concerts, j’entends des groupes qui parlent de trucs, il y a de la musique tout autour de moi, il y a des trucs que je vois des groupes faire sur scène, je me dis : « Putain, ça c’est vachement efficace ! », du coup je vais revenir sur un truc que j’avais, et je vais faire : « Ouais, mais ça marche vachement mieux si on le fait comme ça, en fait ! » Donc le riff n’a rien à voir à la base, mais juste la façon dont il a été fait, le mec a mis son blanc ici et pas là, et c’est beaucoup plus efficace… Enfin, des choses comme ça qui nous influencent autour d’une tournée. Donc évidemment, c’est une énorme source d’influence, plus que si on reste à la maison et qu’on écoute des albums, c’est sûr. Et puis même si on parle en termes de paroles, nous avons beaucoup plus de trucs à raconter quand nous avons vécu des trucs de ouf ! Je sais qu’il y a pas mal de chansons qui ont été écrites par Aaron [Matts], littéralement dans le van, à l’avant, en traversant le désert, et c’est là qu’il a par exemple écrit la chanson « Where The World Ends », qui est sur Phantom. Il l’a écrite là car il s’est mis à relativiser sur tout le chemin que nous avions fait, en tant que groupe de musique, tout ce que nous avions vécu, etc., et il en a écrit une chanson, comme ça. C’est vrai que les conditions de tournée, le fait d’être tous ensemble, c’est extrêmement inspirant. Après, il faut savoir créer des riffs, créer des petites mélodies, avoir de bonnes idées, mais pour le travail de construction de chansons, par contre, il faut du confort. C’est-à-dire qu’il faut prendre le temps de digérer toutes ces petites choses que nous avons créées, toutes ces influences que nous avons pu avoir. S’asseoir, digérer tout ça, et le retranscrire dans quelque chose qui va être facilement écoutable, qui va être efficace sur un album. Je pense que c’est un travail que nous avons réussi à faire sur The Resilient, et que nous n’avions justement pas réussi à faire avant, le fait de prendre le temps de digérer toutes ces influences reçues en tournée, toutes ces informations, toutes ces inspirations, de faire le tri, et de retranscrire ça comme il faut.

L’annonce de la sortie de l’album est accompagnée d’une déclaration de votre part évoquant un travail de remise en question, avec la prise en considération de vos forces et faiblesses et des succès et échecs du passé. Quel a été le résultat de cette remise en question et comment cette réflexion a-t-elle impacté le travail sur ce disque ?

Pour le coup, je vais répondre un peu comme ce que je t’ai dit plus tôt. C’est justement le temps que nous avons pris pour s’asseoir et digérer toutes nos influences. Nous sommes un groupe où nous avons tous des influences très variées, il y en a un qui va écouter plus ci, plus ça, et c’est très dur d’arriver à condenser tout ça dans un truc efficace et qui n’est pas trop chiadé. Je pense que là, la différence, c’est que nous avons pris le temps de digérer tout ça et de revoir tout ensemble. Par exemple, jusqu’à maintenant, nous avions toujours écrit la musique, nous allions en studio et nous enregistrions les paroles dessus. Là ce n’est pas du tout ce que nous avons fait. Nous avons écrit la musique, ensuite nous avons vu avec Aaron pour poser des voix par-dessus, et une fois que les voix étaient faites, nous sommes revenus sur la musique, et nous avons réadapté la musique aux lignes de voix que nous avions faites, quitte à revenir après sur les lignes de voix pour les réadapter, etc. C’est du temps que nous avons pris et que nous n’avions jamais pris avant. Nous nous sommes rendus compte que c’était absolument nécessaire à notre musique qui avait tellement d’informations différentes. Nous étions obligés de faire le tri au fur et à mesure. Nous avons jeté un nombre incalculable de riffs parce que nous ne pouvions pas tout garder. Donc nous créons beaucoup, nous avons plein d’influences différentes, mais il y a un moment où on ne peut pas tout garder, et il faut faire le tri pour que ça sonne comme il faut. C’était vraiment ça, ce travail de remise en question, le fait d’arrêter de vouloir en mettre partout et faire quelque chose de concis et d’efficace.

