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Interview   

Borknagar ne perd pas le nord


Ça a été le grand chamboulement chez Borknagar ces dernières années ! Certes, les Norvégiens ont depuis le début pris l’habitude de devoir gérer les changements et autres allées et venues dans ses rangs, mais là, ce ne sont pas moins de trois membres qui ont quitté le navire, pour des raisons différentes : à commencer par le chanteur Andreas Hedlund alias Vintersorg, mais aussi le batteur Baard Kolstad et le guitariste de longue date Jens F. Ryland. Mais c’est sans compter sur la vision du commandant de bord, Øystein G. Brun, qui voit Borknagar comme un véritable univers plus qu’un groupe de musiciens, et sa capacité à rebondir et retourner une situation délicate en force.

True North le démontre de façon éclatante. Le secret ? Avoir la détermination d’un grimpeur de montagnes et une forme d’addiction au travail bien fait, ainsi que la chance d’être bien entouré, en particulier de Simen Hestnæs alias ICS Vortex et Lars A. Nedland, qui se partagent désormais le chant lead. Mais c’est aussi cette boussole qui fait qu’Øystein ne perd jamais le nord, toujours aller puiser dans les briques du passé – jusqu’aux premiers pas du groupe il y a de ça vingt-cinq ans – pour construire l’avenir. Le guitariste-compositeur nous raconte ci-après.

« J’ai toujours eu une certaine idée du groupe. Je voulais créer un univers musical qui serait en quelque sorte au-dessus des membres du groupe, qui ne dépendrait pas vraiment de chaque musicien. »

Radio Metal : Ces deux dernières années, Borknagar a connu une série de départs – le guitariste Jens F. Ryland, le batteur Baard Kolstad et le chanteur Vintersorg. Comment ont été ces deux ans pour toi dans Borknagar, à devoir gérer ces départs et reconstruire le line-up ?

Øystein G. Brun (guitare) : En un sens, ces départs n’ont pas été des surprises. Dans les cas de Baard, notre précédent batteur, et de Vintersorg, nous l’avions vu venir, pour différentes raisons. Baard était très occupé avec son groupe Leprous et un certain nombre de projets, c’est un homme très occupé. Andreas, pour sa part, a eu un grave accident durant l’enregistrement de Winter Thrice ; son ouïe a été endommagée à l’oreille gauche. Et puis il y a le fait qu’il a un très bon et important boulot en Suède – il est éducateur en programmation informatique, il est responsable des écoles de toute la partie nord de la Suède. Il avait enregistré l’album Winter Thrice, et c’était vraiment brillant. Même s’il n’était pas encore totalement rétabli, il a quand même chanté le chant lead sur Winter Thrice, et ce qu’il a fait était très impressionnant. Mais il n’a jamais fait le moindre concert avec nous ensuite, et tu sais, Vintersorg n’a jamais trop aimé faire des concerts en général. Ça a toujours été un sujet de discussion ; il est occupé avec son travail, ses enfants, etc. D’un autre côté, tout du moins jusqu’à il y a quelques années, nous ne gagnions pas tellement d’argent, ça n’avait pas beaucoup de sens économiquement parlant de faire des concerts. Maintenant si, mais c’est une autre histoire. Il adore être en studio et tout, mais faire des tournées, des festivals, etc., ce n’est pas sa tasse de thé.

C’était donc un mélange de ça et du fait qu’il a été blessé, ce qui n’a pas facilité les choses, car être sur scène en n’entendant que d’une oreille, c’est assez difficile. On a une image stéréo quand on écoute de la musique, et on peut aussi s’orienter au sein de cette image stéréo. Or, si on n’entend que d’une oreille, on ne sait pas d’où vient la guitare ou la batterie, donc ça peut devenir très chaotique. Ça ne marchait plus. C’était aussi un soulagement pour Vintersorg de laisser tomber et nous laisser continuer sur nos plans musicaux et live. Nous en sommes donc arrivés à un stade où nous devions prendre des décisions. Ça a été un peu dur, évidemment. Je veux dire que ce n’est jamais marrant de voir de bons amis quitter le groupe. Nous avons partagé tellement de souvenirs et tout. Au bout du compte, en gros, j’avais deux options : continuer en tant que groupe et travailler en poursuivant nos plans, passer à la vitesse supérieure autant en termes d’enregistrement qu’en tant que groupe live, ou alors nous pouvions attendre des jours meilleurs [rires]. La seconde option n’était vraiment pas envisageable pour moi. Nous sommes donc arrivés à un tournant : « D’accord, on doit prendre des décisions maintenant. » Ça ne fait pas du tout plaisir de perdre des membres ou de les laisser derrière nous, mais à la fois, nous étions obligés, afin de pouvoir continuer comme nous voulions le faire en tant que groupe.

Tu as parlé de Baard et d’Andreas, mais pas de Jens qui était un des plus anciens membres de Borknagar, puisqu’il était déjà là à l’époque de The Archaic Course. Est-ce qu’il y avait le moindre lien avec les raison de son départ déjà en 2003 ?

Je n’ai pas envie de trop rentrer là-dedans. C’est une problématique un peu plus personnelle. Laisse-moi l’expliquer de la façon suivante : à un moment donné, nous sommes arrivés dans une impasse dans notre coopération. Tout comme pour Andreas et Baard, je l’ai personnellement vu venir, et nous avons dû prendre cette décision. C’était un petit peu plus douloureux, je dois l’admettre, mais il fallait le faire. Nous n’avions pas vraiment d’avenir ensemble dans un groupe, pour ainsi dire. Restons-en là-dessus.

On dirait que ça fait des lustres que Borknagar n’est pas parvenu à maintenir un line-up stable sur deux albums consécutifs. Ne ressens-tu pas de lassitude à cet égard ou, au contraire, penses-tu que ça aide le groupe à rester sur le qui-vive et ne pas tomber dans une routine ?

En un sens, oui, c’est sûr. Comme je l’ai dit, c’est toujours dur de se séparer de membres, car il n’y a pas que la musique et le fait d’être des artistes qui enregistrent des albums, partagent la scène, etc. Il y a aussi une dimension personnelle. Nous voyageons ensemble, nous sommes amis, etc. Donc c’est toujours un petit peu dur. Mais pour ma part, j’ai toujours eu une certaine idée du groupe. Je voulais créer un univers musical, un phénomène musical – appelle ça comme tu veux – qui serait en quelque sorte au-dessus des membres du groupe, qui ne dépendrait pas vraiment de chaque musicien. Ça n’a pas d’importance qui est le batteur… Enfin, évidemment que c’est important, mais ce n’est pas vraiment important, c’est ce que je veux dire. Tout ne s’écroule pas si l’un des guitaristes part, par exemple. Et comme je l’ai dit, je dois être franc : évidemment, parfois il faut prendre les choses en main pour que ça bouge, pour avancer, pour avoir une nouvelle perspective, trouver de l’inspiration, etc. Dans le groupe, j’ai toujours été… Je ne dirais pas cynique, mais j’ai toujours eu la vision d’un objectif bien affirmé quant à ce que je veux faire. Si je dois faire quelque chose pour atteindre cet objectif, eh bien, je le fais ! [Petits rires]. Parfois ça fait mal, parfois c’est douloureux de prendre certaines décisions, mais c’est la vie. Parfois, il faut se séparer de certains collègues ou amis. A un moment donné, il faut avancer, il faut se séparer de quelqu’un qu’on apprécie, d’un ami, ou même d’une petite amie avec qui on est depuis longtemps. Parfois, c’est nécessaire pour continuer à vivre. Et je crois que c’est un petit peu pareil pour moi et pour le groupe, parfois il faut juste faire quelque chose pour continuer et aller plus loin. Pour moi, faire de la musique, c’est presque comme un voyage. C’est presque comme monter une montagne pour la première fois. Je ne sais pas à quoi ressemblera le sommet. Je ne sais pas si j’arriverai un jour à passer de l’autre côté de la montagne, mais au moins je me mets en marche. C’est comme la vie en général, parfois quelqu’un se brise une jambe [petits rires] et ne peut plus faire le voyage. C’est la dure réalité. Parfois il faut regarder la réalité en face et agir en fonction.

