Carcass se plaît à donner des sueurs froides. Surgical Steel (2013) avait marqué le grand retour de la formation culte sur le devant de la scène en profitant du secret de son développement. Après plusieurs tournées conséquentes, Carcass envisageait même de donner vie à son successeur aux alentours de 2017 et puis… Plus rien. Carcass a peut-être surestimé sa capacité à intégrer la conception d’un nouvel effort dans son emploi du temps, selon ses dires. Quoi qu’il en soit, le single « Under The Scalpel Blade » voit le jour en 2019 et précède l’EP Despicable (2020), ce qui rassure les fidèles. De quoi préparer l’arrivée de Torn Arteries, septième opus des Britanniques. Carcass n’a que faire des huit années qui le séparent de Surgical Steel et de la possible pression qui en découle. Torn Arteries respecte scrupuleusement la ligne de conduite du groupe : ne pas sombrer dans la redite en dépit de l’étroitesse d’un genre musical qu’il a lui-même contribué à codifier.
Torn Arteries s’inscrit de manière élégante au sein de l’imagerie de Carcass en présentant ces légumes en décomposition dans une série d’images, dont la première illustre la pochette, réalisée par Zbigniew Bielak et inspirée par le Kusôzu, terme japonais pour « peindre les neuf états de la décomposition du corps ». Torn Arteries s’amuse justement de ce lexique en multipliant les références au Carcass des premières heures, à travers des renvois à de vieilles démos et compilations via les titres « Flesh Ripping Sonic Torment Limited » et « Wake Up And Smell The Carcass ». Le titre même de l’opus est une référence à une démo réalisée par le premier batteur Ken Owen dans les années 80. Carcass cultive toujours ce second degré, un trait que Torn Arteries souligne davantage. Au-delà du jeu de références, Carcass parvient toujours à insuffler l’esprit du début des nineties dans sa production sonore réalisée en Suède et en Angleterre. Enregistré avec James Atkinson (Gentlemans Pistols) et David Castillo pour la batterie, Torn Arteries évite l’obsolescence, conséquence souvent liée à ce désir de « rester authentique ». Torn Arteries a le cachet de l’ancien et la puissance contemporaine. Les roulements de batterie qui introduisent le titre éponyme de l’album trahissent justement cette volonté de ne pas sentir le formol. Carcass s’amuse toujours à multiplier les riffs hybrides entre le heavy/thrash et le death. Bill Steer a conservé toutes les caractéristiques de son jeu, ne laissant jamais la routine d’un riff s’installer et se permettant des ouvertures mélodiques qui ont fait le succès d’Heartwork (1993). Jeff Walker profite quant à lui grandement des chœurs gutturaux qui contrastent avec son timbre seul plus écorché. Si Carcass désire ardemment éviter l’écriture générique, il livre tout de même des compositions estampillées « tradition », à l’instar de « Kelly’s Meat Emporium » qui reprend à sa façon – le tout agrémenté de quelques blast-beats et tricotages à la guitare – les grandes lignes tracées par Slayer. Vieux jeu et inspiré.
Carcass doit néanmoins son statut de groupe culte à son aisance pour dévier subtilement des trajectoires évidentes. « Dance Of Ixtab (Psychopomp & Circumstance March No. 1 in B) ADM » délaisse la frénésie du riffing pour se construire autour d’un beat groovy (à l’introduction presque rituelle qui évoque légèrement l’approche tribale de Gojira) et des guitares flirtant avec le stoner. « Wake Up And Smell The Carcass – Caveat Emptor » joue lui aussi essentiellement sur le rythme en calquant les phrasés de Jeff Walker sur les à-coups de guitare avant de se livrer à quelques facéties mélodiques. « Eleanor Rigor Mortis » se construit quant à lui autour d’un riffing massif qui se décline de plusieurs manières. Carcass reste au niveau du sol, pour le plus grand malheur des nuques. « Flesh Ripping Sonic Torment Limited » emprunte un itinéraire plus progressif, profitant d’une introduction à la guitare acoustique et d’une plage atmosphérique qui permet à Bill Steer d’ouvrir sa chemise en parcourant sa guitare. Carcass se paie même le luxe d’être taquin, à l’image du solennel « In God We Trust » qui prend très vite une tournure imprévue…
Torn Arteries entérine le constat suivant : la musique extrême doit beaucoup à Carcass qui s’échine toujours à étirer les codes d’un genre aussi étriqués soient-ils. Torn Arteries honore cette inventivité apportée au riff, où la brutalité la plus franche peut s’effacer abruptement pour laisser place à une envolée exaltante. Carcass peut se targuer d’avoir amalgamé violence, finesse et allure depuis trente-cinq ans maintenant. Torn Arteries ne dérogera pas à la règle.
Clip vidéo de la chanson « Dance Of Ixtab » :
Visualizer de la chanson « Kelly’s Meat Emporium » :
Album Torn Arteries, sortie le 17 septembre 2021 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici