Certes, les Number Of The Beast, British Steel, Keeper Of The Seven Keys, etc. sont des albums qui ont marqué ce qui pour beaucoup représente la période faste du heavy metal et font aujourd’hui l’unanimité. Ce serait pourtant une erreur de négliger la renaissance de la scène au cœur des années 90. Et, à cet égard, Imaginations From The Other Side de Blind Guardian pourrait bien être l’un des albums de heavy/power metal les plus importants de tous les temps. C’est dit.
Imaginations From The Other Side c’est, avec Nightfall In Middle-Earth, le pivot de la carrière des Allemands, mais c’est aussi un album qui, en reprenant les codes des aînés et en se tenant aux côtés des productions d’Iced Earth ou d’Angra pour ne citer qu’eux, a dépoussiéré et redéfini le heavy pour les années à venir. Voilà pourquoi Blind Guardian et le label Century Media ont décidé de marquer les vingt-cinq ans de l’album produit par le célèbre Flemming Rasmusen en le ressortant en version deluxe accompagné d’une version live intégrale captée en 2016.
Nous avons attrapé Hansi Kürsch entre deux sessions de chant pour le prochain album du groupe afin qu’il se remémore avec nous cette époque magique, mais pas moins semée d’embûches, et qu’il nous parle de son rapport à l’imagination, thème central de l’album.
« Nous surfions sur un vague de succès palpitante, nous avons profité de cette vague et on peut le ressentir en écoutant les chansons d’Imaginations. On a vraiment l’impression d’entendre un groupe qui a le feu sacré. »
Radio Metal : Tu es actuellement en train d’enregistrer en studio. C’est pour Blind Guardian ?
Hansi Kürsch (chant) : Oui, nous sommes en train d’enregistrer le prochain album. Nous avons profité de cette année merdique avec le coronavirus pour être productifs. Nous avons fait les préproductions lors de la première moitié de 2020, puis nous avions pour mission de jouer au Wacken virtuel en août. A part ça, nous enregistrons depuis le mois d’août. Frederik [Ehmke] a fait la batterie pour les cinq premières nouvelles chansons du prochain album, nous avons continué avec tous les instruments et actuellement, je suis en train de terminer la quatrième chanson. Il me reste une chanson à faire et ensuite, nous commencerons à travailler sur cinq autres chansons. Ça va probablement nous tenir occupés jusqu’à janvier et ensuite, nous passerons au mixage. Après ça, ce sera juste une question de décider quand exactement nous sortirons l’album. Je suppose que nous viserons une sortie de ce prochain album pour octobre 2021.
Vous sortez actuellement une édition anniversaire des vingt-cinq ans d’Imaginations From The Other Side – l’un de vos albums que les fans préfèrent – tandis que vous avez aussi déjà annoncé une tournée l’année prochaine pour les trente ans de Somewhere Far Beyond. Il semblerait que la transition entre ces deux albums ait été une étape très importante pour Blind Guardian. Peux-tu nous parler de ces années-là et du contexte lorsque vous êtes passés de Somehwere Far Beyond à Imaginations ? Comment la magie a-t-elle opéré ?
Somewhere Far Beyond était un très bon album. Je pense qu’il a très bien défini ce avec quoi nous avions commencé. Quand nous avons terminé la composition de Somewhere Far Beyond, après avoir tourné en soutien de l’album, nous avons eu le sentiment de devoir trouver une nouvelle direction. Sur le plan de la composition, c’est tout de suite venu, c’était purement de la chance, nous étions chauds et nous étions sûrs de pouvoir délivrer un album qui serait encore meilleur que Somewhere Far Beyond. Evidemment, quand on commence un processus de composition, on ne sait jamais ce qui va venir. Il s’est avéré que c’était l’une de nos meilleures périodes de composition à tous les égards. Pour revenir à Somewhere Far Beyond, ça a été un gros succès, c’était l’un des rares albums à avoir atteint la première place dans les classements d’albums dans de nombreux pays, comme la Grèce et le Japon. A l’époque, c’était un accomplissement. Nous avons fait notre première tournée au Japon pour cet album et c’était un succès. Nous avons aussi fait Tokyo Tales et ça a été un autre succès. Nous surfions sur un vague de succès palpitante, nous avons profité de cette vague et on peut le ressentir en écoutant les chansons d’Imaginations. On a vraiment l’impression d’entendre un groupe qui a le feu sacré, avec la production, les prestations, les chansons, etc. Il s’avère que c’était l’une – si ce n’est la – période de Blind Guardian la plus importante. Nous nous sentions bien, il n’y a aucun mauvais souvenir – si ce n’est la blessure d’André [Olbrich], qui a eu lieu lors des sessions d’enregistrement de l’album, ce qui nous a forcés à faire une pause. En dehors de ça, c’était une époque hyper excitante. Nous étions jeunes évidemment – ça aussi, ça a aidé –, nous nous sommes bien amusés, nous avons profité de la musique et de notre succès. Nous étions créatifs et disposés à foncer tête baissée. Nous avons passé la majorité de ces années en salle de répétition à être créatifs – pas que ce soit différent de nos jours, mais c’était vraiment excitant et naturel.
