Winter Thrice restera probablement comme un album particulier dans la discographie de Borknagar puisque non seulement sa conception a été interrompue par un accident – une banale chute pendant un déménagement – qui a bien failli compromettre la participation de son chanteur Andreas Hedlund alias Vintersorg, mais il vient également en célébration de tout juste vingt années de carrière. Et c’est précisément comme la convergence de tout ce qu’a pu faire Borknagar, d’où la présence de Kristoffer Rygg alias Garm, premier chanteur du groupe, qu’il a été conçu, comme nous l’explique en détail le guitariste-leader Øystein G. Brun dans l’interview qui suit.
Nous avons donc décortiqué avec lui cet opus, digne successeur d’Urd sorti il y a presque quatre ans, en évoquant aussi l’impact qu’a eu l’accident dont a été victime Vintersorg jusqu’à l’apport du batteur Baard Kolstad, arrivé en 2012, sans oublier le travail vocal toujours plus élaboré. Le guitariste revient également avec nous sur la dynamique de groupe et la philosophie créative de Borknagar (sujet que nous avions amorcé lors de notre précédent entretien) qui se place entre le respect de l’histoire, des fondations, de sa musique et l’idée d’une liberté totale, très largement en dehors des considérations de genre et d’étiquettes. Enfin, nous en apprenons un peu plus sur Øystein G. Brun, l’homme, et sa « relation romantique avec [son] passé » et « religieuse à la nature ».
« Je ne peux absolument pas envisager de me répéter. Le jour où je commence à me répéter musicalement, j’arrêterais et je ferais complètement autre chose. Pour moi, la musique doit être vivante. »
Radio Metal : Tout d’abord, on a appris il y a un an que Vintersorg a souffert de multiples fractures crâniennes, d’une hémorragie cérébrale et d’une perte de l’audition temporaire à une oreille. Du coup, comment va-t-il aujourd’hui ?
Øystein G. Brun (guitare) : Il va mieux, c’est sûr. Il est de retour à la vie normale, en gros. Il a eu des blessures graves, il avait en fait cinq fractures crâniennes et deux hémorragies cérébrales. Il s’est aussi méchamment écrasé l’oreille droite, donc il a un peu perdu de son audition pendant un moment sur son côté droit. Maintenant il s’est remis au travail sur la musique et tout mais il continue à avoir des soucis avec son audition. Il a eu une opération en avril ou mai cette année qui a été un succès. Il a retrouvé une partie de son audition. Mais c’est le genre d’opération qui prend de un à deux ans pour vraiment cicatriser, donc il y a encore un bout de chemin à faire. Mais il est bel et bien de retour.
Comment est-ce que cet accident a impacté la conception du nouvel album de Borknagar ?
Lorsque ça s’est produit, nous étions en plein dans l’enregistrement du chant, donc nous étions dans une bulle créative, tu vois, nous échangions des idées et tout. Et du coup, dans la seconde, cette bulle créative a explosée. Je veux dire que c’était vraiment un choc ! Tu ne t’attends pas à ce que ce genre de trucs arrive, surtout lorsque tu travailles sur quelque chose. Donc ouais, c’était brutal.
Et comment vous vous êtes organisés ?
Il a fallu que nous retardions beaucoup de choses. Nous étions censés mixer l’album en janvier ou février en Suède, au Fascination Street Studios, et sortir l’album… Je ne me souviens plus exactement quand mais ce devait être bien plus tôt, je crois l’été dernier ou à l’automne. Donc il aurait dû être sorti à l’heure qu’il est mais, évidemment, il a fallu tout retarder. Aussi bien Century Media, le label, que le studio ont compris pourquoi nous avons dû tout retarder. Ça nous a un peu donné des mois supplémentaires pour réfléchir aux choses. Je veux dire que ce truc qui est arrivé en pleine période d’enregistrement, c’était surtout un choc, bien sûr, parce que c’est un de mes meilleurs amis mais aussi parce que… Qu’est-ce qu’on peut faire ? On ne peut rien faire d’autre que lui donner du temps pour se rétablir et se remettre sur pied. Au tout début, nous ne savions même pas s’il serait capable de refaire de la musique ! Donc, au début, c’était les montagnes russes mais, au bout d’un moment, je pense que pour Andreas, la musique était une chose importante à essayer d’atteindre lorsqu’il souffrait et devait vivre avec ses blessures – il prenait beaucoup d’antidouleurs. Je pense que la musique s’est révélée être une bonne chose pour lui dans ce processus, quelque chose qui le motivait à se remettre sur pied pour pouvoir s’y remettre. Donc, bien sûr, ça a eu un impact sur la musique [du nouvel album]. Je dirais que même si ce qui est arrivé à notre ami était un truc horrible – c’était un accident qui n’avait vraiment aucun sens -, à l’époque, ça a aussi apporté quelque chose à la musique. Je dirais que tout l’album a pris un sens un peu plus profond, d’une certaine façon, tout du moins pour nous dans le groupe. Mais je pense que c’est également apparent dans la musique.