« Pour moi, faire de la musique, c’est presque comme un voyage. C’est presque comme monter une montagne pour la première fois. Je ne sais pas à quoi ressemblera le sommet. Je ne sais pas si j’arriverai un jour à passer de l’autre côté de la montagne, mais au moins je me mets en marche. »

Ces changements de line-up sont survenus pendant la composition de True North. Comment ces changements ont-ils impacté le processus d’écriture, si tant est qu’ils l’aient impacté ?

Lars, ICS Vortex et moi avons grosso modo fait la composition de cet album, et nous l’avons faite avant d’avoir de nouveaux membres. Les nouveaux membres n’ont pas vraiment eu leur mot à dire sur la composition à proprement parler. Mais il est important de dire que j’ai toujours eu la chance de pouvoir jouer avec de très bons musiciens, que ce soit des chanteurs, des bassistes, etc. Mon idée a toujours été – y compris cette fois-ci – que je voulais tirer profit des nouveaux membres – en l’occurrence, ici, le nouveau guitariste et le nouveau batteur –, me demandant comment je pouvais les rendre aussi bons que possible et comment je pouvais leur permettre d’apporter leur propre patte à l’album. Je ne veux pas de simples requins de studio. Par-dessus tout, la chose la plus importante pour moi, probablement, avec les nouveaux membres, est qu’ils doivent mettre leur cœur et leur âme dans la musique. Bien sûr, à ce niveau, quand on a un groupe, il y a aussi un côté business, c’est de l’argent, ce sont des voyages, des visas, tout un tas de problématiques administratives, etc. mais j’essaye toujours de me cramponner à la véritable raison pour laquelle je fais ceci, et c’est la pure passion pour la création musicale, et je veux que les gens dans mon groupe aient… Pas forcément la même vision, car peut-être ont-ils une perspective différente sur les choses, mais je veux qu’ils soient presque aussi impliqués que moi. Pour moi, ça n’a pas de sens d’impliquer un guitariste si on ne l’emploie pas correctement ou si on ne lui offre pas l’espace pour qu’il fasse de son mieux. Donc Lars, Simen et moi avons écrit les chansons, fait la préproduction et ce genre de choses, mais lorsque nous avons commencé à enregistrer l’album, nous avons passé beaucoup de temps ensemble avec les nouveaux gars, s’assurant que leurs idées étaient prises en compte dans l’album, à discuter des riffs, à faire différemment… Il y a plein de choses qui se passent dans l’album qui viennent de Bjørn [Dugstad Rønnow], le batteur, ou même de Jostein [Thomassen], le nouveau guitariste. Ils ont clairement mis leur patte dans l’album.

En fait, le départ de Vintersorg a été annoncé en février de cette année, alors que les enregistrements de l’album ont commencé en novembre de l’année dernière. Est-ce que ça signifie que Vintersorg a failli participer à l’album ?

Autour de l’an passé, Lars, Simen et moi avons pensé : « Ok, faisons un album. Commençons à rassembler des chansons et à en faire. » Nous avons commencé à écouter différentes chansons et idées que nous avions, et avons tout rassemblé. Nous nous sommes posés ensemble pour écouter la musique et parler de ce que nous voulions faire avec cet album. A partir de là, nous avons simplement continué à travailler sur l’album. Nous avons commencé à enregistrer la batterie ; c’était naturel de dire : « Ok, toutes les chansons sont prêtes, faisons la batterie et faisons avancer les choses. » Nous n’avions pas vraiment discuté avec Andreas. Nous ne savions pas… C’est comme ce que je t’ai dit à propos de la montagne, nous avons commencé à marcher, mais nous ne savions pas comment ce serait au sommet [petits rires]. Nous en sommes donc arrivés au point où nous avions fini d’enregistrer les parties instrumentales de l’album. Je me souviens, nous avons dit : « Ok, maintenant il est temps d’avoir cette discussion avec Andreas pour savoir quelle est son idée, ce qu’il a la possibilité de faire et tout. » Je l’ai appelé, nous avons eu une très bonne et longue discussion à propos de ce qu’il faisait ces derniers temps, ce que je faisais en termes de nouvelle musique, nous avons aussi un projet à part qui s’appelle Cronian sur lequel nous avons travaillé – nous avons aussi l’intention de faire un autre album avec ça… Mais au bout du compte, nous nous sommes mis d’accord pour procéder ainsi : « Tu te mets en retrait en tant que chanteur lead et nous continuons sur notre lancée, à monter la montagne. » Nous avons évoqué l’idée que peut-être Andreas pourrait faire des chœurs ou quelque chose comme ça, histoire de, mais à l’époque c’était probablement autant ma faute que la sienne, d’une certaine façon… Il était très occupé, il venait d’avoir un nouveau boulot, il voyageait beaucoup et n’avait pas vraiment le temps d’enregistrer en studio, et de mon côté, j’étais très occupé pour tenir les délais avec le studio Fascination Street pour que tout soit prêt pour le mixage et le mastering. Le temps ne nous a pas permis de le faire, mais ça pourrait se faire sur le prochain album !

Autant vous avez remplacé Baard et Jens, autant vous avez choisi de ne pas remplacer Vintersorg pour redevenir un quintet, avec Vortex et Lars partageant le chant lead. N’as-tu pas songé à demander à Garm de revenir dans le groupe, après avoir été invité sur Winter Thrice ?

Il est clair que j’y ai pensé ! Ce serait cool, ce serait génial ! Travailler avec Garm est un plaisir. En dehors de mes collègues Simen et Lars, c’est vraiment un de mes chanteurs préférés, tous types de musique confondus. Je suis un énorme fan de lui ! Mais nous sommes des adultes aujourd’hui et je sais qu’il est occupé, et je suis occupé de mon côté, donc je ne pense pas que ça marcherait. Je ne lui ai pas demandé, nous n’en avons pas discuté. Nous avons fait les chansons sur Winter Thrice, comme étant un truc cool, car c’était le dixième album, ça faisait vingt ans que nous avions enregistré le premier album, etc. donc nous avons décidé de faire une collaboration exceptionnelle pour un petit peu célébrer le groupe. Au lieu de faire un vinyle super chic et de le vendre aux fans, de faire une combine commerciale ou je ne sais quoi, nous avons dit : « Faisons un truc musical pour ça. » Donc c’était notre façon de fêter ça. J’adorerais retravailler avec Garm, dans Borknagar ou un autre projet, peu importe ce qui se passera à l’avenir. Mais je ne vois pas ça se faire cette année ou même la suivante [petits rires]. Nous sommes très pris chacun de notre côté sur différentes choses. Je ne sais pas non plus si Garm s’intéresse encore au metal. Il ne me semble pas. Ça ne serait pas sincère pour lui. Je trouve que c’était cool qu’il participe à l’album précédent, mais faire tout un album, je ne suis pas certain que ça marcherait.

Après avoir goûté à la formule à trois chanteurs sur les deux précédents albums, la troisième voix ne t’a pas manqué pour True North ?

Non. Je ne regrette pas. Je me souviens quand nous avons commencé à travailler sur cet album, nous en avons évidemment discuté entre nous. Il y a toujours une forme de pression, je dirais, quand on est musicien et qu’on a dix albums à son actif, et puis Winter Thrice a plutôt bien marché – l’album mais aussi la chanson que nous avons souvent jouée en concert, et les gens devenaient dingues dessus… C’est un petit peu comme un hit pour nous. Nous avons toujours ces discussions quand nous commençons un nouvel album : « Comment peut-on faire quelque chose qui le surpasse ? Comment peut-on faire encore mieux ? » Et évidemment, dans les discussions, nous nous demandions : « Doit-on le surpasser avec cinq chanteurs ? Six ? Doit-on engager un chœur ? » Mais dans ce cas, ça nous mène directement sur le terrain de Dimmu Borgir ou quelque chose comme ça, et ce n’est pas vraiment ce que nous voulons faire. Nous avons levé l’ancre en milieu d’année dernière, nous avons commencé à rassembler les chansons, lister des choses, en parler, etc. Nous avons pensé : « Ok, on s’y met et on voit ce qui se passe. » A la fin du processus, après avoir fait le mixage et réglé les derniers détails de l’album, j’étais convaincu que c’était suffisant. Je trouve même que c’est plus focalisé maintenant, vocalement parlant. C’est plus direct, en un sens. Je me sens très à l’aise avec l’approche vocale que nous avons eue. Aussi, un détail important, pour Winter Thrice nous avons fait ceci parce que nous voulions le faire, mais trop de chocolat… Je veux dire que si on mange trop de chocolat durant la journée, on finit par vomir [rires]. C’est un petit peu pareil. Il y a des trucs qui sont sympas à faire, et c’est ce que nous avons fait sur Winter Thrice en ayant quatre chanteurs sur une chanson, mais c’est sympa parce que ce n’était qu’une seule fois. Je ne pense pas que ce serait aussi sympa si nous l’avions fait une seconde, troisième ou quatrième fois.