Peux-tu nous en dire plus sur la blessure d’André ?
C’est arrivé durant l’enregistrement. Nous avons tous vécu une période stressante parce que Flemming Rasmussen qui a produit l’album – nous avons travaillé avec lui pour la première fois sur cet album – était très exigeant, pointilleux et précis avec ce qu’il voulait nous voir jouer. Nous avons tous dû améliorer nos compétences. André a dû améliorer son jeu rythmique à la guitare ainsi que son jeu solo. Ça a été une session très difficile pour tout le monde. Quand il a enregistré sa seconde et troisième partie mélodique pour l’une des chansons, André a ressenti un engourdissement dans deux de ses doigts, sans savoir à quoi c’était dû. Il est retourné en Allemagne et les médecins ont découvert que deux nerfs dans son coude étaient à la mauvaise place. Il lui fallait subir une opération chirurgicale. A ce moment-là, les médecins ont aussi dit qu’il n’y avait aucune garantie que ça marche et qu’André pourrait ne jamais plus pouvoir ressentir ses deux doigts. C’était très stressant pour lui et pour nous en tant que groupe parce que nous ne savions pas s’il y avait encore une chance pour que nous puissions continuer. Nous avons appris plus tard, après l’opération, que tout s’était passé pour le mieux. André a ensuite dû récupérer, ce qui a pris trois mois, mais nous avons utilisé cette période pour écrire une chanson supplémentaire, qui était « Bright Eyes ». Sans cet incident, « Bright Eyes » n’aurait pas été sur l’album, donc il aurait manqué à ce dernier une chanson très importante.
Absolument, « Bright Eyes » est l’une des meilleures chansons de l’album !
Quand nous l’avons faite, c’était une de ces chansons auxquelles on ne fait pas tellement attention au moment où on les crée. Nous devions tuer le temps, donc nous avons simplement écrit une nouvelle chanson. Nous n’en avions pas besoin, mais nous trouvions que ce serait sympa de l’avoir. C’est la recette d’une bonne chanson parce qu’on n’y réfléchit pas trop. Quand nous avons écrit cette chanson, ni André ni moi n’avons eu l’impression que c’était l’une des meilleures chansons, pour nous c’était une chanson de remplissage. C’étaient Thomen [Stauch] et Marcus [Siepen] qui ont réalisé à quel point la chanson serait excellente.
« Quand j’étais jeune et que j’allais me coucher dans le noir, je voyais toujours des fées voler autour de moi. Pour en rapporter la preuve, j’ai attrapé l’une de ces fées et je l’ai gardée dans ma main puis je me suis endormi. Je voulais prouver que ce n’était pas juste mon imagination. Mais le lendemain, quand j’ai ouvert ma main, devine quoi ? Elle n’était plus là ! [Rires] »
Vous avez changé de producteur avec Imaginations. Vous êtes passés de Kalle Trapp à Flemming Rasmussen, réputé pour sa collaboration avec Metallica dix ans plus tôt. Penses-tu que vous aviez atteint une limite avec Kalle ?
C’est certain. Kalle a fait un boulot extraordinaire sur tous les albums sur lesquels il a travaillé mais on pouvait voir le développement du groupe à partir de Battalions Of Fear et au fil des albums suivants. Kalle a toujours réussi à apporter quelque chose en plus mais quand nous avons fait Somewhere Far Beyond, nous avons tous ressenti qu’il ne pouvait plus nous apprendre grand-chose. Il a fait du super boulot et l’album sonne très bien, mais il avait des idées différentes et nous trouvions qu’il détruisait les intentions originelles que nous avions pour certaines des chansons. Le refrain d’« Ashes To Ashes » me vient à l’esprit, nous avions une idée légèrement différente sur la manière de le faire, mais il était tellement pointilleux et dominateur que nous avons suivi ses instructions et nous n’avons pas aimé ça. On peut dire la même chose de « The Bard’s Song – In The Forest », Kalle nous a poussés à jouer au click et à faire un changement de tempo rapide dans la section solo, or ce n’était pas la manière dont nous avions prévu de jouer la chanson. Il était strict sur certaines choses, ce qui est une obligation en tant que producteur, mais nous n’aimions pas ce qu’il avait fait, donc il nous fallait trouver une autre solution. Nous avons fait Tokyo Tales avec lui, il a mixé l’album et il a fait du super boulot mais ensuite, nous lui avons dit que nous n’allions plus faire d’albums avec lui à l’avenir. Il nous fallait quelqu’un qui puisse nous emmener à un autre niveau et nous avons tous pensé que Flemming Rasmussen serait cette personne. C’était un changement évident pour nous.
