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Chronique Focus   

Blut Aus Nord – Disharmonium – Undreamable Abysses


Depuis plus de vingt-cinq ans, les Normands de Blut Aus Nord cultivent un black metal singulier, à la fois industriel et organique, protéiforme mais immédiatement reconnaissable, résolument atmosphérique et immersif. Mené par le prolifique Vindsval (guitare, chant) épaulé depuis le début par W.D. Feld (batterie, clavier) et depuis près de deux décennies par GhÖst (basse), le groupe sort cette année son quatorzième album après toute une série d’EP et de splits et surtout deux trilogies, Memoria Vetusta et 777. Cruciales dans la carrière du projet, elles dessinent ses deux tendances majeures : black metal épique, mélodique et nostalgique qui médite sur les mondes pré-chrétiens d’un côté, et froideur industrielle, dissonante et moderne de l’autre. Polarités plus que voies, elles se rencontrent et s’entremêlent à l’occasion : sur Hallucinogen, le dernier album du groupe sorti en 2019, la veine mélodique de Memoria Vetusta était poussée à son extrême, teintée d’un psychédélisme chatoyant, mais on y retrouvait aussi les ambitions cosmogoniques de 777. Avec un titre comme Disharmonium – Undreamable Abysses, le nouvel album semble revendiquer le contrepoint radical de ce dernier opus, avec la disharmonie en mot d’ordre et des tentacules lovecraftiens en étendard. On n’en attendait pas moins de la part d’un projet qui a toujours mis un point d’honneur à se réinventer sans jamais se perdre…

Dès les premières minutes de « Chants Of The Deep Ones », la clarté et le black metal très reconnaissable d’Hallucinogen ne sont plus qu’un lointain souvenir. Comme le titre de la chanson l’indique (« Chants de ceux qui sont profonds »), la plongée dans les abysses est immédiate : après une brève ouverture atmosphérique et gargouillante, le titre explose en un mélange intimidant d’arpèges dissonants, de voix râpeuse et de blast beat implacable. La production caverneuse et les couches de riffs vrombissants donnent à l’ensemble un aspect presque cotonneux, comme si on percevait la musique depuis un autre monde, écho d’un univers parallèle ou des tréfonds de l’inconscient. Avec ses sept morceaux rituels dont la longueur – entre cinq et sept minutes – permet aux musiciens de déployer des atmosphères aussi inconfortables que fascinantes, Blut Aus Nord explore plusieurs facettes d’une sorte d’angoisse primitive et sans fond, à la fois singulière et universelle. Elle se trouve dans les replis du sommeil d’abord, du vaste et épique « Tales Of The Old Dreamer » à l’inquiétant « That Cannot Be Dreamed » qui se déploie autour d’un long passage presque mélodique doublé d’une basse viscérale qui remue les entrailles. Mais aussi au fond des bois avec « Into The Woods », qui après un quasi-silence chargé superpose des tourbillons de riffs crissants et une batterie syncopée presque jazzy rendant cette forêt très lynchienne, lieu d’un mal ancestral et sans nom, et dans les abysses des fonds marins enfin dans « Neptune’s Eye » où voix tordues et basse caverneuse semblent noyées dans la dissonance.

Si Disharmonium – Undreamable Abysses ne donne que peu de points de repère ou de structures familières à l’auditeur, il ne se l’aliène jamais : l’album conserve la dimension quasi narrative d’Hallucinogen et immerge dans les ténèbres sans qu’on s’y perde pour de bon. Si elles sont menaçantes, les ambiances créées par le groupe ont aussi un charme irrésistible, entre drones narcotiques, horreurs fascinantes et splendeurs inhumaines. Les clins d’œil à l’univers d’H.P. Lovecraft sont légion, notamment dans « Keziah Mason », l’un des moments de répit de l’album, dont le nom évoque une sorcière lovecraftienne versée dans les voyages entre différentes dimensions. Le célèbre auteur a passé toute sa carrière à ausculter la peur, émotion fondamentale voire fondatrice selon lui, tant dans ses dimensions cosmiques qu’intimes, éclatante et nuancée, horrible ou sublime, résolument ineffable. Et c’est bien ce que Blut Aus Nord convoque ici : comme le suggèrent le dernier titre de l’album, « The Apotheosis Of The Unnamable », et les voix inarticulées qui résonnent tout au long du disque, les émotions et les atmosphères évoquées dépassent le langage, et touchent au plus profond.

Album en écoute :

Vidéo de la chanson « Tales Of The Old Dreamer » :

Album Disharmonium – Undreamable Abysses, sortie le 20 mai 2022 via Debemur Morti Productions. Disponible à l’achat ici



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