Et si avec The Door To Doom, Candlemass avait trouvé la porte du succès ? Le retour de Johan Längqvist au micro, plus de trente ans après le monument Epicus Doomicus Metallicus, semble en effet avoir réveillé la passion autant chez le groupe – qui était pourtant à deux doigts de jeter l’éponge – que chez un public renouvelé. En première partie d’une grande tournée de Ghost, au Hellfest, sur le tapis rouge des Grammys à Los Angeles, devant Metallica et la famille royale suédoise au Polar Music Prize… Le nom de Candlemass semblait être partout. Une histoire en forme de fable qui montre que la vie réserve toujours de bonnes surprises et, surtout, que l’authenticité paye. Car malgré la route cabossée et une valse des chanteurs, quarante ans après avoir fondé Nemesis, devenu Candlemass deux ans plus tard, le bassiste-compositeur-parolier Leif Edling est toujours resté fidèle à ses premiers amours, à ses principes et à sa ligne de conduite.
Les maîtres du doom metal épique comptent bien ne pas faire retomber le soufflé et reviennent aujourd’hui avec Sweet Evil Sun. Un treizième album entre ombre et lumière, une nouvelle fois produit par Marcus Jidell et dans lequel on retrouve ce magistral sens du riff, une plume empreinte de poésie obscure et même un brin d’humour noir. Nous discutons de tout cela et de bien d’autres sujets, passés comme présents, avec Johan Längqvist et Leif Edling.
« On peut entendre dans l’album que nous avons un groupe plus harmonieux de nos jours. C’est terminé les psychodrames. Maintenant la vallée est paisible et nous pouvons nous concentrer sur ce qui est important, c’est-à-dire les chansons et l’album. »
Radio Metal : The Door To Doom a été un joli succès – le groupe a été nominé aux Grammys dans la catégorie Best Metal Performance. Comment expliquer ce soudain succès ? Pensez-vous qu’il y a un regain d’intérêt pour le doom ou est-ce ton retour, Johan, qui a réveillé le statut de groupe culte dans l’esprit des gens ?
Johan Längqvist (chant) : Je ne sais pas, mais j’ai bien remarqué une différence. J’avais fait deux ou trois concerts avec Candlemass avant 2018 et, d’après mes souvenirs, le public était beaucoup plus âgé à l’époque. Je ne sais pas si les enfants des fans de heavy metal ont hérité des goûts musicaux de leurs père et mère, mais c’est assez extraordinaire de voir parfois presque des familles entières, avec des mères, des pères et des filles et fils dans la vingtaine, tous chantant en chœur. Nous avons peut-être trouvé un public plus jeune et l’une des raisons pourrait être la tournée que nous avons faite avec Ghost. Nous ne savions pas exactement comment le public de Ghost allait nous accueillir, car nous jouons une musique différente, mais nous avons fait plein de concerts devant de très grandes audiences. Je ne sais pas, mais c’est peut-être pour ça. Je sais en tout cas que beaucoup de gens viennent me poser des questions sur Epicus et adorent cet album. De toute évidence, il a beaucoup marqué les gens. Je suis flatté d’avoir fait un album qui est devenu un classique. C’est extraordinaire. Je suis très content de voir que le public est plus jeune aujourd’hui, et à la fois, les anciens fans sont toujours là aussi. Ça donne l’impression d’avoir fait quelque chose d’important, alors que je ne suis qu’un homme ordinaire venant de Suède qui aime la musique [rires]. Tout ce que nous avons fait depuis 2018, y compris le tout premier concert, jusqu’à l’arrivée du Covid-19 m’a réchauffé le cœur. Même après la pause forcée à cause de la pandémie, ça marche encore bien. Je ne sais pas où nous serions aujourd’hui s’il n’y avait pas eu le Covid-19 !
Vous avez travaillé sur Sweet Evil Sun pendant un total de dix-huit mois. Ça peut paraître beaucoup. Comment s’est déroulé le processus ?
Leif Edling (basse) : Lentement mais sûrement ! Nous avons quitté le tapis rouge des Grammys aux Etats-Unis début 2020 en pensant que nous aurions une belle année devant nous, puis ce putain de coronavirus est apparu et nous a laissés sans rien. C’était nul ! Mais je me suis un peu reposé et j’ai commencé à travailler sur de nouveaux riffs et de nouvelles idées dès le 1er septembre 2020. J’ai fait ça tranquillement jusqu’à Noël, puis j’ai commencé à faire des démos la première semaine de 2021. J’ai fini les démos en octobre, je crois. Je galère toujours avec mon problème de burn-out. C’est pourquoi ça me prend une éternité d’écrire des chansons et de travailler en studio. A certaines périodes, je ne pouvais m’y rendre qu’une fois par semaine, parfois deux. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est ainsi. Ça me donne du temps en plus pour travailler sur les chansons chez moi entre les sessions de studio, donc s’il y a un bon côté, c’est celui-là. En novembre, nous avons enregistré la batterie, nous avons commencé les guitares en décembre, et la basse et le chant en janvier et février 2022. Les claviers et les overdubs additionnels ont été faits en mars, puis le mix a été réalisé par Ronny Lahti en avril et mai, et le mastering par Patrick Engel en juin. C’était un sacré processus, mais pour un beau résultat.
Johan : Personnellement, je n’ai pas été impliqué dans l’écriture en dehors de ce que nous faisons ensemble en studio, et je n’ai pas été en studio pendant dix-huit mois. Pour moi, la partie studio va assez vite – heureusement, car ça coûte cher sinon. Mais nous nous sommes beaucoup amusés durant l’enregistrement !
The Door To Doom a été écrit avant que tu ne reviennes dans le groupe, Johan, et d’après Mats Leven qui a initialement chanté l’album, tu as plus ou moins enregistré les mêmes lignes de chant. Sweet Evil Sun est donc le premier album qui a été entièrement réalisé avec toi au sein du groupe. Est-ce que ça a changé quoi que ce soit pour toi, Johan, en tant que chanteur ou pour toi, Leif, en tant que compositeur ?
Leif : Oui, j’avais Johan en tête quand j’ai écrit les chansons. Quand on connaît son chanteur, on connaît aussi ses forces et ses points faibles. On sait exactement dans quelles tonalités on peut préparer un couplet, par exemple, ou si on doit écrire le refrain en Mi ou en La. Or, avec Johan, on peut pratiquement écrire dans toutes les tonalités qu’on veut, ça sonnera bien quoi qu’il arrive ! Avec d’autres chanteurs, on sait qu’on doit éviter certaines tonalites ou énergies. De même, Johan était avec moi en studio pendant la période d’enregistrement des démos. Il était aussi très présent quand nous avons enregistré l’album « pour de vrai ». Il pouvait venir après son boulot, encore vêtu de ses habits de travail, à tousser du béton avant de livrer des parties de chant extraordinaires ! [Rires] Johan est aussi un chouette gars à avoir en studio. Il est prêt à essayer absolument tout ce que tu lui proposes. Un vrai soldat ! Il a vraiment enregistré de super parties de chant sur Sweet Evil Sun.