« C’était vraiment ça, ce travail de remise en question, le fait d’arrêter de vouloir en mettre partout et faire quelque chose de concis et d’efficace. »

Quels seraient vos points forts et vos faiblesses ?

[Réfléchit] Je dirais qu’en grandissant et avec le temps, on élimine plusieurs des faiblesses les unes après les autres, c’est à ça que sert la maturité, j’imagine. Si on doit donner les forces, c’est que nous venons vraiment tous d’horizons très différents et nous avons tous des influences assez riches à nous apporter les uns aux autres. Nous sommes un groupe jeune qui a fait beaucoup de choses dans notre jeunesse, nous avons été mis face à des situations difficiles depuis le début, qui nous ont beaucoup aidées à savoir qui nous sommes, à savoir notre place dans le groupe… Ce sont toutes ces choses-là, je trouve, qui font qu’aujourd’hui, en ayant eu tout ce vécu-là, nous avons vraiment gagné en maturité et en échanges dans le groupe, en communication. Je pense qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous avons quand la même la force d’écrire de bonnes chansons, parce que nous nous connaissons, et parce que nous savons qui fait quoi, nous savons ce qui doit marcher à tel moment. Ça, je pense que c’est vraiment une force que nous avons acquise sur la route. Après, nos faiblesses… [Réfléchit] C’est difficile ! Je pense que nous sommes des jeunes et que nous sommes un peu des têtes brûlées ; même si avec les années nous gagnons en maturité, au fond de nous, nous sommes encore un peu de jeunes fous rêveurs qui sont prêts à tout pour conquérir le monde. Je pense que ça peut être un défaut, nous sommes toujours un peu foufous, un peu éparpillés. Nous avons toujours beaucoup de choses à dire, à faire… Nous voulons beaucoup en faire, c’est clair !

Et quels ont été vos succès et vos échecs du passé, ceux qui vous ont fait le plus apprendre ?

Les échecs qui nous ont fait le plus apprendre, ça a été déjà les changements de line-up, je pense. Perdre un membre, c’est toujours difficile, et il est encore plus difficile de comprendre la raison pour laquelle il est parti et d’en tirer une leçon. Justement, nous avons perdu beaucoup de membres parce que nous avions un rythme qui n’était pas possible, et parce que ces mecs-là avaient trop de sacrifices à faire pour continuer à être dans un groupe comme le nôtre qui demande énormément de temps. Je pense que ça a été quand même hyper enrichissant de rencontrer autant de gens et d’avoir partagé cette expérience avec autant de gens différents. Nous avons beaucoup appris de ces erreurs-là. On parlait tout à l’heure de l’écriture d’album, c’est aussi un truc sur lequel nous avons le sentiment d’avoir beaucoup appris aussi. Pour les plus gros succès, c’est sûr que nous avons quand même eu l’occasion et la chance de tourner avec des groupes que nous écoutons depuis que nous sommes tout petits. Nous avons eu l’occasion de faire une tournée complète avec Slipknot, Slayer, Motörhead… Ce sont des groupes que nous écoutions depuis toujours, en tant que metalleux, et c’est vrai que ce sont de gros accomplissements dans une vie de jeune musicien, et c’est sûr que ça porte, on gagne en confiance en soi. Écrire de la musique, c’est une énorme part de confiance en soi. Il y a un moment où quand j’écris un riff, si je ne suis pas de bonne humeur ou quoi, je vais avoir tendance à me dire : « Ce que tu fais, c’est pas assez bien. Zappe, fais autre chose ». Alors que si je suis de bonne humeur et que j’ai réussi à accomplir plusieurs trucs avant, je vais être plus confiant sur ce que je suis en train de faire. Sans forcément zapper la phase de remise en question et prendre tout ce que j’écris comme de l’or, je vais avoir tendance à plus creuser un riff que j’ai écrit si j’ai confiance en moi, alors que si je n’ai pas confiance en moi, je vais laisser tomber, passer à autre chose… Alors qu’il y avait quelque chose à faire avec ce riff, putain ! [Rires]

Tu parlais de changements de line-up. Justement, peux-tu nous en dire plus sur le recrutement de votre nouveau batteur Boris Le Gal et sur ce qu’il a apporté au groupe ?

