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Interview   

Biffy Clyro : pour ne pas tourner en rond


Biffy Clyro - photo credit Austin HargraveAprès le copieux double album Opposites qui clôturait un second cycle de trois albums, le moment était venu pour Biffy Clyro de prendre un peu de recul, grâce à une pause d’un an sans tourner, avant d’entamer un nouveau cycle.

Et celui-ci commence aujourd’hui avec Ellipsis, un album où, s’il ne trahit en aucun cas sa griffe faites à la fois de mélodies brit pop et d’expérimentations, le groupe écossais en profite pour opérer quelques mises au point, pour ne pas dire remises en question, dans la conception de sa musique, notamment dans son rapport aux arrangements où l’électronique et le jeu des textures sonores prend un plus grand espace. Le groupe va jusqu’à parler de « reboot » en évoquant ce septième et éclectique opus dans lequel, au fond, le trio a cherché à se recentrer sur lui-même et son plaisir avant tout.

C’est en substance ce que l’attachant chanteur-guitariste Simon Neil détaille avec nous dans l’entretien qui suit, afin de mieux comprendre le cheminement qui a mené à Ellipsis.

Biffy Clyro - photo credit Luke Gilford

« Plus tu deviens populaire, plus il y a de gens qui ont quelque chose à y gagner, alors que tout ce que je veux gagner avec notre groupe, c’est de la bonne musique. »

Radio Metal : Tu as voulu que l’année 2015 soit calme et que vous ne soyez pas trop présent dans la tête des gens. Du coup, est-ce que cette année de pause vous a aidé à prendre du recul sur votre carrière et à réfléchir à votre avenir ?

Simon Neil (chant & guitare) : En fait, l’année de pause était très étrange parce que nous avons fait une pause par rapport aux concerts mais je pense que je me suis retrouvé à écrire plus de musique l’année dernière que j’en ai jamais écrit durant n’importe quelle année ! C’était donc étrange de purement créer… C’était étrange pour moi parce qu’en revenant sur nos six albums, j’ai soudainement pris conscience de toute la musique que nous avons faite et je pense que c’était une erreur de regarder en arrière. C’est toujours plus sain pour moi de continuer à regarder et aller en avant. Le fait de regarder en arrière l’année dernière, ça m’a un peu arrêté dans ma progression et je me suis senti en manque d’inspiration pendant quelques mois parce que chaque chanson que je voulais écrire, je voulais qu’elle soit meilleure que toutes les autres chansons que j’ai écrit, et je me suis mis dans une drôle de mentalité. Du coup, l’année de pause n’a pas autant aidé qu’elle aurait dû, pour être tout à fait honnête [petits rires].

Tu as déclaré que les influences principales pour cet album, Ellipsis, étaient Deafheaven, Tears For Fears et Death Grips. Qu’est-ce que ces groupes représentent pour toi et comment est-ce qu’ils ont influencé le processus d’écriture ?

Pour Tears For Fears, c’est un groupe que je ne connaissais pas très bien jusqu’à… C’était en fait l’année dernière, j’étais en train de me faire tatouer à Paris et il y avait du Tears For Fears qui passait, et tout d’un coup, je suis tombé amoureux de Tears For Fears. J’ai pensé : « Il va falloir que j’aille écouter ce qu’ils font. » Donc pour eux, c’était plus une question de chanson et de production. Pour Death Grips, c’était vraiment l’attitude du groupe. J’adore le fait qu’ils se fichent de ce que les gens pensent. Ils font exactement la musique qu’ils veulent faire. Ils sortent leurs albums quand ils veulent. Et j’aime à quel point ils sont autonomes. Tu sais, ce sont juste trois mecs, comme nous, ils veulent simplement faire leur musique et ils se fichent de ce que les autres en pensent. Et il est clair que cette attitude m’a plu. Et ensuite, Deafheaven, il y a quelques chansons qui devaient être sur l’album qui avaient beaucoup de blast beats et tout. Je pense vraiment que Deafheaven est l’un des meilleurs groupes heavy qui soient apparus au cours de ces dernières années et ils font avancer le genre, ils font avancer le heavy metal et le hard rock. J’ai adoré la façon dont ils combinaient la beauté et la laideur, et je pense que parfois c’est quelque chose que nous aussi cherchons à obtenir avec notre musique. Donc j’étais influencé et inspiré de différentes manière par chacun de ces groupes. Le truc c’est que, je suppose, personne n’appuiera sur le bouton « play » avec Ellipsis et se dira : « Wow ! C’est inspiré par Death Grips ! » Je pense que c’est plus une attitude et un état d’esprit que nous avons emprunté à ces groupes.