Dirais-tu que ça a impacté sa prestation vocale sur les passages qui lui restaient à faire ?
Oh ouais, c’est sûr. Je veux dire que lorsque l’accident est survenu, il avait tout juste enregistré le chant clair sur quatre ou cinq chansons, je crois. Il lui restait encore des chansons et il devait encore faire toutes les parties de chant criées. Donc, en fait, le premier truc qu’il a fait après… Je veux dire qu’il avait encore beaucoup de douleurs et prenait encore beaucoup de calmants et tout, et il enregistrait ce titre bonus que nous avons sur le nouvel album. Sur l’édition limitée du CD et aussi sur la version vinyle, il y a une chanson qui s’intitule « Dominant Winds ». C’est en fait la première chanson dont il a enregistré le chant après l’accident. Et, au moins pour moi qui connais bien le gars et sa voix, je peux vraiment entendre dans sa voix sur l’album qu’il se bat pour revenir à la vie. Aussi, tout le chant crié a été fait après l’accident et je trouve que le résultat est brillant ! Je pense qu’il a fait passer beaucoup d’émotion et de frustration à travers sa voix. C’était un peu comme une thérapie pour lui. Il a tout fait ressortir dans la musique. Je peux l’entendre. Je suis un collègue et un ami, je le connais vraiment bien, c’est donc probablement plus évident pour moi mais je pense quand même que sa irradie l’album.
Urd, votre précédent album, accueillait à nouveau ICS Vortex (Simen Hestnæs, de son vrai nom, NDLR) et, en conséquence, bénéficiait d’un énorme travail vocal à plusieurs voix. Avez-vous appris de l’expérience qu’a constituée Urd et de la nouvelle configuration de groupe ?
Oui, en un sens. Je dirais que ce que nous avons appris, avec les quelques derniers albums, c’est vraiment que nous avons… Comme moi, par exemple, en tant que guitariste dans le groupe et aussi compositeur principal, j’ai de plus en plus appris à avoir une perspective de producteur sur les choses. Nous ne faisons pas que composer et enregistrer de la musique, nous produisons aussi un peu les choses. C’est quelque chose que j’ai toujours essayé de faire parce que j’ai toujours essayé de réduire la distance entre moi, en tant que musicien avec mes visions musicales, et l’auditeur de l’autre côté de la table. Je veux que la musique soit aussi proche que possible de la vision musicale que je veux offrir aux fans et à l’auditeur. Qu’est-ce que je peux dire ? Nous voulions juste mettre en place un truc « qui fait du bien » et faire de la bonne musique ! C’est vraiment ce qu’il faut retenir de tout ça. Plus nous pouvons apposer notre emprunte sur la musique, la produire, avoir une bonne prise en main sur la façon dont les choses doivent être, d’après notre vision musicale, mieux c’est pour nous, et c’est quelque chose que nous cherchons à obtenir depuis longtemps.
« Nous essayons toujours de gravir cette montagne dont, sans doute, nous n’atteindrons jamais le sommet [petits rires]. »
Et plus spécifiquement, quelle a été votre approche pour ce nouvel album ?
Je compose et fais de la musique depuis que je suis gamin, depuis que j’ai quinze ou seize ans. J’ai toujours composé de la musique d’une façon ou d’une autre, au début avec un enregistreur quatre pistes et aujourd’hui dans un studio complet, avec Cubase et tout. Je ne « commence » jamais parce que suis toujours en train d’écrire de la musique, j’ai toujours des chansons, j’ai toujours de la musique qui traîne. Je n’ai donc pas de point de départ pour ce nouvel album. « The Rhymes Of The Mountain », c’est une vieille chanson que j’avais depuis probablement quatre ans. Cet album est un peu spécial parce que ça fait une vingtaine d’année que nous existons – l’année prochaine ça fera exactement vingt ans – et ceci est notre dixième album dans notre carrière. Cet album, j’ai intentionnellement essayé de le rendre spécial. Je veux dire que je veux toujours rendre nos albums spéciaux, nous voulons toujours faire le meilleur album possible mais, cette fois-ci, d’une certaine façon, nous avons essayé de le rendre un peu nostalgique, avec quelques renvois à nos albums précédents. Par exemple, le titre Winter Thrice est une référence directe à l’album The Olden Domain et une chanson qui s’appelle « The Dawn Of The End », qui a un passage qui dit « autumn-twice, winter-thrice ». Il y a aussi des bouts ici et là sur la pochette, si tu regardes bien, qui proviennent des pochettes de nos premiers albums. Aussi, si tu demandes aux gens : « En ce qui concerne Borknagar, à quoi reconnais-tu ce groupe ? » J’imagine que beaucoup de gens répondront le chant – les grands arrangements vocaux et ce genre de choses. Il était donc naturel pour nous de vouloir, cette fois-ci, faire un album très dense vocalement, avec plein d’arrangements de chant, et en tirer le meilleur. Je pense que nous y sommes parvenus, d’une certaine manière ! En fait, je prévoyais d’en faire un chouette album qu’avec un peu de chance les gens aimeront mais aussi célébrer qui nous sommes. Des gens m’ont demandé : « Comment comptez-vous célébrer vos vingt ans ? » Les gens s’attendent généralement à ce que tu fasses un concert spécial ou quelque chose dans le genre, mais non, pour ma part, la meilleure chose que je puisse faire pour célébrer ce groupe et son histoire musicale, nos vingt années à faire ça, c’est de faire un album vraiment bon et vraiment cool ! C’est donc en partie ça l’idée derrière cet album.
D’ailleurs, la dernière fois que nous nous sommes parlés, pour l’album Urd, tu nous as dit que vous aviez « toujours cherché à aller vers l’avenir. Mais, pour [toi], c’est très important de garder [vos] racines, [votre] histoire, ce qui fait de [vous] qui [vous êtes]. » Et c’est plus ou moins ce que tu mentionnes encore une fois : l’importance de vos racines et de votre histoire. On dirait presque une obsession. Est-ce quelque chose que tu as constamment à l’esprit durant le processus créatif ?
Ouais. En ce qui me concerne, je ne peux absolument pas envisager de me répéter. Le jour où je commence à me répéter musicalement, j’arrêterais et je ferais complètement autre chose. Pour moi, la musique doit être vivante. Il est important que la musique, de façon à ce qu’elle soit vivante, puisse progresser. Un groupe, une constellation de musiciens, doit pouvoir progresser, remettre en question les barrières musicales, défier les fans… C’est une intention importante pour le groupe, le fait de s’améliorer, de progresser, d’évoluer en tant que musiciens. Ce sont les fondements du groupe mais pour pouvoir progresser, tu dois progresser à partir de quelque chose. Si tu veux sauter d’une falaise, il te faut une falaise à partir de laquelle sauter ! Si tu vois ce que je veux dire [petits rires]. C’est peut-être un exemple un peu stupide mais bon… Dans ce processus, il est tout aussi important de bien avoir en tête l’histoire musicale du groupe. Et j’essaie toujours, dans nos albums, de faire différentes choses, de prendre différents tournants, de progresser et tout mais tu trouveras toujours que les albums que nous faisons sont en corrélation les uns avec les autres. Winter Thrice devrait être considéré dans le contexte de l’histoire musicale des neuf autres albums. Les albums ne devraient pas être déconnectés de l’histoire musicale. J’ai vu que trop d’exemples de groupes faire ça dans la scène musicale, il y a trop de groupes qui veulent évoluer pour des raisons commerciales. Ça ne marche pas ! Car ils perdent leurs racines musicales, et donc ils perdent ce qui faisait le groupe à l’origine. J’en ai toujours été conscient, pas seulement pour le côté commercial mais musicalement parlant, je trouve qu’il est très important de conserver ce… Je veux dire que pour moi, c’est un périple musical, presque comme l’ascension d’une montagne. Parfois tu grimpes une nouvelle paroi abrupte, parfois tu vois les choses sous un angle différent, mais nous essayons toujours de gravir cette montagne dont, sans doute, nous n’atteindrons jamais le sommet [petits rires]. Nous essayions toujours d’évoluer et de faire un pas supplémentaire mais, comme je l’ai dit, c’est très important de conserver les racines du groupe, pas en se répétant, pas en copiant des choses qu’on a faites auparavant pour les refaire, mais en essayant de comprendre ce qui a rendu tel album bon, pas d’un point de vue des riffs, ni de la batterie, ni du chant mais quel sentiment, quelle idée l’a rendu bon. Isolons ceci et mettons-le sur un nouvel album, d’une manière différente, bien sûr, mais avec la même audace, pour ainsi dire.
D’ailleurs, concrètement, comment définirais-tu les racines du groupe ?
Eh bien, c’est une bonne question ! De toute évidence, nous avons des racines dans la scène black metal parce que c’est là où nous avons commencé dans le milieu des années quatre-vingt-dix. Tu sais, nous avons fait le premier album au Grieghallen Studio où tous les groupes de black metal ont enregistré leurs albums ; nous avions ce son typiquement black metal sur le premier album. Mais en fait, j’ai commencé avec des trucs acoustiques et d’un point de vue musical, ça a probablement plus d’importance que les éléments black metal, car la première chanson que j’ai faite pour ce groupe était une chanson acoustique, faite avec des guitares acoustiques ! Même de nos jours, un bon paquet des chansons que j’ai faites pour le nouvel album ont été composées sur des guitares acoustiques. Ce n’est pas comme si je me posais avec des guitares électriques, des amplis, à faire plein de bruit, c’est plutôt que je trouve des accords, mélodies et harmonies sympas avec des guitares acoustiques ou en son clair, et ensuite j’ajoute toutes les guitares électriques, les synthés et la batterie. A mes yeux, le groupe est beaucoup basé sur l’acoustique, avec une approche très acoustique des choses.
Plus tôt, tu as mentionné la nostalgie qu’il y avait dans cet album. Te considérerais-tu comme quelqu’un de nostalgique ?
Ouais, mec. C’est certain. J’ai toujours été un peu nostalgique. Je ne sais pas vraiment pourquoi ! Tu sais, je suis privilégié, dans le sens où j’ai eu une bonne éducation, j’ai de très bons souvenirs de mon enfance et je dois dire que, de façon générale, j’ai eu une très bonne vie ! De bons amis, une chouette famille… Je n’ai pas eu de très, très gros problèmes dans ma vie. J’ai presque une relation romantique avec mon passé, surtout mon enfance parce que je me suis vraiment éclaté, de bien des façons. J’ai toujours vécu à la campagne et mon jardin, encore aujourd’hui, c’est la forêt et les montagnes. En fait, je peux partir de chez moi marcher et aller directement dans la plus haute montagne des environs de Bergen. Et pour moi, le fait d’avoir pu vivre mon enfance dans la forêt, avec un canif, mes bottes, mon chapeau… Je veux dire que, sauf lorsque j’étais à l’école, j’étais toujours dans la nature à découvrir des choses, sculpter des trucs, construire des trucs, etc. dans la nature, et à observer les animaux. Donc ouais, j’ai une relation très nostalgique avec mon passé, c’est sûr.
« La nature a toujours été un endroit que je chéris et où je me réfugie lorsque je rencontre des problèmes dans ma vie ou si j’ai besoin d’un regain d’énergie ou simplement pour être au calme, être dehors à ressentir la pluie, le vent, seul face la nature. »
Tu mentionnes la nature et, en fait, plusieurs chansons y font référence ainsi qu’aux paysages. Est-ce que tu vas parfois en pleine nature pour trouver de l’inspiration ?
Ce n’est pas comme si j’allais dans la nature en pensant : « Allons trouver un peu d’inspiration dans la nature ! » Mais je vis dans la nature ! Je travaille en ce moment même dans mon propre studio, je travaille dans mon jardin, qui est juste à côté de la forêt et des montagnes. Donc, d’une certaine façon, je vis constamment dans la nature. Ça reste mon havre de paix. S’il y a des moments difficiles, trop de travail, que je suis stressé, etc. je trouverais toujours un moyen de me relaxer dans la nature, pour être moi-même et rien d’autre, me déconnecter de la civilisation. La nature a toujours été un endroit que je chéris et où je me réfugie lorsque je rencontre des problèmes dans ma vie ou si j’ai besoin d’un regain d’énergie ou simplement pour être au calme, être dehors à ressentir la pluie, le vent, seul face la nature. Je suis athée mais j’ai presque une relation religieuse à la nature. Je veux dire que pour moi, s’il y a une religion, ce serait la nature – le simple fait d’être là, à apprécier la simple existence du froid, la rudesse du vent et de la pluie. Le simple fait d’être déconnecté de la civilisation, du bruit, des voitures, de la pollution, etc., c’est pour moi un sentiment magnifique et très nécessaire.
Cet album s’intitule Winter Thrice. « Thrice » signifiant « trois fois », qu’est-ce que ça symbolise ? Quels sont ces trois hivers auxquels vous faites référence ?
Il y a différents niveaux à ça mais avant toute chose, c’est un peu une référence à la mythologie nordique. Dans toutes les mythologies dans le monde, tu as ces mythes sur le déclin du monde et de la fin des temps abordés de différentes façons et dans différents contextes. Dans la mythologie nordique, tu as le Ragnarök, qui est comme la chute. Tout est censé finir à ce moment-là, lorsque Ragnarök se produit. Mais avant Ragnarök, d’après cette mythologie, tu as trois hivers continus – ça s’appelle Fimbulvinter – et c’est un genre d’avertissement de la nature, disant que la fin est proche. C’est assez sombre, c’est un titre assez dépressif ! Certains journalistes m’ont demandé si ça parlait de la situation actuelle du monde – il y a pas mal de merdes qui se passent en ce moment, avec les terroristes en Syrie et toutes ces choses -, mais ce n’est vraiment pas le cas, car nous ne sommes pas un groupe politique ou religieux. Nous ne traitons pas vraiment de ces choses. Nous voulons être indépendants par rapport à ces sujets. C’est plus quelque chose de personnel. Et ça a probablement été un peu inspiré par l’accident d’Andreas. Personnellement, je viens d’avoir quarante ans et je me rends désormais compte que… Je le savais déjà avant mais je me rends compte que plus tu vieillis, plus la fin se rapproche. Je veux dire que la vie ne dure pas éternellement. Tu ne seras pas éternellement jeune. Les choses ont une fin. Les choses meurent. Et c’est plus une approche philosophique de cette idée de cycle de la vie, plus qu’un regard social sur les choses, ce n’est pas vraiment le but. Je dirais que c’est ça la compréhension principale du titre.
On dirait que Vortex a moins de parties de chant et que Lars Nedland, à contrario, en a plus. Était-ce intentionnel ?
Oui, en un sens. Ou plutôt, oui et non. Nous voulions que ce soit un album très chargé en voix. Au début, nous n’avions pas de plans très clairs, en se disant : « Okay, Vortex devrait chanter tant et Lars devrait chanter tant. » C’est plus un genre d’évolution musicale. Nous sommes constamment en train d’échanger des idées : Vortex essaie des lignes de chant ici et là, ensuite Lars fait quelque chose et Andreas et tous les autres font leurs trucs. Ensuite, nous faisons notre sélection musicale. C’est ainsi que les choses évoluent. Nous ne prévoyions pas que cette portion devrait être chantée par Simen, que celle-ci devrait être comme ci, que celle-là devrait être comme ça. C’était plus que nous avions nos idées à l’état de brouillon et ça a évolué pour devenir ce que c’est devenu. Mais tu as raison, il y a sans doute moins de Vortex cette fois-ci et un peu plus de Lars mais ce n’est pas une chose à laquelle nous avons réfléchi. Ca a juste évolué pour devenir ainsi.
Vortex a aussi fait un album avec Arcturus et, de ce que j’ai lu, il vous a dit qu’il souhaitait d’abord se concentrer sur Arcturus. Est-ce que ça veut dire qu’il a été moins impliqué dans Winter Thrice ?
Ouais, c’était aussi un problème. Nous avions des problèmes de timing parce que les choses commençaient à traîner un peu à l’approche du mixage, il a donc fallu que nous nous concentrions. Je ne dirais pas qu’il a eu trop peu de temps pour faire le chant, pas vraiment, mais par exemple, nous avons décidé que nous devions embaucher un bassiste pour faire les parties de basse sur l’album, de façon à ce que ICS Vortex puisse justement se concentrer sur le chant. C’est un choix que nous avons fait pour rendre les choses possibles. Il est évident que nous avons un planning serré dans ce groupe parce que tout le monde joue dans plein de groupes, et c’est toujours problématique. Mais le problème de temps n’a pas vraiment mis en danger l’exécution du chant d’ICS Vortex parce que nous avions tout le temps qu’il nous fallait pour qu’il puisse faire ses parties.
Qui joue la basse ?
C’est un mec qui s’appelle Simen Daniel Børven, il joue en ce moment avec Leprous, l’autre groupe de Baard Kolstad. C’est un brillant bassiste. Un grand professionnel. Baard, le batteur, le connaissait avant, donc nous lui avons simplement demandé [de se charger de la basse sur l’album] et nous l’avons payé pour ça, et il a fait un travail merveilleux. Je pense que c’était une bonne solution, étant donné notre situation à l’époque.
Le chanteur Garm est de retour sur cet album sur deux chansons. Comment ça s’est fait ?