Nous avons donc rencontré Boris en 2013. Il est venu nous voir à notre concert à Londres, il avait déjà entendu parler de nous, il était français et habitait à Londres. Il a fait la Drum School à Londres, et habite là-bas depuis. Nous discutions donc avec lui, et il se trouve que nous avions déjà des problèmes avec Mark [Mironov], notre ancien batteur, qui était russe, et du coup, ça nous a tous fendu le cœur, mais quand on est russe, c’est l’enfer pour faire les tournées à l’étranger, en termes de visas, c’est vraiment l’horreur. Et donc déjà, sur cette tournée-là où Boris est venu nous voir, nous avions un batteur de remplacement, et Boris nous a demandé : « Vous avez souvent besoin d’un batteur de remplacement ? Parce qu’au pire, vous pouvez bosser avec moi si les autres ne sont pas dispo. » Nous avons fait : « Ah bon ?! Mais qu’est-ce que tu as fait ? » Boris nous explique qu’il a fait beaucoup de sessions avant, pour Neonfly, Chimp Spanner, Periphery… Il a fait quand même pas mal de choses. Du coup, nous lui avons dit : « Eh bien, écoute, oui, ça vaut le coup d’essayer ! » Nous n’étions pas à cent pour cent satisfaits des batteurs de remplacement que nous avions, donc pourquoi pas. Ainsi, à une énième tournée où Mark ne pouvait pas être là, nous demandons à Boris de nous accompagner, et je pense que Boris a tout de suite compris que ça n’allait pas rigoler ! [Petits rires] Il est venu d’Angleterre à Paris, nous avons enchaîné quatre jours de répètes d’affilée, genre nous avons fait dix heures de répète par jour, pendant quatre jours. À l’issue de la dernière répète, le quatrième jour, nous chargeons le van et nous partons pour la Hongrie, direct [rires]. Donc le mec a très bien compris que ça n’allait pas être la teuf avec nous, que nous allions bouffer du kilomètre et que ça allait être des conditions pas rigolotes. Du coup, nous l’avons tout de suite mis dans le bain et il s’en est très bien tiré.

Et puis les problèmes avec Mark devenant de plus en plus importants, nous avons tout essayé, nous y avons passé du temps, énormément d’argent, nous avons cherché toutes les solutions, et il se trouve qu’au bout d’un moment, nous avons réalisé qu’il n’y avait rien à faire. Nous étions bloqués. Ça faisait déjà un an et demi que Boris remplaçait Mark à chaque fois qu’il n’était pas là, c’est-à-dire qu’il faisait une tournée sur deux. Ça se passait super bien avec Boris, avec Mark ce n’était plus possible, donc ça s’est fait assez naturellement, au final, parce que Boris était déjà bien inclus au groupe. Il avait fait déjà au moins cinq ou six tournées avec nous, il était allé en Australie avec nous, parce que pour Mark, c’était impossible. Donc ça s’est fait très naturellement, et nous sommes très contents d’avoir un batteur comme Boris. C’est quelqu’un qui apporte une stabilité musicale. C’est un mec qui sort d’école, qui a le sens du rythme comme personne que je connaisse dans le monde, et qui est carré, autant dans son attitude et son professionnalisme au sein du groupe, que dans son jeu musical. C’est quelqu’un qui sait où il va, il sait comment y parvenir, il a un esprit très vif, et c’est très agréable de travailler avec Boris. Quand nous faisons des répètes, c’est vraiment lui qui lead le truc, genre : « On retourne à telle mesure », etc. C’est un vrai musicien, qui a une vision de la musique qui est extrêmement intéressante, et dans un groupe de tarés comme nous six, ça fait du bien d’avoir un mec comme ça qui met un peu des barrières [rires].

« Même si avec les années nous gagnons en maturité, au fond de nous, nous sommes encore un peu de jeunes fous rêveurs qui sont prêts à tout pour conquérir le monde. »

Vous avez fait trois albums avec trois batteurs différents. Est-ce que par rapport à ça, maintenir une cohérence artistique d’ensemble d’album à album a représenté une difficulté ?