Johan : Quand j’ai fait l’album The Door To Doom, je n’étais pas Mats Leven, donc je ne pouvais pas faire exactement ce qu’il avait fait, et il ne fallait même pas que j’essaye car nous sommes des chanteurs différents. Il est peut-être plus parfait que je ne le suis. Quand j’enregistre, je bouge dans tous les sens à m’amuser et à faire à peu près tout ce qui me passe par la tête et que me dicte mon cœur. Evidemment, vous n’entendrez jamais la différence entre nos prestations respectives, mais il faut que je sois moi-même et c’est ce que j’ai fait sur The Door To Doom. Il y avait de super chansons sur cet album et j’ai fait du mieux que je pouvais, mais la différence entre The Door To Doom et ce nouvel album est peut-être que nous avons eu plus de temps pour expérimenter avec le chant, car nous avions effectivement une ligne directrice sur l’album précédent, même si j’ai dit que je voulais le faire à ma façon. Je suis très ouvert d’esprit, donc une fois que Leif a écrit les morceaux, nous avons essayé plein de choses différentes au sein des chansons pour ensuite choisir le meilleur. Au final, il s’avère que nous aimons tous le résultat [rires].
« Peut-être qu’il y a un problème chez moi parce que je fais flipper tout le monde en studio [rires]. Parfois je déborde d’énergie et il se passe plein de choses dans ma tête quand je suis en train d’enregistrer. »
Penses-tu que tu as pu mettre encore plus de toi-même ?
Je pense que, peu importe ce que je fais, je me donne toujours à fond. C’est important. Ce n’est pas parce qu’il y avait déjà du chant sur les autres albums que je ne devrais pas essayer de m’approprier les chansons. Si je me contentais de copier quelqu’un d’autre, je ne pense pas que ce serait bon. Il faut donc être soi-même sur chaque chanson. Quand je chante les vieux morceaux de Messiah, évidemment, je reste fidèle aux parties principales, mais je les chante à ma manière, car nous sommes aussi des chanteurs différents. Messiah a un timbre plus aigu et je dois pousser… Selon moi, j’ai des cordes vocales plus lentes. Je ne suis pas capable de chanter très vite, mais je me suis amélioré ces derniers temps, car certaines vieilles chansons de Candlemass ont un grand débit de mots. Et bien sûr, j’essaye de faire ce que j’aime vraiment faire, surtout lors des concerts. Je m’éclate vraiment et je n’ai pas peur de faire des erreurs, car je profite du moment à cent pour cent. Ça ne pose pas de problème d’être spontané et de faire des expériences au sein des chansons.
Tu as toi-même été compositeur, même si ce n’était pas dans Candlemass. Evidemment, Leif est le compositeur de ce groupe, mais est-ce que cette compétence t’aide à collaborer avec lui et à comprendre ce qu’il veut ?
Oui, absolument. Si je n’avais pas fait ça toute ma vie et n’avais pas cette expérience, je pense que ça ne marcherait pas aussi bien aujourd’hui. Ce n’est pas comme si j’étais resté assis dans mon canapé pendant trente ans et que je venais d’arriver dans la scène pour enregistrer des albums. Ce n’est pas aussi simple que ça [rires]. Leif est le compositeur principal, mais il est aussi très ouvert d’esprit. Parfois, quand j’expérimente, il dit : « Ouais, j’aime ça, on garde ! » Ce n’est pas un dictateur qui dit : « Chante comme moi ! » Evidemment, il y a une ligne directrice : « Chante dans cette veine », et ensuite, j’essaye de le faire à ma façon. Et parfois, il peut dire : « Non, je n’aime pas ça, il faut essayer autre chose » et alors nous nous amusons à tester plein d’autres trucs. Au final, nous trouvons toujours quelque chose qui va bien.
Sweet Evil Sun est présenté comme un genre de retour aux sources de Candlemass, et plus spécifiquement à « la grandeur de [vos] premières années ». Je suppose que c’est en partie parce que vous avez les membres historiques et le chanteur originel, mais est-ce que ce groupe s’est déjà vraiment éloigné de ses racines ? Je veux que, Leif, tes riffs ont fondamentalement créé le lien entre toutes les époques…
Leif : Je pense que tu as raison. Nous n’avons pas tellement changé au fil des années, mais je pense qu’on peut entendre dans l’album que nous avons un groupe plus harmonieux de nos jours. C’est terminé les psychodrames. Maintenant la vallée est paisible et nous pouvons nous concentrer sur ce qui est important, c’est-à-dire les chansons et l’album. Sweet Evil Sun est le meilleur album que nous ayons fait depuis de nombreuses années, on peut entendre que nous avons le feu sacré !
Johan : Nous en avions parlé il y a deux ou trois ans : Leif ne voulait plus continuer Candlemass avant que j’arrive. J’étais plus ou moins la dernière chance pour que Candlemass perdure. Mappe a eu une discussion avec Leif et il a dit : « Et si j’appelais Johan ? » « Penses-tu qu’il viendrait maintenant ? » « Oui, on peut lui passer un coup de fil et voir ce qu’il en dit. » C’est ainsi que je suis revenu. Je pense que Leif a eu un regain d’énergie, car il a été très productif ces dernières années. En comptant ce nouvel album et l’EP, nous avons enregistré trois disques en quatre ans, c’est pas mal ! Il faut que nous fassions attention, car il reste un peu fragile avec sa santé, mais il a beaucoup fait ces dernières années, je peux te le dire !
Leif, tu penses qu’avec le retour de Johan c’était comme une remise à zéro ?
Leif : Oui, c’est clair. Nous avions tous l’impression qu’un frangin était revenu. Johan va comme un gant au groupe. Nous avons une alchimie spéciale au sein de Candlemass maintenant, qui ne peut être brisée aussi facilement. Encore une fois, il n’y a aucun psychodrame avec Johan. C’est vraiment un ange. Enfin, par le passé, les psychodrames avaient lieu quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps avant et après les concerts ou les enregistrements. Les gens ont besoin d’obtenir certaines conditions avant de pouvoir monter sur scène ou venir enregistrer, et c’est là que les discussions commencent. On n’est pas obligé d’en faire quelque chose de négatif. Ça peut être chiant, bien sûr, mais la plupart du temps, si tout est clarifié en amont, ça fait que les concerts ou le travail en studio se passe mieux. Mais je suis content de pouvoir dire que nous n’avons plus autant de discussions maintenant que nous avons Johan au micro. Bien sûr, il y en a toujours à propos de ci et ça, mais rien de sérieux. Cette époque est révolue, heureusement ! [Rires] Nous sommes de retour, meilleurs que jamais !
Johan : Je pense être quelqu’un d’assez facile à vivre. Je reste positif dans pratiquement toutes les situations. Il y a toujours une solution à un problème [rires].
« J’ai les mêmes influences qu’avant. Le futur est dans le passé, quand la mélodie, le riff, la musicalité, le refrain, l’arrangement, l’instrumentation, etc. étaient importants. »
Il semblerait que l’accent a été mis un peu plus sur ta voix, qui est très expressive, presque théâtrale par moments, surtout sur un morceau comme « When Death Sighs ». Voyez-vous votre musique voire le doom comme un genre théâtral ?
Oui, peut-être, en partie. Mais pas tout le temps. En fait, nous nous sommes un peu amusés en studio et j’ai songé à aborder mes lignes de chant de façon plus théâtrale, et elles le sont, d’une certaine façon, sur certains passages de l’album. Il pourrait bien avoir quelque chose qui se rapproche de la narration et, dans une certaine mesure, il faut jouer un personnage quand on chante les chansons.
Leif : Après, je n’aime pas le chant quand il est exagérément dramatique. Je n’aime pas que ce soit purement théâtral. Il faut qu’il y ait du feeling, or Johan en a à revendre. Soit on en a, soit on n’en a pas. Johan est capable de poser sa voix sur n’importe quoi en cinq minutes, peu importe la tonalité, et faire que ça sonne comme un million de dollars. Je sais qu’il y a beaucoup de théâtralité dans le doom et tous ses sous-genres, mais ce n’est pas notre cas. Nous sommes trop metal pour ça, je pense. Il faut que ce soit authentique. Nous faisons du metal vraiment old school, pas de place pour l’imposture !
On retrouve quand même un peu de théâtralité dans tes gestes en live quand tu chantes, Johan…
Johan : Personne n’a envie de voir un chanteur ennuyeux qui reste debout immobile. Il faut créer un lien avec les gens qui écoutent d’une façon ou d’une autre. Mais ce n’est pas si difficile. Quand tu montes sur scène et que tu vois le public qui sourit et est heureux, c’est facile de bien s’amuser. Je ne sais pas comment c’est pour les autres groupes, mais avec nous, sur certaines chansons, presque tout le monde chante en chœur, ils connaissent les paroles. Si je fais une erreur… Il m’est évidemment déjà arrivé de me planter et j’ai rencontré un gars qui m’a vu, je ne sais plus dans quel pays c’était, mais il est venu en Norvège nous voir une deuxième fois. Nous nous sommes croisés quand j’étais en centre-ville et il m’a dit : « Tu te souviens de cette phrase dans telle chanson ce soir-là ? Cette fois, je serai devant toi et je pourrai t’aider si besoin ! » [Rires] C’était un gars adorable, mais c’était assez drôle. De même, quand je suis dans la cabine de chant, peut-être qu’il y a un problème chez moi parce que je fais flipper tout le monde en studio [rires]. Parfois je déborde d’énergie et il se passe plein de choses dans ma tête quand je suis en train d’enregistrer. Ils aiment bien ça, mais j’ai souvent fait peur à Leif. Je suis assez bruyant quand je chante. Quand nous sommes assis dans le canapé et que quelque chose me vient, je ne peux pas le retenir et je le chante à tue-tête, et il est là [fait un grand bruit de quelqu’un qui sursaute de peur]. Mais c’est drôle et c’est toujours très confortable, donc tu te sens toujours libre de t’amuser.
Marcus Jidell d’Avatarium a une nouvelle fois produit l’album et on reconnaît tout de suite sa patte très organique. Vous avez autoproduit pratiquement tous les albums passés de Candlemass. Pensez-vous avoir trouvé le son et le producteur qui conviennent le mieux à Candlemass ? Marcus est-il même le seul producteur en qui vous avez confiance ?
Leif : Je suis sûr qu’il existe tout un tas de producteurs qui pourraient nous aider à nous produire. Ce serait super de travailler avec Martin Birch par exemple – je sais, il est mort – ou Dieter Dierks – lui est vivant. Mais c’est aussi super de travailler avec Marcus et il nous permet vraiment d’obtenir un joli son metal bien gras, un petit peu old school comme nous les aimons. Si nous travaillons avec Dieter Dierks sur le prochain album de Candlemass, je suis sûr que Marcus coproduira, ou alors nous ferons tout l’album avec Marcus comme nous l’avons fait cette fois pour Sweet Evil Sun. Marcus est un super collaborateur. Il sait ce qu’il fait. Il est capable d’obtenir un joli son de guitare en cinq secondes et de monter très rapidement les pistes. Je déteste vraiment quand ces trucs prennent une éternité en studio. Je n’ai pas le temps d’attendre. J’ai besoin de faire du doom metal, maintenant !
Johan : Nous aimons tous les riffs de guitare bruts et heavy comme ça, donc c’est toujours l’un des principaux ingrédients dans les chansons que Marcus parvient à mettre en valeur avec sa production. D’ailleurs, ça fait des années que je connais Marcus. Nous avons joué ensemble à quelques reprises par le passé. Nous avons fait un album ensemble il y a longtemps. Il est très musical et c’est agréable de travailler avec lui. J’aime beaucoup sa façon d’être en studio et maintenant il me connaît assez bien, car parfois, quand je suis en train d’essayer des choses sur une chanson et que je dis à Marcus : « C’était bien, on enregistre ! », il dit : « Je viens de le faire. » Il est donc capable d’anticiper. C’est parfait. De même, nous travaillons assez vite. J’y passe deux heures un soir, nous faisons une chanson ou deux, et ensuite nous nous retrouvons le lendemain pour faire quelques ajustements. Il est important pour moi. Je ne serais pas aussi à l’aise avec quelqu’un que je ne connais pas que je le suis avec Marcus. Marcus est super et je me vois bien continuer à enregistrer des albums avec lui.
« Je n’aime pas la pop. Je n’aime pas la musique mainstream. Je suis un gars de la vieille école. J’adore les répétitions et l’odeur qui imprègne les vieilles salles de répétitions. »
Pourquoi n’avez-vous pas continué à vous autoproduire ? Marcus apporte-t-il quelque chose que vous ne pouvez pas apporter vous-mêmes ? Avez-vous d’ailleurs parfois été déçus du son de certains albums passés ?
Leif : Mieux vaut faire ce pour quoi on est meilleur [petits rires]. Je suis doué pour écrire des morceaux, et je connais la théorie derrière un bon son de guitare, mais pour vraiment l’obtenir, il faut vraiment s’y connaître, et c’est le cas de Marcus. Je suis surpris qu’il n’ait pas plus de travail en tant que producteur, mais avec un peu de chance, ça viendra quand Sweet Evil Sun sortira. Il le mérite ! Il y a des choses que je n’aime pas sur chaque album de Candlemass, que ce soit certaines chansons, certains sons de caisse claire, etc. La caisse claire sur Nightfall, par exemple, est vraiment horrible [rires]. Certains trucs sur Ancient Dreams me font grimacer, pareil pour Tales Of Creation et le reste de notre discographie. Je suis trop proche. Je n’arrive pas à écouter ces albums avec des oreilles vierges. J’entends toujours quelque chose que je n’aime pas. Donc je n’écoute jamais aucun de nos vieux albums, et je ne l’ai pas fait depuis Epicus. Je ne peux pas !
Johan, tu as dit que tu avais joué avec Marcus par le passé. C’était dans quel cadre ?
Johan : En fait, un gars avait payé pour faire un disque et il m’a impliqué en tant que compositeur, ainsi que Marcus, et nous avons fait cet album. Ce n’est pas exactement le genre de musique que nous faisons aujourd’hui. J’ai été pas mal critiqué pour ça, donc je ne sais pas si j’ai envie de te raconter [rires]. Il existe un clip assez drôle… Enfin, non, ce n’est pas si moche que ça. On est en train d’attiser la curiosité des lecteurs maintenant ! Ça s’appelait Impulsia. On y trouve des morceaux un peu hard rock, mais écoutez et faites-vous votre propre avis. Evidemment, je suis fier de tout ce que j’ai fait. Quand on fait de la musique heavy, c’est parfois bien de se vider la tête avec autre chose. On peut donner une apparence plus légère ou plus dure à une chanson, au final, ça reste une chanson. On peut rendre celle-ci heavy et celle-là plus facile à écouter, tout dépend de ce qu’on veut faire avec une chanson. Il y existe plein de super chansons qui ne sont pas du metal. Evidemment, mon cœur est tourné vers le metal et j’adore – et j’ai toujours adoré – les guitares, mais comme je l’ai dit, si tout ce que tu fais c’est écouter et faire de la musique heavy… J’ai un piano, et parfois tu mets tout ça de côté pour t’asseoir au piano, ça peut être très beau.
Avec Sweet Evil Sun, vous explorez les thèmes d’ambition et de lutte, d’espoir et d’échec. Et si on prend un morceau comme « Scandinavian Gods », on retrouve dans les paroles « dieu ou diable », « le paradis et l’enfer », « sous la pluie ou le soleil ». Il y a toujours cette idée de lumière et d’ombre. Cherchez-vous à entretenir un équilibre avec ce groupe, que ce soit dans les paroles ou la musique ?
Oui, et ça fait partie de la vie. Il y a de l’obscurité dans la vie de tout le monde et, avec un peu de chance, il y a aussi de la lumière. C’est important de parler de tout. La vie est faite de hauts et de bas, et à propos de quoi on écrit ? On écrit sur des histoires, sur ce qui se passe dans la vie, sur ce qui se passe dans le monde et sur sa façon de voir ça… La vie contient tout et on ne devrait pas avoir peur de parler des mauvais côtés. C’est important de parler de ce qui n’est pas très bien. Evidemment, dans le doom et dans le heavy metal, on utilise des mots comme « paradis » et « enfer ». C’est ainsi depuis des décennies, et j’imagine que ce n’est pas près d’arrêter. Ces mots sont plus forts que de simplement dire : « Oh, quelle belle journée. » Ils donnent une autre dimension, d’une certaine façon.
Leif : Je suis de la vieille école, donc la musique doit respirer et être organique. Il faut qu’il y ait du contraste pour la rendre intéressante. Tous les meilleurs groupes, comme Black Sabbath, Uriah Heep, Rainbow, le vieux Scorpions ont ça. On retrouve différents tempos, différentes couleurs, des montées et baisses d’énergie. Je pense qu’on a besoin de tout ça pour faire un très bon album. Autrement, la musique devient ennuyeuse. On retrouvait ça sur Nevermind The Bollocks des Sex Pistols, par exemple, et même sur tous les albums de Motörhead. Pentagram, Manilla Road, Cirith Ungol… Que des groupes et des albums intemporels ! La musique et les paroles doivent aller de pair et présenter le yin et le yang, le paradis et l’enfer, la lumière et l’ombre. Un bel équilibre permet d’obtenir ça.
« Parfois, nous jouons au crépuscule sur une scène extérieure lors d’un grand festival d’été. Je ne peux pas imaginer un meilleur contexte pour Candlemass. Jouer son doom rempli de riffs bien gras devant un soleil couchant, c’est magique ! »
Plus spécifiquement vous faites référence aux « dieux scandinaves ». J’ai l’impression que c’est assez nouveau dans l’univers de Candlemass, alors que c’est une thématique abordée par pas mal de groupes scandinaves. Quelle a été la place de cette mythologie dans votre vie ?
La chanson ne parle pas du tout de l’héritage viking. Ça parle de la nécessité d’abandonner ses dieux, de briser ces chaînes. Fini l’ancien, place à la nouveauté. Il faut faire ça pour pouvoir avancer, et construire un nouveau et meilleur futur. La religion est un fardeau qu’on porte avec nous depuis trop longtemps. Il est temps maintenant de la laisser dernière nous et de créer un monde meilleur ensemble. Je suis la personne la moins religieuse qu’on peut trouver. Je ne vis pas en faisant l’autruche. Comme toute personne saine d’esprit, je crois en la science et aux preuves empiriques. Bien sûr, peut-être qu’on avait besoin de religion autrefois, mais vraiment, il est temps de passer à autre chose. On doit maintenant mettre à la poubelle nos vieilles conneries et construire quelque chose de mieux pour le bien de nos enfants.
Johan : J’ai parlé à un gars qui m’a demandé : « Cette chanson parle-t-elle de vous, les metalleux scandinaves, qui essayent de sauver le monde ? » Il me disait qu’il y avait plein de bons groupes en Scandinavie et il pensait que la chanson parlait d’eux, mais non, ça ne parle pas de ça. Personnellement, je ne me suis jamais trop intéressé à cette mythologie, mais mère nature, le fait d’être dans les bois, dans la montagne, il y a quelque chose de puissant là-dedans. Et si on remonte le temps, ça peut faire penser aux Vikings qui survivaient dans ce monde froid et sombre, c’était assez dur !
Es-tu proche de la nature ?
Oui. Partir dans la nature pour pêcher, marcher dans les bois et ce genre de chose, ce n’est peut-être pas excitant pour tout le monde, mais ça l’est pour moi. J’adore les animaux, regarder les aigles voler, etc. C’est quelque chose qui me donne une tranquillité d’esprit. Je suis d’ailleurs parti en voyage pendant quatre jours dans la nature avec quelques amis. Nous sommes allés à la montagne, nous avons pêché dans de petits lacs, etc. Tout le monde devrait faire ça de temps en temps. En fait, quand j’étais enfant, j’ai toujours voulu être un Indien, et je me prenais toujours pour l’un d’eux quand je jouais.
Leif, tu as dit que la chanson « Scandinavian Gods » était la rencontre entre Slayer, Queen et Judas Priest. Dirais-tu que malgré toutes ces années, tu as toujours les mêmes influences, ou bien ont-elles évolué ?