« Le processus a été dur pour le nouvel album, mais ça vaut clairement la peine. […] Imagine, ça donne la même impression que si on faisait une expédition au pôle Nord ou je ne sais où, et on y arrive enfin ! Cette sensation fait beaucoup de bien. Je suppose que j’y suis accro [rires]. »

Comment le départ de Vintersorg, en tant que chanteur principal, a affecté le boulot vocal et la dynamique de Vortex et Lars ? Est-ce qu’ils ont dû revoir leur rôle au sein du groupe, puisqu’ils sont aussi instrumentistes, ce que n’était pas vraiment Vintersorg ?

Au moment où nous avons discuté avec Andreas de notre façon de procéder, qu’il se mettrait en retrait et que nous ferions une annonce officielle, qu’il n’y avait pas de problème, pas de rancœur, etc., ça nous paraissait très naturel. Je veux dire que Lars est un très bon chanteur aussi. Simen, je dirais que c’est l’un des meilleurs chanteurs dans toute la scène metal, en tout cas c’est mon point de vue. Nous avons suffisamment de ressources. Nous n’avions vraiment aucun problème pour pallier cette absence. Ça paraissait étonnamment naturel, en fait. Peut-être aussi parce que nous nous retrouvons avec une constellation similaire à celle que nous avions à l’époque de The Archaic Course et Quintessence. Donc nous avions l’impression de revenir à la maison, en un sens.

Vortex s’est remis à faire du chant black. Il ne le redoutait pas, vu que ça faisait longtemps qu’il n’avait pas fait ça, depuis Quintessence, en gros ?

Clairement. C’est un processus. Je veux dire que nous ne sommes plus des adolescents, j’ai quarante-quatre ans, Simen en a quarante-cinq maintenant. Recommencer à faire du chant sinistre n’est pas facile. Je veux dire que Simen n’en a pas fait depuis de très nombreuses années. Mais il était vraiment très motivé. Il voulait vraiment le faire, et il a passé pas mal de temps, d’ailleurs, pour retrouver sa voix sinistre. Nous avons beaucoup répété et nous en avons parlé, et je lui ai toujours dit : « C’est à toi de voir, mec. Si tu as envie de le faire, faisons-le. Sinon, on trouvera une autre solution. » Mais au final, il était à l’aise avec ça. Quand il s’est posé dans mon studio, juste derrière moi, pour enregistrer le chant, ça paraissait être la chose la plus naturelle qui soit. C’est vrai pour tout type de chant, mais en particulier pour le chant sinistre, c’est très important qu’il y mette un peu d’âme et de son cœur, parce que quand le chant sinistre est fait à moitié, ce n’est pas bon, ça peut même être très mauvais. En fait, j’ai été très impressionné que Simen ait été capable de faire du chant sinistre comme il l’a fait sur l’album. Je trouve ça vraiment cool ! Il le fait avec une attitude qui déchire. Il est vraiment convaincant avec le chant sinistre. On ne ressent aucun manque d’enthousiasme dans le chant sinistre sur cet album. On peut entendre qu’il croit vraiment en ce qu’il chante. Enfin, ce mec est un génie !

True North a pris presque deux ans de conception, de composition, d’enregistrement et de production. A quel point l’effort que ça a représenté était important ?

Je n’ai eu aucune vie l’année passée [rires]. C’est ma réponse. Les gens me demandent : « Hey, ça te dit d’aller boire une bière ce soir ? » Je suis là : « Non, je n’ai pas le temps. » C’est beaucoup de boulot. Ceci combiné au fait que je suis un père, j’ai une famille, il y a tout un tas de choses à gérer dans la vie, j’ai une mère dont je dois aussi m’occuper et qui a une grande maison… Donc ça a été dur ! Ce sont de nombreuses heures à travailler tard, de nombreuses nuits. Ça a été éreintant. J’ai été à plusieurs reprises à deux doigts d’aller dans le mur, à devenir fou. Mais j’ai déjà fait ça avant. J’ai fait ça toute ma vie ! C’est ce que je fais. D’une certaine façon, ça revient à se battre pour sa survie. Il faut se plier en quatre, il faut se pousser dans ses retranchements pour faire ça. Peu importe le moyen, surtout dans l’industrie musicale, si tu as l’intention d’être musicien, de faire des albums et d’atteindre un but – jouer dans des festivals et obtenir une reconnaissance –, il faut vraiment que tu te dépasses. C’est ce que j’ai fait toute ma vie.

J’ai travaillé avec d’autres groupes, j’ai un studio maintenant et je mixe et produis d’autres groupes, et il y a tant de super musiciens, de guitaristes extraordinaires, de batteurs extraordinaires, etc. J’ai vu un tas de gens aller et venir durant ces près de trente ans que j’ai passés dans ce business. Mais il y a une chose que j’ai remarquée et qui différencie certaines personnes, c’est le fait qu’il y a des gens qui ont la volonté d’en faire plus, d’aller juste un tout petit peu plus loin que tous les autres, de passer cette nuit supplémentaire à travailler, même s’ils doivent être au travail le lendemain matin. Et c’est dur ! On ne peut le nier. C’est vraiment dur. Et le processus a été dur pour le nouvel album, mais ça vaut clairement la peine. C’est très gratifiant, surtout maintenant que je fais des interviews et que l’album s’apprête à sortir. Ça fait vraiment du bien. Imagine, ça donne la même impression que si on faisait une expédition au pôle Nord ou je ne sais où, et on y arrive enfin ! Cette sensation fait beaucoup de bien. Je suppose que j’y suis accro [rires]. On a différentes façons de trouver notre place dans ce monde, que ce soit à travers notre travail, le sport, la musique, etc. Tout du moins, afin d’avancer, d’avoir un bon état d’esprit, bien vivre, en gros, j’ai besoin d’avoir des objectifs, j’ai besoin d’avoir quelque chose sur lequel travailler, quelque chose à atteindre, et je le fais à travers mon groupe, ma musique. D’autres gens courent à travers le globe, ou quelque chose comme ça. Mais clairement, je dirais que faire de la musique de nos jours, c’est comme du sport extrême, car il faut vraiment constamment donner tout ce qu’on a, et il faut faire beaucoup de sacrifices. Comme je l’ai dit, je n’ai pas eu de vie sociale depuis environ l’été de l’an dernier [rires].

Le sentiment d’accomplissement et du travail bien fait peut être très addictif.

Oui ! Je pense que, pour moi, faire de la musique… Je me demande parfois, surtout aujourd’hui, comme nous sortons notre onzième album… En tout, si on compte mes autres projets et groupes, j’ai sorti près de vingt albums, j’ai fait ça toute ma vie ! Mais je commence à réfléchir : « Pourquoi est-ce que je continue à faire ça ? » Je n’ai pas vraiment besoin de le faire, que ce soit pour l’argent, la gloire, peu importe. Je pourrais me détendre maintenant. Je pourrais avoir une vie sympa, relax, devenir fainéant et obèse. Evidemment que je pourrais, pas de problème. Parfois c’est tentant. Mais à la fois, j’ai ce moteur, j’ai cette addiction. J’ai besoin d’une autre dose ! [Rires] Pas en termes de drogue, mais en termes de musique. J’ai besoin de me sentir complet pour me sentir satisfait de moi, pour ressentir un bien-être. J’ai besoin de faire de la musique. En fait, quand je deviens un peu ronchon ou peu importe, ma femme me dit toujours : « Va poser ton cul dans ton studio, fais de la musique et reviens après ! » Ainsi va ma vie [rires].