On pourrait bien sûr croire que oui. Après, dans Betraying The Martyrs, même si tout le monde a toujours un peu composé, le noyau compositeur n’a jamais été le batteur. Il y a quand même une espèce de noyau de trois mecs dans le groupe qui compose plus que les autres, et ça n’a jamais vraiment été le batteur. Donc non, ça n’a pas eu une influence capitale là-dessus. Et puis, même si bien entendu, chaque batteur a son jeu, son identité, etc., dans le style de musique que nous faisons, la batterie a quand même ses codes. Il y a du blast, des riffs thrash, des breakdowns… Donc même si chaque batteur doit le faire différemment, il y a quand même des codes à respecter et il y a quand même trucs qu’il faut faire comme tout le monde. Du coup, ça va, nous n’avons pas eu trop de problèmes par rapport à ça, mais après, chaque batteur a bien sûr apporté sa touche à chaque album. Boris a notamment apporté une chanson dans cet album, qui s’appelle « Unregistered », qui bizarrement est la chanson la plus lourde de tout l’album [petits rires]. Et comme d’habitude dans le groupe, c’est quelqu’un qui arrive avec deux/trois riffs, et qui dit : « Voilà, j’ai ces quelques riffs qui vont bien ensemble, venez on en fait une chanson et on construit autour. » C’est toujours comme ça que ça se passe pour nous, et donc, Boris a sa chanson. Il est entré officiellement dans le groupe au moment où nous étions en train d’écrire l’album. L’album était déjà quasiment terminé, Boris est venu en disant que vu qu’il était officiellement dans le groupe, ça lui ferait plaisir d’apporter sa pierre à l’édifice, et du coup d’apporter les quelques riffs qu’il avait de côté. Nous avons donc regardé les quelques riffs qu’il avait et il y en avait deux/trois qui étaient pas mal. Nous avons donc dit : « OK, on prend le temps d’écrire une chanson autour de ces riffs-là, » et la chanson est dans l’album.

Même s’il y a toujours des parties très techniques et violentes, les mélodies ont un rôle important dans le disque. Votre album précédent avait déjà commencé à les mettre plus en avant. Est-ce que les mélodies d’une chanson sont le centre, le point de départ du travail de composition ?

Pas toujours ! Par exemple, la chanson que Boris a apportée, c’était un rythme, à la base. Il est arrivé avec des rythmes de batterie et il fallait écrire un riff de guitare dessus. Donc non, des fois, nous pouvons écrire des chansons juste à partir d’un rythme, surtout des breakdowns, ça, c’est que du rythme [il chante le rythme]. Ce sont des trucs un peu basiques, mais c’est du rythme, il n’y a pas vraiment de note ; quand on fait un breakdown, c’est 00 à la guitare. Mais après, ce n’est pas parce que nous ne sommes pas partis d’une mélodie à la base, que nous n’allons pas mettre un point d’honneur à trouver « une » super mélodie qui ira bien avec ce brouillon de morceau que nous sommes en train de commencer là, il va nous falloir une belle mélodie donc nous allons la trouver, et il faudra la travailler. Donc même si ce n’est pas toujours au centre, c’est quand même toujours primordial, et il en faut dans chaque chanson. Nous avons tous envie que quand le public va entendre la chanson, il garde la mélodie en tête pendant toute la journée ! Nous avons tous envie de ça !

Si les claviers et les ambiances progressives ont toujours été présents dans votre musique, il se dégage un certain gigantisme dans certaines sonorités très orchestrales et les chœurs que vous utilisez sur certains morceaux de l’album. Est-ce que ça fait partie de vos objectifs de développer cela ?

Pour le coup, le côté orchestral a toujours été là. Dans tous les albums, il y a toujours eu beaucoup d’orchestres, mais, il se trouve que – on nous a beaucoup fait la réflexion, c’est pour ça que je me permets de le dire – , justement, avec cette nouvelle approche de composition où nous avons décidé de faire quelque chose de plus épuré, et de laisser chaque élément s’exprimer à fond, les synthés ressortent mieux. C’était justement quelque chose de voulu. Avant, il y avait toujours autant d’orchestres, mais c’est sûr qu’une grosse partie orchestrale par-dessus un riff de guitare avec beaucoup de notes et si en plus il y a une voix un peu rapide dessus, ça fait trop, ça ne marche pas. Alors que là, justement, nous avons vraiment focalisé sur : « Ce riff de guitare est vraiment bien, il faut qu’il s’exprime, donc tu ne mets pas plein de violons par-dessus et, par contre, là, il y a un breakdown un peu épuré, donc tu peux te permettre de faire une envolée de violons et de faire partir une vraie mélodie orchestrale et développer un thème par-dessus, parce qu’il y a la place. » Nous avons vraiment fait attention à ne pas trop surcharger chaque chanson et chaque partie, surtout, donc c’est pour ça que les orchestres ressortent mieux. Alors qu’en fait, il y en a toujours eu autant que ça. Voire peut-être même plus avant, mais ça ne ressortait pas.