Etait-ce son travail avec Metallica qui vous a fait penser ça ?
Oui, et aussi Pretty Maids. Nous avons énormément aimé cet album. L’album Future World était l’un de nos préférés à l’époque, et Master Of Puppets et Ride The Lightning sont des classiques absolus. C’est le son que nous voulions obtenir pour Imaginations From The Other Side parce que c’était un album plus dur. Il nous présentait sous un autre jour, si on compare à ce que nous avons fait sur nos précédents albums. Ça aurait de toute façon été difficile pour Kalle parce que c’est un gars qui vient de la fin des années 60 et des années 70 sur le plan musical. Il est très bon avec les approches mélodiques, qui est justement ce dont nous avions besoin sur Tales From The Twilight World et Somewhere Far Beyond, mais il n’est pas bon quand il s’agit d’expression et d’intensité, il n’a jamais compris ça musicalement. Nous savions que Flemming était sans doute la personne la plus brillante dans les années 90 pour tenter ça.
Vous avez passé presque huit mois à Copenhagen pour cet album et apparemment, vous avez pas mal fait la fête…
En effet, nous avons beaucoup fait la fête ! Ceci dit, je ne suis pas sûr que c’ait été aussi long. Je pense que c’était sur une période de huit mois, mais comme je l’ai dit, nous avons dû faire une pause à cause de la blessure d’André. Nous avons dû passer cinq ou six mois là-bas et en effet, nous nous sommes fait plaisir. Nous avions prévu de faire tout le truc durant l’été 1994, mais comme Flemming était très pointilleux et que nous étions complètement flemmards, il était devenu assez évident que nous n’allions pas tenir les délais. Déjà avant la blessure d’André, nous savions que nous allions avoir besoin de plus de temps en studio.
Vous avez en partie travaillé avec Flemming sur un autre album ensuite, Nightfall In Middle-Earth, puis vous avez opté pour Charlie Bauerfeind qui est presque devenu un membre de Blind Guardian en studio. Comment comparerais-tu Charlie et Flemming ?
Charlie était déjà là quand nous avons fait Nightfall. Charlie Bauerfeind nous accompagne depuis Nightfall. Il a joué un rôle moteur en tant qu’ingénieur, parce qu’il a vraiment sauvé cet album très ambitieux. L’idée initiale était que Flemming mixerait Nightfall In Middle-Earth mais, comme je l’ai dit, nous ne respectons jamais nos échéances, donc quand nous étions censés faire le mixage au Danemark, nous étions encore en train d’enregistrer. Nous avons emmené notre matériel au Danemark et nous avons commencé à enregistrer là-bas aussi, c’est ainsi que Flemming a aussi été impliqué dans l’enregistrement de l’album. Nightfall In Middle-Earth est, en gros, un album produit par Blind Guardian, mixé par Flemming Rasmussen et avec l’implication de plusieurs ingénieurs. Techniquement, ils sont tous les deux d’un très haut niveau. Je peux dire qu’ils ont les mêmes exigences en matière de musique : il faut que ce soit authentique, intense et précis. En conséquence, ils ne sont pas tellement différents. Charlie est même encore plus strict que Flemming. Charlie est un petit peu plus doué avec les orchestrations et tous les éléments classiques qui sont venus après Imaginations et en particulier sur A Night At The Opera, tandis que Flemming est un peu plus doué sur le côté plus direct.
« C’est parfois comme une méditation quand on est créatif. On atteint un stade où la réalité n’a plus d’importance, elle est là mais elle ne nous importe pas. Je ne disparais pas réellement mais c’est l’impression que ça me donne. Je ne sais pas si c’est un autre monde mais c’est peut-être ce qui se rapproche le plus d’une autre dimension. »
Imaginations From The Other Side raconte l’histoire d’un enfant qui trouve dans un miroir une échappatoire, avant que la réalité ne le rattrape. C’est évidemment une histoire sur l’imagination en tant que telle. Peux-tu nous parler de ta relation à l’imagination ?
