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Interview   

Cannibal Corpse : évasion extrême


Peut-on pousser plus loin l’horreur et la brutalité que ce qu’a déjà proposé Cannibal Corpse en trente ans de carrière ? Le titre de leur nouvel album, Violence Unimagined, semble répondre par l’affirmative. A vrai dire, Cannibal Corpse n’a pas de limites – ou veut croire qu’il n’en a pas – car tout ceci reste du divertissement et de l’évasion, à l’image des films d’horreur, voire un défouloir. Si les profanes peuvent voir la démarche de Cannibal Corpse comme étant celle d’esprits tordus, elle est en réalité plutôt saine, comme l’explique le bassiste Alex Webster dans l’entretien qui suit.

Mais au-delà des thématiques, Violence Unimagined, c’est surtout le résultat de trente ans d’expertise death metal à laquelle s’ajoute aujourd’hui celle tout d’Erik Rutan (Hate Eternal, ex-Morbid Angel) qui, après avoir été leur producteur, devient également leur nouveau guitariste (suite aux péripéties armées de Pat O’Brien ayant conduit à son arrestation). C’est donc un Cannibal Corpse avec une énergie et un enthousiasme renouvelés qu’on retrouve. Alex Webster nous parle de tout ceci, s’étendant sur l’apport du nouveau venu et sur le processus créatif de l’opus, mais aussi sur l’impact de la pandémie sur leur vie et leur univers, en s’arrêtant un instant sur le jeu du bassiste et en faisant un petit détour par le passé.

« Dès que quelqu’un de très énergique comme Erik rejoint le groupe, ça nous donne à tous de l’énergie. Ça nous pousse tous à nous dépasser d’avoir à nos côtés quelqu’un qui lui-même aime se dépasser, ça nous motive à vouloir nous donner encore un peu plus. »

Radio Metal : Violence Unimagined marque un changement de line-up important : il s’agit du premier album de Cannibal Corpse avec Erik Rutan à la guitare. Avant ça, il a été votre producteur, mais aussi un acteur incontournable de la scène death metal avec Morbid Angel et Hate Eternal. Quel a été le critère le plus décisif pour vous lorsque vous avez pris la décision de l’intégrer : le fait qu’il avait produit Cannibal Corpse et donc connaissait le groupe en détail ou bien le fait que c’est un vétéran du death metal ? Ou autre chose ?

Alex Webster (basse) : C’est une combinaison de tout ça et du fait que ça fait longtemps que nous sommes de très bons amis. Il suffit de voir toutes ses qualifications : il a produit quatre de nos albums et ensuite, nous l’avons eu en tournée avec nous pendant un an, donc il connaissait très bien notre musique. Evidemment, ses expériences en tant que guitariste de death metal font qu’il fait partie de l’élite, ayant été dans Morbid Angel, Hate Eternal et Ripping Corpse il y a de ça des décennies. Il joue du death metal depuis aussi longtemps que nous. C’est dur de penser à quelqu’un de plus qualifié que lui pour intégrer notre groupe et nous nous sommes toujours super bien entendus. C’est un très bon ami de tout le monde dans le groupe. C’était donc plusieurs choses qui ont fait de lui le choix parfait. Nous sommes très contents qu’il ait pu nous rejoindre et nous avons hâte de jouer avec lui dans les années à venir. Nous sommes très excités par le futur.

Même si c’était le nouveau dans le groupe, Erik a écrit trois chansons, paroles comprises. Est-ce lui qui s’est naturellement proposé pour offrir sa contribution créative ou l’avez-vous poussé à le faire ?

Il était prêt dès le départ à écrire avec nous. Il a tout de suite voulu composer et nous étions heureux de le laisser faire. Dès que quelqu’un rejoint le groupe, nous voulons qu’il compose avec nous. Quand nous choisissons une personne pour intégrer le groupe, ce n’est pas juste parce qu’il sait bien jouer, mais aussi parce que nous pensons qu’il est musicalement sur la même longueur d’onde que nous et qu’il sera capable de contribuer. C’était vrai quand Rob Barrett nous a rejoints il y a longtemps pour The Bleeding, il a tout de suite commencé à composer avec nous. Quand Pat [O’Brien] est arrivé dans le groupe en 1997, il a aussi dès le départ composé avec nous. Donc quand Erik est arrivé, c’était pareil. Nous voulons donner une chance à tous ceux qui sont dans le groupe d’intégrer leur personnalité musicale à notre son. Erik a aujourd’hui un style musical très fort et bien développé. Il joue depuis autant de temps que nous, soit une trentaine d’années, donc nous voulions que son style se mélange au nôtre et qu’avec un peu de chance, ça rende le groupe encore meilleur.

Comment le fait d’avoir Erik dans le groupe a-t-il affecté la musique et la dynamique créative du groupe ? Comment décrirais-tu les ingrédients qu’il a apportés à Cannibal Corpse, sur le plan de la composition, des textes et du son ?

« Condemnation Contagion », « Ritual Annihilation » et « Overtorture » sont les trois chansons qu’il a entièrement composées, musique et textes. Je pense que les trois présentent des textes qui sont un petit peu différents de ce que nous avons fait par le passé, même si ça reste de l’horreur. « Ritual Annihilation » est probablement le plus différent, c’est une chanson qui parle d’un genre de rituel sacrificiel viking, très violent, mais nous n’avions jamais écrit sur ce sujet auparavant dans Cannibal Corpse. Musicalement, il a parfois une manière de composer les chansons qui se rapproche presque de la musique classique. Il y a beaucoup d’interaction entre les deux guitares rythmiques. La guitare rythmique à droite peut à tout moment faire quelque chose de complètement différent de la guitare rythmique à gauche. C’est vraiment amusant d’écouter ses chansons au casque surtout, tu peux te concentrer sur le côté gauche à un moment et sur la droite à un autre moment, il se passe beaucoup de choses comme ça. Globalement, rien qu’en tant que guitariste lead… Ses solos apparaissent sur pas mal de chansons, au-delà des trois qu’il a écrites. Ses solos sont souvent très mélodiques et très structurés. Il est aussi capable de jouer de super solos death metal chaotiques et bruyants, mais généralement, il aime écrire des solos qui sont très bien structurés, presque comme de petits morceaux au sein des morceaux. Je pense que ça se remarque dans certaines chansons que Rob et moi avons écrites, lorsque Erik fait un solo, ça saute aux yeux et on peut entendre que c’est un solo très bien pensé et structuré, c’est son style. Je trouve qu’il apporte beaucoup au groupe. Il a un style musical très développé qu’il a travaillé au fil des années, et nous sommes contents que ça fasse désormais partie de notre son.

