L’histoire de Blues Pills a bien failli s’arrêter net en 2018 après l’album Lady In Gold (2016) et le départ du guitariste Dorian Sorriaux. Finalement, si l’on excepte les divers facteurs plus personnels, c’est l’histoire banale, et de plus en plus courante, du groupe qui se laisse emporter dans un rythme effréné et qui finit en burn-out. La pause s’imposait. L’occasion de reprendre le temps de vivre et de reconstruire le groupe, retrouver la passion. Blues Pills ne s’est pas pour autant tourné les pouces : Zack Andersson, anciennement bassiste, a dû se faire à son nouveau poste de guitariste lead et surtout le groupe dans son ensemble a finalisé l’aménagement de son propre studio pour produire en toute indépendance son troisième album.
Holy Moly! est le cri de la libération, celui de l’exutoire pour évacuer les frustrations, celui de la surprise aussi, d’être toujours là, en tant que groupe, malgré tout. Pas étonnant alors que la musique se montre plus sauvage, sans pour autant perdre la part de soul chère à Blues Pills. Holy Moly!, c’est le rock au naturel, organique, passionné, où les imperfections deviennent perfections. On en parle avec la chanteuse Elin Larsson.
« Quand tu n’as plus le temps de voir tes amis ou ta famille et que tu rentres chez toi après une tournée, que tu te sens un peu bête et que tu ne sais même pas quoi acheter au supermarché, que tu ne sais même pas, littéralement, ce que tu manges d’habitude, là tu commences à avoir un problème, je pense. »
Radio Metal : Blues Pills a beaucoup tourné depuis la sortie du premier album il y a six ans mais récemment, vous avez décidé de faire une pause. À quel point les membres du groupe étaient-ils épuisés quand vous avez pris cette décision ?
Elin Larsson (chant) : Je dirais que nous étions au bout du rouleau. J’adore la vie en tournée, la vie dans un groupe et je suis tellement fière de ce que nous avons accompli, mais à un moment donné, quand tu n’as plus le temps de voir tes amis ou ta famille et que tu rentres chez toi après une tournée, que tu te sens un peu bête et que tu ne sais même pas quoi acheter au supermarché, que tu ne sais même pas, littéralement, ce que tu manges d’habitude, là tu commences à avoir un problème, je pense. Donc c’était vraiment nécessaire pour nous de faire une pause en 2018.
On dirait que beaucoup de groupes ont du mal à gérer le rythme des tournées de nos jours…
Oui, parce qu’il y a d’abord la période pendant laquelle tu enregistres un album, ensuite il faut partir en tournée et ensuite il faut enregistrer un autre album, c’est une pression constante et à la fin forcément tu fais un burn-out. Et nous ne sommes même pas un gros groupe, ce qui fait peut-être que nous devons faire encore plus de concerts. Dans l’ensemble, je m’amuse énormément et les autres aussi, mais je pense vraiment que c’est nécessaire de faire une pause à un moment donné. Tu vois quand tu te rends compte que vraiment, il faut faire une pause maintenant.
En novembre 2018 le groupe annonce qu’il se sépare de Dorian Sorriaux. Cette annonce a été une grande surprise et a même peut-être été synonyme de déception pour les fans ; de son côté, Dorian a simplement déclaré qu’il en avait un peu assez de faire des riffs. Vous vous attendiez à son départ après toutes ces années ?
C’est difficile de partir en tournée et il était tellement jeune quand tout ça a démarré, moi-même j’étais tellement jeune à cette époque, j’allais avoir vingt ans et lui dix-sept. Ce que je veux dire, c’est que nous avons tous des problèmes à gérer et que cette pression qui s’ajoute par-dessus supprime finalement tout l’agrément qu’il y a à partir en tournée. Mais il n’était pas vraiment impliqué lorsque nous enregistrions des titres. Au final, tout est devenu un peu merdique [petits rires]. Je ne veux pas m’en prendre à quelqu’un ou raconter son histoire à sa place parce qu’il devrait pouvoir le faire lui-même. J’éprouve du respect pour Dorian, alors il devrait raconter ce qu’il s’est passé s’il en a envie. Il voulait jouer sa propre musique, de la musique folk, que j’aime beaucoup d’ailleurs et je lui souhaite le meilleur. J’aime toujours les albums sur lesquels il apparaît, j’ai gardé de bons souvenirs et tout, mais tout le monde ressent une certaine pression à faire partie d’un groupe, à devoir vivre tous ensemble, et ainsi de suite. Au final, on finit par perdre de vue que le groupe et la musique sont ce qui importe le plus. Et maintenant que nous avons ce nouveau line-up, je trouve que nous nous amusons, et tout le monde se concentre sur la musique et sur le fait d’être positif. C’est tout ce que j’ai envie de dire, parce que je ne veux pas être irrespectueuse envers lui.
