La Floride, l’Alabama, le Mississippi, le Tennessee, la Géorgie… Le sud des États-Unis est un véritable vivier du rock, du blues, et de la musique en général. Et si le Sud peut avoir des connotations négatives, que ce soit politiquement ou par simples préjugés, notamment véhiculés par Hollywood, Backberry Smoke – en digne héritier des Allman Borthers Band, Lynyrd Skynyrd ou encore Georgia Satellites – et son frontman Charlie Starr comptent bien le réhabiliter par ce qu’il a de plus précieux : la musique justement.
A l’occasion de ses vingt ans, le groupe célèbre son histoire en célébrant ce Sud et en particulier l’État de Géorgie, alias le Peach State, qui les a vus naître. Le nouvel album You Hear Georgia est sans équivoque : c’est une plongée dans le Sud profond, qui sait se montrer chaleureux, enjoué, sensible et plein d’humanité, en n’hésitant pas, par exemple, à se mobiliser pour les vétérans de guerre ou la recherche contre le cancer infantile. Dans l’entretien qui suit, Charlie Starr nous parle donc de sa Géorgie natale et de la culture sudiste, tout en nous présentant un disque authentique, fruit de multiples collaborations en coécriture et d’un travail réalisé en à peine dix jours, en pleine pandémie, aux côtés de Dave Cobb, célèbre pour ses productions on ne peut plus organiques.
« Il y a des fois où je disais : « Laisse-moi réenregistrer ça. C’était un peu bâclé. » Et Dave Cobb disait : ‘Non, mec, tu avais le feeling ! C’est beaucoup plus important que la perfection.' »
Radio Metal : Blackberry Smoke est l’un des rares groupes à avoir fait des concerts malgré la pandémie. Vous avez appelé cette tournée effectuée l’an dernier le Drive-Ins And Distancing Tour, et vous avez fait encore d’autres concerts récemment. Comment était votre expérience de ces événements inhabituels ?
Charlie Starr (chant & guitare) : C’était des événements inhabituels, c’est sûr. C’était différent, surtout les concerts drive-in où les gens étaient dans leur voiture. Pour l’un des premiers concerts, dans le Massachusetts, il n’y avait même pas de système de sonorisation. C’était très bizarre. Marcus King a fait quelques concerts, c’est un ami à moi, et environ trois jours avant que nous arrivions sur les lieux, il m’a appelé et m’a dit : « Mec, ce concert que vous allez faire, ce n’est pas sexy du tout ! » [Rires] Il a dit que les voisins autour du drive-in se plaignaient du son de la caisse claire et quelqu’un a appelé la police. Ils ont donc été obligés de couvrir tous les amplis, tout assourdir, et ils ont enlevé la sonorisation. L’accord était que les gens restent dans leur voiture et mettent la radio sur une station précise correspondant à la fréquence sur laquelle l’ingénieur de façade diffusait le mix. En gros, les enceintes des voitures étaient le système de sonorisation. Quand nous avons joué, nous sommes passés en format acoustique, car ils ne voulaient pas d’amplificateurs. Donc les gens nous regardaient et étaient là : « Qu’est-ce qui se passe ? On n’entend rien à part la batterie ! » Nous étions là : « Désolé. La police l’a décidé. » Mais globalement, et je parle pour moi, c’était vraiment nécessaire après tous ces mois de confinement, c’était super de monter sur scène, même si c’était dur sur le plan de la communication. Le public était tellement loin. Nous étions là à faire signe de la main [en criant] : « Salut ! J’espère que vous vous amusez ! » Je crois qu’à chaque drive-in, ils avaient pour instruction de ne pas klaxonner ou faire flasher les phares avant la toute fin. Donc à la toute fin, tous les klaxons commençaient à résonner et les phares à flasher. C’était marrant.
Avez-vous eu la moindre hésitation avant de décider d’organiser une tournée dans ces circonstances ?
Oui. Au début, car personne ne savait quoi faire. Mais nous avons commencé à recevoir des offres de gens qui faisaient des expériences avec ce type de concerts, en extérieur, en drive-in et ainsi de suite. A un moment donné, nous nous sommes dit que nous devions le faire, que nous ne pouvions pas restés assis chez nous, qu’il fallait sauver notre affaire, y aller et faire quelque chose.