Erik a en effet un style d’écriture caractéristique qu’on peut entendre dans Hate Eternal. D’un autre côté, ses chansons ne font pas tache dans l’album. A-t-il consciemment adapté son écriture à Cannibal Corpse ?

Je pense qu’il l’a fait mais ce n’est pas quelque chose qui l’a mis mal à l’aise. Je pense qu’au contraire, il était très à l’aise en composant des chansons de Cannibal Corpse plutôt que des chansons d’Hate Eternal. Quand il a composé ces trois chansons, il l’a fait spécifiquement pour cet album. Ce n’était pas de vieilles idées d’Hate Eternal ou quelque chose comme ça, c’était de toutes nouvelles chansons de Cannibal Corpse qu’il a écrites. Il a produit quatre de nos albums et il a tourné toute une année à nos côtés, donc au-delà de l’écoute de notre musique, il savait aussi comment les chansons sont écrites, en tout cas la vingtaine que nous jouions en concert. Il devait apprendre ces chansons et tu acquiers une compréhension plus profonde d’un groupe quand tu apprends à jouer un grand nombre de ses morceaux. Quand est venu le moment de composer, notre style était déjà en train de rentrer dans ses mains. Tourner pendant un an à nos côtés lui a probablement facilité la tâche pour écrire avec le groupe, pas qu’il n’aurait pas fait du bon boulot de toute façon, mais je pense que ça lui a apporté une compréhension plus profonde de notre style. Nous sommes extrêmement contents de la place qu’il a prise dans le groupe. Si tu écoutes « Overtorture », c’est une chanson de Cannibal Corpse, ça ne sonne pas du tout comme une chanson d’Hate Eternal, pareil pour « Condemnation Contagion ». « Ritual Annihilation », à cause de sa vitesse, c’est peut-être celle qui peut ressembler un petit peu à ce que ferait Hate Eternal, mais quand même, surtout la partie lente à la fin, ça sonne comme du Cannibal Corpse. Je pense qu’Erik comprend assez bien les différences entre Hate Eternal et Cannibal Corpse. Les deux sont du death metal mais ce sont des styles assez différents. Il va continuer avec Hate Eternal et je suis sûr qu’il va composer pour ce groupe des morceaux différents de ce qu’il a composé pour nous.

« Avec Violence Unimagined, j’aimerais croire que quand la chanson qu’on est en train d’écouter se termine, la suivante commence et que ça ne sonne pas du tout comme celle qui vient de finir. C’est quelque chose que nous avons consciemment essayé de faire. »

Comment comparerais-tu Erik Rutan le producteur et Erik Rutan le collègue de groupe ?

C’est le même gars. Il a beaucoup travaillé et il se donne dans tout ce qu’il fait pour faire du bon boulot. Je ne l’ai jamais vu faire quoi que ce soit en demi-teinte, il est toujours à fond. Il a toujours travaillé très dur pour produire nos albums et ensuite pour apprendre notre set en à peine trois semaines quand est venu le moment pour lui de jouer en live avec nous ; il a fait du super boulot sur tous ces concerts. Il a énormément travaillé sur les chansons qu’il a composées et pour apprendre à jouer nos chansons pour l’album. C’est un bosseur et il fait preuve du même sens du dévouement dans les deux domaines. Il a aussi l’habitude de faire ça. J’aime faire la remarque car les gens se posaient des questions sur le fait que notre guitare soit aussi notre producteur, mais il a déjà fait ça avec Hate Eternal, et en plus il chante dans ce groupe. Il a l’habitude d’avoir plein de responsabilités dans les projets sur lesquels il travaille.

Avez-vous songé à utiliser son chant ?

Oui, nous l’avons même fait dans le passé. Nous lui avons fait faire quelques chœurs sur la chanson « The Time To Kill Is Now » sur le premier album qu’il a produit pour nous, Kill, en 2005. Il y a des chœurs dans Violence Unimagined. Tu as sans doute vu dans le communiqué de presse que j’ai dû enregistrer dans un studio différent parce que je vis loin des autres et la pandémie a rendu les voyages impossibles ou en tout cas pas sûrs, donc j’ai fait mes enregistrements dans mon home studio. Je n’étais donc pas là quand ils ont enregistré les voix, mais j’entends des chœurs et il faudra que je demande aux gars si c’est Erik qui les fait ou si c’est George qui a fait deux pistes. J’adorerais qu’Erik fasse des chœurs. Rob Barrett aussi, d’ailleurs. Rob a une super voix, si tu as écouté le premier album de Solstice. Ça serait sympa de rajouter un peu de ça dans notre son, le fait d’avoir plus de chœurs sur certaines parties, juste pour apporter quelque chose de nouveau et profiter du fait que nous avons deux talentueux chanteurs qui jouent de la guitare pour nous.

Tu as qualifié Violence Unimagined comme « probablement l’album le plus intense à la batterie que [vous ayez] fait à ce jour ». D’après toi, qu’est-ce qui a poussé Paul Mazurkiewicz à se dépasser ainsi ?

Paul s’entraîne beaucoup depuis environ dix ans. J’ai simplement remarqué qu’il passait beaucoup plus de temps à s’entraîner. Il s’entraînait déjà beaucoup avant cet album ; si tu écoutes A Skeletal Domain et Red Before Black, tu peux entendre qu’il commençait déjà à y avoir une progression. Il faisait plein de choses différentes sur ces albums, mais c’est allé encore plus loin maintenant qu’Erik nous a rejoints, car si tu écoutes les trois chansons qu’Erik a écrites, « Ritual Annihilation » contient probablement le blast le plus rapide que Paul ait jamais fait. Dans « Condemnation Contagion », il y a ces très longs roulements de batterie qui vont un peu au-delà de ce que Paul ferait habituellement. Je pense qu’il essayait déjà de se dépasser un peu mais avec Erik à nos côtés, il s’est donné encore plus à fond pour essayer de jouer les parties telles qu’Erik les avait composées. Dès que quelqu’un de très énergique comme Erik rejoint le groupe, ça nous donne à tous de l’énergie. Ça nous pousse tous à nous dépasser d’avoir à nos côtés quelqu’un qui lui-même aime se dépasser, ça nous motive à vouloir nous donner encore un peu plus.

Tu dirais donc qu’Erik vous a poussés à vous dépasser aussi Rob et toi ?

