Après le succès, les excès, l’euphorie, Matt Tuck, chanteur du groupe Bullet For My Valentine, a mangé son pain noir. Il y a deux ans, le britannique est passé du plus haut au plus bas, avec comme élément déclencheur une crise au sein de son couple. Comme tout un chacun, il le reconnait bien volontiers. Non, ce n’est pas une histoire originale, mais c’est la sienne, et une fois sorti de la déprime post-rupture, Matt Tuck a eu envie de mettre des mots sur ses émotions. Le leader du groupe a pris à bras le corps l’écriture des titres de Gravity, le nouvel album de BFMV.
Nouveau son, nouveau batteur, nouveaux arrangements, nouvelle sincérité dans les textes : le groupe sort clairement de sa zone de confort. Matt Tuck revient sur la conception du disque et toutes ces nouveautés qui ne manqueront pas de surprendre les fans. Le frontman se montre fier et passionné par la nouvelle oeuvre qu’il s’apprête à léguer au monde, mais aussi introspectif dans ses remises en questions, que ce soit sur le style même qui a fait la popularité du groupe ou encore en jugeant sévèrement un album tel que le décrié Temper Temper (2013).
« Nous pensions que faire du surplace causait plus de dommage au groupe que d’essayer quelque chose de nouveau, de différent, et d’être courageux. »
Radio Metal : Tu as déclaré que Gravity était « un pas de plus vers une direction plus contemporaine, musicalement. » En étais-tu arrivé à un point où tu avais l’impression de devoir en partie changer de style et de direction ? As-tu le sentiment que le groupe n’était pas suffisamment en phase avec son époque ?
Matt Tuck (chant & guitare) : Ce n’est pas que le groupe n’était pas en phase avec son époque, c’est que j’avais besoin de me revigorer en tant que compositeur, et le groupe avait besoin de revigorer son son en général. Nous serons toujours un groupe heavy ; ces influences resteront, c’est ce que nous aimons, c’est ce que nous faisons, nous ne changerons jamais. Mais selon nous, écrire un album similaire à tout ce que nous avons fait dans le passé n’était pas suffisamment créatif pour le groupe. Ça ne nous aurait poussés dans aucune nouvelle direction. Ça n’aurait pas été stimulant : nous savons ce dont nous sommes capables et ce que nous faisons bien, et c’est super, mais l’idée était que le groupe… recommence de zéro, presque. L’histoire, c’est l’histoire, mais je voulais avoir un côté et un son bien plus contemporains, pas comme si nous étions un nouveau groupe, mais comme une renaissance par rapport à ce que nous avons été par le passé. Nous ne voulions pas nous reposer sur l’histoire du groupe pour aller de l’avant. Nous pensions que faire du surplace causait plus de dommage au groupe que d’essayer quelque chose de nouveau, de différent, et d’être courageux. J’avais donc une vision de là où je voulais aller, et je ne m’en suis pas détourné. C’était difficile parce que c’est assurément un défi d’essayer d’apprendre de nouveaux tours à un vieux chien, comme on dit, mais c’était toute l’idée ! C’était de me pousser encore et encore, ainsi que le groupe, aussi loin que possible dans nos retranchements jusqu’à trouver un équilibre avec lequel nous serions à l’aise.
Tu as pris part à quelques sessions d’écriture avec différentes personnes et producteurs. Peux-tu nous parler de tout ce processus et comment ceci a aidé à trouver une direction ?
Pour moi, c’était le bon moment de me mettre dans des situations inconfortables, avec des gens qui allaient me stimuler musicalement. Je suis très conscient de ce dont je suis capable seul, comme ce que j’ai fait par le passé avec la plupart des trucs de Bullet, mais je n’avais personne pour me défier et là, je n’arrivais plus à me défier moi-même. Donc le fait d’écrire avec d’autres gens et avoir leur point de vue, et partir dans des trucs étranges, créatifs et expérimentaux avec d’autres gars était une situation très inconfortable et étrange, mais au final, ça a fait de Gravity ce qu’il est et je me sens désormais plus à l’aise face aux challenges et à l’expérimentation. On peut toujours démolir des choses, donc il a fallu que j’aille très loin avec ça, en travaillant avec d’autres gars, comme des producteurs de dance, et en faisant des trucs vraiment bizarres que plein de gens ne feraient pas, mais j’ai pensé que c’était le bon moment pour me bousculer, avec des gens qui me disent « c’est de la merde », « ce n’est pas bon », « c’est ennuyeux », « ton truc là, c’est chiant ». Ce sont des choses que je ne voulais pas vraiment entendre, mais ça m’a un peu plus ouvert les yeux et les oreilles au sujet du son du groupe.