Je dois d’abord clarifier une chose : l’enfant ne saute pas dans l’autre monde dans l’album, il est tout juste sur le point de sauter à la fin de « And The Story Ends ». En gros, la narration mêle l’imagination de cet enfant et cette autre réalité, et la réalité que cet enfant doit gérer et qui est très dure. L’enfant envisage le suicide parce que le monde réel ne lui offre pas beaucoup d’options, c’est un monde froid où un enfant peut facilement être ignoré par son environnement. En conséquence, il est prêt à sauter comme on le découvre plus tard dans Beyond The Red Mirror. L’imagination, la mythologie, les histoires, la fantaisie – peu importe comment on appelle ça – enrichissent ma vraie vie, parce que ça m’offre l’occasion de me détendre et d’être créatif. Je trouve que ça colle parfaitement avec ce que Blind Guardian fait et a toujours fait. On peut vraiment jouer avec. Même si j’aborde de vrais sujets connectés à la réalité, comme je l’ai fait dans « Born In A Mourning Hall », je peux toujours les colorer et divertir les gens, tout en étant parfaitement honnête et sérieux, sans trop manipuler l’auditeur en lui disant que ce monde est mauvais ou qu’il doit choisir une certaine direction ou prendre tel parti, etc. Je pose des questions sur toutes ces choses et ça fait partie de la narration et de notre musique. Ça me laisse la possibilité de donner beaucoup de liberté à l’auditeur afin qu’il détermine lui-même la direction qu’il ou elle veut prendre. C’est ma manière de m’identifier à la musique et à la fiction. C’est un don ; en dehors du fait d’être un père, ceci est le plus grand don qu’on m’ait jamais donné.
Etais-tu un enfant très imaginatif ?
Je dirais que oui. Si on s’intéresse à la chanson « Imaginations From The Other Side », elle parle d’une personne qui a perdu la capacité d’être imaginatif. J’ai rencontré de telles personnes dans ma vie et j’ai toujours eu beaucoup de peine pour eux. J’ai conservé mon esprit imaginatif. Quand je chante les paroles « Où sont les visages silencieux », je parle d’un vrai événement dans ma vie. Quand j’étais jeune et que j’allais me coucher dans le noir, je voyais toujours des fées voler autour de moi. Pour en rapporter la preuve, j’ai attrapé l’une de ces fées et je l’ai gardée dans ma main puis je me suis endormi. Je voulais prouver que ce n’était pas juste mon imagination. Mais le lendemain, quand j’ai ouvert ma main, devine quoi ? Elle n’était plus là ! [Rires] Il y a un tout de petit peu – pas beaucoup – de ma biographie là-dedans.
Est-ce que la réalité te déprime parfois ?
Oui, bien sûr. Je ne sais pas avec quelle intensité de rose il faut voir les choses pour ne pas se sentir déprimé en ce moment. Il y a toujours plusieurs raisons pour être déprimé mais je suis aussi quelqu’un qui affronte les problèmes d’aujourd’hui et essaye toujours de regarder le bon côté de la vie. Ça ne veut pas dire que je n’ai jamais vécu de situation très déprimante. J’ai découvert que dans bien des cas, on ne peut pas toujours réussir. Il faut parfois vivre avec les blessures de la vie, certaines nous rendent plus forts et d’autres sont des tortures. Quand tu vois quelqu’un mourir, il faut vivre avec mais c’est dur de le comprendre ou de l’accepter.
Si on regarde ça d’un point de vue spirituel, penses-tu que l’imagination et, par extension, les rêves sont un monde qui, d’une certaine manière, a une réalité ? En l’occurrence, certains artistes croient que leur inspiration ne vient pas d’eux mais d’un autre endroit qui communique à travers eux…
Ça vient naturellement, donc je ne sais vraiment pas. C’est une source en nous, c’est parfois comme une méditation quand on est créatif. On atteint un stade où la réalité n’a plus d’importance, elle est là mais elle ne nous importe pas. Je ne disparais pas réellement mais c’est l’impression que ça me donne. Je ne sais pas si c’est un autre monde mais c’est peut-être ce qui se rapproche le plus d’une autre dimension. Le temps et l’espace perdent toute pertinence. Si je suis en mode créatif, je ne vois pas le temps passer ; je sais que je suis en train de travailler sur quelque chose et je suis très concentré, donc je ne disparais pas, mais ça ne me donne pas l’impression d’avoir travaillé pendant quatre ou cinq heures, j’ai l’impression que seulement cinq minutes se sont écoulées. Parfois, des idées me viennent si rapidement que c’est très difficile de ne pas imaginer qu’elles se sont formées dans ma vie ou mon cerveau avant. Elles viennent d’une source intérieure et elles sortent subitement ; parfois, avant même d’avoir les idées, je sais déjà ce que je fais. C’est dur à expliquer, je pense que ça arrive à certaines personnes créatives, suivant comment elles arrivent à cet état. Dans les années 70, plein de gens avaient pour habitude de prendre de la drogue pour y arriver, et peut-être qu’ils sont allés encore plus loin grâce à la drogue. Je n’ai jamais consommé de drogue, ça n’a jamais été ma tasse de thé, donc je ne peux pas dire ce que ça fait. Si des personnes qui ont utilisé du LSD te racontent des histoires sur ce qu’elles ont vécu et ce qu’elles ont vu, tu commenceras à réfléchir à ce genre de chose. Je ne peux pas te donner une réponse précise et je ne suis pas arrivé à une conclusion sur ce sujet.