Envisagez-vous de faire appel à un vrai orchestre un jour ?

Bien sûr ! C’est une chose à laquelle nous pensons toujours. Après, on ne va pas se mentir, travailler avec un orchestre, c’est souvent des restrictions budgétaires. C’est un budget énorme, et nous avons tous hâte d’avoir le budget nécessaire pour réaliser ce rêve-là. Nous en rêvons tous, je pense.

« Nous abordons des thèmes qui ne sont pas forcément hyper joyeux à la base, mais à chaque fois, le message est quand même positif, dans le sens où nous essayons de faire passer la morale et la leçon que nous avons tirée de ces échecs et de ces situations difficiles. »

La chanson « Won’t Back Down » traite des attentats du 13 novembre. Est-ce que c’était une réaction à vif ou bien avec du recul ?

Ça a pris du temps, mais la volonté d’écrire une chanson dessus est venue très vite. C’est arrivé en plein processus d’écriture, donc ça paraissait logique, c’est venu comme une évidence à tous, c’est quelque chose qui nous a tous beaucoup marqués. Tout l’album est fait de chansons qui parlent d’événements marquants plus ou moins personnels les uns aux autres. C’est-à-dire qu’il y a un moment où Valentin [Hauser] va arriver et dire : « Voilà, moi, il y a tel sujet qui m’a tenu à cœur cette année, et j’aimerais bien qu’on en parle. Donc j’ai écrit quelques phrases, Aaron, transforme ça en chanson… » C’est ce qu’il se passe souvent. Chacun a sa chanson comme ça où chacun est allé voir Aaron en disant qu’il aimerait bien qu’on parle de ça, de comment est-ce qu’on pourrait le faire, etc. Et c’est vrai que là, c’est tout de suite devenu une évidence pour nous tous que c’était quelque chose de marquant et que ça rentrait vraiment dans un cadre d’écriture, donc c’est devenu évident qu’il fallait que nous fassions quelque chose avec ça. Ensuite, ça a pris du temps, parce que justement, nous nous demandions quel message nous allions vouloir faire passer par rapport à ça, quel aspect de la chose nous allions vouloir mettre en avant. Et après les événements du Bataclan, nous avons tous été extrêmement touchés par à quel point le peuple français s’est rallié derrière ces événements-là, a réussi à s’unir face à cette adversité et à dire : « On n’a pas peur ! Et au contraire, au lieu de se diviser, on va se rassembler ! » C’était quelque chose de très beau et c’est là-dessus que nous avons voulu mettre l’accent. Cette chanson s’appelle donc « Won’t Back Down », « on ne s’agenouillera pas », et je pense que c’était ça le message principal, de dire que malgré toute l’adversité et toute la difficulté qu’il peut y avoir dans ce monde, et face à ces événements, nous sommes toujours debout, nous nous relèverons toujours, nous ne sommes pas des victimes, nous sommes maîtres de notre propre destin et c’est à nous de faire en sorte d’avancer. Il s’est trouvé que c’était quand même un thème récurrent dans tout l’album au niveau des paroles, donc c’est devenu un peu la ligne conductrice. Au final, nous avons réussi à élargir ce message à plein de situations, et c’est devenu un fil conducteur pour tout l’album.

À titre personnel, est-ce que ça a changé ton mode de vie que ce soit en tournée ou à Paris ?