Qui sont ces personnes et producteurs qui t’ont aidé ?
Le principal, c’était le plus étrange, et quand je dis ça, ce n’est pas personnellement mais stylistiquement, était un gars qui s’appelle Matt Schwartze. C’est un DJ, il a travaillé avec des groupes comme Massive Attack – il a produit des albums de Massive Attack par le passé et ce genre de choses -, il est pas mal dans la drum & bass, dans tout un tas de musiques électroniques, l’EDM, etc. J’ai donc passé quelques semaines avec lui dans son studio à Londres et nous sommes partis dans des trucs vraiment étranges. Il a parlé d’idées que j’avais en démo, les as dépouillé et leur a donné des instrumentations différentes, a ajouté des lignes de basse électroniques et tout un tas de conneries bizarres ! Il a emmené ça si loin dans une direction que c’était horrible ! Ça m’a vraiment, vraiment retourné la tête mais il me montrait que si la chanson est là, peu importe comment tu l’habilles, que ce soit un morceau d’EDM ou du putain de metal qui déchire, la chanson reste là, au milieu. Tu peux l’habiller comme tu veux. C’était une très bonne expérience à vivre, quelque chose que je n’aurais jamais fait tout seul. M’exposer pour être malmené était une excellente décision. Même si je ne voulais pas le faire, j’ai pensé : « Qui ne tente rien n’a rien. » C’était donc vraiment une très bonne expérience.
Tu as pris les devants pour la composition de cet album. Qu’est-ce qui t’as poussé à prendre ce rôle ? As-tu ressenti le besoin de t’affirmer à ce stade ?
C’était plus parce que j’avais une vision claire de A, comment je voulais que l’album sonne, et B, du thème fort des textes, simplement à cause de ce qui se passait en coulisse dans ma vie en tant qu’être humain. J’étais dans la tourmente, mon mariage a battu de l’aile il y a deux ans durant le cycle de Venom et ce genre de chose. J’ai donc formulé en mots ce que je ressentais, mes hauts et mes bas, et mon état mental, parce que j’étais un peu en dépression à cause de ça, essayant de jongler entre tous ces trucs et Bullet, en voyageant tout en étant père… Mon mariage qui tombait en ruine… Je savais donc à peu près ce que je voulais faire et comment je voulais le faire, et je ne pouvais pas, malheureusement, laisser d’autres gens avoir leur mot à dire parce que ça aurait dilué toute la nature de l’album. J’étais donc un peu plus affirmé et je la jouais un peu plus solo sur celui-là, d’un point de vue créatif, mais c’était parce que je savais ce que je voulais et où je voulais aller. C’était difficile. Les gars étaient toujours partants, ils me soutenaient toujours en studio, ils coécrivaient et tout, ce qui est super, mais j’étais assurément bien plus concentré… En fait, au niveau des paroles, je ne voulais pas autant ouvrir mon cœur que je l’ai fait, mais pensé que c’était finalement le bon moment de le faire, car j’allais avoir un attachement émotionnel à cet album comme je n’en ai eu pour aucun autre, car je n’avais jamais vécu ça auparavant, et probablement que je ne le vivrais plus jamais. Il fallait donc que je le fasse, alors j’ai foncé. Et de nombreuses chansons dans l’album sont à propos de ça, ça parle juste de moi, ce que j’ai vécu.
« C’était le bon moment pour me bousculer, avec des gens qui me disent ‘c’est de la merde’, ‘ce n’est pas bon’, ‘c’est ennuyeux’, ‘ton truc là, c’est chiant’. Ce sont des choses que je ne voulais pas vraiment entendre, mais ça m’a un peu plus ouvert les yeux et les oreilles au sujet du son du groupe. »
C’était un besoin…
Oui, je pense que c’était un besoin. Pas sur le moment. Sur le moment, je détestais ça, je ne voulais pas du tout le faire. Mentalement, je n’étais pas suffisamment à l’aise et confiant pour gérer les retombées potentielles. Pas seulement au niveau des paroles, mais musicalement aussi, car c’est une direction très différente du passé ; je m’inquiétais du passé. Ce qui est stupide parce que le passé est le passé, je ne peux pas le changer. Par contre, je peux faire le futur. Dès que j’ai commencé à être un peu plus à l’aise et en confiance avec tout, j’ai mis mes tripes dans la musique et les paroles, j’ai laissé l’album prendre forme et me dicter ce qu’il voulait devenir. Car ce n’est pas comme si je le contrôlais : c’est lui en fait qui me contrôlait ! Ce qui est étrange, c’est dur à expliquer, mais maintenant que j’ai traversé ça, ma tête est dégagée, je suis vraiment focalisé sur l’avenir. L’album est super, c’était un grand challenge mais c’est désormais une partie de ma vie très gratifiante, ce qui est top.