« L’histoire derrière l’histoire et la vérité ont toujours été très importantes pour moi. La réalité a aussi été importante pour moi, mais ce qui me donne le kiff ultime c’est la manière dont les choses sont connectées, comment elles ont été utilisées et malmenées, et comment elles finissent par devenir très réelles. »
Dans Imaginations From The Other Side, on retrouve de nombreux liens avec l’épopée arthurienne. On connaît votre passion pour les histoires de J.R.R. Tolkien et l’inspiration que vous avez puisée dans son œuvre, mais quelle a été l’importance du récit arthurien dans la construction de l’univers de Blind Guardian ? Et quelle a été ta relation personnelle à celui-ci ?
Je peux dire que j’ai connue l’épopée arthurienne avant Tolkien. Les fables, les contes et les mythes ont toujours été très importants pour moi depuis mon enfance. En conséquence, ils ont été une source d’inspiration. Quand j’ai eu douze ans, j’ai commencé à lire tous ces romans fantastiques mais la mythologie était déjà là. Encore une fois, ça a enrichi ma vie et c’est aussi un lien sympa entre le présent, le passé et le futur, car ces histoires nous survivront, c’est ce qui m’a tant attiré en elles. L’épopée arthurienne a été racontée pendant des milliers d’années voire un peu plus longtemps, et elle est partie dans tant de directions différentes, c’est plus que juste une histoire. Elle a été considérée comme étant la réalité. Pendant très longtemps, les gens ont cru que le roi Arthur a été le roi d’Angleterre. Il a pendant très longtemps fait partie de l’histoire britannique, jusqu’à ce qu’ils découvrent que ce n’était qu’un mythe et qu’il y avait peut-être un gars qui s’appelait Arthur mais qui n’a jamais été roi. Tous ces développements et toutes ces connexions ont été très importants pour moi, d’autant plus aujourd’hui en tant que compositeur et parolier du groupe. C’est devenu encore plus important aujourd’hui parce que je m’intéresse plus aux choses élaborées qu’aux histoires vides. L’histoire derrière l’histoire et la vérité ont toujours été très importantes pour moi. La réalité a aussi été importante pour moi, mais ce qui me donne le kiff ultime c’est la manière dont les choses sont connectées, comment elles ont été utilisées et malmenées, et comment elles finissent par devenir très réelles.
Imaginations est le dernier album où tu tenais la basse. Qu’est-ce qui t’a poussé à abandonner cet instrument pour n’être que chanteur ? Penses-tu qu’être chanteur-bassiste t’empêchait de te développer ou de t’épanouir en tant que frontman ou chanteur ?
Pour être juste, être chanteur m’empêchait d’honorer mes engagements et de devenir un meilleur bassiste, car composer le chant avec toutes ces couches et trouver des idées était un boulot à plein temps pour moi dans Blind Guardian. En conséquence, quand nous avons commencé à produire Imagination From The Other Side, j’ai complètement négligé la basse, et c’est là que je me suis demandé si c’était une bonne idée que je fasse les deux. J’aimais bien jouer de la basse, mais je n’aimais pas ça autant que chanter. Quand nous étions en tournée pour Imaginations From The Other Side, j’ai réalisé pour la première fois que je galérais à assurer à la fois le chant, avec mes placements, et ce que j’étais censé jouer à la basse, donc c’est devenu très compliqué sur scène. Quand nous avons composé Nightfall, il s’est passé la même chose. Trouver des idées pour le chant était tellement exigent que je n’ai à aucun moment prêté attention à la basse. La structure vocale est devenue encore plus complexe et s’éloignait des structures habituelles permettant de s’accompagner à la basse. C’est ainsi que j’ai compris que nous ferions mieux de trouver un autre bassiste. Je ne l’ai jamais regretté, en dehors d’une fois, lorsque nous avons tourné pour Nightfall. Je n’avais pas eu suffisamment de temps pour me préparer à ne rien avoir entre les mains sur scène. Je me suis senti tout nu et j’ai manqué d’assurance en n’ayant pas de basse et en n’étant que le chanteur sur scène. Il m’a fallu un petit moment avant que je ne me sente confiant par rapport ça, mais j’ai relevé le défi et j’ai travaillé dessus. Je ne pense pas que je serais devenu un meilleur bassiste au fil des années, je n’aurais pas pu rendre justice à l’instrument en tant que tel et ça aurait été injuste pour la musique de Blind Guardian. C’était une décision logique et je n’ai jamais considéré ça comme une erreur.