Comment avez-vous décidé que Zack prendrait le rôle de guitare lead au lieu de recruter un nouveau membre ?
Le fait est que Zack à écrit tous les riffs. Zack et moi avons créé le groupe en 2011, avant que Dorian ne nous rejoigne. Nous avons écrit toutes les chansons, c’étaient nos maquettes et c’était un peu nous qui faisions avancer les choses. Zack n’a jamais été guitariste solo, je pense qu’il avait juste besoin de prendre confiance en lui. Lorsque Dorian a quitté le groupe, nous avons été contactés par de nombreux guitaristes très connus pour savoir si nous avions besoin d’aide, s’ils pouvaient intégrer le groupe. Nous étions là : « Wow, ce gars a envie de jouer avec nous ? » Mais pour nous, tu auras beau être un musicien très talentueux, si tu ne fais pas preuve d’engagement, s’il n’existe pas cette connexion personnelle avec le groupe, alors ça ne pourra pas fonctionner. C’est aussi la raison pour laquelle nous voulions continuer avec Zack, pour faire endosser ce rôle à quelqu’un de la famille et ne pas avoir à dépendre de l’engagement d’un tiers. Intégrer un groupe nécessite de faire preuve d’engagement, en particulier dans Blues Pills. Tu peux être le musicien le plus talentueux du monde, si tu ne t’impliques pas au moment de partir en tournée ou d’écrire des chansons, il n’y a aucune chance pour que ça marche.
Est-ce que ce n’était pas un peu intimidant pour Zack de prendre le rôle de guitare lead et de se retrouver sur le devant de la scène plutôt que de jouer de la basse ?
Si, il était terrorisé ! [Rires] Je trouve qu’il fait du bon boulot mais il n’arrêtait pas de répéter : « Les gens vont me comparer à Dorian. » Peut-être que certaines personnes le feront, mais moi je respecte les chansons que nous avons jouées avec Dorian, j’adore son jeu, mais j’adore aussi celui de Zack. Les choses n’ont pas besoin d’être aussi tranchées. Je suis convaincue que Zack a du talent. C’est un bon compositeur et arrangeur. Il s’y connaît en matière de pédales et de guitares. C’est globalement un geek en la matière, un geek cool [petits rires]. Je pense que son jeu est plus rentre-dedans, plus heavy, plus rock. J’aime ça aussi.
« C’était une année désastreuse. Sur cet album, nous évacuons toute la colère, la frustration, l’anxiété, le sentiment de déprime et de perte, tout. Je pense que nous en avions tous besoin. »
Vous avez enregistré ce nouvel album en tant que trio avec Zack Anderson et André Kvarnström. Mais en novembre 2018, vous aviez dit que Zack ne serait pas seul à la guitare mais accompagné de Rickard Nygren…
Oui, nous l’avons invité à se joindre à nous. Nous l’avons attendu au studio, mais il n’est jamais venu ! C’est ce que je voulais dire en parlant d’engagement. Peut-être que les gens pensent vouloir s’impliquer et puis finalement non. Nous avons décidé que quand viendrait le moment de faire cet album, nous allions tous nous poser pour l’écrire ensemble, mais il ne s’est jamais pointé. Nous l’avons appelé et il nous a dit qu’il n’avait pas le temps, donc nous étions là… Nous ne pouvons pas attendre qu’un nouveau membre vienne et prenne part à la création d’un nouvel album, dont il tirera lui-même des bénéfices financiers. Alors nous avons dit : « D’accord, alors on continue à composer la musique. » Ensuite cet album était terminé sans que nous ayons eu la moindre nouvelle de sa part [rires]. Je considère également Rickard comme un bon ami, mais si les gens ne veulent pas s’impliquer, tu dois le faire à leur place. Je vais faire l’accompagnement au piano s’il y a une tournée en 2021. Je l’ai un peu remplacé au piano mais pas sur toutes les chansons. Voilà un peu ce qu’il s’est passé. Au moment où il fallait travailler, il n’est pas venu ! [Rires]
Vous avez aménagé votre propre studio dans votre ville natale d’Orebro. Comment l’avez-vous conçu et quels ont été les paramètres importants que vous avez dû prendre en compte ?
