« Le retour d’I.C.S Vortex est donc une bénédiction – elle semble être vécue comme telle en tout cas – et bien qu’il s’agisse d’un ancien membre, le groupe rassure par ses intentions. Car ce n’est précisément pas le passé qui semble intéresser le groupe aujourd’hui mais bel et bien le challenge et les expériences à venir. C’est peut-être cet état d’esprit qui fera toute la différence et sauvera Borknagar en lui redonnant toute sa splendeur. » écrivais-je il y a près d’un an, au lendemain de l’annonce du retour d’ICS Vortex au sein de Borknagar.
L’espoir n’était pas là tant pour le retour du talentueux bassiste/chanteur que pour les réactions enthousiasmantes des membres du groupe qui voyaient en ICS Vortex et le duo de choc alors formé avec Vintersorg le jouet magique qui éveillait d’ores et déjà leur créativité. C’était des questions à la chaîne : « Pouvez-vous imaginez les possibilités ici ? Pouvez-vous imaginer les chœurs ? Les duos vocaux ? Le pur potentiel musical ? » Comme si les sens s’étaient soudainement mis aux aguets devant une révélation ou une vue vertigineuse. Comme pour se demander : « Comment fichtre allons-nous bien pouvoir embrasser l’univers tout entier sans en perdre une miette et surtout sans nous perdre ? » Ironiquement, c’était l’album précédent qui avait écopé du lourd patronyme faisant référence à l’univers. Pas assez visionnaires à ce moment là, ils n’avaient su voir l’univers au-delà de l’univers qu’ils fixaient.
Avant même d’avoir posé une quelconque note sur la partition de sa prochaine réalisation, le groupe parlait de « limites qui n’existent plus », de « gros coups de pied au cul », de « nouveaux standards dans le monde du metal » ou de « s’installer confortablement et prendre son pied ». On avait rarement vu un groupe aussi dithyrambique avec rien entre les mains, si ce n’est un horizon clair et dégagé. Le poids de l’attente ainsi créée aurait pesé bien lourd en cas d’échec pour ne pas être issu d’une solide foi en leurs capacités. D’ailleurs d’échec, il n’en a jamais été question. La question était de savoir comment allaient-ils s’y retrouver dans ce vaste horizon, si tant est qu’ils s’y retrouvent.
Urd est le nom d’une des trois plus importantes Nornes de la mythologie nordique. Elle symbolise le passé, là où Verdande représente le présent et Skuld le futur. Le titre a, certes, moins d’ampleur que ne l’avait Universal mais est tellement plus à propos pour représenter la musique qu’il baptise. Car si Borkanagar a pris conscience de ses possibilités créatives, il a bien fallu trouver le moyen de les canaliser et les exploiter. Et, à l’écoute d’Urd, on devine que c’est précisément en reconsidérant l’expérience de son passé que la formation est parvenue à se frayer un chemin sûr vers l’avenir. Lorsque j’avançais que « ce n’est précisément pas le passé qui semble intéresser le groupe mais bel et bien le challenge et les expériences à venir » je rétorque aujourd’hui que c’est précisément le passé ET l’avenir qui ont intéressé le groupe, les bases acquises grâce au premier ayant aidé à construire solidement le second.
Du passé, Borknagar s’est souvenu des envolées délicieusement épiques, parfois presque psychédéliques, de The Archaic Course, le sens mélodique grandiose d’Empiricism, les constructions complexes d’Epic faisant écho, dans une certaine mesure, aux réalisations solos progressives de Vintersorg à la même époque et les teintes folkloriques dont le groupe saupoudrait régulièrement avec bon goût ses compositions. Tous ces éléments, le groupe se les est réappropriés puis les a largement projetés en avant pour bâtir Urd. Cette approche fait sans doute de ce dernier l’album le plus mature et maîtrisé à ce jour du catalogue de Borknagar.
Mentionnons par ailleurs des orchestrations qui prennent de l’ampleur, des arrangements travaillés (le violon qui pleure sur l’instrumental « The Plains Of Memories », quelques notes de harpe sur « In A Deeper World », etc.), des ambiances variées (« The Beauty Of Dead Cities » fait par exemple preuve d’une sensibilité 70’s étonnante sur certains passages) et des chœurs qui gagnent en épaisseur et en complexité.
Étrangement, lorsque nous avions questionné ICS Vortex sur la manière dont il envisageait le partage des voix avec Vintersorg, il nous avait modestement répondu : « Je me vois comme le bassiste au sein de Borknagar […] Je n’ai pas l’ambition de remplacer le chanteur ! […] Je vois bien Vintersorg assurer la plus grande partie du chant et moi les chœurs. » Une vision alors assez décalée de l’ambition du reste du groupe. Mais force est de constater que ces derniers ont su le mettre davantage à contribution vocalement qu’il ne semblait l’envisager. Car, sur Urd, le duo vocal tant attendu est bel et bien là, accompagné d’une certaine magie que l’on ne peut ignorer. ICS Vortex se fend d’un temps de parole conséquent et on voit Vintersorg exploiter davantage son superbe registre clair qu’il ne l’a fait ces dernières années. Les voix des chanteurs se répondent, se croisent, s’harmonisent et se superposent en couches. Sans compter qu’on devine – notamment sur un titre épique aussi riche vocalement que « The Winter Eclipse » – qu’ils ne sont manifestement pas tout deux seuls à faire vivre leurs cordes vocales. Comme nous l’avouait ICS Vortex, en ayant le clavieriste Lars A. Nedland en tête, déjà « le groupe avait largement son compte de chanteurs doués ». Le travail vocal accompli est incontestable. Après tout, l’association des timbres de voix aurait pu ne pas fonctionner. Mais elle fonctionne, indéniablement.
Fait notable de nos jours où les promesses pullulent mais restent souvent en l’état, Borkanagar est parvenu à donner un sens à son enthousiasme et à concrétiser son ambition par un album particulièrement riche. Il n’a très certainement pas été aussi loin qu’il en avait la possibilité mais ce n’est pas parce que les « limites n’existent plus » qu’il faut nécessairement chercher à aller le plus loin possible et risquer de se perdre. Borknagar a fait preuve de sagesse en se définissant un cadre suffisamment large pour aller suffisamment loin et dans lequel il est resté suffisamment maître pour conférer une profondeur à son œuvre.
Achat obligatoire pour moi, j’adore ce groupe, l’apport de ICS Vortex m’intéresse et avec toutes ces bonnes chroniques…je ne peux être déçu.
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Je l’écoute 2-3 fois par jour c’est aussi simple que ça.
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Cet article a déjà le mérite de me donner envie d’écouter cet album puis de l’acheter si ma perception égale la vôtre.
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