Après ça, comment as-tu travaillé sur ta présence scénique et ton jeu de scène ?
Il fallait juste que je m’accepte. Il s’agissait plus de trouver une manière de faire. Je me suis d’abord dit que je devais bouger, faire ci et ça, etc. Je ne suis plus un gars très athlétique. Je l’étais probablement quand j’avais vingt ans, mais certainement pas quand nous tournions pour Nightfall et plus tard. Il a fallu que je trouve mon style et gagne en assurance pour communiquer avec le public quand nous jouions. J’ai creusé plus profondément le sujet et j’ai réalisé que Blind Guardian est un groupe pour chanter en chœur, donc j’ai dû trouver le moyen de motiver les gens à chanter avec nous et d’incarner les histoires car ça fait partie de ma personnalité. Je me suis concentré là-dessus et j’ai prêté plus attention aux chanteurs que j’admire et qui font aussi ce genre de chose, tel que Peter Gabriel. Même s’il y a des similarités entre Queen et Blind Guardian, je ne suis pas Freddie Mercury non plus, je ne suis pas obligé d’être aussi expressif que lui. Il fallait que je travaille. J’ai travaillé sur ce que je suis et désormais, j’ai de plus en plus confiance en moi. On peut toujours s’améliorer, je peux toujours améliorer mes compétences vocales et mes prestations, mais je suis content de ce que je suis, du groupe et de mon environnement.
« Je ne pense pas que je serais devenu un meilleur bassiste au fil des années, je n’aurais pas pu rendre justice à l’instrument en tant que tel et ça aurait été injuste pour la musique de Blind Guardian. »
Imaginations et Nightfall représentent clairement une période charnière dans la carrière de Blind Guardian, mais c’était aussi juste après ça que tu as failli perdre l’ouïe sur une oreille. Comment c’est arrivé et comment as-tu vécu cette épreuve ?
Le manque d’assurance que j’ai ressenti en tournée pour Nightfall sans la basse a certainement joué un rôle. C’était une période exigeante. Nous avons fait notre première véritable tournée pour Imaginations et ensuite, nous avons encore plus tourné pour Nightfall In Middle-Earth. Comme je te l’ai dit, nous n’avons jamais été capables de respecter les dates butoirs : nous avons terminé la production et le mixage de Nightfall In Middle-Earth le même jour où j’ai fini le chant, j’étais occupé à travailler dessus jusqu’à la fin de la production de l’album. Quand nous avions fini de produire l’album, nous sommes partis dès le lendemain en tournée promotionnelle. Je ne suis pas rentré chez moi, je suis allé en Allemagne d’abord et ensuite dans plein d’autres pays. Après cette tournée promotionnelle, nous sommes immédiatement partis en tournée traditionnelle, donc nous n’avons pas eu une seconde pour nous reposer ou nous préparer aux concerts. La première fois que nous avons vraiment répété la setlist et le concert de Nightfall, c’était la première fois que nous avons joué. C’était très stressant et j’ai réalisé que je n’étais pas aussi bon que je pensais que je serais en tant que performeur sur scène. Quand nous avons terminé la tournée, j’ai décidé de commencer à travailler avec Jon [Schaffer] sur Demons & Wizards. Puis je me suis écroulé et j’ai eu de sérieux problèmes aux oreilles – c’était très étrange, je ne savais pas ce que c’était, mais j’ai très vite réagi. Heureusement, ça pouvait être soigné et ça a assez vite été guéri. J’étais très inquiet mais j’avais de bons médecins, je dois dire. J’ai pris les bons médicaments et ils ont fait ce qu’il fallait. Depuis lors, je fais beaucoup plus attention à mon corps et je me repose entre les projets. Peu importe à quel point la situation est stressante, je m’assure d’avoir un temps de repos. Je n’ai plus jamais eu ce problème, mes oreilles ne sont pas au top mais elles sont suffisamment bonnes. Avant de commencer à faire des interviews aujourd’hui, j’ai fait du chant pendant quatre heures, je fais ça quotidiennement et ça ne pose aucun problème.