Leif : Evolué ? Non ! J’aime toujours autant le vieux Sabbath, Priest, Queen, Rainbow, Slayer, Motörhead, Accept, Scorpions, Pentagram, Manilla Road, Venom, Heep, etc. J’ai les mêmes influences qu’avant. En contradiction avec ma réponse précédente, le futur est dans le passé, quand la mélodie, le riff, la musicalité, le refrain, l’arrangement, l’instrumentation, etc. étaient importants. Je n’achète pas de nouvelle musique. J’en n’écoute pas tellement non plus. Il n’y a rien pour moi là-dedans. Le seul « nouveau » super groupe que j’ai entendu depuis des années, c’est Ghost. Là, on retrouve la musicalité et le super sens de la composition. Evidemment, il existe de bons groupes, mais j’entends rarement quelque chose de génial. C’est ça le truc. Peut-être que je suis trop vieux [rires]. Enfin, aujourd’hui, ils ne forment même plus de groupes ! Ici en Suède, les gens font principalement de la musique assis devant leur ordinateur. Ils font du putain de playback et singback. C’est de la fausse musique ! La situation est peut-être différente dans d’autres pays, mais en Suède, le hard rock n’a plus trop la cote. Les gens veulent faire de la pop, or ils ne sont pas obligés de former un groupe pour faire de la pop. Je n’aime pas la pop. Je n’aime pas la musique mainstream. Je suis un gars de la vieille école. J’adore les répétitions et l’odeur qui imprègne les vieilles salles de répétitions. Et puis, il n’y a rien de mieux qu’un très bon groupe live. C’était nul durant la pandémie quand on ne pouvait pas aller voir un super groupe jouer live. J’espère que ça a changé maintenant et que le coronavirus est de l’histoire ancienne. Bien sûr, peut-être que je suis en train de passer à côté de la New Wave Of Swedish Heavy Metal [rires], mais pour l’instant, je n’en vois pas encore la couleur. Ceci dit, ce serait fantastique de voir arriver une nouvelle vague de groupes en Suède et de façon générale, j’espère qu’on verra apparaître demain un extraordinaire groupe de hard rock ou de metal.
Si on se réfère à ce que tu disais plus tôt, avez-vous déjà douté de vos dieux, idoles ou héros ou les avez-vous déjà remis en question ?
Je suis athée, je ne crois pas en Dieu. Bien sûr, je qualifie parfois Tony Iommi de dieu. C’est le dieu des riffs ! Mais je suis totalement convaincu qu’il est très humain et qu’il vit les mêmes tracas du quotidien que moi : « Oh, il pleut », « Bon sang, je suis vraiment obligé de payer autant d’impôts ? », « Quand est-ce que la télé câblée va remarcher ? » Est-ce que je remets en question les groupes que j’aime ? Bien sûr, j’ai été un peu triste quand Motörhead a sorti Another Perfect Day ou quand Rush a fait Grace Under Pressure, mais il faut comprendre qu’un groupe doit évoluer. Il ne peut pas rester éternellement le même. Quand Sabbath a fait Never Say Die et que tout le monde s’est dit qu’ils s’étaient égarés, j’aimais encore. J’aime toujours. Ils restaient à peu près le même Sabbath. Ils n’avaient pas changé. Candlemass est un chouïa plus produit de nos jours. Je suis sûr que certaines personnes trouvent ce fait repoussant et s’interrogent sur nous et nos choix, mais je ne peux pas faire un autre Epicus aujourd’hui, ou un Nightfall partie deux. Ce serait totalement ridicule ! Mais nous restons le même groupe. Sweet Evil Sun est un sacrément bon album !
« Ça fait plus de trente ans que nous plaisantons à propos de l’étiquette doom. On ne devrait pas se prendre trop au sérieux. Les gens qui ont trop tendance à se prendre au sérieux finissent par se vautrer et avoir l’air ridicules… »
Johan : Si on parle plus généralement, pour moi, même s’il y a ce qu’on peut appeler des héros et des dieux, on n’est tous que des gens ordinaires et à mon sens, les gens ordinaires sont capables de faire des choses extraordinaires pour plein d’autres gens. Peut-être qu’à notre époque et dans le monde actuel, on manque de héros, d’une certaine façon. On a besoin de plus de héros et de modèles à admirer. Si on parle de religion, si on s’y intéresse d’une façon ou d’une autre, peut-être que c’est ce qu’on recherche : quelqu’un qui a les réponses. Mais je crois être toujours resté fidèle à mes idoles ainsi qu’à mes idéaux personnels. Il n’y a rien dont je peux avoir honte. Je peux dire que je ne suis pas parfait, mais jusqu’à présent, j’ai fait de mon mieux dans la vie et je pense avoir faire plein de bonnes choses pour les gens. Par exemple, j’ai travaillé avec des enfants à l’école pendant seize ans et j’ai été entraîneur de football pendant vingt ans. C’est très important de prendre soin des enfants ; on doit offrir à chacun d’entre eux un bel avenir, d’une façon ou d’une autre. J’ai moi-même huit petits-enfants. Ils méritent un bon environnement et des gens qui leur montrent ce qui est bon et ce qui est mauvais, les côtés positifs de la vie, qu’on peut à peu près tout conquérir, etc. Je peux d’ailleurs te donner un exemple. Quand j’étais entraîneur de foot, il y avait un homme qui s’occupait de tout autour du club de foot, genre les adhésions et tout. Il consacrait pratiquement toute sa vie, tout son temps libre à faire de bonnes choses pour le club. Selon moi, ces gens, ce sont des héros. Il faisait tellement de choses pour les enfants et on a besoin de personnes comme lui. Donc, mes héros sont des gens ordinaires, gentils et géniaux. Ce ne sont pas forcément des politiciens ou quelque chose comme ça. Il suffit de regarder autour de soi dans son quartier, il y a des bonnes personnes partout qui font de bonnes choses pour les autres, heureusement.
Qu’est-ce que ça vous fait d’être vous-mêmes des dieux – ou en tout cas des idoles – du doom pour des générations de musiciens ?
Leif : Je ne suis certainement pas un dieu, mais je suis très honoré que certains groupes nous aiment et nous voient comme des sortes de précurseurs du doom. Nous n’avons pas créé le doom, c’est Black Sabbath qui l’a fait. Nous avons – peut-être – été les premiers à identifier ça comme du doom et Epicus en est le monument, qui tient toujours aussi solidement débout, j’adore cet album ! C’est agréable de voir que c’est le cas aussi d’autres gens. Le public devient fou lors des concerts quand nous commençons « Under The Oak », par exemple, ou « A Sorcerer’s Pledge ». On dirait que cet album vit sa propre vie.
Dans les paroles de « Black Butterfly », on peut entendre les mots « children of the grave ». Est-ce un clin d’œil volontaire à Black Sabbath ou juste une coïncidence ?
C’était un clin d’œil conscient aux maîtres. J’essaye de mettre des petits trucs ici et là sur les albums que je fais et qui sont mes petits hommages personnels à mes différents dieux. Ce n’est pas quelque chose dont je parle ou dont je fais la « publicité », mais c’est là. Si vous l’entendez, tant mieux.
Jennie-Ann Smith d’Avatarium, qui a déjà chanté des chœurs sur The Door To Doom, prête sa voix à « When Death Sighs ». Dans la chanson, vous chantez : « Je peux l’entendre soupirer, un souffle sans âme dans une mer d’argent, un homme dénommé Mort. » D’après ces paroles, la mort serait masculine, donc que représente la féminité de Jeannie-Ann dans ce refrain ?
Eh bien, je peux aussi voir la mort comme étant féminine, ou non genrée, mais ici, il se trouve que la mort est cet homme, cette ombre qui marche derrière toi, te suit à chacun de tes pas et se rapproche d’année en année. Ça craint de vieillir [rires]. Et nous revoilà avec cette idée de contraste. Jennie prête sa voix au refrain en duo avec Johan, d’une manière très yin et yang. La mort finira par atteindre chaque homme et chaque femme sur la planète. C’est inévitable. Simplement, souvenez-vous de l’amour au moment où la mort arrive, et tout ira bien. Johan et Jennie racontent ça joliment. Sa voix donne une autre dimension à la chanson.