Je crois oui, mais surtout Paul. Pour moi, par exemple, avec la basse, s’il compose quelque chose qui est super dur à jouer et surpasse mes capacités, je peux généralement trouver autre chose qui sonnera bien. C’est l’autre guitariste qui aura à jouer la partie difficile. En studio, généralement, le guitariste qui a écrit la chanson joue les deux pistes rythmiques, ça fonctionne mieux comme ça, ça sonne plus carré. Là où certaines chansons deviendront un challenge pour Rob, c’est quand arrivera le moment où il faudra les jouer en live. D’un autre côté, aussi talentueux soit-il, Erik admettra probablement que certaines de nos chansons sont assez dures pour lui aussi. Je pense qu’on apprend les uns des autres. Dès qu’on doit apprendre à jouer des choses qu’un autre musicien a composées, il y a toujours une part de challenge. On se retrouve à devoir faire des choses sur lesquelles on n’est peut-être pas à l’aise, car la plupart des gens composent de la musique qui est confortable à jouer pour eux, or tout le monde a des mains différentes. Peut-être que quelque chose qui est facile à jouer pour Rob sera un peu plus dur pour Erik et vice versa. Nous nous améliorons tous quand nous nous donnons à fond, et nous finissons par pousser les autres gars à se dépasser aussi. Nous devenons meilleurs en apprenant la musique des uns et des autres.

« Tout le monde s’accroche, et avec un peu de chance, ça reviendra à la normale l’année prochaine. Sinon, nous trouverons une solution, on peut toujours faire d’autres choses. Ça ne me dérangerait pas d’enseigner la basse si ça intéresse les gens. »

Y a-t-il dans cet album des choses qui dépassaient tes capacités ?

Oui ! Dans la chanson « Overtorture », certaines choses sont jouées sur la corde la plus grave à la guitare et il y a plein de parties très rapides. J’ai dû parfois simplifier un peu par rapport à ce que faisait Erik, mais on n’entend pas la différence. Pour moi, tant que ça sonne bien, c’est bien. Souvent, dans le metal, et en particulier dans le metal extrême, comme dans le death metal et le thrash, le bassiste joue presque exactement ce que fait le guitariste, mais ce n’est pas obligatoire. En fait, dans la plupart des autres genres musicaux, ce n’est pas comme ça, le bassiste fait souvent quelque chose de différent de la guitare, en se rapprochant peut-être plus du jeu du batteur. C’est ce que je fais souvent ; quand un plan exécuté à la guitare est un peu trop dur à jouer pour moi, je vais regarder ce que fait le batteur et peut-être essayer d’écrire une partie de basse indépendante qui fonctionne avec le jeu du batteur. Ainsi, ça sonne quand même très carré et ça aide le groupe à sonner bien en place, mais ça ne détruit pas autant les doigts que ce que fait le guitariste. Leurs plus petites cordes leur permettent de jouer un peu plus vite.

A propos de l’approche musicale sur Violence Unimaniged, tu as déclaré que c’est « similaire presque à chaque fois : chacun d’entre [vous] essaye de composer les chansons les plus heavy et mémorables possible ». Quels sont les paramètres les plus importants à prendre en compte pour réaliser une bonne chanson de death metal ?

C’est assez subjectif parce que tout le monde aura une définition un peu différente de ce qui est heavy, mais je pense qu’il faut essayer de composer quelque chose de super heavy. Avec un peu chance, c’est bien aussi quand le death metal sonne sombre et menaçant. Je dis généralement aux gens que la différence principale entre le pur thrash metal et le pur death metal, c’est que le premier peut sonner sombre si on veut, mais le plus important dans le thrash c’est que ce soit agressif. Alors qu’avec le death metal, ça doit sonner agressif, mais il faut aussi essayer de lui donner un côté sombre et menaçant, peut-être en utilisant plus souvent des gammes mineures, de manière à ce ça sonne un peu déprimant, en plus du fait que ce soit très heavy, rapide et agressif. C’est bien dans le death metal quand ça procure un sentiment d’obscurité déprimant, et je pense que c’est ce qu’on obtient souvent avec notre musique. Erik est très bon pour ce genre de chose. Si tu écoutes les morceaux qu’il a composés, ils sont très sombres. En fait, c’est le cas de nous tous, nous avons des éléments thrashy mais il y a toujours un côté sombre, sinistre, menaçant et effrayant dans notre son. « Follow The Blood », qui est une chanson de Rob, est très sombre. Je trouve que « Slowly Sawn » et « Cerements Of The Flayed », deux chansons que j’ai composées, ont une obscurité et une atmosphère un peu flippantes. C’est plus dur à décrire avec des mots qu’à jouer et comparer. Je pense que le death metal doit avoir une bonne combinaison d’obscurité et d’agressivité dans la composition.

Tu as aussi dit vouloir que « chaque chanson ait son propre caractère identifiable ». As-tu l’impression que c’est quelque chose qui manque parfois aux albums de death metal ?

Pour certains, oui, y compris des albums que j’aime beaucoup. Tu écoutes une chanson et ça va vite, et tu écoutes la chanson suivante et ça va exactement à la même vitesse. Les deux sont de super chansons, mais elles se ressemblent. Nous avons essayé d’éviter ça au fil des années et je pense que nous nous sommes bien débrouillés sur ce point avec Violence Unimagined. Par exemple, aucune des quatre chansons que j’ai composées sont sur le même tempo. J’essaye d’utiliser des gammes différentes, des idées d’arrangements légèrement différentes, peut-être un type de rythme différent. Une chanson peut tourner en trois temps, à la manière de triolets, c’est le cas de « Slowly Sawn », alors que « Surround, Kill, Devour », un autre morceau que j’ai composé, est un peu plus rapide que « Slowly Sawn », elle utilise une gamme différente et elle tourne en quatre temps. Nous faisons attention à ce genre de chose et nous essayons de faire en sorte que chacun d’entre nous compose plusieurs chansons. Rob en a composé quatre, Erik trois et moi quatre. Si nous, les trois compositeurs principaux, faisons en sorte que chacune de nos chansons se démarque des autres, sachant en plus que nous avons chacun notre propre style d’écriture, ça permet d’obtenir un album très varié, avec plein de hauts et de bas. Avec Violence Unimagined, j’aimerais croire que quand la chanson qu’on est en train d’écouter se termine, la suivante commence et que ça ne sonne pas du tout comme celle qui vient de finir. C’est quelque chose que nous avons consciemment essayé de faire en créant cet album, nous voulions que chaque chanson soit relativement différente, et avec un peu de chance, ça permet d’entretenir l’immersion de l’auditeur. Il existe plein de médias aujourd’hui, il y a un million de canaux à visionner, et il y a internet, notre téléphone et tout le reste. A notre époque moderne, il faut peut-être encore plus travailler pour vraiment donner envie aux gens de consacrer quarante ou quarante-cinq minutes de leur temps à l’écoute d’un album du début à la fin. J’espère que c’est ce que nous avons réussi à faire avec cet album.