Vous avez aussi fait des live-streams : qu’est-ce qui est le mieux – ou le moins pire – à ton avis : les live-streams ou les drive-ins ?
Je ne sais pas. Lors des live-streams, il n’y a pas du tout de public. A la fois, c’est drôle, tu te surprends à regarder tes copains sur scène et à faire un sourire tout du long, car t’es là : « On ne joue pour personne ! C’est comme quand on a commencé et que personne ne venait nous voir » [rires]. Mais ça sonnait bien. J’ai des enregistrements de tous les live-streams et l’équipe a fait un boulot fantastique, notre ingénieur de façade a fait un super mix. C’était un contexte différent, il mixe pour des gens qui écoutent sur les enceintes de leur ordinateur, en gros. Il a fait du très bon travail. Donc ça s’est avéré positif.
Vous sortez un nouvel album, intitulé You Hear Georgia. Depuis le début, votre truc c’est d’enregistrer tous ensemble en live : comment fait-on ça en temps de distanciation sociale ?
Nous l’avons fait dans une très grande salle. Au moment où nous nous apprêtions à commencer à faire l’album, initialement, ça devait être en mars et évidemment, mars c’est à ce moment-là que le monde s’est confiné. Donc nous avons reporté l’enregistrement, personne ne savait ce qui allait se passer, puis fin mai, Dave Cobb a dit : « Si ça vous convient, vous pouvez venir dans cette énorme salle – le studio RCA est très grand –, on pourra rester à distance les uns des autres et avoir nos petites cabines, et faire ça prudemment. » C’est ce que nous avons fait, il avait raison. Dès que nous sommes arrivés là-bas, tout paraissait normal. Tout le monde était détendu. Nous n’avons simplement pas fait d’embrassades.
« Les valeurs de la Géorgie sont liées à toute l’idée de la ceinture de la Bible, mais ça peut aussi être dangereux, car les gens deviennent fanatiques. Personne ne peut foutre en l’air la religion aussi bien que les êtres humains [rires]. »
A l’instar de nombreux groupes de nos jours qui ont vu leurs tournées et leurs plans repoussés, vous avez eu plus de temps à votre disposition. Etait-ce tentant d’utiliser ce temps pour peaufiner l’album ou avez-vous continué à vous reposer plus sur la spontanéité ?
Celui-ci était même plus spontané que jamais, car nous n’avions que dix jours pour le boucler. C’est tout ce que nous avions avec l’emploi du temps de Dave et son studio. Initialement, nous nous sommes dit : « Faisons-en autant que possible et on reviendra plus tard », mais voilà, nous avons fini l’album dans le temps imparti. Nous avons enregistré pendant cinq jours et mixé pendant cinq jours, et c’est directement parti au mastering. Et Dave Cobb n’est pas du genre à vouloir passer beaucoup de temps sur la création d’un album, surtout avec un groupe qui a bien répété et qui est prêt. Il veut capturer la spontanéité et la passion, et essayer de capturer autant que possible des performances live. Mais pratiquement toutes les chansons étaient prêtes avant d’aller en studio, sauf la chanson « You Hear Georgia ». Celle-ci était juste sous forme d’idée. Nous étions au studio un jour et j’étais posé sur le canapé, et j’ai joué le riff en chantant la première phrase de la chanson. Dave est passé à côté de moi et a dit : « C’est quoi ? » J’ai dit : « Ben, pour l’instant rien du tout. Ce n’est pas terminé. » Il a dit : « J’adore. Finis-le. Il faut qu’on l’enregistre. » Donc je suis allé dans ma chambre d’hôtel ce soir-là et le l’ai terminé, et nous l’avons enregistré le lendemain.
Tu as mentionné le producteur Dave Cobb. Il se trouve que vos deux albums précédents étaient autoproduits. Penses-tu que vous ayez atteint une limite à l’autoproduction ?