« J’ai besoin de faire de la musique. En fait, quand je deviens un peu ronchon, ma femme me dit toujours : ‘Va poser ton cul dans ton studio, fais de la musique et reviens après !’ » Ainsi va ma vie [rires]. »

Tu as déjà un peu abordé cette question, mais compte tenu du line-up que vous avez aujourd’hui, est-ce que l’idée que True North devienne un Quintessence part 2 t’a traversé l’esprit ?

Oui et non. Comme je l’ai mentionné, j’avais cette idée de base, depuis le tout début, qui est que je voulais construire mon propre univers musical. C’est comme, par exemple, la série de films Le Seigneur Des Anneaux, il y a tout un univers compris dans ces films, avec les personnages, la musique, tout colle parfaitement et crée un monde unique. C’est la même chose que j’ai toujours essayé de faire avec mon groupe, d’une certaine façon. A savoir si j’ai réussi ou pas, je ne sais pas, mais au moins j’essaye. Peut-être qu’en un sens, cet album est plus proche de Quintessence, parce que nous avons un peu la même constellation en termes de membres, mais c’est aussi plus proche du premier album. Je veux dire que j’ai été très inspiré par le premier album sur celui-ci. J’ai voulu retrouver le côté authentique du premier album. C’est pourquoi, par exemple, on a cette photo sur la pochette cette fois. Il n’y a pas d’image faite dans Photoshop, c’est juste une simple et jolie photo d’une montagne, tout comme le premier album avait une simple jolie photo d’une maison.

Aussi, la première chanson du nouvel album, « Thunderous », l’idée de base de cette chanson, pour moi, est un peu semblable à celle de la première chanson du premier album. Si vous écoutez attentivement, vous remarquerez peut-être qu’il y a des similarités dans la construction des riffs ou qu’il y a petit peu les mêmes gammes employées. Les deux chansons sont complètement différentes, en un sens, mais elles possèdent un feeling un peu similaire. De façon plus générale, je fais toutes sortes de choses. Prenons par exemple le single « The Fire That Burns », c’est en fait une phrase tirée de « Gods Of My World » dans l’album Empiricism. J’ai plein de références à des albums précédents. Je réutilise plein de phrases. Evidemment, j’ai écrit plein de textes et abordé plein de thèmes différents au fil des années, mais à un moment donné, j’ai disons écrit des paroles pour une chanson dans les années 90, et j’ai l’impression que je tenais une idée et que je l’avais emmenée jusqu’à un certain point à l’époque, mais peut-être que maintenant je peux travailler un peu plus autour cette idée. Je fais tout le temps ça, j’adore ! Pour Winter Thrice, très peu de gens l’ont remarqué, et je ne l’ai pas dit à beaucoup de gens, mais si on regarde bien sur l’album Winter Thrice, on peut y voir l’album The Olden Domain [petits rires].

C’est assez sympa de sauter d’avant en arrière dans ma propre histoire musicale. Sans faire de copier-coller, pas du tout, mais pour y trouver de l’inspiration musicale : « Qu’est-ce qui caractérisait le groupe à l’époque ? Qu’est ce qui faisait que le premier album était ce qu’il était ? Plein de gens aiment cet album, qu’est-ce qu’il leur procure ? Quelles sont les qualités de cet album ? » J’essaye de comprendre ces choses. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de s’auto-plagier, il s’agit vraiment d’essayer de trouver pourquoi je fais ça, trouver mon inspiration intérieure. Plus je progresse en tant que musicien, plus j’ai d’envies d’album en album, plus je dois creuser profondément en moi, dans ma propre vie, dans mes propres actions, pour trouver l’étincelle des premiers jours. « Pourquoi même ai-je fondé le groupe à l’époque ? » Le truc, c’est qu’assis là tout suite, vingt-cinq ans après les débuts du groupe, à donner des interviews pour le onzième album, je me sens tout aussi excité que quand j’avais dix-neuf ans et que je sortais le premier album. En fait, je me sens même encore plus excité par tout ça. C’est beaucoup de boulot et ça devient de plus en plus dur avec l’âge, mais à la fois, la récompense a à chaque fois une meilleure saveur, justement parce que c’est de plus en plus dur de faire un album, justement parce que je vieillis [petits rires].

Tu as déclaré qu’avec cet album vous avez travaillé de façon beaucoup plus rapprochée en tant que groupe, comparé à Winter Thrice où vous avez travaillé indépendamment dans vos studios respectifs, en vous échangeant des fichiers. Selon toi, il y a eu un gros travail d’équipe. Était-ce le gros changement de line-up qui vous a fait ressentir le besoin d’être plus proches physiquement pendant la conception de True North et d’avoir un peu plus un sentiment de groupe ?

Oui. Je pense que c’est une analyse qui est assez juste. Tous les trois – Simen, Lars et moi – nous avons été pendant des années le noyau du groupe. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons besoin de retrouver l’essence du groupe, quelles étaient les qualités qui ont marqué le groupe dans le temps, qui ont fait que nos albums dans les années 90 étaient aussi cool, par exemple. Donc, l’idée était en partie de travailler de manière plus rapprochée en tant que groupe. Lars et Simen sont deux de mes meilleurs amis sur cette planète et j’espère qu’ils le resteront éternellement. Vu que nous avions suffisamment de temps, ainsi qu’un studio professionnel à disposition à la maison, ça a fait qu’il était assez facile pour nous trois, nous quatre ou nous cinq – ça changeait suivant les moments –, de fermer la porte pendant trois ou quatre jours pour juste enregistrer, parler, se saouler un peu le soir, manger, se relaxer, et puis recommencer, travailler sur de la musique, balancer des idées… Je pense que la dynamique que nous avons eue sur cette production était bien meilleure. Toutes les idées que nous avions au sein du groupe étaient bien plus entrelacées, alors que sur Winter Thrice, c’était plus du genre, j’ai écrit telle chanson, Lars a écrit telle chanson, j’ai écrit telles paroles, Lars a écrit telles paroles. Par exemple, sur True North, tous mes textes ont été coécrits avec Lars. Donc nous avons écrit un peu plus de textes ensemble. Nous avons travaillé un peu plus sur de la musique ensemble. Donc toute la dynamique du processus de cet album était extraordinaire. Nous avons passé de très bons moments. Encore une fois, c’était dur, stressant parfois, beaucoup de boulot, j’ai dû beaucoup voyagé, dormir à l’hôtel, etc. mais c’était très gratifiant aussi. Je pense que ça transparaît dans l’album. Quand on écoute l’album, on entend un groupe un petit peu plus cohérent et dynamique.

« Plus je progresse en tant que musicien, plus j’ai d’envies d’album en album, plus je dois creuser profondément en moi, dans ma propre vie, dans mes propres actions, pour trouver l’étincelle des premiers jours. »

Tu as aussi déclaré que vous avez « repoussé les limites de [votre] exploration musicale ». Pourtant, True North sonne comme du Borknagar habituel, vu que vous avez toujours eu le truc pour l’exploration musicale. Du coup, que voulais-tu dire par « repousser les limites » ?