L’album a été enregistré en avril l’an dernier, donc en plein confinement. Tu as mentionné plus tôt comment ceci t’avait affecté personnellement avec l’enregistrement de tes parties de basse. Y a-t-il eu d’autres conséquences ?

Logistiquement, je vis à l’autre bout des Etats-Unis maintenant, en Oregon, tandis que les gars sont en Floride, donc ça crée des problématiques logistiques pour les enregistrements. Si nous voulons faire un live-stream, il faudra que je les rejoigne en avion pour un seul concert. Nous devons garder ça en tête si nous voulons le faire plus tard dans l’année, il faudra que je prenne l’avion et répète pour être prêt rien que pour un live-stream. Ceci dit, le plus important, pour nous et pour des milliers d’autres groupes de notre niveau, c’est le fait que tourner est notre principal gagne-pain. Les tournées ne se faisant pas, nous serrons la ceinture et essayons de tenir bon, en espérant que tout reviendra vite à la normale et que nous pourrons recommencer à tourner. C’est très inhabituel pour nous de sortir un album comme nous le faisons en avril sans caler de tournée pour le promouvoir. Nous ne savons pas quand aura lieu notre prochain concert, nous espérons que ça se fera début 2022. Nous ne pouvons certainement pas prédire l’avenir, donc il faudra attendre pour voir.

« J’ai commencé à penser à l’effondrement de la société et ce genre de chose. Heureusement, ce n’est pas en train de se produire, mais lorsqu’une telle chose arrive, peut-être que ça réveille les gens et leur fait réaliser que tout n’est pas à cent pour cent aussi sûr que ce qu’ils pensaient. »

Cannibal Corpse est en effet un groupe qui tourne beaucoup. Justement, comment gérez-vous la situation, économiquement parlant, en n’ayant pas la possibilité de tourner ?

Aujourd’hui, tout le monde doit faire attention à son argent jusqu’à ce que les tournées reprennent. Si les tournées ne reprennent plus jamais, évidemment, nous allons devoir faire d’autres choses. Je ne vais pas rentrer dans les détails de l’aspect financier, mais c’est probablement impossible pour nous de gagner notre vie sans tourner. Je ne connais aucun groupe qui gagne sa vie mais ne tourne pas. Le principal pour la plupart des groupes de notre envergure, c’est les revenus liés aux tournées, car je pense que les ventes d’albums n’ont jamais été suffisantes, y compris avant le téléchargement et tous ces trucs. Nous avons eu beaucoup de chance que notre groupe soit devenu notre boulot principal, c’est un rêve qui s’est réalisé. Je pense que les autres groupes qui ont la possibilité de jouer leur type de musique préféré en guise de gagne-pain seront d’accord là-dessus, il n’y a rien de mieux. Si nous ne pouvons plus faire ça, nous continuerons à jouer dans le groupe tout en faisant d’autres boulots par chez nous, peu importe ce que ça peut être, juste quelque chose pour s’en sortir. C’est ce que nous faisions tous avant que le groupe ne commence à bien se porter – c’était il y a longtemps. Sans les tournées, ce n’est pas viable sur la durée. Ça ne fait qu’une année pour l’instant que tout le monde ne tourne plus mais si ça continue ainsi pendant dix ans, alors tout le monde va devoir faire d’autres choses en plus de leur groupe. Quand je dis tout le monde, je parle des groupes de notre niveau, je ne parle pas de Metallica ou je ne sais qui. Nous sommes un gros groupe dans le death metal mais ce n’est pas de la musique mainstream. Il n’y a aucun millionnaire dans notre groupe.

Je pense que tout le monde va bien pour l’instant dans Cannibal Corpse. Je ne veux pas parler à la place des autres mais avec leurs factures mensuelles, il y a des chances qu’ils aient plus de sorties d’argent que de rentrées d’argent. Je ne crois pas me tromper en disant ça. Il en est probablement de même pour plein d’autres groupes de notre niveau. Tout le monde s’accroche, et avec un peu de chance, ça reviendra à la normale l’année prochaine. Sinon, nous trouverons une solution, on peut toujours faire d’autres choses. Ça ne me dérangerait pas d’enseigner la basse si ça intéresse les gens. Evidemment, ce que nous adorons faire et ce qui réussit au groupe sur le plan du business, ce sont les tournées, donc nous avons hâte de repartir dès que ce sera sûr de le faire. Nous avons bon espoir pour l’année prochaine.

Nous avons parlé à Martin d’Asphyx van Drunen et il se trouve qu’ils ont écrit une chanson sur le fait que la pandémie était « un pur scénario death metal » – c’est d’ailleurs le nom de la chanson. Donc même si la composition a été réalisée avant ça, à quel point cette pandémie est-elle inspirante pour un groupe comme Cannibal Corpse ? Vous avez d’ailleurs une chanson intitulée « Condemnation Contagion » dans l’album…

Oui. En mars 2020, quasiment toute la musique était faite, mais dans notre groupe, nous écrivons presque à chaque fois les paroles en dernier. Nous nous retrouvons avec onze chansons composées, mais sans aucun texte ; nous sommes à trois semaines de l’enregistrement, donc tout le monde écrit des paroles sans relâche. Le processus d’écriture des paroles a débuté pile au moment où la pandémie prenait de l’ampleur aux Etats-Unis et où ça devenait une grande source d’inquiétude. Evidemment, nous avions déjà entendu parler d’un virus en février, mais c’est au milieu du mois de mars que c’est devenu un vrai état d’urgence en Amérique. C’était évidemment dans un coin de notre tête pendant que nous écrivions les paroles. Tu allumais la télé et tout le monde en parlait, et les confinements débutaient. Erik a écrit les paroles de « Condemnation Contagion ». Je ne pense pas que la chanson parle spécifiquement du Covid-19 mais je pense qu’elle a été inspirée par ce qui se passait. Je crois qu’Erik serait d’accord.