C’est donc évidemment un album très personnel pour toi, et par le passé tu as souvent véhiculé des messages valorisants, en utilisant tes expériences personnelles, comme dans la chanson « You Want A Battle ? (Here’s A War) » sur votre album précédent. Du coup, quels sont les messages forts de ce type que tu as voulu transmettre avec Gravity ?
Il y a une chanson qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est un peu le seul moment dans l’album où c’est positif de manière bien plus flagrante, ce genre de moment où tu lèves ton poing au ciel, c’est la chanson « Not Dead Yet ». L’album prenait forme et il commençait à devenir ce que, globalement, je voulais qu’il soit, mais je voulais au moins une chanson là-dedans qui possèderait un message bien plus puissant et valorisant, et c’était principalement, initialement, pour que je me dise : « Je ne suis pas encore mort et il y a plein de très belles choses qui vont arriver dans le futur, tout va bien. » Je traversais un moment grave dans ma vie, ce n’était pas super et ça faisait effet boule de neige sur d’autres choses, mais, en général, j’avais plein de choses extraordinaires à attendre avec impatience et pour lesquelles être positif, et donc voilà de quoi parle cette chanson. Je dirais que c’est le message le plus valorisant, le plus positif de l’album.
Les gens pourront toujours se reconnaître dans ce que tu as vécu. C’est important pour toi d’évoquer des sujets très concrets qui parleront à ton public dans leur vie de tous les jours ?
En devenant plus âgé, c’est devenu très important, car c’est devenu vraiment évident pour moi quelles chansons connectent et lesquelles ne connectent pas, et pourquoi elles ne connectent pas. C’est pour ça. Quand on a un message fort et qu’on chante au sujet de quelque chose qui a eu un profond effet dans notre vie, positif ou négatif, que ça ait à voir avec l’école, le bureau, l’hôpital, peu importe, et que les gens peuvent s’y identifier, alors c’est là que les bonnes choses se passent. Ce sont des chansons comme « Battle » ou « No Way Out », par exemple, ou comme « 4 Words » à nos débuts, qui parlait de la frustration de ne pas y arriver, d’être constamment rabaissés par d’autres groupes qui rencontraient le succès, ce genre de choses. Il s’agit de trouver des chansons auxquelles le public peut se connecter. Avoir un message pertinent est absolument vital. Parfois on y arrive, parfois pas. Mais là, c’est la seule fois dans notre carrière où ça s’est plus ou moins produit sur dix ou onze chansons, c’est très rare. Je pense avoir ce genre message, à mes yeux, dans la plupart d’entre elles. Donc avec un peu de chance, les gens pourront s’y identifier. Tu sais, tout le monde tombe amoureux, tout le monde perd l’amour, tout le monde vit des ruptures… Ça peut paraître ringard mais en résumé, c’est un album de rupture, mais c’est le mien. Donc il est important pour moi et j’espère que les gens pourront s’y retrouver. Peu importe qui tu es ou ce que tu fais dans la vie, tout le monde vivra ce que j’ai vécu, même si c’est un adolescent de quatorze ans, ça n’a pas d’importance, il saura à un moment donné ce que ça fait de perdre quelque chose. Donc oui, c’est important d’avoir des messages très forts et auxquels les gens peuvent s’identifier.
D’un autre côté, j’ai lu que vous aviez remarqué que certaines de vos paroles les plus sales et horribles font partie de vos chansons les plus populaires. Comment l’expliquer ?
Je crois que les gens aiment quand c’est coloré et dramatique, et beaucoup de ces chansons sont authentiques mais, en tant que compositeur, il s’agit de raconter une histoire, donc tu veux une histoire qui soit aussi haute en couleurs et divertissante que possible. C’est pour ça qu’à nos débuts, j’essayais vraiment d’écrire des paroles horrifiques, et de choquer les gens, mais faisant le style de musique que nous faisons, je pense que les gens aiment la colère, l’intensité et la couleur des paroles. Tu peux aller trop loin, mais ça ne m’est jamais arrivé, je pense. Tu assimiles une situation, tu écris à son sujet parce que ça signifie quelque chose, mais tu l’embellis un peu, comme on le ferait dans une histoire ou un film.
« Dès que j’ai commencé à être un peu plus à l’aise et en confiance avec tout, j’ai mis mes tripes dans la musique et les paroles, j’ai laissé l’album prendre forme et me dicter ce qu’il voulait devenir. Car ce n’est pas comme si je le contrôlais : c’est lui en fait qui me contrôlait ! »
Que mets-tu derrière le terme de « gravité » qui sert de titre à l’album ?