Comment ça s’est fait ? De façon très ennuyeuse en fait ! [Petits rires] Ca m’est simplement venu lorsque nous étions en plein enregistrement et production de l’album : ça faisait exactement vingt ans depuis que nous nous sommes retrouvés à Bergen pour enregistrer le chant du premier album. Donc, un soir, je lui ai simplement envoyé un message pour voir s’il serait intéressé pour apporter sa contribution, et il était très positif. Nous avons eu une longue et bonne discussion à propos du bon vieux temps et je lui ai envoyé de la musique, des paroles et ce genre de choses. Je lui ai juste dit de faire ce qu’il voulait, des chœurs ou de petites choses ici et là, peu importe, ce qu’il voulait et ce qui l’inspirait. Deux jours plus tard, j’ai reçu de superbes enregistrements de sa part. Il avait fait des parties de chant principal pour une chanson et d’autres substantielles pour une autre, et c’était brillant ! J’en étais vraiment content.
« Il y a bien trop de catégorisation dans le monde en général ! […] J’ai toujours été totalement contre ça parce qu’à mon avis, c’est la solution de facilité. C’est une façon bien trop simpliste de comprendre le monde ou la musique. »
Garm n’a pas chanté sur un album de Borknagar depuis l’album The Olden Domain de 1997. Est-ce que tu as ressenti de la nostalgie par rapport à ça ?
Ouais. C’était super. Nous sommes restés amis depuis cette époque. Lorsqu’il est parti du groupe dans les années 90, nous n’étions pas fâchés ou quoi que ce soit. Tout était prévu, d’ailleurs. Donc nous sommes restés en très bon termes. Nous n’avons pas fait grand-chose ensemble ces dix dernières années, je suppose, mais nous nous sommes parlés de temps en temps. J’ai toujours été un énorme fan de son travail avec Ulver et autre. C’était donc un grand plaisir de pouvoir retravailler avec lui sur cet album, c’est clair. C’est un mec vraiment professionnel. C’est vraiment sympa de travailler avec lui. Il a toujours été un grand fan de la qualité. Je veux dire que je lui fais toujours confiance sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. S’il dit : « C’est vraiment bon. » Alors, c’est que c’est bon ! Ça ne fait aucun doute ! Donc, je suis fan [petits rires]. C’était juste vraiment une super expérience.
Depuis que Garm a quitté Borknagar, il a eu une carrière pleine d’expérimentations avec Ulver. As-tu le sentiment qu’il a gagné en maturité en tant que chanteur et artiste grâce à son travail avec Ulver ?
Oh ouais ! Oh ouais ! Pour ce qui est d’être un chanteur, il utilise sa voix de manière totalement différente aujourd’hui par rapport à avant. Il a, de façon générale, une approche de la musique bien plus mature. Je trouve qu’il a évolué pour devenir un très, très grand musicien. C’est l’un des gars que je respecte énormément en musique. Tout comme moi, il produit aussi Ulver depuis longtemps. C’est vraiment super de pouvoir discuter, parler et travailler avec un ami qui est câblé comme soi. Nous avons des goûts différents, bien sûr, par rapport à différentes choses mais, à la fois, il y a certains trucs qui sont universels lorsqu’il s’agit de produire de la musique. Donc, oui, il est devenu un des musiciens que désormais je respecte énormément. Et puis je suis un grand fan de son travail.
Dans le communiqué de presse, tu mentionnes que « ce que Garm a fait sur Winter Thrice est un peu différent de ce à quoi les gens pourraient s’attendre. Certaines personnes pourraient penser que c’est un peu trop hors cadre. » Qu’est-ce que tu veux dire ? A quoi crois-tu que les gens s’attendent ?
Je ne sais pas ! Je veux dire que lorsque j’ai reçu pour la première fois ses enregistrements, il m’a appelé et je lui disais : « Ouais, peut-être que c’est un peu trop hors cadre. » « Mais c’est comme ça que je veux le faire aujourd’hui. J’ai maintenant quarante ans, je n’ai plus vingt ans. » C’était donc juste un pressentiment que j’avais, que peut-être nous faisions quelque chose qui sortirait un peu trop du cadre pour certaines personnes. Je ne sais pas ! C’était juste un sentiment que j’avais à l’époque. Je n’en suis plus trop sûr ! Je trouve que ça fonctionne vraiment super bien. Je pense que les gens aimeront mais peut-être que ça représentera un peu un défi pour certaines personnes. Car il chante plus de façon pop que typiquement metal, si tu vois ce que je veux dire. Il a utilisé sa voix plus comme s’il était dans un groupe de pop que dans un groupe de metal normal. C’était donc juste une réflexion que je me suis faite au début lorsque j’ai reçu les fichiers et enregistrements. J’ai dit : « Ok, cool ! J’adore mais il se peut que ça aille un peu trop loin pour certains des fans les plus conservateurs. » [Petits rires]
Il y a deux chansons dans lesquelles on peut entendre les quatre chanteurs. J’imagine que ça a dû être assez compliqué de gérer quatre voix…
Pas vraiment parce qu’on travaille en suivant nos instincts. Comme je l’ai dit précédemment, ça évolue. Ce n’est pas comme si tu avais une chanson finalisée qu’on ne doit plus toucher et disant que Vortex doit faire ceci, Garm doit faire cela, etc. C’est plus : « Voici une chanson. Qu’est-ce qu’on peut en faire ? » Et je l’envoie à tous les autres et ils l’écoutent, font leurs trucs, essaient différentes choses… C’est pareil avec le chant. Généralement, Andreas fait du chant avant tout le monde parce qu’il a son propre studio, et il commence très tôt à faire des voix, et du coup il établit le niveau pour tout le reste. Ensuite, il continue pendant que les autres gars apportent leurs idées, en parlent, se les échangent…
Penses-tu que la collaboration avec Garm pourrait aller plus loin ?