Dans le communiqué de presse, il est dit qu’avec cet album vous essayiez de faire comme si vous étiez à nouveau à votre premier album et que vous vouliez montrer que vous aviez encore des burnes. Vous vouliez que ça sonne « aussi déglingué que possible. » Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de vous mettre dans cet état d’esprit ? Penses-tu que vos dernières productions manquaient de spontanéité et d’énergie ?

Non, c’est même presque la raison opposée. J’ai le sentiment que nous ne pouvions pas surpasser la production de nos derniers albums et en particulier Opposites. Je ne changerais rien à ces albums. Donc la raison pour laquelle je voulais que nous essayions quelque chose de différent n’était pas parce que j’étais mécontent de ces albums, c’est parce que j’avais très envie d’aller vers de nouveaux espaces. J’ai l’impression que nous n’avons jamais fait d’album qui soit un album studio, nous avons toujours travaillé comme un groupe live en studio et nous construisions ensuite les chansons en studio avec des cordes, du piano, de l’orgue ou peu importe. Et avec cet album, nous voulions utiliser des trucs électroniques. Nous voulions n’utiliser que ça en studio, donc il y avait des synthétiseurs, des pédales pour guitare, etc. Mais ouais, c’était assurément une réaction à Opposites mais c’était un changement positif. Je pense que c’était plus parce que les derniers albums étaient les plus gros et les meilleurs albums de rock que nous pouvions faire en tant que groupe et je n’ai aucune envie de refaire ça. J’ai le sentiment que cet album est un peu plus espiègle. Je ne pense pas que nous nous souciions d’en faire un album cohésif. Nous étions contents qu’il prenne un tournant serré à gauche et ensuite un tournant serré à droite, et ce n’est qu’un unique voyage. C’est presque notre album le plus éclectique ; c’est notre album le plus naïf. Et la raison pour laquelle il donnait l’impression d’être un premier album était parce que nous n’avons enregistré aucune des chansons d’une façon dont nous avions déjà travaillé auparavant. Nous n’avons donc enregistré aucune chanson en live. Je chantais d’abord et peut-être que j’enregistrais la guitare d’abord, et ensuite nous construisions la chanson autour de ça. Je pense que la peur qui généralement vient est la peur d’être complètement nul. Or je ne voulais pas que nous nous soucions de savoir si cet album était bon ou pas. Je voulais juste faire de la musique qui m’excitait et je ne voulais pas trop analyser les choses. Donc les chansons que nous avons choisi pour l’album étaient littéralement les chansons que nous aimions le plus et ça ne nous inquiétait pas de savoir que c’était une chanson de country ou de R n’ B, nous nous fichions de savoir si c’était un album de rock. Le but était simplement d’écouter la musique et de décider ce que nous aimions le plus. Et je pense que c’est sans doute ce que les groupes font lorsqu’ils débutent.

Biffy Clyro - Ellipsis

« Lorsque j’étais plus jeune, l’adorais Pantera et Slayer mais j’adorais aussi les Beach Boys. Et c’est ce que je veux toujours que nous fassions : rassembler des choses qui ne sont pas censé aller ensemble. »

Penses-tu qu’il soit important parfois dans la carrière d’un groupe de se souvenir de ce qui vous motivait lorsque vous débutiez et sortiez votre premier album ?

