« Votre attention s’il vous plaît, il faut que je vous parle d’une nouvelle maladie ». Voici comment démarre le nouvel opus de Black Stone Cherry intitulé The Human Condition. Pourtant, les paroles ont été écrites fin 2016. Depuis, ces dernières ont pris un tout autre sens et Black Stone Cherry a pris la mesure de la crise sanitaire lors de l’enregistrement de l’album, juste avant le confinement généralisé. Les Américains se sont calfeutrés dans les bois du Kentucky pour s’affairer à leur septième méfait avec un seul mot d’ordre : l’accroche. Celle d’un southern-rock US aussi archétypal que bien exécuté. The Human Condition a été une épreuve au sens premier du terme, auto-produit par le bassiste Jon Lawhon aux Monocle Studios. Selon les dires du groupe, jamais un album de Black Stone Cherry n’a bénéficié autant d’attention sur chacun de ses éléments. The Human Condition s’est donné les moyens de ses ambitions, célébrer le rock et le lien fraternel qui unit les membres du groupe depuis presque vingt ans.
Les premières notes de « Ringin’ In My Head » permettent de constater que Black Stone Cherry ne ment pas. Dès que Chris Robertson nous interpelle pour évoquer cette nouvelle maladie (originellement un tacle adressé à l’industrie musicale), la qualité de la production saute aux yeux. Tout est propre – presque trop – et puissant, avec pour seul dessein de proposer une musique extrêmement facile à écouter. Il ne faut pas y voir une forme de paresse dans l’écriture ou une approche simpliste. Black Stone Cherry a bel et bien ciselé des hits avec un savoir-faire presque industriel. Les power-chords et les envolées du refrain de « Ringin’ In My Head » prouvent l’aisance qu’a le groupe à fédérer autour de sa musique. « Again » se permet de jouer sur un autre registre : celui du riffing qui tache avec une grosse caisse déchausseuse de dents et des guitares hargneuses. Très vite, Black Stone Cherry nuance son agressivité par des transitions mélodiques parfaitement agencées qui réconcilient la chanson avec les ondes FM. Un procédé récurrent tout au long de l’opus : « Ride » avec son riffing hard/heavy old school et sa caisse claire qui nous fouette les tympans en est un autre exemple. Black Stone Cherry use de la sempiternelle recette « agression-libération » et en fait un mets de qualité. « Push Down And Turn » et ses leads très typés soutern-rock prouvent que le quatuor sait intégrer tous ces petits éléments qui font la différence.
Pour être franc, Black Stone Cherry n’est pas loin de proposer un plaisir coupable. On finit par assumer parfaitement ce côté fermier ténébreux à la Smallville qui ouvre grand les fenêtres de son pick-up pour laisser apprécier l’effusion sentimentale de la power-ballade « When Angels Learn To Fly » ou du mielleux « If My Heart Had Wing ». Aerosmith n’a qu’à bien se tenir. On aurait dû être quarterback star des ligues lycéennes, on regrette de ne pas avoir percé et on a la bande originale parfaite pour accompagner notre introspection. Black Stone Cherry nous réconcilie avec le cliché (l’enchaînement d’accords et le phrasé de Chris sur « In Love With The Pain »…) et une énergie juvénile qui tranche avec la morosité ambiante. Quelque part, The Human Condition profite de son contexte de réception. Black Stone Cherry a eu le nez creux en s’efforçant de galvaniser à chaque instant, particulièrement sur la reprise audacieuse et réussie du classique d’Electronic Light Orchestra « Don’t Bring Me Down », avec ses guitares fuzzées à souhait et un passage d’harmonies vocales qui apporte une couleur à la « Gimme All Your Lovin’ » de ZZ Top. Évidemment, au fur et à mesure de l’écoute le whisky sucré de Black Stone Cherry commence à râper le gosier et il faut légèrement s’accrocher pour supporter la récurrence des gimmicks sur « Some Stories » ou « The Devil In Your Eyes » qui pourtant ne déméritent pas. Les couplets dépouillés de « The Devil In Your Eyes », mettant son basse-batterie à nu, apportent même une certaine fraîcheur et les influences blues de « Keep On Keepin On » ont au moins le mérite d’empêcher la monotonie de poindre. En réalité, chaque titre est à considérer individuellement. The Human Condition est une collection de hits qui se doit d’être décomposée. On pioche dans son contenu au hasard de nos états d’âme et ça marche à chaque fois.
The Human Condition a ce cachet de rock made in USA qui permet d’oublier un instant tous les déboires actuels. Agréable sans être futile, entraînant sans être racoleur, sérieux sans être moralisateur ou prétentieux : Black Stone Cherry doit être dans toutes les playlists si l’envie d’un rock exaltant émerge. Il transmet tout le plaisir qu’ont les membres à se réunir après vingt ans d’exercice ainsi que les progrès effectués. Surtout, il donne de quoi prendre ses airs au dîner du coin. Il faut juste le bon jean, la vieille Ford, la chemise à carreaux, la boucle de ceinture gravée Kentucky et être prêt à fracasser sa queue de billard pour sauver la serveuse et la ravir d’un sourire mystérieux. Si tant est que l’établissement est toujours ouvert.
Chanson « Again » :
Album The Isolation Tapes, sortie le 30 octobre 2020 via Mascot Records. Disponible à l’achat ici