Je ne sais pas ! Nous n’avons aucun plan. Nous n’en avons pas du tout parlé. Nous avons juste fait celui-ci. Je ne sais pas. Je n’en ai vraiment aucune idée mais de mon côté, la porte est assurément ouverte. S’il souhaite nous rejoindre sur scène un jour ou en faire plus sur le prochain album ou peu importe, c’est une possibilité, aucun problème. Mais nous n’avons rien prévu.
Sur winter Thrice, vous avez, sur un seul disque, tous les chanteurs que Borknagar a jamais eu dans son histoire. Dirais-tu que, pour cette raison, cet album est celui où toute votre histoire converge ?
C’est le cas ! Et c’était ce qui était prévu ! C’est ce que nous voulions faire avec cet album, en quelque sorte résumer l’histoire du groupe pour dire : « Ok, voilà ce que nous avons fait pendant vingt ans. C’est le dixième album, alors allons jusqu’au bout cette fois ! » Et c’est ce que nous avons fait !
« Je ne suis pas contre le fait de faire partie de la scène metal en général, ça c’est cool […], mais je ne veux pas que ça nous force à une quelconque restriction. […] Je ne vais pas faire un album de rap ou de jazz ou quoi mais ce sentiment, comme quoi je pourrais le faire, est très important. »
Dans le dossier de presse, tu déclares que « c’est important pour [toi] en tant que musicien et compositeur d’essayer de créer de la musique qui soit difficile à catégoriser. » En fait, le metal est sans doute devenu l’un des genres les plus compartimentés qui soit et où ils y a toutes ces guerres de chapelles. Penses-tu que cette tendance à diviser la musique en genres n’est que limitante ? Dirais-tu qu’il y a trop de catégorisation dans le metal ?
Ouais ! En fait, à mon avis, il y a bien trop de catégorisation dans le monde en général ! On catégorise les gens en fonction de leur religion. On catégorise les gens pour n’importe quoi ! C’est très humain de faire ça mais j’ai toujours été totalement contre parce qu’à mon avis, c’est la solution de facilité. C’est une façon bien trop simpliste de comprendre le monde ou la musique. Pour ce qui est de mon groupe, nous avons toujours cherché à éviter tout type d’étiquette musicale. Je ne veux pas être coincé entre quatre murs. Genre, t’es censé être un groupe de black metal, alors tu ne peux faire rien d’autre que du black metal. Non, non, non ! Je veux avoir l’autonomie musicale qui me permet de faire tout ce que je veux, quand je veux. Pour moi, c’est une qualité très importante dans la musique. Il est clair que je ne veux faire partie d’aucune de ces [catégories]. Je ne suis pas contre le fait de faire partie de la scène metal en général, ça c’est cool. Je veux dire que nous sommes un groupe de metal, c’est sûr, mais je ne veux pas que ça nous force à une quelconque restriction. C’est vraiment important pour moi. Je ne veux pas devoir quelque chose à quelqu’un ou avoir besoin de faire quelque chose de la bonne façon pour pouvoir sortir… J’essaierais toujours de faire de Borknagar un groupe indépendant, commercialement parlant, musicalement, au niveau des paroles et tout. C’est vraiment important pour moi en tant que musicien de savoir que, quoi qu’il arrive, je peux faire tout ce que je veux avec ma musique. Mais évidemment, je ne le fais pas [petits rires]. Je ne vais pas faire un album de rap ou de jazz ou quoi mais ce sentiment, comme quoi je pourrais le faire, est très important.