Ça vient évidemment de la chanson elle-même. Nous ne prêtons pas trop attention au nommage de l’album, nous choisissons juste une chanson pertinente, d’une façon ou d’une autre, pour représenter l’histoire de la conception de l’album, et là, c’était la première chanson que nous avons fini. Donc « Gravity » était la première chanson qui, instrumentalement et niveau paroles, a été complètement structurée et aboutie en premier. Et elle commençait à incorporer un peu de production électronique, gentiment, et ensuite, si je te donnais l’ordre des chansons tel qu’elles ont été écrites, tu pourrais voir comment elles se sont développées en termes de confiance, de son, etc. Et la chanson est pour moi une métaphore. J’étais sur une pente descendante, à ce stade, et je ne me sentais pas bien, et l’idée de la gravité, c’est une déclaration positive, mais il y a un peu un côté yin et yang, c’est un peu dur à expliquer.
C’est une question d’équilibre ?
En gros, oui. Ça peut vouloir dire beaucoup de choses pour plein de gens différents, mais pour moi, c’était un équilibre par le fait de tomber mais en essayant de rester positif, mais en étant constamment tiré vers le bas par ce qui se passait dans ma tête à cause de ce qui se passait dans ma vie [rires]. Ouais, c’est compliqué.
Tu as dit que tu t’es concentré sur l’efficacité et le fait d’avoir des refrains vraiment forts, comme des hymnes, au lieu d’opter pour la vitesse et la technicité. As-tu l’impression que l’état d’esprit du groupe a évolué à ce sujet ? As-tu l’impression que vous vous êtes trop reposés sur la technicité par le passé ?
Je ne pense pas que nous nous soyons reposés dessus, mais nous nous sommes beaucoup focalisé sur le fait de la mettre en valeur : montrer qui nous sommes en tant que musiciens, individuellement, et essayer d’incorporer ça dans le groupe de façon à ce que chaque instrument ait son moment de gloire. Mais au fil des années, nous avons appris que les grandes chansons n’ont pas vraiment ces moments de gloire individuels. Ce sont juste des chansons, elles ont un message et une super mélodie. Au final, c’est ça qui est roi. La chanson est toujours prioritaire sur la technicité. Du coup, avec celui-ci, nous avons pensé : « Et puis merde ! On va faire ça pour chaque chanson, on ne va pas frimer ou faire de démonstration. » Rien qu’en raison de l’histoire de notre groupe, qui nous sommes en tant que musiciens, et étant un groupe de metal, nous n’avons pas besoin de faire ce que les gens pensent que nous devrions faire. Nous plaidons également été coupables, surtout sur Venom, par exemple : ça shred dans tous les sens, c’est rapide et complètement dingue. Nous avons pensé : « Faisons quelque chose qui serait radicalement l’opposé ! » Et d’une certaine façon, justement parce que nous avons fait l’opposé, c’est encore plus heavy. Les chansons sont imposantes, épaisses, amples et écrasantes, et la dynamique entre de nombreux couplets et refrains est énorme. Les chansons sont incontestablement les meilleures que j’ai jamais écrites, et je pense que c’est grâce à la simplicité. Ça permet de faire passer le message véhiculé par ce qu’il y a au-dessus, c’est-à-dire principalement le chant. Ca domine, c’est parfait. C’est comme ça que doit être une chanson.
Dirais-tu qu’en 2018, vous avez suffisamment prouvé ce dont vous êtes capables ?
Exactement, ouais. Nous l’avons fait par le passé, encore et toujours, c’était une formule qui marchait ; les fans de metal adorent ces conneries, moi y compris. Mais nous avions le sentiment d’avoir atteint une certaine maturité et un niveau dans le groupe désormais, si bien que nous n’avons plus à faire nos preuves. Il y a toujours cette volonté de démontrer que nous sommes toujours au top de notre forme, en tant qu’individus, mais, comme je l’ai dit, c’était plus : qu’est-ce qui est le mieux pour l’avenir du groupe ? Qu’est-ce qui est le mieux pour les chansons que je suis en train de composer ? Et le mieux était que ça reste très focalisé, épuré, sans vitesse excessive, sans avoir des solo en shred d’une minute partout entre les couplets, etc. On aurait dit qu’avant ça rallongeait les chansons sans autre raison que pour faire de la démonstration, donc nous avons mis tout ça à la poubelle. C’était une décision très bizarre à prendre, parce que nous avons fait notre carrière là-dessus ! Mais maintenant, évidemment, nous avons fait l’album, nous l’avons donné au label, et je l’ai depuis quelques mois, et c’était assurément le meilleur choix à faire. Les chansons rayonnent, car il n’y a pas de conneries autour [petits rires]. C’est très focalisé, très direct et droit au but, du début à la fin. Boum : c’est fait.
La simplification, c’est un signe de maturité, selon toi ?
Je le pense, parce que c’est dur d’écrire d’excellentes simples chansons. Si tu regardes dans l’histoire, pour n’importe quel style, les chansons les plus simples sont toujours celles qui sont à l’épreuve du temps. Ce sont toujours celles qui ressortent dans les playlists, dans les discographies des gens. Historiquement, plus le message est simple et meilleure est la mélodie, plus les gens aiment la chanson. Ouais, c’est une décision mature de ne pas frimer et ne pas faire tout ce que nous avons fait par le passé, parce qu’autrement ça aurait facile. Je pense que c’était une bonne décision, courageuse, mature, de faire ce que nous venons de faire.
« Si tu regardes dans l’histoire, pour n’importe quel style, les chansons les plus simples sont toujours celles qui sont à l’épreuve du temps. Ce sont toujours celles qui ressortent dans les playlists, dans les discographies des gens. »
Venom a été perçu comme un retour à vos racines. D’un autre côté, tu as déclaré à l’époque que « c’est dur d’écrire des choses quand on ne se sent pas comme ça à un niveau personnel. » Est-ce que ça veut dire que tu ne te reconnais pas totalement dans cet album ?
Non, c’était plus que… C’est bizarre parce que dans Venom, il y a une chanson qui s’appelle « Broken », et elle parle de ne pas pouvoir ressentir de l’éloquence dans les paroles que j’écrivais, parce que ma vie était trop bien ! Etrangement, deux ans plus tard, j’en suis à un stade où toute cette histoire m’est arrivée ! Et je suis dans une situation vraiment horrible et je n’avais plus envie d’être dans un groupe, et ma vie personnelle semblait tomber en ruine, tout s’écroulait autour de moi. C’est exactement ce dont parlait cette chanson, et maintenant j’ai écrit au sujet des épreuves que je vivais, et, selon moi, ce sont les meilleurs textes que j’ai fait à ce jour. C’est dur à expliquer, mais cette chanson, c’est exactement ce qui m’est arrivé au cours des deux dernières années, et ça m’a offert de véritables choses raconter lorsque je chante. C’est donc un drôle de coup du sort, un peu comme si je m’étais tiré une balle dans le pied, mais voilà…
Et musicalement, est-ce que tu dirais que Venom était plus un album pour les fans et Gravity plus un album pour le groupe ?
Je pense que Venom était pour les fans et pour nous. Car c’est un album qui est venu après Temper Temper qui était un peu fade, un peu conventionnel, un peu ennuyeux. C’était ce que c’était. Sans vouloir me dédouaner, beaucoup de groupes ont un peu un passage à vide, sans véritable raison. C’est probablement parce que nous avons eu un tel pic avec Fever que je n’avais plus vraiment quoi que ce soit à dire de plus sur Temper Temper, et il a fallu que j’invente des choses. Ce qui explique le résultat : on peut entendre que je ne chante pas avec sincérité. Donc en revenant avec Venom, j’avais quelque chose à prouver, musicalement et au niveau des textes. Il fallait ramener l’intensité, le feu et la rage que nous avions à nos débuts, en essayant de trouver ces petites merdes qui se sont produites dans ma vie, qui m’inquiétaient, qui m’énervaient, afin d’écrire sur des sujets authentiques, comme « You Want A Battle », « No Way Out » et ce genre de chose, et en faisant ça, tout d’un coup, ça avait à nouveau du sens. Donc je pense que Venom était pour les fans mais aussi pour nous. Nous voulions nous prouver à nous-même que nous pouvions encore mettre les gaz quand il le fallait, et c’est absolument ce que nous avons fait. Gravity, il est clair que c’est totalement moi. C’est un album un peu égoïste, mais comme je l’ai dit, je ne vais probablement, et je l’espère, jamais avoir un autre moment de ce genre dans ma vie où j’ai besoin de ce fil rouge dans l’album. C’est pour moi, et ça m’a assurément aidé à me remettre en route, et ce que ça a produit est un album sont je suis hyper fier, et avec un peu de chance les gens l’adoreront autant que moi ! Je croise les doigts. Ils comprendront dès qu’ils l’entendront.
Est-ce parfois dur de concilier les désirs des fans et ceux du groupe ?