Zack, André et moi avons commencé à aménager un studio dans ce coin. Ça se trouve dans la campagne environnante d’Orebro, dans un lieu appelé Lindbacka. On dirait un décor tout droit sorti des livres d’Astrid Lindgren – une auteure suédoise de livres pour enfants –, c’est un endroit magnifique. Nous avons donc commencé à construire notre studio parce que nous voulions être libres d’enregistrer et de faire ce que nous voulions, même si nous n’avions pas d’argent, et de pouvoir répéter. Nous avons démarré la construction en 2014 avant de changer pour un emplacement dans le bâtiment d’à côté par manque de place. Le processus d’aménagement a continué tout au long de l’année 2014. Finalement, en 2018, Zack s’est mis à enregistrer d’autres groupes là-bas, comme par exemple Dorian et son projet solo, ou le groupe français Komodor qui sont aussi des amis à Dorian, ainsi que des artistes suédois un peu plus importants. Les choses se sont améliorées petit à petit. Nous avons adapté la disposition des murs pour obtenir un bon résultat dans la live room, parce qu’ils ne peuvent pas être tous au même niveau à cause de l’acoustique et tout. Bien sûr, nous avons eu l’aide d’un ami à moi qui est menuisier et celle d’un autre ami électricien. Tout s’est finalement bien arrangé.
Mais c’est clair que sans Zack, le studio n’existerait pas, car comme je disais, c’est un geek sur le plan technique. Il parvenait à trouver d’anciens magnétophones et tables de mixage endommagés et donc moins chers sur l’eBay allemand. Une fois qu’il les avait réceptionnés, il les réparait. Ça coûtait un peu d’argent mais pas tant que ça. Je crois qu’il avait trouvé une table de mixage analogique de la marque Studer pour une bouchée de pain, mais qui ne fonctionnait pas. Il a simplement changé les fusibles et ça a fonctionné. Il a de la veine avec tous ces trucs-là. Nous avons aussi assimilé ce que nous avions appris avec Don Alsterberg sur Lady In Gold et le premier album. Il nous a tellement appris au niveau des enregistrements et des arrangements, nous avons évolué et nous nous sommes inspirés de tout ça. Pour cet album, nous avons réalisé certaines parties en analogique mais la majorité est en numérique et enregistrée via un magnétophone. Nous avons un peu mélangé les façons de faire, mais c’est Zack qui a été l’ingénieur son sur cet album, parce que je n’avais aucune idée de ce qu’il faisait. Je suis seulement capable de dire si ça sonne bien ou non et de demander : « Ça ne pourrait pas sonner un peu plus comme ça ? » En tout cas, nous voulions avoir notre propre studio pour ne pas avoir à dépendre d’un label ou d’un manager, de rien ni de personne, juste pour pouvoir faire de la musique.
Ce nouvel album est le premier que vous avez produit et enregistré entièrement vous-mêmes. Être complètement indépendant, c’est un objectif que le groupe souhaitait atteindre depuis le début ?
Oui, c’est possible. Nous étions tellement jeunes. Quand tu es plus jeune, tu écoutes un peu les opinions de tout le monde parce que tu évolues dans une sphère qui t’est inconnue. Alors évidemment, lorsque les choses ont commencé à bien marcher pour nous, tout le monde s’est mis à nous appeler pour nous dire tel et tel truc, et puis de faire ça, ça et ça. Toi, tu es content dans ta bulle et tu veux juste faire de la musique, alors tu te dis simplement : « Ouais, d’accord ! » Finalement, quand tu as du temps, tu réfléchis à tout ça. Je pense réellement que nous voulions nous prouver que nous étions capables de le faire nous-mêmes et de prendre les commandes. Bien sûr, les gens ont leur opinion, mais à un moment donné tu finis par te demander : « Est-ce qu’il faut vraiment que j’écoute les opinions des autres ? Non !» [Rires]. Si quelqu’un a une bonne idée, alors tu peux l’utiliser en tant que telle, mais si tu penses que ça n’en est pas une, alors tu te dis simplement : « Non, je n’aime pas cette idée. » Nous avons gagné en maturité.
« Je ne savais même pas que j’avais du talent en tant que chanteuse jusqu’à ce que… Sérieusement, ce n’est qu’après la sortie du premier album que j’ai compris : ‘En fait, je chante plutôt pas mal !' »
Vous avez déclaré avoir passé plusieurs années à produire et enregistrer cet album. J’imagine que vous avez pris autant de temps parce que vous en aviez la possibilité. D’un autre côté, est-ce que ce n’était pas tout de même un peu risqué ? Ce genre d’album rock old-school est souvent produit et enregistré de façon instinctive, dans un laps de temps très court. Vous n’aviez pas peur de passer à côté de cet aspect spontané du rock ?
Ce n’est pas comme si nous nous étions tourné les pousses dans le studio toute l’année en mode : « Allez, faut qu’on s’y mette ! » Nous avions déjà commencé en 2018, nous avions déjà préparé des maquettes et ensuite nous sommes entrés en studio, nous avons répété puis avancé un peu sur l’album, et ainsi de suite. Dans le groupe, je suis celle qui ne réfléchit pas trop, je sens instantanément si quelque chose est bien et qu’il ne faut plus y toucher. En 2019, nous avons commencé à enregistrer les maquettes ensemble et ensuite, quand nous avions décidé des arrangements et peaufiné tout ce que nous voulions peaufiner, nous l’avons enregistré en studio. Donc en gros, sur cet album, la batterie a été enregistrée en trois jours. C’était plus le processus de composition des chansons qui a aussi pris du temps en 2019. Pour ma part, lorsque j’aime quelque chose, je m’en contente mais Zack, lui, réfléchit trop. Nos deux personnalités se complètent bien puisque je suis celle qui dit : « Là, tu réfléchis trop. » Et il est celui qui dit : « Ça pourrait être encore mieux. » La frontière entre les deux est mince. Mais nous avons aussi reçu de l’aide pour enregistrer les maquettes ; j’avais le soutien de Nicholaus Arson de The Hives que je pouvais appeler et rencontrer pour qu’il me donne son avis, il écoutait les titres et offrait son aide. Rien que lorsque tu joues un morceau pour la première fois devant un ami, tu te rends un peu compte par toi-même de ce qu’il faut modifier. Il n’a même pas besoin de dire : « Ce passage-là est beaucoup trop long. » Mais oui, évidemment, certains groupes ne terminent jamais l’enregistrement de leurs disques quand ils possèdent leur propre studio, ça peut devenir interminable [rires].
Le précédent album Lady In Gold était un album de rock plus soul et relax que Holy Moly!, qui présente une résurgence d’énergie rock pure, bien qu’il conserve une part de soul. Où avez-vous puisé cette énergie ?
Dans la vie en général ! Nous avons eu quelques années difficiles et nous avions besoin de vider notre sac. En 2018, je pensais que le groupe allait se séparer parce que, sur le plan personnel, tout est allé de travers. Nous avons perdu des amis, j’ai perdu mon chien, Dorian a quitté le groupe… C’était une année désastreuse. Sur cet album, nous évacuons toute la colère, la frustration, l’anxiété, le sentiment de déprime et de perte, tout. Je pense que nous en avions tous besoin. Enfin, André n’était pas tellement bouleversé parce que c’est le type le plus détendu que je connaisse, il était simplement heureux de faire de la musique, mais pour Zack et moi, je crois que c’était super important de réaliser cet album à un niveau personnel, pour nous reconstruire. Ça m’a fait du bien de me concentrer sur la musique et d’évacuer tous mes problèmes sur cet album. Si j’avais eu une journée merdique, je savais exactement quel genre de titre je voulais enregistrer au chant. Si je me sentais plutôt agitée, fébrile ou pleine d’énergie, je savais aussi sur quelle chanson je voulais chanter. De ce point de vue, le fait d’avoir notre propre studio a été un avantage parce que l’album est super dynamique, nous avons parfaitement capturé l’instant. Cette fois, je ne crois pas que nous nous soyons demandé : « Ça sonne vraiment comme une chanson des Blues Pills, ça ? » Nous nous sommes juste dit : « C’est une super chanson, on l’enregistre ! » J’ai le sentiment que presque tous les styles sont présents sur cet album : metal, rock, soul et même country. Je pense que c’est ce qui fait que j’aime cet album : nous nous sommes libérés et c’est peut-être aussi ce que tu as entendu.
Le titre d’ouverture et premier single « Proud Woman » est sans conteste une forte déclaration. En tant que femme qui a la chance de pouvoir utiliser son groupe comme plate-forme d’expression, ressens-tu une responsabilité envers les femmes, à être une porte-parole pour elles ?
Je n’ai pas vraiment l’impression d’être leur porte-parole. La seule chose que je sais, c’est que j’aime ce que je fais et peut-être qu’alors j’inspire les gens à faire de même et à ne pas accorder d’importance à ce que pensent les autres ou à aller au bout malgré les obstacles. Je ne savais même pas que j’avais du talent en tant que chanteuse jusqu’à ce que… Sérieusement, ce n’est qu’après la sortie du premier album que j’ai compris : « En fait, je chante plutôt pas mal ! » Cette chanson était une célébration et un hymne rock dédié aux femmes. Je n’avais même pas pensé qu’elle puisse faire polémique, parce que l’égalité devrait être la norme. D’après mon expérience personnelle en tant que femme qui évolue dans le milieu de la musique et dans ce genre musical, qui joue dans des festivals de metal et de rock, j’ai vraiment l’impression qu’on te juge et qu’on t’observe davantage, tu as cette pression absolument écrasante et ce sentiment que tu dois vraiment te démener pour gagner ta place. Je suis parfois en colère lorsque je joue dans des festivals et que je suis la seule artiste féminine de la programmation et qu’on m’emmerde au sujet de ma tenue, de ce que je dis, etc. Et puis tu vois d’autres groupes qui n’ont peut-être pas la moitié de ton talent ou qui n’ont pas composé la moitié des titres que toi tu as écrits et qui jouent devant des milliers de personnes sans avoir pensé une seule seconde à ce qu’ils allaient porter le matin, alors qu’une femme ne peut pas faire ça, sinon c’est une lesbienne ou bien elle craint ou alors elle ferait mieux de changer d’instrument, elle ne sait pas jouer, ce genre de conneries. Je suis vraiment fatiguée de les entendre. Je crois que dans chaque milieu professionnel, comme le journalisme par exemple, les femmes doivent travailler deux fois plus dur pour prouver qu’elles sont à la hauteur. Ma belle-fille de sept ans adore cette chanson, je l’ai composée en pensant à elle. Lorsque j’étais enfant, j’aimais écouter ce genre de chansons pour trouver l’inspiration. Mais je n’ai pas l’impression de devoir être porte-parole, je crois plutôt que je dois montrer ce que je sais faire et espérer que les gens s’en inspirent. Je n’écoute plus les conneries. J’en ai assez [rires].
« Je suis parfois en colère lorsque je joue dans des festivals et que je suis la seule artiste féminine de la programmation et qu’on m’emmerde au sujet de ma tenue, de ce que je dis, etc. »
Cette chanson est une aussi une belle bande-son pour tous ces mouvements qui ont éclos ces dernières années pour servir la cause des femmes. Quel est ton regard là-dessus ?
C’est une bonne chose, c’est nécessaire. Je ne sais pas si c’est notre époque ou le fait que je vieillisse mais j’ai le sentiment de m’en foutre de plus en plus à mesure que le temps passe. J’imagine que je gagne en maturité, que j’arrête d’écouter les gens. Mais je pense qu’il est aussi très important pour moi et pour tout le monde de soutenir les femmes et les minorités en général, partout où on peut, et en particulier sur la scène rock que je connais par expérience. C’est bien qu’on fasse ce que l’on peut et qu’on réfléchisse à ce genre de choses. Je ne suis pas parfaite non plus; j’ai aussi probablement dit de mauvaises choses mais c’est bien de réfléchir à ce que tu peux faire et dire pour faire avancer les choses.
Il y a un an et demi, nous nous sommes entretenus avec Skin du groupe Skunk Anansie au sujet du mouvement #metoo. Elle nous disait qu’« évidemment, il y a des mauvais côtés, on voit des femmes qui en abusent et des hommes qui sont accusés de choses qui ne sont pas si graves » mais que ce mouvement « vaut tous les hommes qui ont été mis à terre alors qu’ils n’auraient pas dû l’être ». Penses-tu que ce soit inévitable pour rétablir un équilibre ?