Pour moi, c’était plus une influence indirecte. J’ai commencé à penser à l’effondrement de la société et ce genre de chose. Heureusement, ce n’est pas en train de se produire, mais lorsqu’une telle chose arrive, peut-être que ça réveille les gens et leur fait réaliser que tout n’est pas à cent pour cent aussi sûr que ce qu’ils pensaient, surtout dans les pays qui se sont habitués à un assez haut niveau de sécurité et de stabilité. Quand on voit que le monde entier doit se battre contre cette pandémie, ça fait réfléchir sur des choses qui pourraient être encore pires à l’avenir. La chanson « Surround, Kill, Devour » parle de cannibalisme post-apocalyptique, mais heureusement, nous sommes encore très loin de ça aujourd’hui. Pendant que j’écrivais, j’ai commencé à me dire que c’était un petit peu comme ce livre, The Road, de Cormac McCarthy, où il n’y a plus aucune source de nourriture. Je ne sais pas si j’aurais pensé à écrire une chanson post-apocalyptique sans cette pandémie mondiale. Je suspecte qu’on va voir beaucoup d’autres groupes écrire sur des thèmes directement ou indirectement inspirés par ce qui se passe. Ce serait impossible de ne pas le faire quand on réagit d’une façon ou d’une autre à son environnement. C’est un peu dans l’esprit de tout le monde ; on a tous pensé à ça à un moment donné. Ce serait naturel que ce soit reflété dans l’art et dans la musique.

« Tout ce sur quoi nous chantons est vraiment terrifiant et négatif. Ça doit être étrange pour certaines personnes extérieures à la scène death metal de voir qu’on prend tous beaucoup de plaisir à écouter ça [rires]. C’est de la musique très sombre qui parle de thématiques sombres et d’une certaine façon, ça nous apporte du bonheur. »

Nous avons avec un certain nombre d’artistes de la valeur de la musique en ces temps de pandémie. Même si c’est une musique extrêmement violente, sombre et gore, vois-tu le death metal et un album comme Violence Unimagined comme une manière positive de libérer toute la tension et la frustration que les gens ont accumulées ? Penses-tu qu’il puisse y avoir un côté thérapeutique y compris – ou en particulier – dans le death metal ?

Je pense, oui. Tout ce sur quoi nous chantons est vraiment terrifiant et négatif. Ça doit être étrange pour certaines personnes extérieures à la scène death metal de voir qu’on prend tous beaucoup de plaisir à écouter ça [rires]. C’est de la musique très sombre qui parle de thématiques sombres et d’une certaine façon, ça nous apporte du bonheur. C’est dur à expliquer mais peut-être qu’on apprécie les films d’horreur pour la même raison. C’est une manière de libérer des choses. Sur le plan des paroles et des sujets abordés, si les gens s’intéressent à l’horreur et au divertissement violent, je ne crois pas que ça signifie qu’ils aiment ça, c’est plus une curiosité morbide et ils apprécient avec de la distance. En tout cas, pour ce qui est de nos textes, la plupart du temps, ce sont juste des histoires d’horreur auxquelles nous n’avons pas beaucoup d’attache émotionnelle. Nous écrivons des histoires sur des personnages déments. Ça peut sembler très négatif aux yeux de plein gens, mais c’est une forme d’échappatoire à la réalité. Même si « Condemnation Contagion » parle de quelque chose qui rappelle ce qui se passe actuellement dans le monde, je pense qu’à la fois, il est encore possible de se faire plaisir et de décrocher son esprit de la réalité en écoutant ce morceau.

Pour ce qui est de libérer la tension, je pense que le death metal fonctionne très bien. Rien que musicalement, sans prendre en compte les paroles, disons qu’on écoute les morceaux en instrumentaux, ce genre de musique agressive est très bon. Nous voulons que cette musique vous fasse du bien quand vous l’entendez, qu’elle vous fasse bouger, secouer la tête ou slamer ; ce sont des choses positives. Quand je vois un mosh pit devant nous lorsque nous jouons une chanson, celle-ci peut parler d’une personne qui se fait dévorer vivante ou démembrer, pour autant je ne vois pas beaucoup de chagrin dans le pit, tout le monde a l’air assez joyeux. C’est probablement le truc le plus bizarre qui soit pour les gens qui ne comprennent pas cette scène, mais pour nous c’est assez naturel. C’est ce que nous faisons depuis trente ans, nous jouons cette musique agressive avec des paroles de dingues et tout le monde s’amuse en concert. Il y a aussi un aspect physique. Je pense que les gens qui s’amusent le plus sont ceux qui y réagissent vraiment physiquement parce que leur cœur bat plus fort et que ça fait toujours du bien. C’est d’ailleurs de la bonne musique pour faire du sport et c’est super pour libérer la tension en faisant de l’exercice physique. La musique peut aller de pair avec ça, surtout une musique ayant un tempo très élevé comme le death metal.

L’album s’intitule Violence Unimagined. C’est évidemment une bonne description de la musique, mais y a-t-il eu des moments où la violence de la vraie vie – qu’elle soit physique ou psychologique – a dépassé votre imagination ?

Malheureusement, je crois qu’on peut tous imaginer plein de choses aujourd’hui. Rien que les infos, si tu lis les journaux – quand ce n’est pas censuré ou altéré –, il se passe plein de choses horribles. Certaines choses que les gens se font entre eux sont même parfois difficiles à croire. Quand Paul a trouvé le titre de l’album, nous trouvions que ça sonnait bien, mais plus j’y pensais et plus je me disais que, pour un groupe comme le nôtre qui a imaginé énormément de sujets violents sur nos quatorze albums précédents – on parle peut-être de cent cinquante morceaux, qui en gros parlent tous de violence, d’une façon ou d’une autre –, le fait que notre quinzième album suggère via son titre qu’il pourrait y avoir quelque chose de nouveau… [Rires] Je ne sais pas si c’est ce que Paul avait en tête quand il a eu cette idée de titre mais c’est un peu l’effet que ça me fait, ça suggère que sur cet album, il pourrait y avoir encore pire que ce que nous avons fait auparavant.

Comment parvenez-vous à encore être créatifs avec vos histoires d’horreur après plus de trente ans à écrire sur toute sorte d’horreur ?

Nous essayons juste de stimuler notre imagination. Ça aide qu’Erik ait intégré le groupe parce que ses morceaux sont violents et terrifiants, mais il aborde ça un petit peu différemment. Je pense que c’était bien pour la diversité. Personnellement, je conserve toujours des notes. Tu vois les applications pour écrire des notes sur ton téléphone ? Dès que quelque chose me vient en tête, ou si je suis en train de lire un livre ou d’entendre quelque chose de bizarre qui pourrait conduire à une chanson ou même simplement si j’entends un mot intéressant, je consigne ça dans mes notes et ensuite, au moment d’écrire les paroles, je fais un genre de brainstorming. Il y a plein de petites idées qui pourraient au final mener à quelque chose d’assez différent, comme la pandémie, par exemple, qui peut amener à autre chose. C’est étrange la façon dont la créativité humaine fonctionne, ce n’est pas toujours direct. Il est clair que je ne me pose pas pour regarder un film et me dire : « Je vais écrire une chanson sur ce film. » C’est bien si des groupes font ça, c’est complètement acceptable, mais ce n’est pas ce que je fais habituellement. Je veux me poser et voir si je peux trouver un truc tout seul, mais bien sûr, ce sera influencé par des choses que j’ai déjà vues. Ce serait difficile autrement. J’ai vu plein de films d’horreur, lu plein d’informations et de romans d’horreur, tout ceci forme une soupe d’influences dans ma tête et ça finit par ressortir dans les paroles quand vient le moment d’écrire.