Imaginations a largement contribué à faire renaître la scène heavy metal entre le milieu et la fin des années 90, alors qu’elle était considérée à moitié morte après l’avènement du grunge et du néo metal. Quels sont tes souvenirs de la scène à l’époque, qui renaissait plus ou moins de ses cendres ? Ressentais-tu ce nouvel élan qui commençait pour le heavy metal ?
Quand il s’agit de créativité, nous nous sommes toujours mis à l’écart et nous ne nous considérons pas comme faisant partie d’un mouvement ou d’une scène. Nous nous contentons de faire ce que nous faisons et nous suivons notre instinct. C’est aussi ce que nous avons fait à l’époque. Pour nous, les années 90 ont été couronnées de succès, de Tales From The Twilight World à Nightfall In Middle-Earth. Aucun de ces albums ne montrait que la scène souffrait. Notre succès s’est accru à chaque nouvel album. Nous aimions ce que nous étions en train de faire, nous savions que nous étions dans un élan et nous proposions de la musique de qualité. Nous avions une maison de disques solide, nous travaillions avec Virgin Records à l’époque, qui était une major. Ils ne signaient que des groupes à potentiel ou des groupes qui, selon eux, pourraient avoir du succès, donc c’était aussi très motivant pour nous. Je sais que d’autres groupes souffraient mais ça n’a jamais été le cas de Blind Guardian. Nous tournions avec Iced Earth – il y a une solide amitié entre Jon et moi, bien sûr – et ils ont vécu la même chose, ils n’ont cessé de monter les échelons comme nous l’avons fait. Nous étions très créatifs ensemble et c’est tout ce qui comptait pour nous. Je ne pensais pas vraiment aux difficultés des autres groupes ou aux fans qui ne s’intéressaient pas à nous, je n’ai jamais vécu ça. J’étais confiant et je suis sûr que c’était le cas de tout le monde dans le groupe.
Dans une interview passée, tu nous avais dit qu’après Imaginations et Nightfall vous êtes « devenus plus progressifs, [vous êtes] peut-être devenus plus complexes, mais tout était déjà là sur cet album ». Comment Imaginations a-t-il posé les bases de ce qu’est Blind Guardian aujourd’hui ?
Cet album était important. Autrement, je n’aurais pas pris le risque de faire un concept lié à cet album sur Beyond The Red Mirror. Je ne peux pas dire que j’ai ressenti une pression avant ou après Imaginations parce que j’étais convaincu que nous étions suffisamment bons en tant que musiciens. La tournée d’Imagination a été très exigeante mais c’était une motivation pour voir où ça pourrait nous mener avec l’album suivant. Nous avions conscience du succès d’Imaginations mais ça ne nous dérangeait pas trop. J’ai ressenti cette pression après Nightfall In Middle-Earth mais si tu parlais à André aujourd’hui, il te dirait qu’il a ressenti la pression après Somewhere Far Beyond. Ce genre de choses est perçu très différemment au sein du groupe. Pour moi, il y a trois périodes chez Blind Guardian. La première période va jusqu’à Somewhere Far Beyond. Imaginations et Nightfall sont un peu des hybrides, ils relient les deux périodes parce qu’ils contiennent plein de choses du passé, mais ils donnent aussi une idée du futur. Imaginations et Nightfall sont des parts très importantes de l’histoire de Blind Guardian, ils nous ont donné confiance en notre capacité de faire des choses potentiellement nouvelles, peu importe depuis combien de temps nous faisons ça. Imaginations peut être vu comme le pilier de notre confiance en nous-mêmes.
« Imaginations et Nightfall sont des parts très importantes de l’histoire de Blind Guardian, ils nous ont donné confiance en notre capacité de faire des choses potentiellement nouvelles, peu importe depuis combien de temps nous faisons ça. Imaginations peut être vu comme le pilier de notre confiance en nous-mêmes. »
La réédition anniversaire des vingt-cinq ans d’Imaginations est accompagnée d’un album live où vous jouez l’intégralité de l’album. Y a-t-il des chansons qui, encore aujourd’hui, représentent un défi pour toi à chanter ?