Non. Je pense qu’il y a énormément de façons de faire un album, et plein de gens avec qui le faire. J’imagine qu’à chaque fois, ça semblait être le bon truc à faire sur le moment. Dave et moi parlions depuis quelques années de faire un album, mais nos emplois du temps ne coïncidaient jamais, il est très demandé. Et à l’époque, je me disais que j’avais une très bonne vision de la manière de faire Like An Arrow et Find A Light, du son qu’ils devaient avoir, alors que cette fois, bien avant que nous ayons planifié l’album, lui et moi étions au téléphone et il a dit : « C’est le moment. Faisons un album. » Donc j’ai dit : « Ouais, tu as raison. »
Dave est réputé pour ses productions très organiques. Ça faisait donc de lui le producteur parfait pour immortaliser sur album l’authenticité de Blackberry Smoke…
Oui, je pense. Il est exactement le producteur qu’il faut pour le type d’album que nous avons fait. Tout semblait parfait. C’est très important de jouer ensemble en tant que groupe, et Dave n’utilise pas de clic ou quoi que ce soit de ce genre. Il est là : « Non, joue la chanson comme tu le sens. » On n’est pas menotté, on peut aller aussi vite ou lentement qu’on veut, ou faire un solo aussi long qu’on veut. Lui, il veut capturer des êtres humains qui interagissent musicalement, il n’est pas juste là : « Enregistrons un tube ! » De même – et j’ai trouvé ça très intéressant et rafraîchissant – il y a des fois où je disais : « Laisse-moi réenregistrer ça. C’était un peu bâclé. » Et il disait : « Non, mec, tu avais le feeling ! C’est beaucoup plus important que la perfection. » Et il a raison. Nous en avons longuement parlé. Il m’a demandé : « Quel est ton album préféré ? » Je lui ai répondu : « Exile On Main St. » Il a dit : « Dis-moi que tu trouves cet album parfait musicalement. » J’ai dit : « Eh bien, non, il n’est pas parfait. C’est fou, cradingue et super. » Il a dit : « C’est ce qu’on adore ! » On aime que ce soit humain, que ça ne sonne pas comme si c’était fait par des machines.
Malgré tout, j’imagine que vous devez arriver bien préparés au studio.
Oui, plus ou moins. Nous aimons toujours être bien préparés, car nous ne voulons pas perdre du temps ou de l’argent. Donc nous avions bien répété. Nous faisons ça depuis le début du groupe, nous répétons avant de faire un album, mais nous comprenons aussi que des choses peuvent changer. Parfois, vous répétez une chanson, ça sonne super et tu penses que ça va déchirer, puis dès que tu fais tourner la bande, il y a un truc qui cloche. Donc il faut être ouvert d’esprit et dire : « Tu sais ce qui a besoin d’être changé ? Ce passage doit aller là et ceci doit aller ici, et il faut jouer un petit peu plus lentement ou un petit peu plus vite. » Donc le fait d’être ouvert aux idées, ça a toujours été notre devise.
« Hollywood a été très bon pour dépeindre les gens du Sud comme étant sans dents, moches, ignorants et haineux. Je pense que les gens en ont marre. […] Nous ne sommes pas des ploucs idiots. Il y a de bonnes et de mauvaises personnes partout. »
L’album s’intitule You Hear Georgia, en hommage à votre État d’origine. Vous êtes un groupe basé dans l’État de Géorgie et Dave Cobb lui-même est né dans cet État. Etait-ce fait exprès de choisir un producteur géorgien ?
Non ! [Rires] C’était une heureuse coïncidence, mais vu qu’il est géorgien, il comprend ce que veut dire cette chanson ou ce que ça signifie d’être quelqu’un du Sud ou de l’État de Géorgie. C’était la dernière chanson que nous avons enregistrée pour l’album et tout le monde était vraiment excité. Après qu’il m’eut dit d’aller la finir, je suis revenu le lendemain et personne dans le groupe ne l’avait entendue. Donc c’était vraiment une session à la Bob Dylan, c’est-à-dire que ça n’avait pas du tout été répété et il y avait une seule personne dans la pièce qui savait comment la chanson se déroulait, et c’était moi. Donc j’étais là : « D’accord, ça fait comme ça » et tout le monde a pris son instrument et a assuré. Ça a tout de suite fonctionné, le groove était super, et Dave était surexcité. Quand nous avons fini la prise, il a dit : « Vous devriez appeler votre album comme ça » et nous étions tous d’accord.
L’État de Géorgie est situé dans une partie des États-Unis réputée pour sa culture rock sudiste, mais quelle est la source de ce son géorgien auquel vous faites référence ?