« Nous voulons que cette musique vous fasse du bien quand vous l’entendez […]. Quand je vois un mosh pit devant nous lorsque nous jouons une chanson, celle-ci peut parler d’une personne qui se fait dévorer vivante ou démembrer, pour autant je ne vois pas beaucoup de chagrin dans le pit, tout le monde a l’air assez joyeux. »

L’illustration de Violence Unimagined, dans la plus pure tradition de Cannibal Corpse, montre une mère en train de dévorer son propre bébé, et vous avez créé une illustration alternative pour des questions de censure. Y a-t-il une limite à l’horreur dans Cannibal Corpse ? Y a-t-il des thèmes horrifiques ou des sujets spécifiques que vous n’aborderiez pas, visuellement ou dans les textes, pour une raison ou une autre ?

Il y en a peut-être mais je n’ai pas envie d’avoir l’impression qu’il y en a, si ça a du sens. Nous voulons vraiment laisser la porte ouverte à tout ce qui fonctionne artistiquement pour une chanson donnée. Ensuite, pratiquement tous les sujets sur lesquels nous écrivons sont de mauvaises choses. Par exemple, nous avons certaines anciennes chansons qui sont particulièrement grotesques, comme « Necropedophile » ou « Fucked With A Knife », des chansons qui remontent à un bail dans notre discographie avec des textes vraiment perturbants écrits par Chris Barnes. Nous trouvons que ce qui se passe dans ces chansons est horrible mais une chanson standard sur un tueur en série est également horrible. Tous nos textes et ce qui est décrit dans ces chansons est horrible, et nous ne voudrions pas que ça se produise dans la réalité. Il n’y a rien dans tout ceci que nous estimons ne pas être grave [rires]. De toute façon, vu les sujets sur lesquels nous avons déjà écrit, il ne reste plus beaucoup de limites ; nous avons couvert des sujets très perturbants. Nous ne cautionnons rien de tout ça mais c’est là-dessus que nous écrivons – les fictions d’horreur. Peu importe qui écrit les paroles, nous ne voulons pas lui imposer de limites, tant que les gens comprennent – et je pense que tout le monde comprend, nous en avons parlé dans plein d’interviews. Notre approche est la même que celle d’un romancier d’horreur ou d’un réalisateur de film d’horreur. Un gars qui fait un film sur un violeur qui torture et tue ses victimes n’est pas en train de dire qu’il trouve que les violeurs qui torturent et tuent leurs victimes sont cool. Il fait un film d’horreur mais il considère très certainement le méchant dans le film comme étant un personnage abject ; c’est pareil pour nous.

Y a-t-il quoi que ce soit hors limites ? Il y a probablement des choses sur lesquelles nous ne prendrions plus la peine d’écrire parce que ça ne nous intéresse pas vraiment d’être le groupe le plus gore du monde, mais quoi qu’il en soit, rien de tout ça n’est bon. Nous ne voudrions voir aucun de ces trucs se produire dans la vraie vie. Il y a peut-être plein de groupes qui s’imposent un tas de limites que nous avons déjà franchies il y a de nombreuses années. De toute façon, nous ne nous focalisons pas là-dessus. Nous sommes un groupe d’horreur, nous laisserons la porte ouverte à toutes les idées que le parolier ou l’illustrateur aura ; peu importe ce que Vince Locke veut faire, nous garderons l’esprit ouvert. Être le groupe le plus choquant n’est pas notre objectif. Nous essayons de faire du death metal orienté sur les thématiques de tueurs et d’horreur, et parfois ce sera choquant et gore, mais d’autres fois, il se peut que ce soit beaucoup plus psychologique et subtil. Aujourd’hui, nous ne sommes pas qu’un groupe gore, je pense que nous avons une bonne diversité, allant de la violence graphique à la psychologie.

Sur un autre sujet, tu as un jeu de basse très personnel en matière de death metal, très technique. Tu as commencé un peu à en parler tout à l’heure, mais comment décrirais-tu ta philosophie concernant les lignes de basse ?

J’essaye de les rendre intéressantes et faire qu’elles se démarquent un peu. Je n’ai jamais voulu que le bassiste soit un membre du groupe moins important que les autres gars. J’ai toujours voulu qu’on m’entende tout le temps si possible. Personne ne dit jamais : « Je n’arrive pas à entendre la guitare » ou « Je n’arrive pas à entendre la batterie » mais il y a plein d’albums dans lesquels on ne peut pas entendre la basse, dans le metal en tout cas. Je comprends pourquoi ça arrive, mais j’ai vraiment essayé de me battre contre ça. Avec Violence Unimagined, le son de basse qu’Erik a pu m’aider à obtenir en tant que producteur et les lignes de basse que j’ai écrites font qu’il est possible de m’entendre, y compris quand je joue exactement la même chose que la guitare. C’est sûr qu’une manière de se démarquer, c’est d’essayer d’écrire quelque chose qui n’est pas ce que les guitaristes jouent, quelque chose d’un petit peu différent. Une bonne manière d’y parvenir c’est de faire le lien entre eux et le batteur. Les meilleures lignes de basse sont celles qui lient les deux : les instruments mélodiques, c’est-à-dire les guitares, et la batterie, qui est la base rythmique. Je vois le rythme de la batterie comme la charpente d’une maison et les guitares comme l’extérieur de la maison, alors la basse peut être quelque chose qui, d’une certaine manière, réunit les deux. Parfois, je vais regarder les notes que les guitaristes jouent et j’essaye de voir où les coups de grosse caisse de Paul tombent, et je vais m’assurer que mes notent tombent au même moment. Idéalement, la basse relie les instruments mélodiques et la batterie en créant cette fondation.