« Repousser les limites », tout dépend comment on définit une « limite ». Comme tu l’as dit, nous avons toujours repoussé les limites, nous évoluons constamment, nous essayons toujours de nouveau éléments… Qui faisait du chant clair et de l’orgue Hammond en 1996 ? Personne. En tout cas, aucun groupe de black metal en Norvège faisait ça. Sur le nouvel album, ouais, je pense que nous avons un petit peu repoussé les limites. Par exemple, la chanson « Voices » est assez différente, je dirais, du reste. Enfin, ça reste dans le cadre de ce que nous faisons, mais ça repousse les limites. Je dirais que « Wild Father’s Heart » est une pure ballade ! Elle a d’ailleurs été écrite en l’honneur de mon père décédé. Donc je ne sais pas. Repousser les limites… Je ne suis plus très sûr, mais au moins, c’est quelque chose que j’essaye de me dire, j’essaye toujours de partir à la chasse à de nouvelles façons de faire les choses, genre : « J’ai un riff, j’ai une idée de chanson, j’ai un feeling pour quelque chose, comment est-ce que je peux rendre cette chanson… » Tu sais, j’ai fait des milliers de riffs au fil des années. J’ai essayé de compter toutes les chansons que j’ai composées au cours de ma carrière l’autre jour, car j’étais en train de faire un truc de documentation. Donc j’ai dressé une liste de toutes les chansons que j’ai faites. Combien c’était ? Genre deux cent cinquante chansons, quelque chose comme ça [petits rires]. Donc on peut se demander : combien de riffs peut-on faire ? Parfois je me pose la question. Dans les gammes qu’on utilise en Europe, en gros on a Mi, La, Sol, Do, Ré… C’est tout, ce sont les seules notes avec lesquelles on peut travailler ! Donc comment transformer une idée basique de riff en quelque chose de vraiment cool ? Pour moi, ça revient à essayer de repousser les limites, à essayer de chercher de nouvelles façons de faire les choses. Ça ne veut pas dire que je vais soudainement commencer à faire du hip-hop ou de la musique disco, ce n’est pas ça faire quelque chose de nouveau pour moi, mais tout en restant dans le cadre au sein duquel nous opérons, j’essaye toujours d’étendre et de tordre un petit peu les limites. Je pense que si on prend « Wild Father’s Heart » comme exemple concret… Je veux dire que je n’ai jamais entendu Simen chanter comme il le fait sur cette chanson. Je ne l’ai jamais entendu chanter ce genre de chant aussi grave, lent et émotionnel avant.

La chanson « Lights » se démarque comme étant plus simple que les autres mais aussi très accrocheuse. Etait-ce une tentative de faire un hit de Borknagar ?

[Rires] Ma mère me demande toujours ça. Mais je ne pense vraiment pas comme ça. Quand j’écris de la musique, je ferme la porte à l’ensemble du monde commercial. Enfin, même Century Media le sait. Inutile de me contacter, de discuter musique avec moi ou de me déranger quand je suis en train d’écrire de la musique. J’ai besoin d’être seul, au moins quand je fais la composition de base. Je n’ai donc aucune perception de ce genre, en ce qui concerne les choses commerciales. Je fais juste ce qui me paraît naturel. Une chose qui a toujours été un élément sacré dans ma carrière, à laquelle je me suis toujours fermement cramponné est le fait que je veux être aussi authentique, en tant que musicien, que possible. Je veux que les auditeurs comprennent que ce qu’ils écoutent dans leur casque ou à travers leurs enceintes ou dans leur voiture est en fait très proche de ce que je voulais qu’ils écoutent. Il n’y a rien entre moi et l’auditeur. Evidemment, il y a le label, la presse, la production, les trucs commerciaux, mais essentiellement, je veux que ma musique aille directement au visage de l’auditeur.

Je n’ai jamais fait de compromis pour des intérêts commerciaux. Nous avons eu des offres, par exemple, pour jouer le premier album sur un concert unique, un paquet de fric était sur la table, mais non. Je ne me sens pas de faire ça parce que ça ne me paraît pas authentique. Ça ne paraît pas honnête, en tout cas pour le moment. Je crois fermement au côté sincère de la musique. Je crois qu’une musique qui est bonne et sincère survivra et marchera toujours. Pas forcément commercialement, mais elle aura toujours un impact sur des gens à un moment donné. Ça a toujours été ma mission : être vrai. Quand les gens écoutent un album de mon groupe, et paient avec leurs propres sous durement gagnés un T-shirt, un CD ou un LP – ce qui coûte cher aujourd’hui –, ils doivent savoir qu’ils écoutent de la musique qui est authentique, dans laquelle nous avons mis tout notre cœur et que nous croyons vraiment en ce que nous faisons dans cet album. Il n’y a pas de connerie là-dedans. Il n’y a pas de marketing derrière ou d’énormes producteurs pour rendre les choses jolies et sucrées. C’est du cent pour cent authentique. C’est ce que nous avons fait. C’est pour ça que nous produisons aussi beaucoup de choses nous-mêmes. Tout, en dehors du mixage et du mastering, est fait par le groupe. Nous avons fait les enregistrements nous-mêmes. Nous avons fait la production nous-mêmes. Nous avons fait le montage nous-mêmes. Il y a juste eu des ajustements réalisés par Jens Bogren, en Suède, qui a fait le mixage et le mastering. Ça a toujours été un élément important pour moi. Plutôt mourir pauvre en ayant été vrai que mourir riche mais fallacieux.

Pour revenir à la chanson « Lights », sa base a en fait été composée par Lars ! C’était une chanson très simple au départ. J’ai une basse et des guitares dans mon studio, donc je fais parfois de la guitare et un peu de basse, et aussi un peu de synthé, et c’est pareil pour Lars, quand il se pose et expérimente avec des idées et des chansons, il joue de la guitare lui-même. Parfois, il fait du chant… Evidemment, sur cet album il a fait beaucoup de chant. J’ai donc rassemblé toute la matière que nous avions, ça faisait environ quatorze chansons, et nous avons choisi celles que nous trouvions convenir le mieux au concept, à l’idée, etc. Et j’avais à ma disposition un couplet qui était très simple pour cette chanson, parce que Lars n’est pas un guitariste, donc ça sonnait presque comme un enfant jouant de la guitare, si je puis dire [rires]. J’ai écouté et j’ai pensé : « D’accord… Mais il y a quelque chose d’intéressant dans cette chanson. Les riffs sont très simples et ne sont pas bien enregistrés, mais… » Donc j’ai ramené la chanson dans mon studio et nous en avons beaucoup discuté. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps dessus pour la « borkifier », si tu comprends ce que je veux dire, pour faire un riff parfait dessus, travailler un arrangement de guitare et faire évoluer ça en véritable chanson. Ça fonctionne super bien, je trouve, et je suis d’accord, c’est une très bonne chanson. C’est d’ailleurs une de mes préférées.

« Quand j’écris de la musique, je ferme la porte à l’ensemble du monde commercial. Enfin, même Century Media le sait. Inutile de me contacter, de discuter musique avec moi ou de me déranger quand je suis en train d’écrire de la musique. »

En parlant de « borkifier », c’est assez impressionnant de parvenir à une cohérence avec une telle diversité, allant du pur black metal, à un côté folk, des structures progressives, ainsi que des mélodies très accrocheuses…

C’est aussi en partie ce que je veux dire par « repousser les limites ». Je pense un peu la musique comme étant… Tout d’abord, c’est comme la vie. Dans la vie, il y a des hauts et des bas, et parfois ça craint, parfois la vie est bonne avec nous, en gros. Et parfois je vois ma musique comme étant des sortes de montagnes russes. J’ai envie de faire un peu peur aux gens, j’ai envie de les défier un peu, j’ai envie de les amuser avec ma musique. Toutes ces saveurs de la vie, j’ai envie de les mettre dans ma musique. Donc quand je conçois mon album, je veux que les gens passent du bon temps avec, qu’ils se fassent plaisir dans ces montages russes, mais je veux aussi les bousculer un petit peu, les faire sortir un peu de leur zone de confort, toutes ces choses. Pour moi, faire un album varié, tout d’abord, c’est naturel, c’est comme ça que nous aimons faire les choses, mais en second lieu, c’est basé sur l’idée que, de façon générale, la musique, c’est toute une histoire de contrastes. Pour moi, il n’y a rien de plus ennuyeux qu’un album qui n’a qu’un tempo, qu’un type de riff, qu’un type de chanson d’un bout à l’autre. Oh bon sang, comme c’est chiant ! Etant dans la musique depuis trente ans, j’ai entendu énormément d’albums, plein de super albums, mais aussi plein d’albums que je trouve, en tant que musicien, avoir de super idées, mais s’il vous plaît les gars, essayez de faire quelque chose avec qui soit plus intéressant ! Pour moi, tout le fondement de la musique, c’est le noir et le blanc, l’obscurité et la lumière, c’est le contraste. Je sais parfaitement que certaines personnes qui écouteront cet album adoreront probablement deux ou trois chansons, mais ensuite elles auront un petit problème avec les autres chansons. C’est ce que j’aime ! [Rires]

Mais ce qui est impressionnant, c’est aussi que, autant c’est varié, autant ça sonne systématiquement, indéniablement comme Borknagar.

