Pillars Of Ash, le cinquième opus de Black Tusk, aurait pu être simplement le symbole d’un retour du groupe phare de sludge à un propos musical musclé, direct et agressif, un album de trente-cinq minutes comme un coup de poing, asséné à tous ceux qui craignaient un assoupissement des débats du côté de Savannah. Mais un soir de novembre 2014, la destinée du groupe a pris une trajectoire lugubre : Jonathan Athon, le bassiste-chanteur, frontman et un des trois piliers de cette bande d’amis d’enfance, est décédé suite à un accident de moto, la session d’enregistrement de l’album à peine finie. La figure impressionnante mais infiniment sympathique qui trustait les devants de scène des shows musclés du groupe a disparu, laissant son entourage dans une douleur sans nom, et un groupe destitué de son leader.
Quel avenir musical, alors, pour Andrew Fidler et James May au sein d’un trio ainsi terrassé ? La première réponse du désormais duo, a été de tourner, en hommage à Jonathan Athon et pour faire revivre au plus vite l’entité avec laquelle il faisait corps, ce qu’ils firent, en compagnie de Corey Barhoust (ex-Niche, Kylesa) à la basse. L’enregistrement des parties d’Athon pour le nouvel album ayant été assuré, il ne s’agissait plus que de sortir ce qui restera comme le dernier effort de cette période de Black Tusk, et malheureusement un album posthume. C’est désormais chose faite.
Surprenante coïncidence ou jeu macabre du destin : ce Pillars Of Ash résonne d’une urgence folle, d’un sludge instinctif et vil qui tabasse à chaque seconde de la grosse demi-heure du disque, comme si le groupe avait composé cet album comme sachant qu’il serait le dernier. Alors que l’EP Tend No Wounds laissait entrevoir quelques ouvertures vers des ambiances psychédéliques, quelques concessions à un monde plus calme, Pillars Of Ash martèle sans relâche, pilonne comme un Kylesa fiévreux, assène des leçons d’agressivité entre punk (un morceau intitulé « Punkout » rend même hommage à leurs racines punk), heavy burné, metal de forcené et rock dévastateur.
Black Tusk va en fait se promener dans bon nombre des sous-genres, pourvu que ça cogne. La voix grave growlée d’Athon répond magistralement sur certains titres aux diatribes vocales souvent proches du hardcore que délivrent les deux autres, sur l’efficace et énergique « Black Tide », par exemple. Ce côté hardcore new yorkais, qu’on décèle dans la voix, ressort puissamment à d’autres reprises, dans les riffs frénétiques et le groove, en témoigne cet éloquent « Walk Among The Sky » qu’un Biohazard n’aurait sûrement pas renié.
Les thèmes évoqués, sont une parfaite caractérisation de leur représentation musicale dans l’album : déception, dépression, mort, révolte, redondance des maux de l’Homme, religion trompeuse… Le trio chante et joue un mal être de l’est des Etats-Unis, dans une sorte de catharsis vengeresse, furibonde et déflagrante. Le producteur, un vrai punk dans l’âme, chanteur de Toxic Holocaust de son état, Joel Grind, n’a rien fait pour arranger les choses, privilégiant un son brut et sale, rentre-dedans, laissant faire la même saturation de guitare tout au long des onze titres, et optant pour un son de batterie digne d’un vieil album de Motörhead.
Pillars Of Ash joue donc plusieurs rôles : dernier d’une lignée, album hommage, posthume, brûlot décadent de sueur et de Jim Beam, ode sombre à un sludge efficace, agressif et définitif. Il est le dernier disque sur lequel s’est exprimé ce type entier, homme de scène sans concession, musicien acharné, ce bulldozer à la gentillesse reconnue par tous qu’était Athon. On ne peut que souhaiter à Andrew Fidler et James May de perpétuer l’existence de Black Tusk, un pilier du sludge, un genre auquel ils ont dûment participé à la création. En attendant, montez le son de ce Pillar Of Ash, et levez un verre à la mémoire de Jonathan Athon !
Ecouter l’album :
Album Pillars Of Ash, sorti le 29 janvier 2016 via Relapse Records.