Je ne sais pas s’il y a un son, parce que ça part dans tous les sens. Il y a Little Richard, Otis Redding, Ray Charles, et ensuite il y a Allman Brothers Band, les Georgia Satellites et les Black Crowes, puis il y a REM et les B-52’s… Il y a de tout. Donc je ne pense pas qu’il y ait un son unique, mais je pense que, pas spécifiquement la Géorgie, mais tout le sud-est des États-Unis produit plein de musique roots, parce que ça vient vraiment de là. Même en remontant jusqu’au delta blues et aux vieux groupes traditionnels à cordes, et au rock n’ roll : en gros, tout est né à Memphis, dans le Tennessee. Tout vient de cette partie du pays. La culture est très intéressante et c’est en partie ce à quoi « You Hear Goergia », la chanson, fait référence, c’est à dire l’art, la littérature, les histoires, la musique, les chansons, les danses, la nourriture, etc. La culture sudiste est fascinante. Il y a évidemment de mauvaises choses, mais il y en a partout. Partout où on va dans le monde, il y a de la violence, de la haine et des parties horribles de l’histoire, mais quand on se concentre sur les bonnes choses, c’est là que c’est bien. Une chose qui est intéressante, c’est le football – je parle du football américain. C’est un moment dans l’année où, même si tout le monde se dispute pour défendre son équipe, ça rassemble tout le monde. Au-delà de la musique, de la nourriture, de la culture et de la météo, nous avons du bon football et parfois, ça représente bien l’esprit sudiste. Enfin, évidemment, la musique aussi. Je parle globalement.
De façon générale, comment la Géorgie t’a façonné, personnellement, en tant qu’homme ?
C’est dur de répondre. Je pense que c’est plus mes parents que l’État. Je ne sais pas si un lieu spécifique peut totalement façonner un homme, mais c’est sûr que l’influence est très importante. La religion est très présente dans cette partie du pays, c’est la ceinture de la Bible. Donc quand je parle de mon enfance, le respect des anciens est une leçon très importante que j’ai apprise, « ne réponds pas à maman et à papa ». Il y avait une grande part de peur [rires], surtout avec la religion. Les valeurs de la Géorgie sont liées à toute l’idée de la ceinture de la Bible, mais ça peut aussi être dangereux, car les gens deviennent fanatiques. Personne ne peut foutre en l’air la religion aussi bien que les êtres humains [rires].
Es-tu toi-même croyant ?
Oui, je le suis.
Tu as déclaré à propos de la chanson éponyme que ça parlait « du fait que le Sud était incompris ». Comment cette incompréhension se manifeste-t-elle ?
Souvent des stéréotypes sont inventés ou décidés par des gens qui ne savent pas forcément. Ça vaut pour tous les milieux, mais concernant le Sud, Hollywood a été très bon pour dépeindre les gens du Sud comme étant sans dents, moches, ignorants et haineux. Je pense que les gens en ont marre. Quand on se focalise sur tout le côté négatif ou que l’on met tout le monde dans le même panier, c’est un petit peu frustrant. C’est un peu un truc ouvert. Le Sud que je connais… Enfin, on peut voir tout ça partout. J’ai appris ceci quand j’ai commencé à voyager il y a vingt ans, quand je me suis retrouvé tout au nord des États-Unis ou même en Europe. Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des gens pleins de haine n’importe où dans le monde, mais la manière dont les gens du Sud, globalement, ont été dépeints au fil des années, c’est… Nous ne sommes pas des ploucs idiots. Il y a de bonnes et de mauvaises personnes partout.
« J’ai lu des choses par le passé où on nous qualifiait de ploucs à longs cheveux ou je ne sais quoi. Si ça veut dire que nous faisons ce que nous voulons et que nous nous fichons d’être tendance, alors bien sûr, nous sommes des ploucs. En dehors de ça, je ne suis pas ignorant et je ne suis pas haineux. »
En tant que groupe sudiste, est-ce que Blackberry Smoke a déjà été confronté à cette incompréhension et à ces idées préconçues ?