Je suppose que ça vient avec beaucoup d’expérience [rires]. Mais ouais, je suis totalement d’accord. Je pense que nous parvenons sur cet album à trouver un équilibre, d’une certaine façon. Je veux dire que c’est varié, nous sommes un petit peu différents, nous faisons notre truc, mais à la fois, j’ai le sentiment que cet album est peut-être le plus cohérent que nous ayons fait. Je suis parfaitement content de chaque chanson d’un bout à l’autre de l’album. Je suis parfaitement content de la façon dont les chansons sont agencées. Tout le voyage de l’album semble vraiment comme il faut pour moi et peut-être un peu plus focalisé que, par exemple, Winter Thrice, quand j’y pense avec du recul. C’est un super album aussi, mais pour moi, True North est juste à un niveau plus haut en termes de cohérence, d’honnêteté et de diversité.

Vu que l’album s’appelle True North, doit-on le voir comme une suite directe à Winter Thrice, au moins sur le plan thématique ?

Encore une fois, oui et non [petits rires]. Ce n’est absolument pas Winter Thrice part 2. Je veux dire que le concept des paroles de True North est assez différent, en fait. Mais à la fois, oui, j’ai toujours envie de reprendre les choses où nous nous sommes arrêtés sur l’album précédent. C’est pourquoi, par exemple, la chanson « The Fire That Burns », c’est une super chanson mais, à mon avis, c’est loin d’être la meilleure chanson de l’album, mais pour moi, c’est la transition parfaite et c’est pour ça que nous l’avons choisie comme première chanson à révéler. C’est la transition idéale entre Winter Thrice et True North, et elle représente assez bien le nouvel album. Donc oui, c’est une continuation de Winter Thrice, dans une certaine mesure, mais True North est indépendant en termes de contenu des textes, de notre façon d’écrire les chansons et de processus de conception. Il est indépendant mais nous avions quand même notre bagage, notre expérience, nos références à l’esprit.

Autant le nord a toujours fait partie de l’identité de Borknagar, autant tu as déclaré que vos « racines musicales se sont ancrées plus profondément dans les terres nordiques ». Du coup, qu’est-ce que le nord représente pour toi ?

Pour moi, c’est plus de l’ordre du symbole. Tout le concept de True North… C’est une facette très personnelle du nord géographique, pour moi, parce que lorsque Winter Thrice est sorti, mon père est tombé gravement malade. C’était mon meilleur ami, mon mentor, il m’a tout appris dans la vie, en gros. Il était très important pour moi. Mais il est tombé malade et, finalement, il est mort. C’était un moment difficile pour moi. Donc, l’idée derrière le titre était… Le nord géographique est en fait un terme du domaine de la navigation. Si on se perd en mer et que le GPS ne marche pas, on n’a pas de carte, pas de lumière, pas d’électricité sur le navire, les Viking eux faisaient ça en leur temps : ils trouvaient l’étoile polaire qui, à l’époque, représentait le nord géographique. S’ils pouvaient voir l’étoile polaire, au moins ils savaient qu’elle indiquait le nord, que derrière c’était le sud, et ensuite en découlaient l’est et l’ouest. Donc le nord géographique, pour moi, sur cet album, représente la constante dans un monde sans cesse en changement.

Je veux dire que l’on vit aujourd’hui dans un monde où internet rend le monde à la fois plus petit mais aussi plus grand, car on peut voir l’échelle réelle du monde mais on peut aussi communiquer bien plus facilement avec les gens – comme maintenant, par exemple. On a la crise climatique qui arrive. On ne sait pas à quoi ressemblera le monde dans cent ans. Avec un peu de chance, l’humanité survivra, peut-être pas, on ne sait pas. Il y a des guerres, il y a des problèmes d’immigrations partout dans les pays occidentaux, etc. Donc le nord, c’est une façon symbolique de… Même s’il y a beaucoup de changement et qu’on ne sait pas ce qu’il adviendra à l’avenir, que tout est flottant et incertain, au moins il y a quelque chose qui, on le sait, sera toujours là. Ça pourrait être une pierre qui ne bouge pas. Ça pourrait être le nord géographique, qui est la constante de base en navigation.

« Pour moi, tout le fondement de la musique, c’est le noir et le blanc, l’obscurité et la lumière, c’est le contraste. Je sais parfaitement que certaines personnes qui écouteront cet album adoreront probablement deux ou trois chansons, mais ensuite elles auront un petit problème avec les autres chansons. C’est ce que j’aime ! [Rires] »

Quand j’étais enfant et que je me promenais dans la montagne, on apprenait toujours que si on se perd, il faut essayer de trouver le moyen de s’orienter, et s’il fait nuit – en tout cas en Norvège –, il faut essayer de trouver l’étoile polaire, et alors au moins on sait où est le nord. Donc, pour moi, le nord représente l’épicentre dans la vie, quelque chose auquel on peut toujours se raccrocher, même si tout change. J’ai perdu mon père. Ma vie a totalement changé quand je l’ai perdu, de bien des façons, donc j’ai besoin de quelque chose auquel m’accrocher dans ce processus de deuil de mon parent le plus proche, et pour moi, le nord géographique est une façon de symboliser ceci. Comme je l’ai dit plus tôt, pour moi, pour faire un onzième album après vingt-cinq ans désormais, pour pouvoir trouver la même inspiration pour faire ceci, j’ai besoin de creuser de plus en plus profondément en moi, en qui je suis, d’où je viens, et comprendre quelle est ma place dans cette grande et vaste galaxie.

La chanson « Voices » parle d’ailleurs de notre boussole intérieure. Donc, plus généralement, comment le nord, la nature nordique et les paysages nordiques affectent ta boussole intérieure ?

Bonne question. Pour moi, c’est la chose la plus naturelle au monde. Là tout de suite, je suis assis à regarder les fjords et les montagnes, c’est magnifique. Je sais que des gens en Allemagne et probablement en France paieraient un paquet d’argent rien que pour pouvoir être assis là et voir ce que je vois là maintenant [rires]. Je pense que ça coule dans mes veines, d’une certaine façon. La Norvège est un pays assez grand. On a beaucoup de nature ici. Enfin, la Norvège n’est pas si grande que ça, mais si on compare au nombre de gens vivant ici, c’est un grand pays. On n’est que quatre ou cinq millions de personnes en Norvège, c’est tout. Donc chaque personne a beaucoup de nature pour elle [petits rires]. Il y a énormément de nature ici. On ne peut pas se rendre dans une ville sans traverser ou monter une montagne. Les montagnes sont partout. En Norvège, on y est forcément confronté. L’hiver, il faut prendre ses précautions avec le mauvais temps, la neige, etc. Donc je pense que les Norvégiens ont ça dans le sang, ils vivent un peu plus en communion avec la nature. Je ne sais pas. Et bien sûr, la nature est puissante ici. Je vis à côté des fjords, et l’hiver, quand le vent souffle, ma maison tremble ! Et ça peut être très dangereux. En allant dehors, on risque notre vie. Donc ces choses font… Elles ne font pas que tu te poses et fais un riff, mais ça te façonne en tant que personne. Ceci dit, il peut m’arriver d’avoir marre de l’hiver. C’est pourquoi l’hiver, j’ai toujours envie d’aller dans notre maison en France pour avoir un peu de chaleur [petits rires].

Où en France ?

C’est une résidence d’été, un peu au nord de Fréjus, un petit village qui s’appelle Bagnols-en-Forêt. Mon fils et moi allons d’ailleurs en France lundi pour une semaine ! Ça sera super ! J’ai hâte d’aller à la plage, boire du bon vin, manger de la bonne nourriture et profiter un peu de la vie.

Vous avez apparemment opté pour une approche plus directe et moins philosophique avec les paroles…

Oui. C’était une conséquence naturelle du processus. Avant, nous avions toujours ce décor naturel, et nous écrivions les paroles de façon plus philosophique, poussant l’auditeur à se poser des questions, les laissant faire leur propre réflexion et interprétation. Mais avec cet album, après vingt-cinq ans, j’ai eu un peu le sentiment de vouloir dire quelque chose ! [Rires] Tu sais il n’y a pas de grands panneaux de signalisation disant qu’il faut aller à gauche ou à droite, nous ne nous la jouons pas Greenpeace, « sauvez la planète » ou peu importe, mais je voulais soulever deux ou trois idées qui, dans ma vie, sont très importantes. Disons, par exemple, la chanson « Mount Rapture », c’est ma façon de dire : « Allez les gars, on vit en 2019. Arrêtons les conneries. Arrêtons avec les religions et la superstition. Arrêtons avec les mouvements anti-vaccins et toutes ces conneries. On devrait être évolués. Arrêtons ces conneries et continuons à améliorer le monde. » J’ai écrit ce texte parce que, personnellement, j’en ai vraiment marre de tout ça.

Un autre exemple, la chanson « Tidal ». Elle est basée sur un documentaire que j’ai vu il y a quelque temps et qui m’a beaucoup inspiré. C’était un documentaire sur les élans en Scandinavie, qui sont là depuis l’âge de glace, et sur des scientifiques qui les étudient. Ces élans en Scandinavie parcourent le même chemin durant l’année, chaque année, depuis dix mille ans. Mais il faut savoir que durant une période de deux mille ans, les élans ont disparu de Norvège, pour une raison inconnue. Puis quand les élans sont revenus en Scandinavie, ils parcouraient exactement le même chemin à nouveau, et continuent de le faire à ce jour. Même si le niveau de la mer change, s’il y a des immeubles, des routes, etc., peu importe, les élans empruntent le même chemin quoi qu’il se passe sur la planète. Le scientifique dans le documentaire disait qu’ils ne savaient vraiment pas pourquoi. Il y a des théories, peut-être que c’est une question d’odeur, peut-être qu’ils suivent les étoiles d’une certain façon, peut-être qu’ils ont une notion d’orientation… Je ne sais pas et ils ne savent pas. Mais c’est intéressant si on met ça en perspective avec les humains.

Il y a certaines choses que je n’ai jamais dites à mon fils à propos de la vie, et pourtant il a tendance à faire les mêmes choses que moi-même j’ai faites étant enfant. Comment c’est possible ? Il y a probablement différentes raisons, entre la génétique, l’éducation et l’environnement dans lequel on vit. Néanmoins, c’est un thème très intéressant, et « Tidal » parle de ça. La phrase « j’ai vu ces lumières auparavant » est une façon symbolique de dire que la vie est régie par des lois très simples, qu’elle est relativement constante et que les fondamentaux sont les mêmes pour chaque génération. On naît, on grandit, on a des enfants, on meurt à un moment donné… Toutes ces étapes sont les mêmes que pour les élans ou même les oiseaux. Ça fait donc partie des sujets que j’ai voulu projeter dans les paroles.

« On ressent mieux les vibrations sur une guitare acoustique que sur une guitare électrique. Je me rappelle que parfois, pendant que je jouais de la guitare acoustique, je plaçais ma joue contre le dessus de la guitare, et je pouvais ressentir la vibration et la résonance de la guitare dans ma tête. »

Dans la chanson « Lights », Lars chante : « Mes héros, ils sont tous morts il y a longtemps. » Qui sont ces héros ?

[Petits rires] A toi de me le dire ! C’est plus à un niveau personnel. J’ai été impliqué dans ces paroles mais je n’ai pas exactement écrit cette phrase. Ce sont les mots de Lars, en gros. De ce que je comprends, ça parle un peu… Enfin, c’est lié à l’histoire, je pense. Est-ce qu’on a des héros aujourd’hui ? Pas tellement, en fait ! On a tous les vieux héros, pour le meilleur ou pour le pire – certains n’étaient pas si bons que ça, certains l’étaient. Il y en a eu beaucoup à travers les âges. De Vinci, par exemple, est l’un d’entre eux. Mais qui était-il ? On a beaucoup de restes de lui, en ce qui concerne ses dessins, son art, etc. mais personne ne le connaissait vraiment. Mais on peut aussi établir un lien avec la chanson « Wild Father’s Heart » qui est dédiée à mon père.

J’ai écrit cette chanson quand il était malade, je faisais des allers-retours en voiture à l’hôpital. Il était en soins intensifs, j’étais à l’hôpital pour m’occuper de lui, essayer de l’aider, et ensuite je revenais à la maison, je dormais un peu, et je m’asseyais et commençais à écrire de la musique, simplement pour évacuer mes émotions. Donc cette chanson est dédiée à mon père mais aussi – comme je l’ai écrit dans le livret – à tous ces pères étranges qui ont fait quelque chose qui n’est pas normal. Je veux dire, je suis moi-même père. Mon fils a un père qui voyage à travers le globe pour jouer de la guitare devant plein de gens. Pareil pour Simen et Lars. Ce sont un peu d’étranges pères, mais de façon cool, j’espère [rires]. Donc cette chanson est une sorte de déclaration d’amour, tout d’abord, envers mon père, mais aussi envers l’esprit libre de ces pères qui partent, non plus à la chasse, mais pour faire des choses folles avant de revenir auprès de leurs enfants, de façon positive, bien sûr.

Ça fait aussi partie de l’idée de base du contenu des paroles et de la musique en général, cette mentalité de libre-penseur. Notre esprit est libre, on devrait pouvoir et avoir le droit de penser ce qu’on veut, et on devrait vraiment chercher à atteindre ça. Si vous avez une idée très particulière au sujet de quelque chose, si vous avez envie d’escalader la plus haute montagne ou si vous avez envie de courir la plus longue distance, c’est cool, foncez ! J’aime ça. A mon avis, c’est ce qui fait tourner le monde, ces gars qui repoussent vraiment les limites. Les premières personnes à avoir voyagé vers la Lune, par exemple. Nous ne chantons pas à propos de l’expédition Challenger, mais l’esprit de ces événements, le côté pionnier, le premier homme à faire un truc donné, c’est quelque chose que j’ai toujours chéri dans ma musique. C’est quelque chose que je veux dépeindre dans ma musique, ou au moins la notion, l’esprit de ceci.

L’année prochaine marquera les vingt-cinq ans de Borknagar. Peux-tu nous parler de tes souvenirs des débuts du groupe et du contexte ?

Ça a été un long périple ! Une longue histoire ! Beaucoup de hauts et de bas. Tu sais, ça a démarré de manière très simple. Je jouais du death metal vers 1990 à 1993, et j’en avais un peu marre de toujours growler, faire des blasts beats et du riffing heavy. Et depuis que j’étais enfant, parce que mon père était un collectionneur de musique, il avait une énorme collection de vieux disques de prog rock et de rock des années 70, j’ai toujours eu un désir envers la musique atmosphérique. Donc après ce truc de death metal – nous avons arrêté parce que certains gars devaient partir au service militaire et ce genre de chose –, j’ai commencé à expérimenter avec l’idée de faire quelque chose dans un esprit plus atmosphérique. Et je me souviens, j’ai reçu une guitare acoustique de mes parents – je ne sais plus si c’était pour mon anniversaire ou un Noël –, et toutes les sensations que procure le fait de jouer sur une guitare acoustique… Tu sais, on ressent mieux les vibrations sur une guitare acoustique que sur une guitare électrique. Je me rappelle que parfois, pendant que je jouais de la guitare acoustique, je plaçais ma joue contre le dessus de la guitare, et je pouvais ressentir la vibration et la résonance de la guitare dans ma tête. Ça a révélé quelque chose : il y avait tellement dans la guitare qui n’avait pas encore été découvert.

A partir de là, en gros, j’ai commencé à expérimenter avec des riffs et enregistrer des trucs. J’ai parlé à des gars avec qui j’étais ami à Bergen… La musique, c’était très sérieux pour moi, mais tout le truc a commencé plus ou moins par coïncidence, avec une poignée de gars : « Ouais, j’ai des riffs qui sont cool, jammons sur ces riffs et voyons où ça mène. » C’est vraiment comme ça que ça a commencé. Je n’avais pas du tout en tête de gagner de l’argent avec la musique, faire des concerts, voyager à travers le monde ou autre. Je voulais juste faire de la musique sympa que je voulais moi-même écouter. Peut-être que j’avais un peu de chance, mais toute la scène black metal norvégienne était populaire à l’époque. Nous sommes rentrés en contact avec Malicious Records, alors même que nous n’avions pas de démo. Je me souviens d’Infernus qui les appelait au téléphone, disant qu’il nous fallait un contrat et que nous avions besoin d’argent pour enregistrer un album. A l’autre bout, le gars disait : « Ouais, d’accord, cool, je vous envoie l’argent tout de suite ! » [Rires] Ça a lancé tout le truc.