Absolument, ouais, bien sûr, parce que tu veux toujours donner aux gens ce qu’ils veulent, jusqu’à un certain point. Mais au final, quand tu es créatif en tant que compositeur, dès que tu commences à faire ça, c’est-à-dire obéir aux désidératas et besoins des gens, il n’y a plus rien de vrai dans ce que tu fais. C’est donc un jeu un peu dangereux. Nous l’avons fait par le passé, et ça a été. C’est toujours sympa d’avoir ce genre de… Tu sais, si tu es coincé sur quelque chose, tu regardes ce que les gens adorent et pourquoi ils l’adorent, et tu essayes un peu de retrouver ça. Mais avec celui-ci, il ne s’agissait pas de ce que, d’après moi, les gens voulaient entendre, il s’agissait de ce que moi, je voulais entendre, ce que je voulais dire. J’espère, encore une fois, que ça s’entend dans la musique et les paroles, et que ça sonne comme rien de ce que nous avons fait par le passé, tout en sonnant quand même comme nous. C’est un drôle d’équilibre ; ça peut paraître facile dit comme ça, mais quand on a notre carrière, les albums que nous avons enregistrés et traversé toutes ces années d’existence, faire ça, c’est vraiment très difficile, parce que tu sais exactement ce que les gens veulent entendre de ta part, mais tu ne peux pas tout le temps le leur donner, et là, ce n’était pas le moment pour ça.
Tu évoquais Temper Temper, c’est un album controversé parmi les fans et qui a eu un accueil très mitigé principalement parce qu’il était un peu différent et ne sonnait pas comme The Poison et Scream Aim Fire. N’as-tu pas peur que ça se reproduise avec Gravity ?
Absolument pas. Aujourd’hui, je suis très conscient de ce que Temper Temper est et n’est pas, et je suis très conscient de ce que Gravity est et n’est pas. Ce sont des albums très différents. Oui, Gravity est légèrement différent au niveau du style et musical, mais c’est pour le meilleur, alors que Temper Temper était une version tiède de ce que Bullet aurait dû être à l’époque. Il n’avait pas le feu, il n’avait pas l’intensité, il n’avait pas des paroles qui comptaient pour moi. Gravity a tout ça et bien plus encore. Il a l’intensité, il a d’imposants titres de chansons et messages dans les refrains, il a des riffs qui déchirent, il a tout ce qu’il doit avoir. J’ai appris de mes erreurs et ça n’arrivera plus, mais je suis humain, le groupe est humain, et il faut faire avec ce que nous avons fait à l’époque. Tout ça, ce sont des périodes dans la carrière du groupe, et celui-ci continuera à vivre des périodes très distinctes, ça fait partie de l’histoire. Mais non, je n’ai pas du tout peur que ça se produise avec cet album.
« Venom était pour les fans et pour nous. Car c’est un album qui est venu après Temper Temper qui était un peu fade, un peu conventionnel, un peu ennuyeux. C’était ce que c’était. Sans vouloir me dédouaner, beaucoup de groupes ont un peu un passage à vide, sans véritable raison. »
Malgré tout, n’est-ce pas frustrant parfois quand les gens s’attendent à ce que vous fassiez ce que vous faisiez à vos débuts, quand ils ont du mal à accepter l’évolution ?
Absolument, mais c’est ainsi. Je plaide moi-même coupable avec certains groupes que j’ai adoré en grandissant, et ils ont évolué et changé avec le temps, mais quand tu vieillis, tu comprends un peu mieux, et en particulier maintenant que je suis dans un groupe et que je compose des chansons ; je comprends totalement pourquoi il faut évoluer et faire ce qu’on a à faire en tant que groupe. On ne peut pas tout le temps faire ce que les gens veulent que tu fasses, ce n’est pas super. Ce n’est pas quelque chose de positif. Ce n’est pas suffisamment créatif. Si tu es une personne créative, que tu sois un compositeur, un artiste, un acteur, peu importe, tu t’imposes constamment des défis. Tu dois te pousser à endosser différents rôles afin d’obtenir de la bonne matière et de bons résultats. C’est ce que nous essayons de faire à chaque album. Parfois ça marche, parfois pas.
Après le changement de bassiste en 2015, vous avez fait face à un second changement presque immédiatement après la sortie de Venom, avec le batteur Michael Thomas qui a dû se désengager de la tournée. Vous avez désormais officiellement accueilli Jason Bowld dans le groupe. Comment avez-vous géré cette instabilité dans le groupe ces dernières années ?