Je ne crois pas. Enfin, j’ai lu des choses par le passé où on nous qualifiait de ploucs à longs cheveux ou je ne sais quoi. J’imagine que dans une certaine mesure, nous le sommes : si ça veut dire que nous faisons ce que nous voulons et que nous nous fichons d’être tendance, alors bien sûr, nous sommes des ploucs. En dehors de ça, je ne suis pas ignorant et je ne suis pas haineux. Donc ils perdent leur temps à essayer de me mettre cette étiquette.
Tu as déclaré que « certaines personnes, y compris Gregg Allman lui-même, ne supportaient pas ce terme » rock sudiste. Est-ce qu’il te dérange personnellement ?
Non, il ne me dérange pas. Ça me va. Ça veut juste dire que nous sommes un groupe de rock du Sud. Mais je pense que ce qui dérange certaines personnes, c’est qu’il évoque peut-être d’affreuses images chez les gens. Je pense que Gregg a dit qu’il détestait ce terme parce que c’était redondant. Il disait que le rock n’ roll vient du Sud. Donc ça paraît stupide d’appeler ça du rock sudiste. S’il devait y avoir un sous-genre, ce serait le rock nordiste. Mais je ne sais pas, si certaines personnes voient ça de manière politique, ça peut les rebuter. Ça peut les faire penser au racisme, à l’intolérance ou à la haine, mais rien ne pourrait être plus éloigné que ça de la vérité, à mon avis.
C’est intéressant de voir, chez les Américains, l’importance que peut parfois avoir leur État. Il y a aussi par exemple le groupe Black Stone Cherry qui a baptisé un album Kentucky en hommage à leur État d’origine. Dirais-tu que les États aux États-Unis sont comme de petits pays dans le pays ?
Totalement ! Oui. Cet argument est bien documenté. Les droits des États… Surtout au Texas : tu n’as pas intérêt à déconner avec un Texan ! [Rires] Ils sont uniques en leur genre. C’est fascinant. J’adore aller au Texas. J’ai plein d’amis là-bas, mais c’est clair que, n’importe quand, n’importe quel jour, un Texan dira : « Je viens du Texas. Tu peux nous m’appeler comme tu veux, je suis texan. » Ils sont fiers de leur État. Enfin, tout le monde l’est, je plaisante un petit peu, mais tout en étant un petit peu sérieux quand même. C’est la raison pour laquelle il y a des autocollants à pare-chocs qui disent : « Déconnez pas avec le Texas. » Mais c’est une question de fierté pour tout le monde. Mon beau-frère vit dans la ville de New York. Ça fait trois décennies qu’il vit là-bas. Il dit : « On dirait que tout dans le monde se passe ici. » Les New-Yorkais sont fiers aussi.
Il y a des collaborations intéressantes à la composition dans l’album : Rickey Medlocke de Blackfoot et Lynyrd Skynyrd et Dave Lizmi des Four Horsemen, et aussi l’ex-Buckcherry Keith Nelson avec qui tu avais déjà beaucoup composé sur Find A Light. Ces collaborations sont-elles plus épanouissantes pour toi que de composer tout seul ?
Ce n’est pas que je préfère ça plutôt que composer seul. C’est juste quelque chose qui se fait naturellement. Ça n’arrive pas toujours, mais c’est arrivé surtout durant le confinement. J’ai créé des amitiés et noué des liens avec ces gens. Par exemple, il peut arriver que Keith appelle et dise : « J’ai une idée pour une chanson. J’ai un riff. » Ou il se peut que je joue ou écrive un riff qui me rappelle Keith ou Rickey et je me dis : « Eh, j’ai une idée. » Ça se fait comme ça. Ce n’est jamais forcé ou planifié. Pour la chanson avec Warren Haynes, par exemple, nous avons tourné ensemble et fait beaucoup de musique ensemble, mais nous n’avions jamais travaillé ensemble, nous n’avions jamais composé de manière collaborative, mais nous étions au téléphone tard un soir et il a dit : « J’ai composé plus de chansons durant les quelques derniers mois qu’en trente ans, car je ne peux sortir nulle part. » J’ai dit : « C’est pareil pour moi. J’ai un album qui est déjà composé, mais des chansons n’arrêtent pas de me venir, car je n’ai nulle part où aller. » Il a dit : « Ecrivons-en une ensemble. » J’étais honoré qu’il me propose ça. J’ai dit : « Il se trouve que j’ai ce riff qui m’a fait penser à toi. » Nous avons donc écrit « All Rise Again ». C’était juste une coïncidence. Donc je pense que le confinement a permis certaines de ces collaborations. C’est probablement ce qui se passe partout dans le monde, des tas de gens se réunissent. Je crois que Mick Jagger vient de sortir un morceau hier, une collaboration entre lui et Dave Grohl, et c’est à cause de ce qu’on a traversé.