Je pense que les débuts du groupe étaient un peu bordéliques, en un sens. Je n’avais pas de grande vision pour le groupe, mais tout d’un coup, tout est devenu très sérieux. Nous avons signé sur Century Media et, soudainement, il y avait beaucoup d’attentes, « vous devriez faire ci et ça », « vous devez tourner au moins une fois après un album », etc. C’était donc un âge d’or, à bien des égards, c’était une époque palpitante, mais aussi très… Tout était tellement nouveau ! Nous étions un des premiers groupes, tout du moins dans la scène de Bergen, à l’époque, à avoir signé sur un gros label. Tout d’un coup, nous devions gérer les droits d’auteur comme il faut, nous ne pouvions pas juste faire tout ce que nous voulions quand nous voulions. Il y a beaucoup de choses qui marquent la différente entre le fait d’être un amateur qui joue de la guitare et s’éclate avec des amis, et soudainement faire partie d’un gros système, d’un gros label, avec des gens qui travaillent pour toi et tout. C’était un sacré changement ! [Rires]

« Pour que ma vie soit complète, pour prospérer, pour être un bon mari et avoir toutes les qualités d’un être humain, j’ai besoin de satisfaire ma passion pour la création musicale. Je me fiche de savoir s’il y a de l’argent au bout ou pas. »

Penses-tu que, malgré tout, aujourd’hui tu aies conservé les mêmes objectifs et ambitions que tu avais à cette époque ?

Je dirais que c’est exactement pareil et probablement que les gens ne me croiront pas, mais je ne me suis jamais vraiment soucié de la célébrité, la fortune, etc. Les gens dans le village où j’habite pensent que je suis un salaud de riche, avec des journaux locaux qui écrivent à mon sujet en me qualifiant de superstar et ce genre de truc, mais pour moi, c’est un peu embarrassant. Ces choses ne m’ont jamais trop intéressé. Evidemment, c’est toujours sympa d’avoir des retours des fans, via des messages sur internet ou en les rencontrant après un concert, mais la motivation, au final, a toujours été la pure passion pour la création musicale. Je me sens un peu comme un toxicomane, en un sens, avec la musique. J’ai ce désir irrépressible de faire quelque chose et de finir quelque chose. Je suis dans une branche de la vie où je fais de la musique, tandis que d’autres gens escaladent des montagnes ou font autre chose. J’ai ce besoin insatiable.

Pour que ma vie soit complète, pour prospérer, pour être un bon mari et avoir toutes les qualités d’un être humain, j’ai besoin de satisfaire ma passion pour la création musicale. Je me fiche de savoir s’il y a de l’argent au bout ou pas. Evidemment, ça devient pratique à un moment donné. Désormais, nous avons de jolis budgets, nous gagnons de l’argent quand nous partons en tournée, etc. Je pense que ce n’est qu’un juste retour des choses après vingt-cinq ans et presque un million d’albums vendus, mais ce n’est pas ce qui me motive, pas du tout. Comme je l’ai dit plus tôt, au fil des années, nous avons refusé de nombreuses offres qui auraient probablement apporté plus de publicité, plus d’argent, plus de renommée et toutes ces choses, car afin de pouvoir continuer à faire ça pendant toutes ces années – et je compte bien continuer tant que mon cœur continuera de battre –, j’ai besoin à tout prix de protéger mon inspiration intérieure. Donc les gens peuvent me pousser, me demander des choses, m’offrir tout ce qu’ils veulent, je ne laisseras personne perturber mon inspiration musicale intérieure. Si quelqu’un essaye de me bouffer, de m’entraîner dans une mauvaise direction, de dire qu’il faut faire ci et ça pour que le groupe soit commercialement meilleur, je résiste, je le repousse. J’ai toujours cette étincelle dorée en moi, cette flamme qui continue de brûler, en termes de création musicale. C’est quelque chose que je veux constamment protéger, et personne n’a le droit d’y toucher. Donc ça signifie que parfois, je dois dire non à certaines choses, que même si une offre est géniale et que ça sera probablement marrant, qu’on va pouvoir boire des bières et s’amuser, je dois refuser.

Je me souviens à la fin des années 90, on nous a fait une offre pour une énorme tournée en ouverture d’un très gros groupe – je ne peux pas dire de quel groupe il s’agit. J’ai dit non. Il y a quelque chose qui ne m’allait pas. On nous a fait des offres pour faire le premier album, par exemple, comme je l’ai dit plus tôt, rien qu’un set spécial avec les chansons du premier album jouées de la première à la dernière. Non, je ne fais pas ça, même s’il y avait beaucoup d’argent à la clé. Je ne suis pas à l’aise pour faire ça, en tout cas pas maintenant. Avec les labels et tous ces gens qui ont des attentes, il faut protéger son intégrité. En tout cas, c’est comme ça que je fonctionne. Parfois, il faut dire non pour se protéger et écrire ce qui nous semble être la bonne chose. Ça ne m’intéresse pas de me retrouver dans une situation où ma flamme intérieure, vis-à-vis de la musique, s’éteint, car je sais que si ça arrive, je suis fini. Donc j’essaye toujours de protéger cette flamme.

La même année où tu as formé Borknagar, en 1995, tu as aussi sorti ton album avec Molested, Blod-Draum, qui est le tout premier album que tu as enregistré. Qu’est-ce que ça te fait quand tu repenses à cet album ?

J’en garde une très bonne impression. Je suis assez fier de cet album. Quand nous avons enregistré cet album à l’époque, nous étions à peine capables de jouer de la guitare et le batteur savait à peine jouer de la batterie, c’est très peu en place, il y a plein de défauts, la production est nulle, etc. Mais quand même, il y a quelque chose dans cet album dont je suis très fier. Je ne sais pas exactement ce que c’est, mais je pense que c’est ma flamme des premiers jours. Ce que j’entends dans cet album, c’est moi ayant suffisamment confiance pour sortir un album. C’est un souvenir qui m’est très cher. C’est là où j’ai commencé. Il y a plein de choses que j’aimerais refaire, mais ça n’a pas vraiment d’importance au final, parce que ce dont je suis fier, c’est moi, étant gamin, passionné et à fond dans la musique, cherchant à faire de la musique géniale. Il y a donc un côté très nostalgique pour moi.

D’ailleurs tu chantais dans ce groupe, et depuis tu as arrêté…

Oui, je faisais du growl. Enfin, ce n’était pas ma tasse de thé, je dirais. C’était marrant, ceci dit. Mais… C’est la raison pour laquelle je ne le fais plus [petits rires].

Tu as déclaré que Vintersorg et toi aviez décidé de poursuivre votre fraternité musicale dans Cronian. Le dernier album, Erathems, date d’il y a déjà six ans. Avez-vous des plans pour un successeur ?

Nous n’avons pas de plans concrets, mais nous avons dans l’idée de faire un autre album. Tu sais, Cronian, ça s’est fait il y a pas mal d’années parce qu’Andreas et moi, nous avons toujours écrit beaucoup de musique, nous sommes tous les deux passionnés par la création musicale, et à un moment donné, nous nous sommes dit : « Créons notre propre terrain de jeu musical. » Cronian est toujours en vie, nous allons assurément faire un nouvel album à un moment donné. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas comment. Je ne sais pas si nous avons un label ou quoi. Mais je sais clairement que nous allons faire un autre album, parce que c’est notre terrain de jeu. Il n’y a pas de pression, pas de deadline, pas tellement d’attentes, nous nous sentons un petit peu plus libres dans ce jardin de Cronian, pour ainsi dire. Nous expérimentons avec ce que nous voulons. C’est la mentalité derrière le projet. C’est un truc feel-good, et nous nous mettrons dessus quand ça nous paraîtra être le bon moment. Mais ouais, j’ai déjà commencé à travailler dessus. J’ai quelques chansons qui sont prêtes. Nous avons commencé à en parler un petit peu, mais dernièrement, je n’ai pas eu le temps. Tout ce que j’ai fait durant ces derniers mois était pour le nouvel album de Borknagar.

Interview réalisée par téléphone le 2 août 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Borknagar : borknagar.com.

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