La cruauté de la musique : faire preuve d’une régularité exemplaire et passer relativement inaperçu. C’est en partie le cas du trio de stoner italien Black Rainbows qui délivre des albums depuis 2005. Le groupe emmené par Gabriele Fiori s’illustre dans un genre aux nombreux candidats dans un pays qui n’a pas la culture rock/metal de nos amis teutons ou anglo-saxons pour ne citer qu’eux. Pourtant, Black Rainbows a quelque chose d’indescriptible et de subtil qui le distingue de ses congénères. Une affinité pour le groove sincère, un son archétypal du « rock du désert » sans fioritures et le timbre à peine nasillard de Gabriele Fiori. Black Rainbows ne réinvente rien et ne propose aucun coup d’éclat. Il laisse pourtant transparaître toute sa passion.
Cosmic Ritual Supertrip n’est pas moins que le septième opus du groupe, embrassant à nouveau l’univers des seventies, celui d’un trip désertique et de couleurs mouvantes et chatoyantes. Le registre musical de Black Rainbows nécessite un son typique qu’il sait parfaitement forger. Des guitares fuzzées crasses et des basses ronflantes, une voix légèrement trafiquée à l’effet radio et une batterie organique, gonflée juste ce qu’il faut. Après quinze ans de carrière, Black Rainbows peut prétendre légitimement être l’un des groupes les plus fidèles à l’identité stoner. Les premières notes à la Black Sabbath de « At Midnight You Cry » ont tout pour installer le connaisseur dans sa zone de confort. Le jeu de guitare de Gabriele Fiori se montre extrêmement dynamique, propice à toutes les articulations rock parfaitement calquées sur sa section rythmique. « Universal Phase » délaisse quant à lui les inspirations seventies pour revenir à des élans plus désertiques, une rythmique massive et hypnotisante tranchée par des lignes de chant qui rappellent le Corrosion Of Conformity époque Deliverance (1994) et Wiseblood (1996). Black Rainbows oscille constamment entre ses influences plus psychédéliques et l’identité brute d’un stoner à gros trapèzes : « Radio 666 » lorgne du côté d’un Black Angels post-salle de musculation tandis qu’« Isolation » privilégie un riffing haché aux breaks marqués aux airs de « Gardenia » (Kyuss) de Wecome To Sky Valley (1994).
Surtout, Black Rainbows réussit une prouesse similaire à Truckfighters : un songwriting à l’efficacité radiophonique. Black Rainbows joue avec l’art du dosage : il est capable d’écrire des tubes (« Isolation » et « Radio 666 » peuvent y prétendre aisément) comme des progressions qui dévoilent l’aspect plus psychédélique et jam de leur musique. Black Rainbows ne va cependant pas aussi loin que les Allemands de Colour Haze sur ce terrain, il conserve toujours une essence rock qui ne se perd pas dans les méandres d’une pseudo-transe. C’est pourquoi « Hypnotized By The Solenoid » fonctionne, tout comme « Glittereyzed » ou « Searching For Satellites Part I & II », suffisamment envoûtants et agrémentés de sonorités « cosmiques », sans sacrifier l’efficacité. Black Rainbows en revient toujours à cette volonté d’entraîner l’auditeur dans son headbanging, celui d’un trio qui fait la même chose depuis sa sortie du garage avec le même entrain. Certains regretteront peut-être le manque de passages invitant à l’introspection suante et l’approche assez frontale de l’album. Ils ne pourront pas nier son intensité et les quelques efforts du groupe pour apporter de la diversité. La ballade émotionnelle « The Great Design » contraste avec la rythmique rock n’ roll vigoureuse de « Master Rocket Blast » ; « Searching For Satellites Part I & II » offre une progression folk/psyché acoustique, fort de ses arrangements, qui tranchent radicalement avec la pesanteur de « Sacred Graal ».
Black Rainbows œuvre en toute discrétion, ce qui ne l’empêche pas de briller. En toute franchise, il fait la même chose qu’une pléthore de groupes de stoner sans s’en dédouaner, en un peu mieux et avec une générosité et un caractère qui lui appartiennent. Le trio italien communique son entrain pour le genre et n’applique pas ses codes pour seulement se prétendre « authentique stoner ». Black Rainbows possède réellement ce chant mélodique, cette ambiance fumeuse et ces rythmiques entraînantes sans forcer. Il y a un vrai charme qui opère à l’écoute de Cosmic Ritual Supertrip, sans qu’on en définisse vraiment les contours.
Clip vidéo de la chanson « Universal Phase » :
Album Cosmic Ritual Supertrip, sortie le 22 mai 2020 via Heavy Psych Sounds. Disponible à l’achat ici