Johan : Parfois, quand une chanson est à quatre-vingt-dix-neuf pour cent, il suffit d’une touche supplémentaire pour lui faire atteindre le dernier pour cent. C’est une question d’atmosphère. C’était parfait avec sa voix. C’est aussi simple que ça. Elle a une voix magnifique et c’est une belle chanson. Je trouve ce refrain vraiment spécial et très beau.
La mort est un thème récurrent chez Candlemass. Quel est votre regard sur celle-ci et quelle est la relation que vous entretenez avec elle ?
Ma relation à la mort est que, selon moi, quand elle arrive, tout est terminé. C’est pourquoi il est si important de vivre sa vie tant qu’on le peut. Chaque jour a son importance. Par exemple, mon père est mort très jeune, il avait cinquante-deux ans. Mes parents étaient divorcés, donc je n’ai pas grandi avec lui quand j’étais enfant, mais il est mort très jeune et c’était très triste. La mort fait peur quand on n’est pas très vieux. J’ai rencontré des gens qui disaient : « Je suis prêt maintenant », mais on n’est pas prêt à vingt, trente, quarante ou cinquante ans. Quand on a quatre-vingt ans, on peut en arriver à un point… J’ai croisé des gens qui disaient que leur temps était bientôt révolu et qu’ils n’avaient pas peur de partir. D’une certaine façon, c’est assez beau.
Leif : On va tous mourir un jour. Ça me va, je l’ai accepté – je crois, en tout cas [rires]. Donc je ne passe pas beaucoup de temps à l’analyser. On ne peut pas éviter son destin. Peut-être que je serai percuté par une voiture demain ou que je me crasherai en avion en allant faire un concert le mois prochain. Il n’y a aucune raison de paniquer. Arrivera ce qui arrivera. On est tous mortels.
« La mort d’Eric Wagner était tellement tragique et inutile. Au sein de Candlemass, nous adorons absolument Trouble. Leurs premiers albums ont été des inspirations pour nous quand nous avons commencé Candlemass. Les trois premiers sont des purs classiques ! »
Jennie-Ann Smith a dit que, pour elle, le doom est fait pour affronter toutes sortes de questions existentielles. Es-tu d’accord avec elle pour dire que c’est le but du doom ? Est-ce que ça t’a même aidé, sur le plan psychologique, philosophique ou spirituel, d’écrire des chansons de doom ?
Je ne sais pas si le doom a un but… Enfin, excepté le fait d’être « DOOM », apportant la mort et la destruction dans le monde ! [Rires] Dans Candlemass, nous plaisantons sur le doom depuis le premier jour. C’est comme de l’humour noir pour nous. Le doom peut être n’importe quoi, et rien du tout. Ça peut être le paradis ; ça peut être l’enfer. C’est sombre et heavy, c’est Candlemass ! Je me sens super bien quand j’écris ces chansons. Donc oui, ça m’aide, mais peut-être plus dans le sens d’accomplir quelque chose ? Je me sens aussi plutôt bien quand je fais la vaisselle ou quand je joue au football avec mon fils, ce qui n’est pas très doom. Mais oui, je peux être assez démoralisé quand je n’arrive pas à finir une chanson. Je peux être déprimé pendant des jours et même des semaines, mais cet instant où tu résous l’énigme musicale avec laquelle tu as si longtemps galéré, ça te procure le meilleur des sentiments au monde ! Je suppose que le doom peut vraiment rendre heureux.
L’album s’intitule Sweet Evil Sun. Les paroles du morceau éponyme font preuve à la fois d’admiration et de peur envers le soleil, un peu comme si c’était un dieu. On retrouve d’ailleurs cette ambiguïté ou cette ambivalence dans le titre, et le soleil est lui-même mentionné dans presque chaque chanson de l’album. As-tu une fascination particulière pour le soleil ?
C’est plus un concept pour cet album. Les gens le recherchent. Ils le craignent et l’admirent. C’est la vie ! Le soleil symbolise simplement la vie, y compris tous les sentiments qu’on a à l’intérieur de notre corps. Je suis sûr que plein de gens interprètent le titre différemment, et c’est ce qu’ils devraient faire. C’est volontairement contradictoire. Je suppose que c’est le mythe d’Icare : on vole trop près du soleil et on se brûle, mais si on ne fait jamais usage de ses ailes, on ne l’atteindra jamais. C’est peut-être mieux d’essayer que de rester au sol ? De même, le soleil nous tente, il nous donne envie d’être courageux et audacieux, peut-être imprudent… Je me suis souvent brûlé les ailes, dans l’industrie musicale et dans ma vie personnelle, mais j’ai tendance à remonter sur mon cheval, encore et encore [rires]. Et oui, je vis en Suède où les hivers sont éprouvants, donc quand le soleil arrive, c’est quelque chose de très spécial. Il ne faut pas le prendre pour acquis. Parfois, nous jouons au crépuscule sur une scène extérieure lors d’un grand festival d’été. Je ne peux pas imaginer un meilleur contexte pour Candlemass. Jouer son doom rempli de riffs bien gras devant un soleil couchant, c’est magique !
Les derniers mots prononcés dans l’album sont : « Le début de la fin ». Qu’est-ce que ça symbolise ?
Ce sont juste des mots. Il ne faut pas les prendre trop au sérieux. Il faut bien avoir quelque chose à chanter et ici, dans ce cas particulier, j’étais content de réussir à caser cette phrase à la toute fin de l’album. Ça colle très bien. Cette phrase renvoie aussi à la race humaine. Quand on arrête de croire en l’amour et en la rédemption, et qu’on choisit la haine à la place, c’est le début de la fin pour nous. Malheureusement, il y a beaucoup de gens sur cette planète qui préfèrent une approche destructrice et la haine plutôt que l’amour. On le voit au quotidien.
L’album se termine sur une outro instrumentale intitulée « A Cup Of Coffin », avec un jeu de mots amusant. Diriez-vous que le fait de jouer ou d’écouter du doom ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir un peu d’humour ? L’humour noir fait-il même partie de l’esprit du doom ?