Penses-tu qu’il n’y a aucune limite à la créativité musicale, en dehors peut-être du fait qu’il faut prendre en considération ses racines, comme tu le disais plus tôt ?
Non, il n’y a pas de limite. Mais si tu construis une maison, tu as besoin de fondations ou sinon tu ne pourras pas la construire. Tout ce qui, en quelque sorte, progresse dans ce monde, tout ce que tu vas créer, tout ce qui se produit dans le monde a un genre d’ossature qui sert de point de départ, qui a une certaine histoire derrière elle. Je pense que c’est très important. Tu sais, ma musique, très souvent est le miroir de ma vie. L’approche artistique du groupe et la façon dont nous travaillons est, je dirais, assez proche de la façon dont je mène ma vie en règle générale. J’essaie d’éviter ces étiquettes. Je veux simplement être moi-même. D’une certaine façon, nous voulons construire notre propre univers. C’est le but ultime.
Tu es le compositeur principal dans le groupe, mais comment la dynamique créative fonctionne entre vous ?
Je dirais que je fais les brouillons en noir et blanc et le autres gars m’aident à colorer le tableau [rires]. Tu vois, c’est plutôt simple ! Généralement, j’écris la majorité de la musique, les arrangements de base et ce genre de choses, mais ça, ça ne prend pas tellement de temps. J’ai peut-être mis un ou deux mois pour écrire la musique du nouvel album mais ensuite, nous prenons quelque chose comme quatre, cinq ou six mois à produire les chansons, à essayer différentes idées, à changer les chansons… C’est une énorme et importante étape dans le processus. Les gars sont assurément tous impliqués dans la musique, pas seulement moi. Mais, évidemment, de bien des façons, Je suis un peu l’épine dorsale du groupe. Mais le résultat final, le mix final d’une chanson, je n’en suis pas le seul responsable, certainement pas.
Winter Thrice est le premier album avec Baard Kolstad à la batterie, dans la mesure où il a rejoint le groupe en 2012. Qu’est-ce qu’il a apporté à Borknagar, à ton avis ?
Un peu de sang frais dans une bande de vieux types grognons [rires]. Je veux dire qu’il est bien plus jeune que le reste d’entre nous. C’est un super batteur. Il est vraiment très bon mais il est probable qu’il finisse par devenir l’un des meilleurs batteurs de la scène. Il est tellement focalisé sur ce qu’il fait. Il fait ça à temps plein, pas seulement avec ce groupe mais aussi avec d’autres. Il apporte beaucoup de fraîcheur et, pour ainsi dire, des oreilles neuves au groupe, c’est certain.
Vous avez une fois de plus travaillé avec Jens Bogren aux studios Fascination Street et vous avez aussi fait appel au même artiste que pour Urd, Marcelo Vasco, pour l’illustration, ce qui renforce la cohérence entre Urd et ce nouvel album. Est-ce que tu vois un lien entre ces albums ?
Oui, clairement. Et c’est aussi mon intention pour tous les albums : ils doivent être liés. Lorsque je sors un nouvel album, je veux qu’il fasse partie d’une histoire musicale, pas que ce soit un album tout seul. Ça doit faire partie d’un plus vaste contexte et ce contexte doit être notre histoire musicale. C’est une façon de maintenir en vie toute l’histoire musicale du groupe. A propos de Jens Bogren, c’est un ingénieur de studio et producteur vraiment génial. Lorsque nous avons fait l’album précédent, j’ai ressenti qu’il comprenait vraiment notre musique. Je n’ai pas été tellement satisfait de certains de nos albums précédents parce que je n’aimais pas trop le mix ; l’ingénieur ne comprenait pas vraiment ce que nous voulions accomplir avec l’album. Alors que Jens Bogren, c’est du genre : « Ok, c’est cool ! J’adore ! » Pareil avec Marcelo. C’est aussi un chouette type et un très bon ami à moi. C’est aussi l’un de ces mecs à qui je n’ai rien besoin de dire. Je peux me contenter de lui donner des parties de clavier et des idées ou : « Tiens, voilà une chanson que tu peux écouter, voilà le titre de l’album, voilà quelques titres de chansons, etc. » Et c’est suffisant pour qu’il sorte de super idées ! Il apporte quelque chose au groupe, à tout l’univers musical sur lequel nous travaillons, et que je ne pourrais pas apporter moi-même. C’est juste brillant. C’est un brillant artiste visuel et j’adore travailler avec lui.
Penses-tu que vous continuerez à travailler avec ces deux personnes à l’avenir ?
Ouais ! Je le pense.
Interview réalisée par téléphone le 9 décembre 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Martine Petra.
Site officiel de Borknagar : borknagar.com.