Pour ce qui est des parties leads, il n’y a pas de limites. Quand on fait une sorte de solo, il faut connaître ses gammes, trouver ce qui va fonctionner… Rob a été sympa, il m’a réservé deux endroits pour faire de petits solos de basse dans « Follow The Blood ». J’ai regardé les notes qu’il utilisait à ce moment-là, il y a deux petits leads, et j’ai sélectionné les gammes qui fonctionneraient avec ces notes pour faire mes petites parties solos. Ensuite, j’ai écouté ce que Paul faisait et j’ai essayé de travailler un peu autour de ça. Si vous écoutez ces petits solos de basse dans « Follow The Blood » – je pense qu’ils sont assez faciles à entendre – vous verrez comment, même avec un solo, on peut travailler avec la guitare et la batterie en même temps.

« Notre approche est la même que celle d’un romancier d’horreur ou d’un réalisateur de film d’horreur. Un gars qui fait un film sur un violeur qui torture et tue ses victimes n’est pas en train de dire qu’il trouve que les violeurs qui torturent et tuent leurs victimes sont cool. »

Qui t’a inspiré ton approche des lignes de basse initialement ?

Mes premières influences étaient Peter Baltes d’Accept, Steve Harris d’Iron Maiden et Cliff Burton de Metallica. Dans le death metal, Steve DiGiorgio est ma première et plus grande influence. Il y a aussi Roger Patterson d’Atheist, qui joue sur l’album Piece Of Time, et Tony Choy sur Unquestionable Presence, il m’a beaucoup inspiré. J’aime aussi Sean Malone qui a joué avec Cynic. Il y a un paquet de super bassistes datant de cette époque, c’était mes premières influences. J’aime aussi plein d’autres types de jeu de basse, en dehors du metal. J’adore Geddy Lee de Rush, qui est plus dans le hard rock/rock progressif, et Billy Sheehan qui est un bassiste de rock n’ roll mais qui pourrait sans problème jouer du death metal s’il voulait, c’est sûr [petits rires]. C’est l’un des meilleurs et il est certain qu’il m’a influencé. J’ai écouté plein de grands bassistes, mais Steve DiGiorgio est probablement ma plus grande influence. Son approche du jeu en accords et sa technique pour jouer vite à la main droite sont des choses que j’ai vraiment essayé d’imiter. Parmi tous les gars que j’ai mentionné, c’est sans doute celui qui a le plus influencé mon jeu, mais ils ont tous joué un rôle.

Je crois savoir que ton jeu à trois doigts à la main droite vient de DiGiorgio, justement…

Exact ! J’ai si souvent raconté cette histoire qu’il en a probablement marre que je la raconte [rires]. C’était en 1989, j’avais la démo de Sadus et ensuite je me suis procuré l’album Illusions en vinyle. Je pense que c’était même avant l’album en vinyle ; c’était peut-être quand j’ai écouté les démos, j’ai adoré comment ils sonnaient et je pouvais entendre qu’il jouait aux doigts, et pourtant c’était extrêmement rapide. J’étais là : « Bon sang, il faut que je parle à ce gars ! » A l’époque, il n’y avait pas internet, en tout cas pas à ma connaissance. En 1989, il est clair que je n’avais pas d’ordinateur ou quoi, donc j’ai appelé le numéro des renseignements. Je savais d’où Sadus était originaire, donc j’ai recherché la ville et j’ai appelé le 411, un numéro qu’on appelle ici en Amérique quand on veut connaître le numéro de téléphone de quelqu’un. J’ai simplement demandé son numéro de téléphone et j’ai fini par obtenir le numéro de ses parents. Ces derniers m’ont donné le numéro de sa petite amie avec qui il vivait, donc je l’ai appelé et il était super sympa. Nous sommes amis depuis ce jour !

Je lui ai demandé comment il faisait ces parties rapides et il m’a expliqué sa technique, qui était d’aller de l’annulaire au majeur puis à l’index et retour au majeur. C’est comme ça qu’il joue ses doubles croches, un-deux-trois-quatre, en repassant sur le majeur. J’ai essayé de travailler là-dessus et j’ai commencé à développer une technique qui était un petit peu différente de celle qu’il m’a apprise. Ma technique était de faire annulaire-majeur-index, encore et encore, mais j’accentuais un petit peu pour que ça sonne comme un motif de quatre. La première note à être accentuée est celle de l’annulaire, puis après quatre notes, c’est celle du majeur, puis après quatre autres notes, c’est celle de l’index. J’espère que je ne suis pas en train de faire de cette interview la plus ennuyeuse du monde en expliquant ça [rires]. Ma technique s’est avérée un peu différente de celle de Steve mais c’était inspiré par lui, c’était une tentative d’imitation de ce qu’il faisait, sur la base d’un conseil qu’il a gracieusement bien voulu me donner quand je l’ai appelé à l’improviste. Il ne me connaissait même pas ! Mais nous sommes devenus amis depuis. Nous avons tourné ensemble une fois à l’époque où il était dans Death et à nouveau plus tard, quand nous avons fait quelques concerts avec Sadus. Nous avons aussi tourné avec Testament il y a environ cinq ans en Amérique du Sud et nous nous sommes éclatés avec ces gars. C’est un chouette type et une énorme influence.

Tu fais partie de deux autres groupes : Blotted Science et Conquering Dystopia. Les deux ont la particularité d’être du metal technique instrumental. Tu es évidemment un bassiste très technique, mais les gens ne s’en sont peut-être pas toujours rendu compte au milieu de la brutalité des guitares, de la batterie et du chant de Cannibal Corpse. As-tu vu dans ces deux groupes un exutoire permettant à ton expression en tant que bassiste de mieux transparaître ?

Je pense, oui. Comme je l’ai dit, j’ai beaucoup écouté Sadus et Atheist, en plus d’autres groupes de death metal ayant un jeu de basse moins proéminent. Sadus et Atheist, il y a bien longtemps, étaient parmi les groupes de death metal – ou thrash death ou peu importe comment tu veux appeler ça – les plus progressifs. Je me suis aussi intéressé à Watchtower à cette époque. Evidemment, Doug Keyser de Watchtower est vraiment extraordinaire. Et Cynic aussi. J’aime le death metal rentre-dedans et j’aime aussi le côté technique du metal et du death metal, le tech death metal, tech thrash, etc. J’ai toujours eu envie de faire quelque chose dans ce style mais Cannibal Corpse n’est pas ce genre de groupe. Nous avons des parties qui sont sacrément techniques mais ce n’est pas notre spécialité. Notre spécialité, c’est écrire des chansons heavy avec des textes d’horreur. Si c’est technique, très bien, mais ce n’est pas notre objectif principal. L’objectif principal, c’est de composer des chansons super heavy, sombres et brutales. Quand j’ai été contacté par Ron Jarzombek pour faire Blotted Science, j’ai sauté sur l’occasion. Enfin, c’est Ron de Watchtower, bordel de merde ! J’étais tellement excité ! C’était super dur mais ça a fait de moi un meilleur musicien. Jammer avec Ron, c’est presque comme aller en école de musique. Il est tellement bon et j’ai énormément appris de lui. Conquering Dystopia était une autre superbe opportunité, j’adore jouer du metal extrême instrumental. J’aime tellement ce genre de musique et autant j’apprécie le côté horreur de Cannibal Corpse, autant c’était sympa de faire des choses purement musicales. Il n’y a pas de parole dans aucun de ces deux groupes, donc tout ce que nous essayions de dire, nous le disions avec nos instruments. J’adore ça et j’ai envie d’en faire plus. Je suspecte que tous les autres projets que je ferai à l’avenir, si c’est quelque chose où je suis impliqué sur le plan créatif, seront probablement instrumentaux. J’adore le metal instrumental, surtout si c’est un peu technique.