« A Cup Of Coffin » est l’une de mes parties préférées de l’album. Ça boucle l’album de façon sympa. On y retrouve un riff bien cool en plus d’une mélodie de bon goût. Ajoutons à ça le public du Södra Teatern, à Stockholm – nous y avons joué deux soirs en novembre 2021 – et ça donne une délicieuse outro. C’est une fin parfaite pour l’album. Et bien sûr, il y a de l’humour dans le doom ! Les musiciens de Black Sabbath rigolent sur pratiquement chaque photo promo des années 70. C’est plus une tendance moderne de devoir avoir l’air sérieux ou énervé sur les photos de groupe, comme ce que les gens faisaient il y a un siècle. Si tu feuillettes n’importe quel magazine, c’est assez drôle de voir l’allure des groupes, ils sont tellement sérieux, énervés, crispés. Peu se démarquent. Ceux qui le font pourraient justement être ceux qui sont un peu plus intéressants. Un conseil du coach : réfléchissez plus à vos photos. Ça fait plus de trente ans que nous plaisantons à propos de l’étiquette doom. On ne devrait pas se prendre trop au sérieux. Les gens qui ont trop tendance à se prendre au sérieux finissent par se vautrer et avoir l’air ridicules…
Johan : L’humour est très important. Comme le dit Leif, on ne peut pas se prendre trop au sérieux. Je ne me prends pas trop au sérieux. On n’est tous que des êtres humains. Peut-être que si on est un psychopathe, on peut se prendre très au sérieux [rires]. Quand nous faisons un concert, même si les chansons sont très sombres, les gens sourient et chantent en chœur. On ne peut pas rester de marbre. Une magie opère. On est attiré par la magie de tous ces gens qui profitent de l’instant présent. C’est ça qui est sérieux, que plein de gens s’éclatent et passent une superbe soirée ensemble. Jusqu’à présent, j’ai trouvé que tous les gens étaient sympas. On ne voit jamais personne dans le public se battre. Ça donne la banane. Quand on a une sorte de thème sur scène, presque comme une pièce de théâtre, c’est normal de faire le sérieux, bien sûr, mais si on n’est qu’un groupe qui joue un tas de chansons, c’est autre chose. Il faut coller à l’atmosphère. Si tu prends Ghost, par exemple, s’il y a un narratif et qu’il se passe des choses sympas sur scène, il faut rester dans le jeu d’acteur, mais quand c’est terminé, c’est différent.
« Personne ne pouvait rivaliser avec Sabbath à l’époque et toujours personne ne le peut aujourd’hui. Ils étaient les premiers et les meilleurs. Black Sabbath sont les dieux du doom et je ne suis pas digne ! »
Vous avez fait une reprise de « The Tempter » de Trouble en hommage à Eric Wagner. A quel point avez-vous été touchés par sa mort, vu qu’ils ont été, avec Candlemass, parmi les précurseurs du doom ? Quel genre de relation entreteniez-vous avec Trouble et Eric ?
Leif : Nous étions amis. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1991 quand nous avons joué au Reseda Country Club à Los Angeles, et peu de temps après, nous avons fait la fête avec eux à Chicago. C’était des mecs sympas, et nous nous sommes vraiment bien entendus avec Trouble. Nous les avons aussi invités à Stockholm à quelques occasions. Eric avait une voix. Il écrivait aussi de super textes. Quand il a quitté Trouble, il a commencé à chanter avec The Skull. J’aime beaucoup ces albums ! On y trouve de super morceaux, joués avec feeling, avec la fantastique voix d’Eric pour couronner le tout. Nous étions en contact avant qu’il ne décède. J’allais jouer sur l’album solo sur lequel il était en train de travailler, mais malheureusement, il est mort peu de temps après nos échanges d’e-mails. C’était tellement tragique et inutile. Au sein de Candlemass, nous adorons absolument Trouble. Leurs premiers albums ont été des inspirations pour nous quand nous avons commencé Candlemass. Les trois premiers sont des purs classiques ! De super chansons, un son de guitare extraordinaire, des types charmants… Nous étions sur le point de faire quelques concerts avec The Skull, mais Eric est mort et maintenant, ça n’arrivera plus. C’est triste.
Johan : C’était la suggestion de Leif de faire cette chanson après la mort d’Eric. Personnellement, je n’ai pas la même relation à ce morceau que Leif et le reste du groupe. Je n’étais pas du tout familier avec Trouble, en fait, mais c’est une bonne chanson, tellement heavy ! Quand elle prend vie et que ça s’accélère… C’est un autre type de chanson, mais c’est cool, je l’aime bien !
Leif, tu viens de dire que la mort d’Eric était inutile. As-tu compris sa position sur la médecine institutionalisée et son refus de se faire vacciner contre le Covid-19 ?
Leif : D’un point de vue personnel, je pense qu’on devrait se faire vacciner si on a plus de cinquante ans – voire plus de quarante. J’ai contracté le Covid-19 à la fin du printemps 2020. Putain, comme j’ai été malade ! Ma femme a dû appeler le 112 – le numéro d’urgence. J’ai été à deux doigts de me faire emmener par une ambulance. J’aurais pu facilement prendre le même chemin qu’Eric, mais j’ai eu de la chance. J’ai fini par m’en remettre, mais je n’en étais pas loin. Je suis à peu près certain que je n’aurais pas été aussi malade si j’avais été vacciné, mais c’était avant que les vaccins soient disponibles. Je trouve que c’est vraiment stupide de ne prendre aucune dose, surtout si on n’est plus jeune. Durant la pandémie, plein de gens ici en Suède voyageaient dans les bus publics et les trains en toussant et en reniflant sans masque, c’était tellement irresponsable.
Candlemass est né des cendres de Nemesis que tu as fondé en 1982, donc il y a exactement quarante ans. Quels sont tes souvenirs de l’époque Nemesis ?
Il y en a tellement ! Nous avons été actifs pendant seulement deux ans, mais c’était une période intense. Nous avons beaucoup fait la fête, nous avons appris à jouer et nous avons enregistré tout un tas de démos. Toutes n’étaient pas bonnes [petits rires]. Nous avons fait des concerts à Upplands Väsby. C’était une époque d’apprentissage. Le label Fingerprint à Stockholm a aimé l’une des démos qui s’appelle The Day Of Retribution, et l’a sortie telle quelle sans même nous demander. Ils nous ont aussi promis un contrat dont nous n’avons jamais vu la couleur. Je suppose que nous avons appris quelque chose de cette expérience. Après ça, nous avons un peu perdu intérêt. Nous avons enregistré d’autres chansons, mais la passion pour le groupe n’était plus là. Il s’est désagrégé, mais j’ai continué à écrire des chansons et j’ai commencé à chercher de nouvelles personnes avec qui jouer. Ça a fini par mener au début de Candlemass. C’était à l’automne 1985.
Comment Nemesis a-t-il posé les bases de ce que Candlemass allait devenir ?
Nemesis était l’école du metal pour moi. J’ai appris à jouer de la basse, à écrire des chansons hard ‘n’ heavy. J’ai appris les bases de ce que ça voulait dire être dans un groupe. J’ai aussi appris dans Candlemass de toutes les erreurs que nous avions faites. Je savais qu’il nous fallait un manageur pour éviter les labels de charlatans comme Fingerprint. Nous savions aussi qu’il fallait que nous sortions de Suède, ce qui n’était pas facile. La NWOAHM était le truc le plus en vogue à l’époque, lorsque Nemesis est devenu Candlemass. Nous savions que nous devions nous échapper de Väsby pour faire partie de ce qui se passait dans le monde du metal et exporter notre doom metal épique. J’ai donc commencé à envoyer des démos à certaines maisons de disques internationales, et Black Dragon, basé à Paris, était intéressé. Mark Shelton [de Manilla Road] l’a écouté dans leur bureau et a aimé. On nous a donc signés. Et on connaît la suite, comme on dit.