« Le rock n’ roll vient du Sud. Donc ça paraît stupide d’appeler ça du rock sudiste. S’il devait y avoir un sous-genre, ce serait le rock nordiste. »
Comment se fait-il que tu composes plus avec des gens extérieurs qu’avec tes collègues dans le groupe ?
Certaines personnes ne composent pas de chansons. C’est aussi simple que ça. J’ai composé avec Brandon Still dans notre groupe. Nous avons fait quelques chansons, mais certaines personnes sont des compositeurs et d’autres non. C’est comme ça.
La chanson « Ain’t The Same » est inspirée par un ami vétéran qui souffre de stress post-traumatique. D’un autre côté, le groupe est engagé sur le plan caritatif et a levé des fonds au bénéfice de la recherche contre le cancer infantile. A quel point c’est important pour vous d’utiliser votre voix en tant qu’artistes pour sensibiliser les gens sur des problématiques humaines comme celles-ci ?
Je ne sais pas si j’ai réfléchi à l’importance que ça avait, mais il y a des sujets qui nous tiennent à cœur. C’est comme ça que ça se passe, j’imagine. Quand j’ai commencé à jouer de la musique, je ne me suis jamais dit que ce serait une bonne manière d’utiliser ma voix pour dire quelque chose sur le plan politique ou social. Je pense que ça n’a jamais été notre plan. Nous voulions juste jouer dans un groupe de rock n’ roll, mais quand l’opportunité se présente, surtout avec la recherche contre le cancer infantile ou même les vétérans, ce n’est pas dur à faire. Concernant les militaires et surtout le fait de s’occuper des vétérans blessés, nous avons fait deux Boot Rides de l’organisation caritative Boot Campaign, il y a quelques années, avec les acteurs de Sons Of Anarchy et Marcus Luttrell qui a écrit le livre Le Survivant. C’était vraiment fantastique. Ce n’est pas quelque chose dont j’étais proche avant ça, je n’avais pas travaillé dans ce domaine. On a tous entendu des histoires, et mon père était au Viêt Nam et a ses propres trucs à gérer, mais c’est quelque chose qui a souvent tendance à être mis de côté, je trouve.
Concernant la recherche contre le cancer infantile, qu’est-ce qui a fait que ça vous tient particulièrement à cœur ?
La fille de notre batteur Brit Turner a eu un neuroblastome quand elle était très jeune et c’est une survivante. C’est une adolescente en bonne santé maintenant, Dieu merci, mais sa famille a vécu l’enfer. C’est lui qui a proposé ça. Nos fans l’ont aidé de manière extraordinaire et ça l’a ému, et ça l’émeut toujours. A un moment donné, il a dit : « On est bon. » Il l’a annoncé sur Facebook : « A compter de maintenant, les dons que vous m’envoyez, je vais les envoyer directement à la recherche contre le cancer infantile. » Ils ont tous dit : « Absolument. » Nous avons aussi commencé à faire don des bénéfices de nos meet and greet. Tout est parti du moment où il a dit : « Eh les gars, après avoir passé du temps à l’hôpital et à voir à quel point c’est injuste pour les enfants qui souffrent de cette maladie, est-ce qu’on peut faire ça ? » Nous avons dit : « Evidemment. »
Tu as mentionné la ceinture de la Bible, et il se trouve que vous avez une chanson qui s’intitule « Hey Delilah » en référence au personnage de Dalila dans la Bible. T’inspires-tu souvent de la Bible ?