Je pense que les auteurs de ces crimes doivent être punis, mais je trouve que c’est dangereux quand on commence à crucifier les gens sur la place publique, je ne suis pas à l’aise avec ça. Ça ressemble à une chasse aux sorcières, c’est quelque chose qui peut être mal utilisé. Ceci dit, en ce qui me concerne, je choisis toujours de croire la victime jusqu’à preuve du contraire. Je pense qu’en Suède, pour le viol et les violences sexuelles, la peine devrait être alourdie parce qu’actuellement c’est ridicule, tu prends plus cher si tu transportes un sac de beuh que si tu violes une femme et ça ne devrait pas être le cas. Mais je ne pense pas non plus qu’on devrait crucifier les gens sur la place publique. Je ne sais pas trop, c’est tellement complexe !
Quelles ont été les femmes les plus importantes et inspirantes dans ta vie ?
Je dois dire que c’est Aretha Franklin. C’était une personne tellement forte au sein de la communauté noire et aussi d’un point de vue féministe. Je n’étais pas encore née lorsqu’elle a fait la reprise de « Respect » d’Ottis Redding. On n’aura plus jamais d’Aretha Franklin sur terre. C’était une personne remarquable malgré la vie rude qui a été la sienne. Je crois qu’elle a perdu sa mère alors qu’elle était encore très jeune et qu’elle est devenue mère très jeune aussi. Elle a eu son premier enfant à l’âge de douze ans ou quelque chose comme ça, puis elle a dû gérer sa dépression, elle buvait beaucoup… Mais elle est aussi devenue l’une des plus grandes chanteuses de ce monde. C’est une immense source d’inspiration.
L’album comporte également un titre intitulé « Kiss My Past Goodbye ». Bien que Blues Pills représente la nouvelle génération des groupes de rock et que cette chanson laisse clairement entendre que vous laissez le passé derrière vous, vous vous tournez aussi beaucoup vers la vieille époque du rock…
J’ai terminé les paroles de cette chanson en dernier, j’avais d’abord écrit : « Kiss My Ass Goodbye » [rires]. Ensuite je me suis dit : « Eh merde, je ne peux pas dire ‘Kiss My Ass Goodbye’. » J’étais coincée sur cette chanson. J’ai alors changé pour « Kiss My Past Goodbye ». Je voulais juste capturer un état d’esprit sur ce morceau. Zack avait composé tous les riffs, j’ai simplement ajouté une mélodie qui claque et des paroles. Je trouve que le résultat est plutôt pas mal. Le texte n’est pas très important, ça n’a pas besoin d’être super profond à chaque fois non plus. Ce que je veux dire, c’est que je laisse mon passé derrière moi et que je vais de l’avant, rien de plus. Mais je suis contente d’avoir changé « ass » pour « past » [rires].
Mais quelle est votre relation avec le passé ? Vous êtes quand même un groupe qui semble plutôt fasciné par le vieux rock.
Personnellement, j’ai l’impression que tout dans la société moderne actuelle doit être parfait. À la radio je n’entends presque aucune différence entre les artistes, ils se ressemblent tous parce que tout est si parfaitement interprété. Il y en a certains que j’aime beaucoup, mais pour d’autres, leur voix est dénuée de tout caractère. Pour moi, dans la vieille musique, comme celle d’Aretha Franklin ou de tous ces chanteurs et groupes incroyables, ils faisaient en sorte que leur imperfection devienne perfection. Ils n’enregistraient pas au click, s’ils foiraient un peu, ils foiraient un peu, c’est la vie. Je me reconnais davantage dans ce genre de musique, plus organique et vivante que la musique moderne d’aujourd’hui, même s’il existe aussi plein de bonnes musiques à l’heure actuelle. Il y a des gens qui parviennent à capturer ça aussi aujourd’hui. Il existe une telle diversité actuellement, ça me plaît aussi. Mais je pense vraiment que les groupes et les chanteurs des années soixante et soixante-dix, voire des années cinquante… Ils se contentaient de jouer ! Ils ne cherchaient pas à ce que ce soit parfait. C’était parfait pour eux quand ils ressentaient des émotions. Ils ne coupaient pas l’enregistrement ou n’ajoutaient pas couche sur couche, ils jouaient juste de la manière la plus brute et la plus naturelle possible avec du bon matériel. Je suis fascinée par tout ça mais je n’ai pas envie non plus de retourner vivre dans les années soixante [rires].