Ouais… Pour être honnête, je pense que lorsque moi-même, Ben et James nous réunissons, et c’est probablement embarrassant à dire, nous agissons comme des adolescents. Lorsque nous avons fait cet album, il n’y avait que nous trois en Californie à concevoir l’album avec notre producteur [Rich Costey] et c’est très facile pour nous de retrouver ce que nous ressentions lorsque nous avons débuté. Pour être honnête, c’est lorsque toute la machine et toute l’équipe remontent à bord que les choses se compliquent. Pour moi-même, Ben et James, tout ce que nous voulons, c’est faire de la musique, être heureux en faisant de la musique, se faire plaisir et faire quelque chose qui nous excite, et c’est là où les choses sont les plus simples. Donc, pour être honnête, avec chaque album que nous avons fait, normalement nous essayons de les faire à trois, de façon à ne pas subir d’influence extérieure, et puis malheureusement, lorsque ton groupe rencontre plus de succès, plus de gens ont un avis et commencent à mettre leur nez dans ce que tu fais. Cet album était très important pour nous pour remettre des barrières et rappeler aux gens que, hey, il n’y a que trois personnes dans ce putain de groupe et c’est moi-même, Ben et James. Simplement parce que quelqu’un a un avis ou fait partie de l’équipe ne signifie pas qu’il connait quoi que ce soit à la musique de Biffy Clyro. Malheureusement, presque à chaque album que nous faisons de plus en plus de gens sont impliqués. Plus tu deviens populaire, plus il y a de gens qui ont quelque chose à y gagner, alors que tout ce que je veux gagner avec notre groupe, c’est de la bonne musique. Nous avons la chance de gagner notre vie grâce à ça, et nous gagnons bien notre vie, mais tu sais quoi ? Ce qui importe vraiment, c’est la musique. Je veux écrire de bonnes chansons. Je me fiche de savoir si ça remporte un énorme succès mais je crois que l’album que nous venons de faire est le meilleur album que nous ayons jamais fait et je crois que c’est la meilleure collection de chansons que j’ai jamais écrite.

L’album a quand même des passages mélodiques accrocheurs façon brit pop. Comment parvenez-vous à équilibrer cet aspect de votre musique avec les influences plus étranges et expérimentales pour lesquelles vous êtes réputés ? Est-ce que vous ajoutez spontanément du blast beat à une chanson brit pop, comme on peut l’entendre dans l’album, ou bien est-ce un processus plus intellectuel ?

Je pense que ça vient simplement de la musique que j’aime. J’ai toujours aimé la musique très simple et la musique très complexe. Si tu réécoutes les vieux albums de Biffy Clyro, nous nous sommes toujours débrouillés pour bien équilibrer les choses avec de la complexité tout en ayant, j’espère, écrit assez de chansons pop. Parfois on ne remarque même pas à quel point la musique est bizarre. Je ne sais pas très bien comment ça se produit mais je suppose que c’est juste un reflet de la musique que j’écoute et qui a fait mon éducation au fil des ans. Mais en tant que musicien, je veux jouer des choses qui parfois sont dures et je veux m’assurer que nous sommes un bon groupe mais aussi, en tant passionné de musique, je veux chanter des chansons qui me paraissent sensibles et racontent quelque chose. Je ne veux pas juste me retrouver là à frimer. Mes groupes préférés, en gros, écrivent de bonnes chansons. Ce sont toujours des chansons qui font que je reviens vers des albums et si j’écoute un album qui date d’il y a dix ans, ce sera celui qui a les meilleurs chansons plutôt que celui où les musiciens friment le plus. Donc pour ma part, en tant que musicien, je veux m’améliorer pour pouvoir encore écrire de la musique compliquée mais en tant que passionné de musique et compositeur, je veux faire de belles chansons pop parce que c’est ce qui m’a toujours excité. Lorsque j’étais plus jeune, l’adorais Pantera et Slayer mais j’adorais aussi les Beach Boys. Et c’est ce que je veux toujours que nous fassions : rassembler des choses qui ne sont pas censé aller ensemble.

Tu as déclaré que plutôt que de rendre les parties heavy avec des guitares heavy, vous avez essayé de trouver différentes façon de rendre les choses intenses. Peux-tu développer cette idée ?

Ouais bien sûr. Un bon exemple serait les deux singles, « Wolves Of Winter » et « Animal Style ». Lorsque tu écoutes ces chansons, je crois qu’il n’y a qu’une guitare dans « Animal Style » et peut-être deux dans « Wolves Of Winter ». Le son de la guitare est très clair, il n’y a pas beaucoup de distorsion mais ces deux chansons donnent l’impression d’être vraiment heavy et c’est surtout dû au fait que nous mettions de la distorsion sur la batterie, nous ajoutions de la caisse claire distordue programmée et ce genre de chose, et nous essayions de salir l’ensemble du son de la chanson. Et sur la plupart des chansons de l’album, la chose la plus propre c’est la guitare, tu sais, elle n’a pas de distorsion. Mais ouais, si tu mets de la fuzz sur la basse ou tu mets un gros synthétiseur sale et granuleux, ça peut tout d’un coup rendre les chansons encore plus heavy que si tu y avais mis une centaine de guitares, je le sais par expérience. Je suis un énorme fan de guitares distordues et nos six albums précédents ont plein de guitares heavy, mais sur cet album, j’ai délibérément voulu utiliser des sons de guitare plus propres et essayer d’amener le côté heavy avec le bas du spectre. Juste des guitares claires avec des basses et une batterie très sales, et je trouve que ça a permis à l’album d’être aussi heavy que nos précédents albums, seulement de façon différente.