« Je souffre encore de burn-out et je suis loin de pouvoir travailler autant que je le faisais durant les premières années, ainsi que durant et après notre reformation en 2002. Je travaillais dix-huit heures par jour pour Candlemass ! Ça a fini par me mener dans une impasse. J’adore travailler, mais il ne faut pas que ce soit trop. J’en souffre tous les jours maintenant. »
Qu’est-ce qui t’a poussé à jouer et à composer une musique aussi lente, heavy et désespérée à un si jeune âge ?
J’étais et je suis toujours un énorme fan de Black Sabbath ! C’est la raison pour laquelle Candlemass existe aujourd’hui, l’amour pour Black Sabbath. Ils ont fait dans les années 70 des albums incroyables qui restent inégalés. Sabbath s’est développé à chaque album qu’ils ont fait de 1970 à 1978, et c’est assez époustouflant. Ils sont tous différents, remplis de perles, de riffs extraordinaires, de maestria musicale, de chansons fantastiques, de tout ce que tu veux. C’était aussi très sombre et mystérieux. C’était un nouveau son avec un côté malfaisant qui me fascinait totalement. Ils avaient tout : les riffs, l’atmosphère menaçante, le look, les super textes, la personnalité, etc. Personne ne pouvait rivaliser avec Sabbath à l’époque et toujours personne ne le peut aujourd’hui. Ils étaient les premiers et les meilleurs. Black Sabbath sont les dieux du doom et je ne suis pas digne !
Pourquoi t’es-tu mis à la basse et as-tu même commencé en tant que chanteur plutôt que de te mettre à la guitare si tu étais un tel fan de Tony Iommi, en l’occurrence ?
Eh bien, j’ai commencé à la guitare acoustique quand j’avais peut-être dans les neuf ans. J’ai fait ça dans une école de musique à Upplands Väsby. J’y suis allé pendant des années et j’ai appris à lire et à écrire la musique, des choses simples évidemment. Quand j’avais quatorze ans, j’en ai eu marre de la guitare classique, et puis j’étais aussi un grand fan de Motörhead et de Rush, donc j’ai voulu jouer de la basse. J’ai voulu avoir une Rickenbacker comme Lemmy et Geddy Lee ! C’est ainsi que ma carrière en tant que bassiste a commencé. J’adorais Black Sabbath, bien sûr, mais c’était à l’époque où les gens commençaient à en avoir marre des groupes d’arènes monumentaux avec de longs solos de batterie et des guitar heroes vénérés. A la place, les gens de Väsby ont fondé leurs propres groupes. Le message était : « Vous pouvez le faire ! » Mes potes ont donc fondé des groupes de heavy rock et de punk, et j’ai commencé à jouer de la basse. Je crois que c’était vers 76 ou 77. A Upplands Väsby, la musique était très importante. Il y avait là-bas tout un tas de groupes de prog avant que le punk n’arrive, ainsi que des groupes de heavy rock. Väsby était une localité très classe ouvrière, très rouge. Quand on avait un groupe, la ville nous fournissait une salle de répétition ainsi que de l’argent pour les cordes et les amplis, voire pour les guitares si on se débrouillait bien au bureau du département de la culture, ou si on connaissait des gens [petits rires]. Il y avait donc beaucoup de musique à Upplands Väsby, avec plusieurs groupes de punk mais surtout, c’était la Mecque du heavy rock. Tout le monde jouait. Il y avait trop groupes pour les compter, et ils avaient tous un bassiste. J’ai auditionné pour quelques-uns, mais je n’ai pas eu le poste. Ensuite, j’ai commencé à chanter. J’ai désespérément voulu rejoindre un groupe, mais là encore, les bons groupes avaient déjà un chanteur. J’ai donc fini par fonder Nemesis où je jouais de la basse et chantais [petits rires].
Comment décrirais-tu le Leif Edling de cette époque ? Penses-tu que l’esprit du jeune toi vit encore dans ton plus vieux toi et, au final, dans Candlemass aujourd’hui ?
En partie [rires]. J’aurais aimé avoir la même énergie aujourd’hui. Je souffre encore de burn-out et je suis loin de pouvoir travailler autant que je le faisais durant les premières années, ainsi que durant et après notre reformation en 2002. Je travaillais dix-huit heures par jour pour Candlemass ! Ça a fini par me mener dans une impasse. J’adore travailler, mais il ne faut pas que ce soit trop. J’en souffre tous les jours maintenant. Mais je n’ai aucun regret. Candlemass a eu une superbe carrière. Nous avons même marché sur le tapis rouge à Los Angeles lors des Grammys américains. Je ne suis plus ce jeune homme qui en voulait, qui vivait et respirait le heavy metal vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et qui bossait tous les jours comme un acharné. Je faisais tout pour le metal ! Dieu merci, il reste encore un peu de ça, donc je suis toujours capable d’écrire des chansons doom, je peux encore travailler, faire des concerts, travailler un peu, et j’aime toujours ça. Mais je ne peux plus remuer ciel et terre, car j’ai promis à mon médecin d’y aller mollo [rires]. Tant que je fais ce qu’elle me dit de faire, je suis sûr que je peux continuer avec Candlemass pendant au moins une année de plus.
J’ai vu que tu avais un nouveau projet qui s’appelle The Crypt. Peux-tu nous en dire plus ?
On m’a demandé de faire des chansons pour le jeu en ligne House Of Doom 2. Nous avons un morceau vraiment cool qui s’appelle « Into The Crypt » qu’on peut écouter sur YouTube, ainsi que d’autres chansons. Je n’ai aucune idée si ça va se transformer en une sorte d’album un jour. Je sais que la personne derrière le jeu veut peut-être sortir ce morceau sous la forme d’un maxi single à une face – c’est ce qu’il a dit l’année dernière – mais en dehors de ça, je n’en sais pas plus.
J’ai aussi lu que tu avais écrit un morceau pour Tarja Turunen intitulé « I Love The Darkness ». Au final, le projet a échoué et tu as fini par mettre une version de la chanson chantée par Mats Leven sur MySpace, mais qu’est-ce que c’était à l’origine ?
Mon label à l’époque, Universal Stockholm, m’a demandé de composer une chanson pour Tarja après son départ de Nightwish pour une carrière solo. Elle cherchait des chansons pour son album et on a demandé à plusieurs compositeurs partout en Europe s’ils pouvaient contribuer. Le bureau de Stockholm, par exemple, devait envoyer une chanson choisie au management de Tarja, puis une chanson d’Allemagne, une de France, une d’Italie, etc. Ils m’ont demandé ainsi qu’à deux ou trois autres compositeurs suédois de leur envoyer un morceau. Mon morceau et un autre ont été sélectionnés, mais malheureusement, c’est l’autre chanson qui a gagné et a été envoyée à Tarja. J’ai entendu cette chanson, c’est vraiment de la merde. S’ils avaient choisi « I Love The Darkness », je suis quasi sûr que Tarja aurait fait un carton avec celle-ci.
Interview réalisée par téléphone le 18 octobre 2022 et par e-mail par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Linda Akerberg.
Site officiel de Candlemass : candlemass.se
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