Oui, très ! J’ai eu une discussion avec Alice Cooper, une fois j’ai fait une interview avec lui et je savais qu’il était le fils d’un pasteur. Il y a une chanson qui s’intitule « Six Ways To Sunday » qui parle de manipuler des serpents, de glossolalie et ce genre de chose, et il a dit : « Ça vient de quelqu’un qui a grandi à l’église. » J’ai dit : « Absolument. Je sais que tu connais deux ou trois trucs à ce sujet. » Il a dit : « Oui ! » et il a commencé à parler de chansons à lui qui viennent de ce type d’inspiration – les trucs évidents comme « Hallowed Be My Name » et ce genre de chose. Il y a des histoires sacrément effrayantes dans la Bible ! Ça marque. C’est ainsi qu’ils nous font peur quand on est enfant : si tu n’es pas sage le diable va venir te chercher ! Concernant « Hey Delilah », c’est juste que je me souviens de l’histoire, ça remonte à lorsque j’étais tout petit en école chrétienne et au catéchisme. Ça m’énervait toujours beaucoup qu’on ait coupé les cheveux de Samson et qu’elle l’ait dupé comme elle l’a fait. Ça m’a marqué et donc j’ai transposé ça au vingt et unième siècle. Elle est probablement toujours incapable de faire le bien aujourd’hui [rires].
Le groupe célèbre ses vingt années d’existence, puisqu’il a été formé en 2001 ; est-ce que le fait de rendre hommage à votre État de Géorgie est une manière pour vous de célébrer l’anniversaire du groupe ?
Je pense, oui. Tout est lié. Ce n’est pas un concept, mais c’est juste un petit hourra, genre : « Nous voilà, deux décennies plus tard et voilà notre dernier album, ça s’appelle You Hear Georgia. » On n’a pas l’impression que ça fait vingt ans. Je veux dire que quand je prends suffisamment de recul pour m’en rendre compte, je me dis : « Ouah, on a accompli un paquet de choses ! » et nous avons parcouru de nombreux kilomètres et joué beaucoup de musique, mais ça reste difficile de se dire que j’avais vingt-six ans quand nous avons commencé ce groupe, je n’étais qu’un gosse.
« Nous nous saoulions et nous jouions de la musique, et nous faisions la fête. Je me souviens avoir appris assez rapidement que c’était un style de vie difficile à entretenir quand on tourne. […] Ça ne suffit pas de dire : « Eh, on était bon hier soir ! » Il faut être bon tous les soirs. »
A quoi ressemblaient les premiers pas du groupe ?
J’ai tellement de souvenirs, de bons et de mauvais. Quand nous avons commencé, nous n’étions qu’un groupe pour faire la fête, nous jouions dans des bars. C’est tout ce que nous faisions, nous nous saoulions et nous jouions de la musique, et nous faisions la fête. Je me souviens avoir appris assez rapidement que c’était un style de vie difficile à entretenir quand on tourne. C’était plus facile quand nous avions la vingtaine, mais se comporter comme un groupe de bar sur la route, c’est dur [rires]. Tu finis avec des amendes en état d’ivresse, des arrestations et souvent une gueule de bois. Tu dois te rendre dans des stations de radio et tu fais quatre ou cinq concerts d’affilée sans jour de pause. C’est ce qui distingue les hommes des garçons ! C’est là que tu réalises : « Faudrait peut-être que je sois un petit peu plus intelligent avec ça. » Car ça ne suffit pas de dire : « Eh, on était bon hier soir ! » Il faut être bon tous les soirs. J’ai arrêté de boire il y a des années, par choix personnel, mais quand on commence un groupe et que ça devient ton business, on décide : « On est dans l’industrie musicale, on fait des albums, on tourne et on fait du business. » Faire de la musique, c’est la partie la plus importante de l’équation, mais il faut aussi être responsable. Les Rollings Stones continuent à travailler parce qu’ils ne font pas n’importe quoi. Ils assurent le spectacle tous les soirs et j’ai lu par le passé que Mick Jagger était un professionnel accompli. C’est comme ça : on devient professionnel. On n’est plus qu’un mec qui joue dans le bar du coin le samedi soir, on est un musicien professionnel. Donc j’espère que je suis meilleur. Nous avons appris à être des Gitans et à nous diriger dans ce business.
Malgré le succès, vous n’avez jamais travaillé avec une major : est-ce bénédiction ou une malédiction ?