« Dans la vieille musique, comme celle d’Aretha Franklin ou de tous ces chanteurs et groupes incroyables, ils faisaient en sorte que leur imperfection devienne perfection. »
Tu as écrit une chanson intitulée « Dreaming My Life Away ». Es-tu une grande rêveuse ?
[Rires] j’ai passé ma vie entière à rêver ! Je suis convaincue que si je n’avais pas été aussi jeune et naïve lorsque je suis partie aux États-Unis où nous avons fondé le groupe, je n’aurais pas fait tout ça, car je n’avais aucune idée de ce que j’étais en train de faire. Je ne me doutais absolument pas de tout ce qui arriverait. Donc ouais, je suis une grande rêveuse dans l’âme.
Est-ce que tu dirais que tu vis ton rêve avec Blues Pills ?
Oui, je peux dire ça. Je gagne ma vie grâce à Blues Pills. Ce n’est ni trop ni trop peu, je ne fais pas de folies. Je suis la même, peut-être un peu plus raisonnable. Je pense que n’importe qui peut vivre son rêve s’il est heureux et trouve ce qui lui plaît vraiment. Ça c’est vraiment ce que je veux faire : de la bonne musique. J’espère que je pourrai le faire pendant longtemps, même si je serai probablement heureuse quoi qu’il arrive. C’est une question de mentalité.
Cet album s’intitule ‘Holy Moly!’, expression qui marque l’exclamation ou la surprise, par exemple. Est-ce que c’est l’effet recherché sur vos auditeurs après l’écoute de cet album ?
Oui, bien sûr ! [Rires] « Waouh, c’était incroyable ! » Toutes les chansons sont… Enfin, pas toutes, l’une d’elles parle d’un oiseau mort, donc elles ne sont pas toutes aussi personnelles, mais nombre d’entre elles parlent de notre propre expérience. Je pense que nous voulions quelque chose qui allège ça, pas trop prétentieux, pas trop pompeux. Nous nous sommes simplement dit qu’Holy Moly! serait un titre sympa. Ça sonne aussi comme : « Nom d’un chien, on est de retour ! Merde alors ! » C’est un titre marrant.
Étant donné les circonstances, pensiez-vous avoir quelque chose à prouver au public avec cet album ?
Avant que nous l’enregistrions, j’ai dit aux garçons : « Et si on enregistrait un album qui sonne comme un gros ‘Allez vous faire foutre !’ ? » [Rires] Nous n’avions pas l’intention de prouver quoi que ce soit, nous voulions juste faire un bon album et dire à tout le monde d’aller se faire foutre. C’était notre plan, grosso modo [rires].
La sortie de l’album était initialement prévue pour le 19 juin et a été reportée au 21 août en raison de l’épidémie de Covid-19. Comment avez-vous vécu la situation individuellement et en tant que groupe ?
Cette situation nous a rendus super tristes. Je veux dire, évidemment, le fait que les gens tombent malades et en meurent est terrible, c’est terrifiant. Mais d’un point de vue économique, c’est aussi un désastre pour chacun de nous dans le groupe – en ce qui me concerne en tout cas. Nous avions travaillé sur ce disque pendant un an avant de l’enregistrer et nous étions super enthousiastes à l’idée de le sortir et de le jouer en tournée. Mais lorsque nous étions en chemin pour le premier concert, nous avons dû faire demi-tour parce que le gouvernement suédois a annoncé l’interdiction de rassembler plus de cinq cents personnes à un concert et nous étions au-delà de la limite. Nous nous sommes aussi dit que nous ne pouvions pas risquer que les gens tombent malades. Alors évidemment, tout a changé. Il faut rester créatif et trouver d’autres façons de promouvoir l’album, en essayant de gérer les réseaux sociaux et interagir en ligne, mais c’est très compliqué. J’aurais aimé sortir cet album au début de la crise, parce que la musique est ce dont on a tous besoin actuellement. Tout le monde est posé chez soi et beaucoup de gens sont déprimés. Je l’ai remarqué rien qu’en me rendant au supermarché, c’est comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes… Ça craint à mort. Je m’étais réjouie à l’idée de jouer et assister à des concerts me manque aussi, mais c’est une situation qu’il faut prendre au jour le jour.
Interview réalisée par téléphone le 29 juin 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Floriane Wittner.
Photos : Unai Endemano (1), Patric Ullaeus (2, 3, 6) & Benjamin Goss (5).
Site officiel de Blues Pills : bluespills.eu
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