Très franchement, non. Je ne pense pas que ça ait modifié quoi que ce soit. Je me suis juste rappelé qu’on avait de la chance d’être dans un pays libre, où on a le droit de raconter ce qu’on veut, de faire la musique qu’on veut, qu’on laisse la population l’écouter et faire en sorte que le groupe grandisse. Je doute qu’il y ait beaucoup de pays dans ces coins-là où des jeunes puissent se retrouver, monter un groupe, et avoir ne serait-ce qu’une chance de faire un concert devant des centaines de personnes un jour. Je pense que les mecs qui naissent là-bas savent très bien que ce rêve-là n’existera jamais. Je pense que je me suis juste rappelé à quel point nous avions de la chance de pouvoir faire tout ça sans être jugé, que nous vivions dans un pays libre et que nous avions bien de la chance.

Est-ce que le titre de l’album, The Resilient, (la résilience étant une résistance aux chocs) est directement en écho à ce qu’a vécu la France ou bien y a-t-il derrière ça un commentaire relatif au groupe lui-même ?

C’est un thème très large qui unifie un peu tout ce dont nous avons parlé dans cet album. En gros, quand nous avons pris nos douze chansons et que nous avons essayé de les connecter les unes aux autres, c’était « égal resilient », c’était le mot, le thème, l’idée, qui rassemblait un peu tout ce que nous avions voulu dire dans cet album. Nous avons tous un peu parlé entre nous, et puis nous avons décidé que The Resilient serait le nom de l’album parce que ça résumait bien le message que nous essayions de faire passer. Cet album est peut-être un peu plus sombre que les autres, parce que nous abordons des thèmes qui ne sont pas forcément hyper joyeux à la base, mais à chaque fois, le message est quand même positif, dans le sens où nous essayons de faire passer la morale et la leçon que nous avons tirée de ces échecs et de ces situations difficiles, donc le but était de dire à tout le monde : « Voilà ce qui nous est arrivé, voilà les leçons qu’on en a tenues et à vous d’essayer de faire la même chose ! » C’est d’essayer de dire à tout le monde de ne pas se laisser abattre. C’est un peu ça.

La pochette est particulièrement sobre, c’est la première fois qu’on ne voit pas de personnage dessus…

Oui, c’est vrai ! Tu es bien renseignée, parce que nous nous sommes posé la question. Il est vrai que nous avons hésité à refaire une pochette avec une silouhette, ou un personnage, comme nous avons pu le faire sur nos trois premiers opus. Mais pour nous The Resilient est un album tellement plus mûr et réfléchi que les précédents, car nous avons clairement adopté une nouvelle méthode d’écriture et d’enregistrement, alors nous avons voulu nous écarter un peu de nos précédentes pochettes. Le verre brisé, c’est un peu un clin d’oeil à notre tout premier logo qui avait un effet de verre brisé dessus, une facon de dire à nos fans que nous nous reconnectons avec nos racines. La tache de sang sera plus en rapport avec le titre de l’album, The Resilient ; une personne résiliente c’est quelqu’un qui a encaissé les coups, qui a saigné, souffert, mais qui en tire une leçon et continue à avancer plus fort qu’avant. Cette tache de sang résumait bien cet état d’esprit. C’est d’ailleurs aussi pour cela que nous avons décidé de sortir des clips vidéo un peu plus sanglants, ou nous sommes amochés, torturés, ou même décomposés.

Vous êtes soutenus par Sumerian Records, une écurie qui défend beaucoup de groupes de la scène deathcore et metalcore. Dirais tu que c’est leur connaissance de cette scène et de son marché qui fait de cette structure la meilleure pour vous soutenir ?

Oui, je pense. C’est une structure américaine qui est très moderne, et qui a une vision très jeune de toute cette scène-là ; c’est pour ça que nous avons voulu leur faire confiance dès le début, et c’est pour ça que nous leur faisons toujours confiance. Parce que nous pensons quand même qu’ils arrivent à avoir de bons goûts, à garder des influences de choses qui ont déjà marché, tout en étant aussi très visionnaire sur ce qui va marcher plus tard. Je pense qu’en effet, Sumerian, ça va encore bien se passer pendant des années.

Interview réalisée en face à face le 13 janvier 2017 par Aline Meyer.
Retranscription : Robin Collas.
Fiche de questions : Philippe Sliwa.

Site officiel de Betraying The Martyrs : betrayingthemartyrs.com

Acheter l’album The Resilient.



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