Je pense que dans notre cas, c’est une bénédiction, car nous avons pu faire ce que nous voulons faire depuis le début. Il n’y a jamais eu personne pour venir nous dire : « Ne faites pas ça. Vous devez porter ces vêtements et couper vos cheveux comme ça et écrire ce genre de chanson, et il vous faut plus de chansons comme ça, il vous faut un tube. » Nous avons donc pu nous développer de manière organique tout seuls. Je pense que nos fans apprécient ça plus que tout. Ce serait étrange maintenant si une major venait vers nous, je ne sais pas pourquoi ils le feraient [rires]. Il faudrait qu’ils aient un très bon plan !
Quel est ton pire et ton meilleur souvenir de vos débuts ?
L’un de mes pires souvenirs, c’est un coup où nous sommes allés dans une ville au Nouveau-Mexique et personne n’avait acheté de place pour venir voir le concert, et nous sommes arrivés, nous avons installé notre matériel, le gérant de la salle est venu et visiblement, il avait la gueule de bois. Il était là : « Faites comme chez vous. Si vous voulez boire, allez derrière le bar et servez-vous » et il est parti dans son bureau pour dormir. Nous avons fait les balances et nous sommes restés là à attendre. Il est revenu et a dit : « Bon, les gars, personne ne va venir. Donc voilà deux cent cinquante dollars et fichez le camp. » Nous avons donc pris l’argent et sommes partis. Le meilleur souvenir était la première fois où nous avons ouvert pour Lynyrd Skynyrd à Dallas, au Texas, en 2002, je crois. C’était un grand amphithéâtre à Dallas, il y avait vingt mille personnes et nous avions trente minutes de jeu. J’ai levé la tête et j’ai vu que Gary Rossington et Rickey Medlocke nous regardaient sur le côté. Ça m’a stressé. Quand nous avons terminé le concert, nous sommes retournés dans notre petite loge et Rickey nous avait écrit un petit mot qui disait : « Les gars, j’ai absolument adoré ce que vous faites. Voici mon numéro de téléphone. Appelez-moi. Rickey. » J’ai toujours ce petit mot quelque part !
Il y a la tournée Spirit Of The South qui est prévue et a été repoussée à cet été. L’une des particularités de cette tournées, c’est le partenariat avec The Allman Brothers Band Museum, situé dans ce qu’on appelle The Big House à Macon en Géorgie, afin d’emmener l’histoire du groupe sur la route avec une installation mobile. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
C’est un type de partenariat intéressant. Nous sommes très amis avec les gens de The Big House. Ils ont trouvé que c’était une superbe manière de faire connaître le musée du Allman Brothers Band et cette expérience géorgienne que nous proposons. Puisque ce que nous faisons avec cette tournée c’est vraiment de célébrer cette idée, la musique du Sud, ça semblait être une superbe occasion d’impliquer The Big House et Jaimoe, l’un des membres originaux, et évidemment le Allman Betts Band (groupe à l’affiche également de la tournée comprenant les fils de trois des membres fondateurs du Allman Brothers Band, NDLR), a également des liens très forts. C’est la famille pour eux. Ça semblait tout simplement être un truc sympa à faire. Les fans pourront voir des choses s’ils ne sont jamais allés au musée. C’est un truc très fraternel. Je suis moi-même fan. Comme la plupart des guitaristes que je connais, j’ai été éduqué à l’école de Dickey Betts et Duane Allman. Ce sont des légendes. Ce qui est drôle, c’est que j’en ai parlé avec Warren Hayne un soir et j’ai dit : « On a tous appris tous les solos de l’album live à Fillmore East. On les a appris à la note près, c’était la bible ! » Il m’a dit : « Et ces mecs ne les ont plus jamais rejoués de cette manière. C’était juste ce soir-là. Ils les jouaient toujours différemment. »
En parlant d’être fan, je suis en train de regarder ton mur derrière toi et je vois cette guitare signature Van Halen…
C’est l’un des modèles EDH qui sont en vente actuellement. Eddie Van Halen a aussi été énorme pour moi ! Je suis incapable de jouer comme lui, mais je serai toujours un fan. J’avais environ dix ans quand j’ai entendu « Eruption » pour la première fois, ma réaction était celle que tout le monde a eue : « Bordel, qu’est-ce que c’est que ça ? Il n’y a pas moyen que ce soit une guitare. »
Interview réalisée par téléphone le 14 avril 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : John McMurtrie (1) & Jo Lopez (2, 3, 5, 6, 7).
Site officiel de Blackberry Smoke : www.blackberrysmoke.com
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