« Personne ne dit jamais : « Je n’arrive pas à entendre la guitare » ou « Je n’arrive pas à entendre la batterie » mais il y a plein d’albums dans lesquels on ne peut pas entendre la basse, dans le metal en tout cas. Je comprends pourquoi ça arrive, mais j’ai vraiment essayé de me battre contre ça. »

As-tu des plans avec ces groupes ?

Nous avons travaillé sur de la nouvelle musique pour Blotted Science pendant un petit moment mais nous avons tous été occupés sur d’autres choses, donc ça n’avance pas très vite en ce moment. Ça fait quelques mois que je n’ai rien fait avec eux. Ça reste une éventualité, que nous puissions en faire plus. Pareil avec Conquering Dystopia mais ce groupe a été formé par Jeff [Loomis] et Keith [Merrow], donc je les laisse ouvrir la marche. S’ils voulaient un jour réactiver Conquering Dystopia, j’adorerais car je me suis vraiment amusé à jouer avec eux. Nous avons d’ailleurs pu tourner avec ce groupe, en ouverture d’Animals As Leaders et aussi avec Chon. C’était un vrai rêve devenu réalité pour moi de pouvoir faire une tournée purement instrumentale. C’était super amusant et j’adorerais faire des concerts avec l’un ou l’autre de ces groupes – avec Blotted Science ce serait une première car nous n’avons jamais fait de concert. Avec un peu de chance, on entendra plus de la part de ces groupes, mais malheureusement, il n’y a rien de prévu pour l’instant.

Il y a trente ans, Cannibal Corpse sortait trois albums d’affilée, en trois ans. On a du mal à imaginer un groupe faire ça aujourd’hui. Avec le recul, comment vois-tu ces années où, apparemment, le groupe n’arrêtait pas de débiter des riffs ?

C’est en partie parce que nous ne tournions pas beaucoup. Nous n’avons pas du tout tourné pour Eaten Back To Life, nous n’avons fait qu’une poignée de concerts que nous avons organisée nous-mêmes. Nous n’avions pas de tourneur à l’époque. Si ça s’est rapidement enchaîné entre Eaten Back To Life et Butchered At Birth, c’est parce que nous ne tournions pas. Après avoir fait Eaten Back To Life, nous nous sommes tout de suite remis à composer. Pour Butchered At Birth, nous avons fini par tourner mais nous continuions à beaucoup composer entre les deux albums. Je ne sais pas exactement pourquoi ça a été encore relativement facile de faire Tomb Of The Mutilated avec autant de précipitation [petits rires]. Tu remarqueras qu’après ça, rien que le volume de tournées, c’est avant tout ce qui a fait que tout a ralenti pour nous. D’ailleurs, je suspecte que le successeur de Violence Unimagined sortira probablement plus vite que normalement parce que nous sommes à la maison en ce moment, donc nous nous tenons occupés en composant de nouveaux morceaux. Ce n’est pas quelque chose que nous ferions habituellement ; habituellement, nous aimons laisser passer deux ou trois ans entre les sessions d’écriture, pour tourner et tout, mais comme nous ne tournons pas actuellement, nous allons prendre de l’avance pour ce qui viendra après Violence Unimagined, de façon à nous occuper. Je pense vraiment que la raison pour laquelle ces trois premiers albums sont sortis si vite, c’est que nous ne tournions pas beaucoup. De même, nous répétions cinq jours par semaine ensemble, et à chaque fois que nous nous réunissions, nous composions ensemble. C’était une époque créative mais c’était aussi une époque où nous étions beaucoup plus à la maison et où nous traînions tout le temps ensemble.

Quel est ton sentiment, musicalement parlant, sur ces trois premiers albums ?

Je suis fier de nos quinze albums. Ils représentent tous ce qui pouvait être fait de mieux à l’époque. Ces trois premiers albums sont bons, même si nous manquions d’expérience. C’était ce que nous pouvions faire de mieux à ce moment-là. Chaque album que nous avons fait représente vraiment notre meilleur effort à ce moment-là. Quand je les réécoute, surtout Eaten Back To Life, sachant à quel point nous étions inexpérimentés, j’en suis très fier, ça sonne toujours très bien. Nous le devons en grande partie à Scott Burns qui est un super producteur et qui nous a poussés à donner le meilleur de nous-mêmes. Je trouve qu’ils sont plutôt bons compte tenu de tout ce qu’il nous restait à apprendre. Ceci dit, je trouve que The Bleeding, c’est là que nous avons franchi un palier en termes de professionnalisme et que nous avons atteint le niveau des groupes que nous admirions, comme Death et Morbid Angel.

Ces années-là sont considérées comme étant l’âge d’or du death metal. Comment décrirais-tu l’atmosphère de la scène de l’époque, surtout en Floride où vous avez déménagé à l’époque ?

Nous avons fini par déménager en Floride en 1994 – nous venions de Buffalo. Je peux dire qu’à Buffalo, nous avions une super scène death metal, et tout le monde était super excités par cette scène. Il est clair que Tampa était une ville palpitante quand on s’intéressait au death metal. C’était enthousiasmant, c’était tout neuf et frais. Comme tout ce qui est nouveau, c’était beaucoup plus excitant parce que c’était en plein développement, juste sous nos yeux. La scène se développait vraiment. Le death metal existait depuis quelques années mais c’est entre 1989 et 1992 qu’elle a commencé à exploser. C’était pareil la première fois que nous avons tourné en Europe avec Loudblast, c’était génial. J’ai plein de souvenirs de cette tournée parce que c’était notre première, c’était tellement excitant, nous nous sommes éclatés.

Interview réalisée par téléphone le 4 mars 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Alex Morgan.

Site officiel de Cannibal Corpse : www.cannibalcorpse.net

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