Non, mais presque chaque album est un défi quand on joue plusieurs concerts de suite. Si je devais chanter n’importe quel album pour une occasion, je pourrais sans doute faire la plupart des albums mais ce qui est difficile c’est de le faire soir après soir. Imaginations est l’un de ces albums qui sont presque faisables. Evidemment, une partie de ma tessiture disparaît quand je suis en tournée, car les tournées sont difficiles. Cependant, ces chansons peuvent être interprétées de plein de façons différentes, peut-être parce qu’elles sont vieilles. Je dois préserver ma voix. Si j’allais directement chercher les notes aiguës, comme quand j’ai enregistré l’album, ce serait presque infaisable. Il y des moyens de jouer avec ces chansons. Ça me permet d’être assez confiant presque chaque soir quand je joue ces chansons. Elles sont exigeantes et on peut toujours l’entendre quand ça fait un petit moment que je suis sur la route, donc je ne sonne pas comme sur l’album, mais ça reste appréciable, pour moi et j’imagine pour les fans.
Quelle est ta chanson préférée sur Imaginations ? Et celle que tu aimes le moins ?
C’est toujours difficile de parler de « la chanson qu’on aime le moins ». Il y a des albums pour lesquels je pourrais te dire celle que j’aime le moins – « Battalions Of Fear » serait la chanson que j’aime le moins sur l’album Battalions Of Fear, par exemple. Il n’y a pas de chanson que j’aime le moins dans Imaginations – je le dis vraiment en tout sincérité. Il n’y a pas de moment faible dans cet album, donc il n’y a pas de chanson que je considère comme étant moins bien que les autres. Ma chanson préférée à faire sur scène est « And The Story Ends ». En tant qu’auditeur, ma chanson préférée serait « Imaginations From The Other Side ».
C’est drôle parce qu’il se trouve que tu n’aimais pas le refrain de cette chanson lors du processus de composition !
C’est tout à fait vrai. Parfois je suis aveugle ; parfois, l’un des autres gars est aveugle. Dans ce cas particulier, c’était moi. Je n’étais pas à l’aise avec ce refrain. Nous avons eu plusieurs refrains pour cette chanson. « And The Story Ends » est l’un des refrains qui avaient été originellement composés pour « Imaginations From The Other Side ». Plus tard, nous avons pris le refrain et avons fait la chanson « And The Story Ends » avec. Ma version préférée d’« Imaginations From The Other Side » aurait été celle avec le refrain d’« And The Story Ends », et nous aurions eu une progression différente et certaines parties n’auraient peut-être jamais été sur l’album. « And The Story Ends » était le premier refrain que nous avons composé pour cette chanson, mais André et les autres gars ne l’aimaient pas, donc nous sommes passés à autre chose. J’avais ces autres parties de refrains pour « Imaginations » et André les aimait. Je ne sais pas si la structure musicale a été construite après, mais je n’aimais pas le refrain en tant que tel quand nous étions en train de travailler dessus, je pense qu’il était trop commercial pour moi.
La tournée des trente ans de Somewhere Far Beyond est planifiée pour l’an prochain. Crois-tu que ça va vraiment avoir lieu, étant donné les circonstances ?
Nous prenons les choses au jour le jour. Je ne sais pas ce que les autorités décideront. C’est parfois ridicule, donc il y a une chance qu’ils nous maintiennent au chaud et en sécurité chez nous pour les vingt-quatre prochains mois sans la moindre raison. En conséquence, il y a une chance que cette tournée n’ait pas lieu mais je reste optimiste. C’est une configuration sympa et un petit nombre de concerts. Si quelque chose doit avoir lieu l’an prochain, alors ce sera certainement la tournée des trente ans de Somewhere Far Beyond, parce que c’est quelque chose qui peut être planifié et mis en place comme il faut.
Vous avez joué cet été au Wacken World Wide 2020. Comment était cette expérience très particulière et, je suppose, étrange ?
C’était en effet étrange, surtout parce que nous avons joué dans une salle vide. Nous avions un écran devant nous où nous pouvions voir toute l’animation, ce qui est plutôt drôle mais aussi irritant. J’avais des bruits de public très forts dans mes retours, surtout quand nous terminions les chansons. C’était déroutant au début, il a fallu que je m’y fasse mais ça s’est amélioré au fil du set. Ceci étant dit, c’était une idée géniale de la part des gars du Wacken. Je suis content d’avoir eu l’opportunité d’y participer mais j’espère aussi que ça n’arrivera plus jamais.
Vous avez aussi joué une nouvelle chanson à cette occasion, que vous venez de sortir…
Oui, je crois qu’elle est sortie aujourd’hui sur internet. C’est la version live. La version studio contiendra des paroles différentes et des harmonies supplémentaires au chant mais on entend, en gros, toute la chanson. C’est une chanson sympa !
Interview réalisée par téléphone les 23 octobre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Blind Guardian : www.blind-guardian.com
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