Biffy Clyro - photo credit Luke Gilford

« Je ne veux jamais avoir à me retrouver dans une routine avec ce groupe, je ne veux pas avoir l’impression que nous faisons toujours le même album. »

Vous groupez vos albums par séries de trois, sur la base de caractères communs, et Ellipsis serait le premier de trois albums plus « chaotiques », d’après toi. Est-ce qu’il y a une raison pour que vous ayez ces cycles de trois albums ?

Je trouve qu’il est plus facile de travailler avec des contraintes et je ne veux pas avoir l’impression que je vais faire le même album pour le reste de ma vie. Et l’idée de faire trois albums d’une façon donnée ou dans un style particulier m’emballe. Je pense aussi que trois albums, ça représente le temps optimum pour travailler avec un producteur. Lorsque tu enregistres un premier album avec un producteur, vous êtes un peu des étrangers l’un pour l’autre et vous vous reniflez le cul comme le font les chiens. Ensuite, pour le second album, vous vous comprenez et il y a un certain niveau de confiance. Et pour le troisième album, vous vous faites tellement confiance que vous ne faites presque plus d’effort et la musique coule toute seule. C’est donc pour ça que j’ai le sentiment que trois albums est le maximum pour que tu puisses stimuler un producteur ou pour qu’un producteur puisse te stimuler. Donc après trois albums, ce qui doit représenter, dans notre cas, probablement soixante ou soixante-dix chansons, j’ai dit suffisamment de choses dans ce langage et je veux aller voir ailleurs. Je ne veux jamais avoir à me retrouver dans une routine avec ce groupe, je ne veux pas avoir l’impression que nous faisons toujours le même album. Et aussi, je dirais que trois albums, ce n’est pas loin de six à dix ans de nos vies et je ne veux pas essayer de refaire le même album dix ans plus tard. Je change en tant qu’homme, nous évoluons tous en tant qu’êtres humains toutes les quelques années et je n’aimerais pas faire quelque chose dans dix ans que j’aurais déjà fait aujourd’hui. Je veux avoir un nouveau défi dans dix ans. Parfois tu dois te l’imposer et tu dois te donner tes propres défis.

Tu as déclaré : « J’ai le sentiment que sur celui-ci je dis que je sais qui je suis, voici mes forces, voici mes faiblesses, c’est ainsi… » Dirais-tu que c’est ton album le plus sincère ?

C’est difficile de répondre à ça parce que l’album Puzzle parlait du décès de ma mère et je n’aurais certainement pas pu être plus sincère sur cet album. Je suis toujours sincère dans ce que je dis mais je pense que celui-ci est le premier où je peux me voir changer à travers les chansons, je peux voir les dix-huit derniers mois de ma vie dans les chansons de cet album et je n’ai pas à éviter d’être arrogant, d’être confiant et de montrer que je crois en ce que je fais. Habituellement, j’écrivais des chansons sur le fait de se sentir vulnérable et je n’écrivais peut-être pas sur le fait de me sentir en confiance et croire en moi. C’est donc pourquoi j’ai l’impression d’avoir montré chaque parcelle de ma personnalité. Mais j’essaie toujours d’être sincère. C’est extrêmement important d’être honnête en tant que compositeur. Tu sais, c’est du divertissement mais c’est aussi plus que du divertissement. Ces chansons font partie de moi, elles l’ont toujours été et le seront toujours. C’est ça le plus important pour moi. Donc la sincérité et l’honnêteté ont toujours fait partie de qui nous sommes mais je pense juste que celui-ci offre un tableau complet de qui je suis [petits rires].

Interview réalisée par téléphone le 22 juin 2016 par Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Philippe Sliwa.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Austin Hargrave (1) & Luke Gilford (2 & 4).

Site officiel de Biffy Clyro : ellipsis.biffyclyro.com



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