Il faut faire avec ! Les temps changent. Le fait que nous soyons dans un groupe ne signifie pas qu’il n’y aura pas des allées et venues de personnel. Nous avons eu beaucoup de chance d’être parvenus à cinq albums et environs douze années passées ensemble avant que quoi que ce soit ne se produise. Je pense donc que nous avons eu un très bon parcours, et ce n’est pas inhabituel que les gens changent à titre personnel, musicalement et à un niveau créatif. Parfois, il faut prendre des décisions dont toi-même tu ne bénéficieras pas, mais qui est la bonne à prendre pour l’avenir de tous les individus dans le groupe. Malheureusement, être dans un groupe avec un pote ne signifie pas que ce n’est plus du business. C’est un de ces cas de figure horribles où les deux se heurtent de temps en temps. C’est arrivé quelques fois. Quand nous avons perdu Jay [Jason James], il n’a jamais été un compositeur dans le groupe de toute façon, il n’a jamais été créatif, il débarquait, nous jouions, nous trainions ensemble, peu importe, nous étions simplement amis. Donc lorsque Jamie [Mathias] est arrivé, c’était sympa d’avoir quelqu’un de plus jeune, il était surexcité. Il en avait eu un avant-goût avec son ancien groupe Revoker, et puis il l’a perdu, et on lui a donné une seconde chance, un nouveau souffle, et c’était sympa d’avoir du sang neuf dans le groupe. Ca a ramené une énorme énergie. Ensuite les choses ont commencé à se dégrader avec Moose [Michael Thomas], il a manqué certaines tournées, donc nous avons fait intervenir Jason qui avait remplacé Moose quelques fois, et nous avions fait AxeWound ensemble, un genre de projet parallèle. Ça fait deux ans maintenant qu’il est dans le groupe. Une fois que la tournée était finie, nous avons pensé que c’était la bonne personne pour le job. Donc l’instabilité n’a jamais vraiment été un problème. Nous sommes parvenus à la gérer très discrètement, sans stress, d’après moi et j’espère aussi du point de vue du public. Nous gérons tout très bien et nous nous sommes occupés de ce que nous avions à faire, et nous voilà ! C’est dommage que ce genre de chose se produise mais ce n’est pas du tout inhabituel, ça se produit dans la carrière de tous les groupes à un moment ou à un autre, peu importe qui on est.
Comme Jason a pu longuement tourner avec le groupe avant d’aller en studio pour faire le nouvel album, penses-tu que c’était la meilleure des situations pour accueillir un nouveau membre ?
Ouais, nous n’aurions pas invité quelqu’un dans le groupe bon gré mal gré. Il faut le mériter, il faut le vouloir, il faut vivre pour le groupe, il faut être passionné. Ce que nous faisons, tout ce mode de vie, ça peut paraître très glamour, mais c’est vraiment beaucoup de travail et de sacrifices. Et puis on ne peut pas débarquer dans un groupe établi comme ça, mais Jason, il est tellement dévoué, tellement talentueux, il adore le groupe, il adore son histoire. Il a trois enfants, il a une épouse, et heureusement il est là avec nous, ils sont compréhensifs et ils le laissent prendre part à cette famille de dingue qui l’emmène constamment loin d’eux. Mais c’est le genre de sacrifice que nous faisons. Il est incroyable. Son talent, sa dynamique, son groove, il est de classe mondiale. C’est un musicien génial à côtoyer !
Non seulement cet album est le premier avec Jason Bowld à la batterie, mais c’est aussi le premier pour Jamie Mathias à la basse, puisque c’est toi qui a enregistré la basse sur Venom. Du coup, quelle différence ça a fait d’avoir tout ce sang neuf en studio ?
C’est super ! Comme je l’ai dit, c’est de l’énergie. Jaime et Jason ont vécu le mode de vie de Bullet pour la première fois dans un environnement créatif avec cet album ; c’est quelque chose que personnellement j’ai vécu pendant quinze ans, six albums, alors que pour eux c’est vraiment tout nouveau. Ils ont déjà fait des enregistrements par le passé, ils ont souvent été en studio et ont donné des concerts, mais je pense que le fait de les intégrer à cette machine, ça nous redonne aussi à moi et à Padge ce type d’excitation. Ça donne un nouveau souffle à l’énergie du groupe, c’est super ! Car nous tombions un peu dans une routine. Ce que nous faisons est extraordinaire mais ça devient normal quand ça fait quinze ans que tu le fais, ça devient ton boulot, ça devient ce que tu es. Donc voir arriver deux gars à divers moments ces dernières années, ça nous a clairement boosté. C’est vraiment cool ! Ça apporte simplement une nouvelle énergie et perspective au groupe, car ils étaient fans du groupe ! Ils savent exactement ce qu’ils aiment, où selon eux tu t’es raté, donc nous avons beaucoup parlé, nous avons eu des discussions arrosées… tu vois. Mais c’est super, ça te donne une vision extérieure du groupe, et nous leur en avons donné une vision intérieure [petits rires]. Donc c’est plutôt cool. C’est bizarre mais c’est marrant.
« Oui, Gravity est légèrement différent au niveau du style et musical, mais c’est pour le meilleur, alors que Temper Temper était une version tiède de ce que Bullet aurait dû être à l’époque. Il n’avait pas le feu, il n’avait pas l’intensité, il n’avait pas des paroles qui comptaient pour moi. Gravity a tout ça et bien plus encore. »
Tu as évoqué le talent de Jason et tu avais d’ailleurs déclaré que les gens allaient être « scotchés par ce qu’il a apporté de nouveau à l’album. » Plus précisément qu’a-t-il apporté ? Ça a été inspirant pour toi ?
Ouais, il est incroyable. J’ai par exemple composé la majorité de l’album avec lui à mes côtés, à échanger des idées, parce que c’est dur de composer un album sans batteur. On peut tout lui envoyer, que ce soit de la musique latine, de la samba, de la musique africaine, tout ce que tu veux à la batterie, il te le fait ! Il a été professeur de batterie pendant vingt ans. Il écrit pour Rhythm Magazine et Drum Magazine. Donc le fait de bénéficier de ses capacités techniques et son oreille pour la percussion, les motifs rythmiques, la dynamique, les rudiments et le groove, c’est incroyable. Et ce n’est pas ce qu’il fait dans l’album qu’on remarque, c’est ce qu’il ne fait pas. Il ne sur-joue pas. Il peut faire tout ce que tu veux il ne le fait pas juste pour, encore une fois, faire de la démonstration. Aucune connerie de ce genre. Il fait exactement ce dont la chanson a besoin qu’il fasse et il s’assure de l’exécuter de la manière la plus habile possible. Si tu avais vu… Toutes ses pistes de batterie ont été faites en une prise. Il ne déconne pas, il se pose, il fait l’intello pendant une heure, il fait ce qu’il a à faire, il te fait signe, tu appuies tu le bouton « enregistrer », il se lance, le boulot est fait, et c’est ce qu’on entend. C’est incroyable, un tel talent.
Avec ces deux changements de line-up que le groupe a connu depuis 2015, et la nouvelle direction musicale de cet album, dirais-tu que l’identité du groupe a changé ces deux dernières années ?
Musicalement, ouais. Je pense depuis le début que cet album va prendre les gens par surprise, encore une fois parce que tout le monde part toujours du principe que nous allons faire une version différente de quelque chose que nous avons déjà fait dans le passé, et là ce n’est pas le cas. Je pense qu’il faudra un peu de temps pour certaines personnes avant que la poussière ne retombe, rien que parce que c’est bien plus simple. Les gens vont chercher le shred, le thrash et l’intensité. L’intensité est là, c’est clair, mais c’est exécuté de façon totalement différente par rapport à avant. Encore une fois, c’est la simplicité. C’est un album qui n’a rien à voir avec Venom, mais je trouve qu’il y a une progression, une évolution, de manière très positive. Nous ne reculons pas, nous ne nous reposons pas sur l’histoire du groupe, sur la discographie passée. Ce n’est pas exactement une renaissance mais je pense qu’avec Jason désormais à bord et autre, je pense qu’il fallait que nous fassions quelque chose d’audacieux et imposant pour que le groupe continue… Je n’ai pas envie que nous stagnions, j’ai envie que nous continuions à viser haut ! Je crois que la seule façon de le faire est en réinventant notre son. Voilà où nous en sommes.
Donc cette simplicité sera la nouvelle ADN du groupe ?
Ouais, je le pense. Comme je l’ai dit, nous n’allons pas sur-jouer juste pour démontrer ce dont nous sommes capables en tant que musiciens. Ça n’a plus d’intérêt, nous nous en fichons, nous voulons juste écrire des chansons heavy qui déchirent auxquelles dix-mille personnes dans une arène peuvent se raccrocher avec tout leur corps, et qu’ils peuvent chanter de bon cœur parce qu’ils ressentent ce que je dis, je n’avais jamais eu un tel album. C’est ça l’effet que je recherche et que j’espère nous obtiendrons [petits rires].
Interview réalisée en face à face le 26 mars 2018 par Claire Vienne.
Fiche de questions : Claire Vienne & Nicolas Gricourt.
Transcription : Claire Vienne & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Bullet For My Valentine : www.bulletformyvalentine.com.
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